Inscription
Connexion

01 oct. 2018, 10:53
Château de papier  LIBRE 
Mercredi 2 septembre 2043
Bibliothèque – Poudlard
3ème année


*Dégueulasse, c't'odeur !*.

Elle s'infiltre dans mon nez, je la sens avec ses millions de particules de poussières. Elle monte dans mes narines pour venir s'imposer à mon cerveau. Elle lui murmure bien des mots à mon crâne alourdi par la peine. Elle lui dit que l'odeur n'est pas celle qu'il veut, mais qu'elle va rester sagement contre mes sens pour me faire perdre les pédales. Ouais, voilà ce que dit l'odeur à mon crâne.

Dans un geste bien trop banal pour que ce soit agréable, je lève mon bras et frotte la manche de ma robe contre mon nez. Je frotte fort, le tissu rêche m'abîme la peau. Elle s'active contre elle, m'arrachant l'odeur  pour la remplacer par la douleur d'un épiderme rougi. Je laisse brutalement tomber mon bras, l'envoyant cogner contre mes hanches. Je lève le nez en l'air, le corps tendu à l'extrême. Mes doigts de pied ne sont plus rien dans mes sandales, ils sont recroquevillés, tout comme mes mains et mon ventre. Crispés pour ne pas laisser l'odeur aller plus loin.

Faisant fit de toute précaution, je renifle à plein poumon l'odeur de cet endroit puant ; j'aurais dû m'en douter : rien ne pouvait y  faire contre l'essence de cette bibliothèque-là. Elle avait perdu.

Brusquement, j'ouvre la porte de la bibliothèque en grand et j’aplatis mon pied sur le parquet grinçant. Le son de mon pas retentit entre colonnes et rayonnages ; mais rien ne peut faire flancher la grimace de dégoût qui est la mienne à cet instant. Je jette tout juste un regard à la bibliothécaire. Je ne veux pas voir ses yeux me transpercer. Je n'en peux plus des yeux, des regards. Je n'en peux plus.

Je me jette entre le rayonnage métamorphose et les premières tables pleines de Regards. Ma tête est baissée tout le long de mon cheminement. L'attrait des Titres n'est pas assez fort pour apaiser la peur qui règne dans mon cœur. Je dois avancer et ne jamais m'arrêter. *Surtout pas r'garder les Autres... Surtout pas*. En un coup de vent, je passe devant les étagères des Magies du Monde puis devant celle de la faune et de la flore. Je tourne à gauche, dépasse un lourd pilier qui m'écrase de sa taille *'t'faire voir, Zak' !*, détourne la tête en entendant les chuchotements qui me précèdent puis tourne à droite.

Je m'avance de trois pas avant de lever la tête. Sans un mot, je m'avance et dépose mon sac sur la table, le retenant du bout des bras pour éviter tout bruit indiquant ma présence ici. Je me déplace sur la pointe des pieds, maudissant le parquet craquant et les ombres destructrices. Je m'assois sur la chaise la plus éloignée de l'entrée de l'alcôve.

Ici, face aux rayonnages répertoriant toutes les guerres Gobelines ayant eu lieux ces milles dernières années, personne ne viendrait me trouver. Les Autres étaient assez idiots pour ne pas s'intéresser aux Gobelins, c'est tout ce que je demandais. Cela ne m'empêche pas de me tordre le cou pour vérifier que personne ne vient dans ma direction. Il n'y a que les chuchotements perceptibles derrière cette rangée de poteaux de pierre qui me  fait face pour me faire flipper.

La lèvre inférieure coincée entre mes deux rangées de dents, je sors parchemins et livres de cours. Je dépose ma baguette près de ma plume puis arrange mon sac de telle sorte qu'il soit une barrière entre moi et les étagères pleines de livres. Après une seconde de réflexion, j'ouvre mon livre de botanique et celui de Défense pour les placer en éventail devant moi.

« Enfin..., » murmuré-je en m'aplatissant derrière ma barrière.

Les muscles de mon dos se relâchent, mes orteils se détendent.  La joue posée contre le bois, je prends une grande respiration. Pour la première fois de la journée, cette dernière ne trouve aucune résistance et l'air s'engouffre si facilement dans ma gorge qui glapissement de bien être m'échappe. Je place instantanément une main devant ma bouche,  maudissant mes muscles d'être si réactif à mon angoisse. Doucement, j’entreprends de calmer ma respiration, insistant sur chaque inspiration et sur chaque expiration. Je voudrais fermer les yeux mais j'en suis incapable.

Ici, le silence est une connerie. Quand on arrive de l'extérieur, il nous agresse de sa force, le silence. Il s'impose à nos oreilles et nous oblige à nous taire. Mais si on s'infiltre quelque peu dans l'endroit, si on écoute le silence et qu'on l'accepte, on comprend à l'instant qu'il se joue de nous. Le silence ne sert qu'à cacher les petits bruits suspects de la vie. Quand on a accepté le silence, il nous fait entendre les chuchotements entre les rayonnages, les rires étouffés et le crissement des plumes. Même les yeux ouverts je peux les entendre. Ils viennent de devant et de derrière moi ; certains sont sur ma gauche. Là, une voix. Cette voix, je ne l'entend que trop bien : ses mots me sont inaccessible mais c'est sans effort que j'entends le ton de sa voix, de son rire à sa moquerie.

Je me redresse, le cœur tordu et les poumons enflammés. Je brandis mes yeux à droite et à gauche, devant et derrière moi. Rien. Je ne vois ni Regards ni corps. Il n'y a rien d'autres que des bruits qui me piquent les yeux. Et l'odeur qui me  donne mal à la tête. Doucement, la voix s'infiltre dans mes oreilles et envahit tous mes sens. Elle me tient dans sa poigne. Elle me serre les poumons. Je me lève brutalement, ma chaise hurle contre le parquet et moi, je me jette dans un rayonnage. Sans même regarder les titres, trop occupé à faire glisser mes yeux de part et d'autre de l'allée, je prends six livres dans mes mains avant de revenir à ma table. J'en place deux sous mes bouquins de cours ouverts en éventail puis un de chaque côté de mon corps. Les deux derniers, je les ouvre et le dépose autour de moi, achevant ainsi d'édifier ma forteresse de papier.

Alors seulement, je peux m'apaiser. Mais je ne le fais pas, car mon corps ne m'écoute pas. J'attrape ma plume que je serre entre mes doigts, de l'autre main, je tiens ma baguette. Je reste ainsi, réfléchissant à mon confort, puis j'échange : ma baguette dans ma main droite et ma plume dans ma main gauche. Peu importe que mes notes de Botanique soient brouillonnes ; ma sécurité importe avant tout.

Cachée derrière la barrière des livres, j'écoute. J'écoute et sous mes yeux s'effacent l'image de ma table et de mon parchemin. Je ne suis plus qu'oreilles qui écoutent et cœur qui bât.


Premier post réservé. Le reste est Libre. 

02 oct. 2018, 01:56
Château de papier  LIBRE 
Elle ne savait même plus l’année que marquait cette rentrée, mais ce n’était pas d’importance. Quelque part au fond de sa conscience elle sentait qu’elle n’était toujours pas assez proche de la fin. Ce serait bêtise que de compter pour appuyer et enfoncer avec plus de netteté cette sombre considération. Ce Brouillard, elle le laissait flotter, il était mieux ainsi, elle n’avait pas besoin de s’y perdre. Les calendes de ce neuvième mois étaient toujours ainsi. Une insipide routine, un protocole d’arrivée d’une constance écœurante. Déroger ne serait-ce qu’à une règle attachée à ce moment avait de ces attraits auxquels la sorcière n’était pas insensible. En deçà de cette considération, une envie d’y échapper, à ces prémisses, l’emplissait ; autant retomber sans transition dans sa geôle. Au lieu de se faire vulgairement cahoter en amont.

La Serpentard sortait d’un cours auquel elle avait assisté apathique. Elle ne savait même plus qui l’animait, tant de figures avaient défilés à ces bureaux qu’elle ne retenait plus. Rares exceptions d’émanations capables de capter son Œil. Telle un automate, la petite Swan errait dans les couloirs, cette horrible habitude la guidait et la tirait en des chemins déjà foulés. Elle avait besoin de l’épaisse Obscurité pour dévier et explorer. Sous l’empire de l’éclat solaire ses petites jambes suivaient un tracé mécaniquement.

Les pierres au sol étaient dotées de la même irrégularité séculaire, amenant l’argentée à présenter une démarche qui tanguait en raison du peu d’attention concédé à son équilibre. Le regard de l’adolescente était élevé vers le haut, qui lui offrait de ne pas voir les barrières compressives l’entourant. Se focaliser sur une seule pour annihiler la présence des autres. Ses pas s’égrenaient, de fines variations de luminosité et de motifs informaient Phœbe de son déplacement. Elle ne pensait pas, n’avait pas de raisons de le faire, en cet instant elle subissait sans intention aucune de s’impliquer.

Un tressaillement et une vibration qui se répercuta sur toute la longueur du bras droit de l’étudiante la força à s’arrêter, ses lèvres émirent un sifflement alors qu’elle porta par réflexe sa main gauche sur son membre figé et bourdonnant. Un battant absent du champ de vision de la jeune magicienne était responsable de cette rencontre douloureuse. Elle exhala très doucement, tentant d’oublier le choc tout en jetant un regard courroucé à tout ce qui l’environnait. Elle en voulait terriblement, à ce Château hostile.

De trop nombreuses couleurs agressèrent les yeux de Phœbe qui eut besoin de se concentrer pour comprendre que c'étaient les côtes qui chatoyaient de la sorte. L’élève avait la sensation d’avoir été catapultée en un geste ici, sans l’avoir cherché. La Bibliothèque, unique ressource des enfants de Poudlard. C’était dans la continuité du Confinement. Tout concentrer en un unique lieu pour empêcher les sorties, les rendre parfaitement inutiles. Adossée contre un mur, l’adolescente resta statique quelques minutes, tiraillée entre deux possibilités. Échapper à un Gouffre de présences ou enrichir un peu son Savoir dans le rare domaine ayant acquis son intérêt. Il lui manquait des éléments, la petite Swan se décida à franchir cette porte. Elle se faufilerait en toute discrétion et repartirait bien vite, elle escomptait un passage éclair.

En quelques mouvements, la Serpentard se retrouve devant le rayon qu’elle avait déjà parcouru en partie, elle comptait reprendre là où elle avait suspendu à sa dernière visite. Sa main se leva virevoltante, pianotait sur les tranches en tentant de retrouver des repères, des lettres, des teintes. Un rapide premier balayage pétrifia l’enfant. Aucune familiarité, tout n’était qu’inédit et inconnu. La petite Swan fit un tour complet sur elle-même, attrapant au passage du coin de l’œil quelques Silhouettes indistinctes.

La disposition aurait changé entre temps… Phœbe grimaça, comprenant qu’elle devrait rester plus longuement, sujette alors à toute la pression exercée par les pesants jugements portés par les Êtres l’entourant. Elle porta ses doigts à ses tempes et abaissa ses jumelles pour s’ôter artificiellement à ce lieu. Deux pas en arrière pour mieux jauger ces rayons. Telle un serpent, l’argentée devrait sinueuse les enrouler pour s’échapper.

D’une démarche souple qui ne connaissait aucune pause, pleine et continue, la magicienne verte et argent progressait, son regard aiguisé et prêt à débusquer les repères. Parfois son esprit enregistrait dans un coin une image si elle présentait une attraction par la première impression visuelle jetée. L’étudiante suivait son serpentin sans déviation, croisant les doigts pour éviter d’être confrontée un obstacle corporel. Juste avant de clore une première branche, l’argentée devait explorer une alcôve ouverte avec des tables. Un rapide aperçu pour voir la masse matérielle. La petite Swan n’avait pas retenu plus de détails. Elle avait compris qu’elle serait furtive et rapide, comptant sur le parquet pour ne pas la trahir.

Se tenant contre un rayonnage, elle inspira silencieusement avant de se jeter dans cette arène. *Ne regarde pas. Vérifie au moins. Non. Si.* Accrochée par les deux mains à un étage à libres, ses Perles d’Argent tressautaient, indécises. Elles se glissèrent en une extrémité et ne rencontrèrent aucune Silhouette. Bougeant simultanément sa tête et ses yeux, Phœbe observa cette manifestation particulière. Un monticule d’ouvrages paraissant abriter un élan vital. Intriguée, elle s’approche de quelques pas, inclinant de côté sa tête pour s’offrir une nouvelle perspective.

Sans même bouger une chaise, l’adolescente se glisse en un mouvement sur l’une d'entre d’elles situées pile en face de ces pages qui calfeutrent. Assise en tailleur, le buste légèrement penché en avant, ses coudes posés sur la table, son regard d'argent fixe et toise ces livres. Ces petits murs personnels, ces extrémités construites de toutes parts. Un inexplicable mini Poudlard pour la sorcière verte et argent. Une double oppression commençait à la tenailler, alors qu’elle parvenait ponctuellement à occulter le pouvoir écrasant du Château, cette représentation à petite échelle lui rappelait cet effet et le lui imposait de nouveau. Son souffle en avait été coupé en raison de sa morbide fascination qui la détruisait à petit feu alors qu’elle se noyait dans ce qu’elle devait rejeter. Comprendre pour se dépêtrer. Phœbe reprit une petite lampée d’air, ce qu’il fallait pour ses quelques mots, susurrés dans la détresse. L’argentée n’était pas en état de sortir une voix pleine.

« Pourquoi une seconde Geôle ? Une ne suffit-elle donc pas ? »

Une fois prononcés, elle appuya son front contre ses deux petits poings pour se soustraire à la vision la consumant, et écouta l’air. Sa respiration irrégulière qui faisait tournoyait l’air. Il se trouvait un autre Souffle, mais la Serpentard peinait à l’entendre. Elle appréhendait par la Silhouette, et cet élément auquel elle avait accès lui était trop hermétique pour saisir quoique ce soit. Si ce n’est cette provocation architecturale qui dévoilait une parcelle, aussi infime et brumeuse soit-elle.

Éternelle nouvelle Lune
Sombre Ciel

03 oct. 2018, 16:41
Château de papier  LIBRE 
L’écoute a le défaut de permettre l’entente. Mes yeux aveugles me donnent bien trop à percevoir. Tout, du grincement du bois aux chuchotements des Autres, tout m’est perceptible. A chacun de ces bruits mon corps réagit :  mon cœur se sert, ma nuque se couvre de frissons, mes paumes deviennent moites. Je suis incapable de m’arracher à cette écoute ; je suis incapable de bouger. Cela serait si simple de me relever et de regarder autour de moi. Seulement pour être sûre : être certaine que personne ne me regarde. Pour dire à mon cerveau que non, il n’y a pas de regards qui me perforent, ni même de corps qui se tendent vers moi. Je suis persuadée que je suis seule dans mon alcôve ; aussi seule que je peux l’être dans ce Château de malheur. Il n’y a que mon cerveau qui veut se persuader du contraire.

La pression me pousse à me mordre l’intérieur de la joue. Frémissante, je coince le petit morceau de chair entre mes molaires et j’appuie ; la douleur arrache un spasme à l’un de mes doigts. Incapable de me retenir, je cligne des yeux, m’arrache à mon écoute, et regarde ma main droite. Mes doigts tremblent autour de ma baguette. Je soupire doucement et m’aplatis plus encore contre la table ; derrière ma barrière de livre. Je pose mon menton sur mon bras.

Mon horizon est quasi inexistant. Le dos de ce livre est ce que je vois de plus lointain et cela me rassure étrangement. Je laisse mon regard courir sur les pages du manuel de métamorphose puis sur le bois de la table. Il me faut rédiger le devoir de Botanique qui me nargue de son parchemin vide ; mon envie inexistante de réaliser cette tâche - ou toutes autres - me fait soupirer. Je ne prends plaisir ni à travailler, ni à rester sans bouger. Ce moment est le miroir de ma journée et mon ennuie se reflète si fort dedans qu’il m’éblouis.

*’chier*, songé-je en jouant avec le bout de ma baguette.

Ils me hantent, ces regards. Les Autres envahissent mes pensées, ils tracent dans mon esprit leur présence. Les instants de la journée m’habitent, me reviennent. Des éclats de voix se rappellent à moi ; les images des regards passent devant mes yeux ouverts sur le vide. Je n’avais pas compris et je ne comprends toujours pas. Pourquoi m’ont-ils regardé ? En cours, dans les couloirs. Pourquoi continuent-ils à le faire ? Cela a commencé dans la Grande Salle, la veille au soir. Je les ai senti me noyer ; ces Autres. Cela s’est poursuivi jusqu’à ce que je puisse me cacher dans les dortoirs *Zikomo* ; une nuit n’a guère suffi à me guérir de mon angoisse : aujourd’hui, Ils sont encore là.

Toute la colère que je ressens envers le Château et Loewy se fait bouffer par leurs regards.

Je m’ébroue doucement. Je secoue la tête pour faire partir ces pensées parasites. Je me secoue pour essayer de me réveiller sur le Savoir qui est à porté de main et qui se refuse à moi. *Merlin, pourquoi j’y arrive pas ?*, gémis-je intérieurement, malmenant le morceau de chair coincé entre les deux rangées de mes dents.

Je suis hermétique au monde. Mon corps et mon esprit me font subir tant de peines qu’à l’instant même où la voix s’impose dans mon silence, toute la frénésie de l’extérieur me frappe.

« Pourquoi une seconde geôle ? » me viole la voix.

Je sursaute. Mon corps se crispe. Mes pieds s'aplatissent contre le sol et ma peau s’écrase contre le bois quand je pousse sur mes bras pour relever mon buste. Mon cœur cesse de battre ; rien qu’une seconde. Il s’emballe l’instant d’après en un rythme fou qui me coupe le souffle. Mes yeux s’écarquillent et le râle qui s’échappe de ma gorge manque de me faire m’étouffer.
La première chose que je vois, ce sont ses bras. Ils sont posés sur la table, face à moi, penchés vers moi, non loin de moi. Puis je vois sa tête et je n’ai pas le temps de regarder ses lèvres que ses yeux m’alpaguent. Son regard.

« Une ne suffit-elle donc pas ? » me disent les yeux.

J’aurai dû bouger. Me lever, crier peut-être, me jeter en arrière plus vraisemblablement. Mais je ne peux rien faire d’autre que regarder. Regarder ce regard qui me regarde ; il me renvoie mes propres yeux qui souffrent de se faire voir.
Je me rends compte que j’ai réagi : mes fesses ne touchent plus la chaise et mes cuisses hurlent de me maintenir dans cette position ni-debout-ni-assise. Je me laisse retomber, mon corps cogne contre le bois de l’assise et ma bouche se ferme ; enfin. Puis mon cœur se tait petit à petit et c’est comme si rien ne s’était réellement passer.

« P’tain, » croissé-je en me laissant aller contre le dossier de ma chaise.

Mon corps semble calme. Il l’est. Je ne suis pas en danger. Le moindre de mes muscles m’empêche pourtant de me laisser aller ; mon esprit hurle dans ma tête : qui est-ce ? Que veut-elle ? Pourquoi ? Pourquoi ? Par Merlin, pourquoi dois-je subir son regard ?

Je baisse la tête contre la paume de ma main - elle a depuis longtemps laissé tomber ma plume. Je me frotte le front. Je me frotte fort, grattant la peau et tirant mes cheveux. Mes yeux se tournent vers l’Inconnue-aux-yeux-de-Lune *c’quoi c’regard ?* puis se détournent. Se tournent et se détournent. Le silence est revenu me frapper, sauf qu’à présent cette fille le pourri. Il est plein de ses bruits, de sa respiration au frottement de ses habits.
J’entre-ouvre la bouche. Je passe ma langue sur ma lèvre inférieure et j’avale ma salive. J’ouvre ma bouche un peu plus grand avant de la refermer. Mon cœur se tord et je baisse la tête. Je veux lui demander ce qu’elle fout ici ; c’est exactement ce que je veux dire : qu’est-ce qu’tu fous là ? Pourtant, aucun mot ne veut sortir. Comment pourraient-ils sortir puisqu’aucune pensée ne traverse mon esprit ?

Mon cœur s’emballe. Je baisse le bras pour le poser sur mon genou ; dans un geste nerveux, j’attrape ma robe et l’enferme entre mes doigts. Mon autre main, celle qui tient ma baguette, est serrée à m’en faire mal autour du bois. Je ne parviens pas à détourner mes yeux. Je plonge dans ce regard gris, je vois des volutes *elle pense quoi ?* dans la couleur et je regarde les cils bouger lentement. Mes yeux à moi sont écarquillés, je le sens. L’air s’infiltre sous mes paupières que je ne fermerais pour rien au monde.

Le monde paraît en suspens. Il ne l’est pourtant pas, je le sais. Je sens à ma respiration que le temps passe. Je comprends grâce aux bruits des Autres qu’ailleurs le monde avance. Je n’arrive pas à bouger, enfermée par le Regard de Lune comme je le suis. Je me sens idiote. Complètement idiote. *Bouge !*. Mais je suis tétanisée.

03 oct. 2018, 18:46
Château de papier  LIBRE 
Pourquoi mais pourquoi faut-il que la moindre minute de temps libre qu'on me donne se montre comme des plus ennuyantes ? Nous sommes le lendemain de la rentrée et déjà je suis envahie par l'ennui...j’espérais que le monde des sorciers aurait la capacité de m'enlever ce carcan...

Fort heureusement j'avais fait une découverte, une des plus belles de ma vie...la bibliothèque. Du calme, des livres pour ainsi dire a l'infini une atmosphère poussiéreuse, lumière jaunâtre...tout ce que j'aimais , ce n'est pas que j'avais un goût particulier pour la poussière, c'est simplement que je portais une affection toute particulières aux bâtiments anciens, au bois ,aux salles grandes et aux ambiances propices au travail... Mais du travail je n'en avais pas encore , non. Alors que faire hein ? Que faire... ah ah drôle de question , il fallait que je me familiarise avec cette bibliothèque, que j'en découvre le moindre recoin, que le l'apprivoise.

Je commençais par jeter un œil aux longues rangées de tables, a l'imposant bureau qui servait de trône a la documentaliste visiblement peu organisée et au plafond plus haut encore que celui d'une église.Je serpentais doucement le long des rangées, observait les couvertures unes a unes ; Me montrait silencieuse. Je portai toujours attention au bruit que je faisait, toujours a surveiller le son de mes pas, marcher sur les pointes si je considérais cela nécessaire. La discrétion,était pour moi bien plus qu'importante, elle était fondamentale. Etre discrète me permettait d'entendre a la perfection ce qui m'entourait. Il était inutile d'essayer de voir les choses, ma vue était mauvaise et me trompais souvent. Ici il fallait avant tout sentir, l'odeur des vieux livres et toucher, leurs reliures. Mais la tentation d'écouter se faisait toujours entendre dans mon cœur. Ecouter les livres ? Non écouter les murmures, ceux des élèves, ceux des chaises qui raclent... comme un prédateur je voulais mettre la main sur une proie a écouter... Chaise ,table . Une question. De quelle geôle pouvait-elle parlait ?

Je reconnaissais cette voix. J'en étais sûre, nous retenons tout mais sélectionnons certaines informations comme utiles ou non,j'avais certainement du ranger cette information dans la case de l'inutilité..;quelle abrutie...si seulement j'avais su mettre de l'ordre dans mes idées et retenir les choses importantes je serais sagement restée dans mes rangées, serpentant tout en écoutant d'une oreille. Mais non ,là il m'en fallait plus ,je voulais savoir qui parlait, a qui et ce qu'elle appelais "seconde geôle" . Ainsi de la manière la moins prudente qui soit je fis demi tour et m'approchai de la voix, changeais de rangée et m'aventurais dans un espace concernant les gobelins , mon dieu mais je ne savais même pas ce qu'étaient les gobelins. Je vis des tables, des chaises ,deux filles. Immédiatement je me tournais et fit face a la rangée, faisant mine de chercher un livre tout en avançant lentement...comme si je prenais le temps de regarder toutes les couvertures, alors que je me contentais d'écouter, les yeux rivés sur les livres sans même les voir...pathétique.

Bientôt je fût a leur niveau , j'abandonnais mon idée . Avoir l'air normale, très peu pour moi. J'hésitais, grattais le sol de mon pied comme pour écraser un mégot puis enfin finis ma rotation et me tournait vers elles. Je ne leur souris pas, je fixais simplement la plus grande. De beaux cheveux, un visage auquel je trouvais des nuances asiatiques et des sourcils froncés. Je reconnût immédiatement ma préfète. Son prénom je ne le connaissais pas, mais la voix ,je me souvint qu'elle lui appartenait . C'est elle, qui nous as fait visiter la salle commune. Je m'en souviens bien maintenant . Et l'autre...sur sa chaise, c'était la première fois que je l'apercevais. J'enregistrai son visage , elle devait avoir mon âge. Sur la table devant elle un...une... je suppose qu'elle a cherché a représenter un château avec des livres, pas une oeuvre des plus réussies cependant je ne me permis pas de juger . Je fis demi tour comme si personne n'avais vu que je m'étais retournée et comme si je n'écoutais pas, pour les laisser continuer. Elle ne m'adresserais pas la parole avec un peu de chance ...et continueraient d'alimenter ma petite tête vide avide d'histoires a écouter.

"Comme l'a dit une sagesse profonde, plus vous essayez de rentrer dans le moule, plus vous allez ressembler à une tarte."

04 oct. 2018, 10:40
Château de papier  LIBRE 
Une réponse… Phœbe était-elle en droit d’espérer qu’il lui soit offert un souffle sur la brume pour la dissiper ? Son interrogation était déjà réponse, née de l’oppressive construction, qu’elle s’employait à ôter au mieux de sa perception. Elle avait un empire déchirant sur la vulnérable élève qui ne voyait d’autre protection que de se dérober. Écraser cette existence en la repoussant par une autre vision qui devait l’avaler, l’engouffrer sauvagement. Imposer le virtuel à la réalité, elle avait bien la bêtise d’y croire, que cette masse de papier s’estomperait par son impérieux besoin de libération. Elle demeurait, pernicieuse, à projeter ses vagues empoisonnées sur l’adolescente qui fuyait désespérément d’esprit et de sensations cet amas. Encore un autre Amas de Confusion. Toute présence de peu de consistance en faisait partie et le faisait gonfler en intégrant son vorace tourbillon. Diable, elle détestait les amas. Ils polluaient son environnement par leur dilution alors qu’elle avait besoin de la densité.

Une Silhouette, enfin, apparut et aussitôt le regard de la petite Swan se jeta sur ses contours. Une enfant s’était échappée de sa prison et s’est élevée un instant, dominant de sa hauteur l’argentée toujours assise et immobile. Fugitivement, déjà le corps retombait sur le support de bois, une partie de sa tension se dissipe. L’armature conserve cependant une once de rigidité. Les sons qui traversent les lèvres de la jeune fille n’atteignent pas l’aînée qui s’est redressée. Cet être avait suffisamment de vitalité pour détruire l’objet assassin, comme une ancre salvatrice l’étudiante tente de réduire sa vision à la forme révélée sur la chaise. *Les Châteaux n’existent pas. Leur empire ne doit pas s’étendre. Elle, existe.* Du moins s’en persuade-t-elle. Une autre enchaînée qui venait d’expérimenter les limites physiques, mais elle est si froide, trop froide lors de sa résurgence. L’oppression de Phœbe lui était propre, elle n’atteignait pas autrui avec la même violence, de nouveau son égoïsme et sa cécité lui apparaissaient, et elle apprenait encore une fois l’indépendance de l’altérité. Toujours rappelée, mais jamais retenue.

Les rétines de la Serpentard se consumaient d’accueillir d’autres Perles, mais c’étaient de petites lueurs transperçantes absorbant les vapes qui l’aidaient à se soustraire du reste. La jeune élève s’agite, elle s’agite beaucoup trop, créant par sa cinétique le flou que l’adolescente redoute. Ses yeux balaient les alentours, les livres ne rayonnent pas assez. Elle a besoin de l’émanation vitale pour trouver la consistance, ce qui se laisse saisir, même par le coin d’un pan. La magicienne est centrée sur la forme qu’elle commence à définir. La petite Swan aime bien la teinte d’émanation que présente la fille aux petits lacs sombres. Pas le genre de couleur sur lequel il est possible de poser des termes. Il faut l’avoir en présence pour l’accueillir, elle ne peut être reconstituée par les relents de la mémoire, alors l’étudiante ne se détourne pas encore, captée par l’association et l’émanation flottante.

Une ombre traversa le champ de vision de la sorcière verte et argent qui frémit. Une fumée scrutatrice amalgamait ses volutes sombres devant la table, la fine couche d’air propre à Phœbe tremblota sous la pression et éclata sous l’effet de la force épiante, elle avait le sentiment que son espace était violé pour lui arracher une partie intime qu’elle avait besoin de conserver et qui lui échappait encore.  Une intrusion brutale et frontale opérée par l’inconnu qui n’a pas le souci du respect. La verte et argent n’était pas prête à l’entourer sans intermédiaire. L’ombre disparut après sa pesante observation, telle un ectoplasme faisant une brève apparition, mais sa trace subsistait encore en l’étudiante torturée. Elle avait besoin de refermer les ouvertures violemment pratiquées sans son consentement.

L’adolescente recula en faisant crisser sa chaise sur le parquet et se leva, les doigts collés contre ses tempes, comme elle le faisait à chaque moment de trouble, quand une lancinante ligne coupait son crâne. *Pourquoi tu te sens obligé de faire étau, toujours ?* Cruel mutisme. Jamais on ne lui répondait. Elle jetait ses Incompréhensions au monde sans qu’il ne daigne jamais se justifier. Il la laissait s’embourber toujours, ceux qui admettaient tout avaient la chance de ne pas subir cette ignorance. Les extrémités de compression étaient en mouvement, inexpressives, continuant d’écraser la petite sorcière. Elle ferma ses fenêtres au monde, il était si inélégant que s’y soustraire sonnait comme une belle perspective. Ses sens lui reconstituaient un univers biaisé, en tout point hostile.

Le bout de ses doigts frôlant la surface de la table, comme un guide tactile qui sentait les aspérités du bois, elle en fit le tour, avança par petits pas légers, utilisant comme repère les obstacles au sol des chaises et du plateau de bois. Le travail d’architecture de papier était à présent devant elle, à sa portée. L’élève toisa intensément l’autre Captive, plaçant toutes ses incertitudes dans ses Perles d’Argent. Phœbe avait levé les bras et ses mains étaient en suspension à quelques centimètres, dans le respect de la bulle protectrice de la construction. La suspension traversait son corps d’une bourdonnante insensibilité, il était parfaitement rigide et patientait. Ses yeux échappèrent à la vision de cette geôle artificielle pour ne pas en être affecté, si proche, elle avait la possibilité d’avoir l’empire sur son monstre à son tour. Le ressenti était tout à la fois dépaysant et excitant au possible.

Ses mains se refermèrent et elle fit mollement retomber ses bras dans la continuité de sa Silhouette, pour recouvrir la formation d’une ligne. Elle posa un genou à terre et tint le panneau de bois, sa tête était au niveau des fondations. Sa respiration aussi, elle se faisait pleinement assaillir par les informations olfactives, qui témoignaient de l’ancienneté de ces amas de feuilles. Aussi proche et centrée sur un unique détail, elle avait perdu la perception totale et parvenait à ne pas se laisser troubler par la couverture lui faisant face. Prenant une profonde inspiration, la petite Swan souffla de toute la force de ses petits poumons de sorcière, souhaitant déstabiliser les éléments de construction, les voir vaciller. Elle le fit à la tangente, dans un espace interstitiel plus fragile. 

Elle s’attendait à ce que les bouquins tremblotent, mais ce fut un glissement contre la surface lisse de leur support qui se donna à son regard. Les barrières du Château s’effritaient et s’écroulèrent, formant un amoncellement de manuels jonchant leur espace d’élévation. Fascinée, la petite Swan observait ce spectacle, les fondations de l’édifice se retrouvaient dénuées de repère concret, ce n’étaient plus qu’encre et mots. Alors que l’édifice érigé tombait et chutait, le cœur de l’argentée pulsait plus librement et n’avait plus les torsions et le resserrement de l’écrasement impitoyable qui l’avait en son joug. Une demi-douzaine d’ouvrages dont le contenu échappait à la petite Swan s‘était rependue comme une vague, un déferlement sans frein. L’amoncellement présentait une inertie rassurante.

Attrapant de nouveau la Silhouette à l’émanation captivante, elle demanda, ou répondit.

« Les Murs doivent s’effondrer. Je les préfère ainsi, pas toi ? »

La Déchéance que la Serpentard attendait si fortement, si réellement. Anéantir l’insolent pouvoir du château qui s’abreuvait de la magie de ses prisonniers. L’autre Captive comprenait-elle ?

Éternelle nouvelle Lune
Sombre Ciel

08 oct. 2018, 10:33
Château de papier  LIBRE 
Ils me regardent. Ses yeux disent des choses qui me font mal. Je peux les entendre facilement ; ils n’essaient pas de se cacher, ils hurlent leurs mots et me les balancent en pleine figure. Cette Connaissance ne me plait guère. Pour une fois, je peux comprendre quel bien il y a dans l’ignorance ; n’aurai-je pas été rassurée dans mon ignorance si le savoir de ses regards-là ne m’était pas donné ? Oh oui, quelle douce lacune cela aurait été.

Le Regard-de-Lune dit des choses. Il puise au fond de mon corps pour me renvoyer mes propres craintes ; non. Non, il me renvoie ses propres craintes à lui. Jamais il ne pourrait avoir accès aux miennes. Ces dernières se contentent de se refléter, et cela est entièrement suffisant pour me faire perdre pied.
Le Regard-de-Lune en dit des choses laides. Mais ce qu’il me montre de plus horrible, c’est bien sa propre présence. Celle de cette fille. Les yeux dépassant de ma barrière, je sais : sa Présence est un acte de guerre à lui seul. Je ne pensais pas que cela irait aussi vite ; j’étais persuadé que je serais celle qui déclarerai la guerre. Les Autres sont bien trop lent pour cela. Mais non. Cette fille-là a décidé de me déclarer la guerre.

Enfin, je réussis à gonfler mes poumons d’une goulée d’air rafraîchissante. J’ouvre la bouche, un peu. Puis je scelle mes lèvres ; rien d’autre n’a bougé. Lentement, doucement, le ventre noué, je décale mon regard. Je quitte les Yeux-qui-parlent pour caresser le visage, le front, les cheveux. Lorsque j’en ai assez, je descends : sur ses bras et ses mains - elles sont longues. Son cou, son buste. *Non…*, me souffle ma conscience quand mon regard frôle la table, arrêté par le bois dans sa découverte. Frustrée, je remonte tout Là-haut pour me planter dans les deux grises : mon cheminement a donné à mon regard une teinte sombre, j’ai gagné le courage de répondre à sa déclaration.

Je frémis en les retrouvant. Non pas d’un frémissement agréable qui court le long de la nuque pour redescendre le long du dos. Non, l’un de ces frémissements qui secouent et qui déstabilisent. Je suis déstabilisé, mon regard perd son chemin et se détourne ; trop rapidement et lorsque je m’en rends compte, je comprends que j’ai perdu une bataille.
Mon regard fuyard rue pour retourner Voir la fille, mais soudainement il fait une autre rencontre. Là, dans l’allée des guerres Gobelines, de grands Gouffres de Violation caché derrière des verres à la Grande-Perche-blonde de Charlie. Une putain d’Autre aussi envahissante que la première. Est-ce piège ? Prise en étau entre deux Regards, me voilà bonne à crever. Mon palpitant s’agite, je jette un oeil au Regard-de-Lune avant de revenir vers la Fausse-Perche brune. Ma baguette tremble ; ma barrière de livres est dérisoire.

Je sursaute, faisant crisser la chaise quand l’Autre-Lune se lève. Je me plie le cou pour la regarder *elle est grande*. Elle fait le tour de la table, elle s’approche. Elle s’approche.
Je broie ma baguette entre mes doigts. Je cherche un souffle qui se refuse à moi. Je cherche des mots qui ne viennent pas.
Je me plaque au fond de ma chaise ; dos collé au dossier, pieds contre le sol, bras soudés à la table. Elle arrive toute proche et un gémissement m’échappe. Il court depuis le fond de ma gorge et s’extirpe de ma bouche avec difficulté.

La Fille et sa guerre posent les mains non loin de ma première barrière. Moi, je me réveille : je me déplace, aussi lentement que meurt le jour, pour être face à elle, pour la surveiller à défaut de pouvoir la dégager. Le moindre de mes membres tremble et je ne comprends pas. Je ne comprends pas où est passé ma voix. Celle qui dit n’est plus ; Merlin, Loewy l’a-t-elle détruite avec ses grosses mains d’adultes ?
Mon cou commence à me faire mal quand l’Autre se baisse sur ses genoux pour poser ses Yeux-de-Guerre au niveau de la table.

Son joug sur moi est fini. Mes épaules se relâchent suffisamment pour que je leur donne la crispation nécessaire à ma position de défense : pieds près à me jeter en avant, bras légèrement relevés. D’ici, je domine la fille ; la pulsion de la guerre court dans mes veines, se jette dans mon corps. Je l’accueille comme une vieille amie.

« T’as int…, » s’élève ma voix, grave de sa puissance, pour aller frapper cette fille qui Est sans mon autorisation.

Ma voix n’a guère le temps de s’élever car un long bruit diffus sort à cet instant de la bouche de l’Autre. Une caresse d’air m’arrive sur le bras et l’enveloppe délicatement. C’est agréable ; ma voix castrée meurt dans ma bouche et mes yeux papillonnent en avant pour trouver ceux de l’Autre.
Puis les livres s’effondrent : « Ah, Merlin ! » m’échappe ma voix.  Mon corps m’arrache : il se lève, renverse la chaise qui claque fort contre le sol. Mes yeux balayent la table, les ruines de ma protection, les pages pliées.

Les battements de mon coeur me font mal.
Ce n’était pas une caresse ; seulement une attaque.

« Les murs doivent s’effondrer. »

Encore sa voix me fait entendre des mots que je ne peux pas comprendre. Rassemblant les affres de ma colère, je me tourne vers elle. Si seulement je pouvais planter mon regard dans le sien, lui faire ravaler ses volutes de Lune. Mais je me heurte à sa stupide chevelure brune.

« Je les préfère ainsi, pas toi ? »

Comme si elle avait attendu l’appel de mes yeux, elle m’offre son Regard. Celui-là même qui me fait tant de mal, qui viole mon esprit pour venir me Regarder. Encore un regard parmis tous les Regards de la journée ; c’est le seul qui reste aussi longtemps fixé dans mes yeux, le seul qui me fouille de cette manière. Il s’infiltre dans mon cerveau, descend dans mon corps pour aller serrer mon coeur entre ses griffes ; je me sens défaillir sous le joug de ses Yeux-de-Lune.

« Non, » croissé-je d’une voix aiguë qui se fait la malle.

Je m’arrache au regard de l’Autre, je détourne mon visage aux traits colériques et de ma main qui ne tient pas ma baguette, je ramène les livres vers moi.
Je n’aime pas me détourner ainsi d’un Autre ; une seconde bataille perdue. Mais tout pour ne pas avoir à affronter ses yeux.

« Ils avaient une raison d’être là, j’te signale ! » ahané-je d’une voix éraillée, construisant inutilement une pile avec les ruines de ma protection. « Mais pas toi. »

J’essaie de retrouver ma voix grave, mon ton sans appel, mes mots sans détour. Mais je ne retrouve plus le chemin de moi-même ; je me noie dans mon propre esprit. C’est effrayant.
Je rassemble les lambeaux de mon être et je lève mon regard. Je le plante dans celui de la Fille-aux-Yeux-gris. Je le plante dedans avec la hargne de celle qui gagnera la guerre.

Si cette Autre doit payer pour tous les Autres, elle payera.

10 oct. 2018, 01:37
Château de papier  LIBRE 
Sa vision tressautait et s’agitait. Qu’est-ce qui était à l’origine de ce cahotement ? La Serpentard raffermit sa prise sur la table au point que sa peau perdit toute couleur sous le coup de la pression et ses doigts fins prirent la couleur du papier, elle s’aperçut que c’était son corps qui était secoué d’un tremblement diffus provoquant une vibration. Avec son genou contre ce parquet dur qui jetait ses vagues de paralysie et picotements, et ses bras pliés pour soutenir sa tête à hauteur, son buste n’étant pas très haut, son corps ne tenait pas et ne demandait qu’à quitter cet inconfort. Phœbe ne l’écouta pas et rigidifia ses muscles pour se maintenir ainsi. Jusqu’à l’arrivée de la lueur pour laquelle elle patientait. La négation que les lèvres de la fille formèrent fut si nette, si sèche que l’adolescente sentit une vague fugitive la traverser de part en part avant de se retirer. Elle est prête à ouvrir la bouche mais se retient. La suite, la suite justifie. Il le faut.

Les Ruines présentaient dans leur chaos un envoûtant éclat. Le pouvoir a besoin de la structure, de l’édification pour jeter ses racines et s’étendre. L’éparpillement l’avait anéanti pour un temps. La magicienne couvrait ces éclats, ces morceaux épars dont l’indépendance de chacun était rassurante. Tant qu’ils ne s’allient pas, rien ne peut arriver qui puisse écraser la jeune fille. D’humains appendices cassèrent le tableau que l’étudiante contemplait et infiltrèrent de nouveau une organisation dans les livres. *Laisse-les au Chaos !* sa pensée avait plus de rage et d’impérialité que ce que son apparaître donnait à voir. Ce trait aiguisé qui était apparu dans son esprit n’avait pas voulu sortir, elle aurait souhaité avoir la possibilité de les jeter, d’arrêter l’irréparable geste, mais sa bouche toute pâteuse n’avait daigné s’actionner et elle n’avait pu être qu’observatrice des prémisses d’un nouvel assemblage tout aussi destructeur que le premier.

Toujours dans l’incompréhension, la petite Swan ne savait pas ce qui expliquait la création de murs supplémentaires. L’autre fille est muette à ce propos, ses sens sont certainement atrophiés, comment ne peut-elle pas ressentir et souffrir la compression des bords ? Et si elle les sent, quelle est cette folie de les embrasser ? *Arrête ça tant qu’il est encore temps…* Elle a une diable envie d’arracher les livres des mains de cette élève mais ses bras ne répondent pas dans leur tétanie qu’elle leur avait imposée. L’air se distord de façon complètement inégale, les ondes qui viennent frapper les oreilles de la Serpentard reconstituent une voix qui n’a pas la plénitude de l’assurance. Quel est son trouble à elle ? Des Onyx de dureté viennent frapper les Perles d’Argent et tentent d’y faire déferler toute une inimité dense et violente. La petite Swan la sent, mais n’a pas mal, n’est pas saisie par la perturbation. Elle est concentrée sur un autre objet de magnétisme. Elle doit provoquer la suspension avant que le projet de l’enfant ne parvienne à son terme.

« Je suis souvent en tort, je ne nie pas mon imperfection. »

Elle n‘a pas raison d’être là, et alors ? Elle n’avait jamais demandé que la porte de l’endroit l’agresse, elle n’avait jamais demandé que ce bouquin débile disparaisse. Les limites la ballottaient, la poussaient dans des interstices, la guidaient contre son gré. Et cette personne s’en foutait totalement. *Comment fais-tu pour ne pas le voir ? ce n’est pas toi qui portes la protection, ce sont autant de boucliers portés contre toi pour t’écraser !* L’argentée aimerait tant pouvoir crier cette mise en garde au lieu de laisser les phrases se débattre dans sa tête, dans un confinement qu’elle ne parvient à faire sauter. Cette interrogation, elle voudrait la faire sortir, brûler ses poumons de l’air qui la transmettra. Dans sa stupéfaction, la sorcière verte et argent se sent simplement impuissante, toute sa rage est intellectuelle, mais elle ne se transmet pas au corps, ne lui donne pas de l’énergie fougueuse dont il est besoin pour s’étendre. Dans un effort qui lui fait sentir un déchirement interne, Phœbe s’éleva et posa sa main sur un livre, et grommela, tout en tentant de pousser cet amas pour lui faire rejoindre la table et l’inertie. Elle avait si peu de force qu’elle sentait ses bras sur le point de trembler dans la poussée, mais se promit qu’elle dissimulerait cette défaillance si elle devait survenir.

« Je ne veux pas d’un signalement, je veux une explication. »

Désespérément, elle l’attend, cela lui est vital. La fille n’a pas le droit de lui imposer une nouvelle geôle et de laisser autrui dans la terrible torture qu’était le subissement des impitoyables barrières. Dans ses yeux la petite Swan met en surface son impérieux besoin d’appréhender ce que sa benjamine lui jette sans éclairage. Elle éclata alors, dévoilant ce qui appelait sans appel l’explication demandée.

« Pourquoi, pourquoi cette frénésie à ériger sa propre prison ? Celle-ci n’est-elle pas déjà de trop pour consumer ses captifs ? »

La Serpentard ne pouvait pas déterminer comment l’Émanation de plus en plus tumultueuse oubliait ce qu’elle façonnait. Elle recula alors, s’éloignant de la table en poussant de ses petites mains, retombant sur l’arrière sur ce sol rigide. Elle ne voyait plus les potentielles fondations, c’était un détail, mais si essentiel pour qu’elle puisse respirer plus librement, sans que des griffes ne provoquent une torsion interne et si délicate à réparer. Son écoute était ouverte à la réponse, pour autant l’adolescente n’était pas pleinement dans l’attente. Se soustraire au monstre dévorant lui permettait de survivre, l’explication pourrait l’aider à vivre en perçant l’oppression, mais la survivance était déjà un premier stade auquel l’argentée s’accommodait doucement. Déjà posée à terre, l’adolescente posa aussi son dos à l’horizontale, le plafond était alors l’élément saturant de son champ.

Des grains de poussière volaient dans l’air, cela était d’autant plus visible depuis cette perspective où la lumière les révélait et arrachait à leur invisibilité.  La jeune autre sorcière devrait aussi les contempler, elle comprendrait que les boucliers ne rendent pas invisibles, il suffit de choisir le bon prisme. Tant que l’on demeure dans l’ombre, l’invisibilité nous couvre de ses doux bras protecteurs. Se calfeutrer est un fourvoiement qui ne connaît aucune justification. La petite Swan l’avait tout de même questionnée, par dévorante curiosité, si la clarté était à l’enfant, la magicienne verte et argent voudrait la toucher, même la frôler uniquement. La poussière était en suspension, se bougeait dans une chute nonchalante, et quand l’élève souffla, elle constata un paresseux déplacement. *Air vicié, tu ne m’auras pas.*

Phœbe pensait savoir, elle pensait avoir compris qu’il ne fallait pas faire confiance à cet huis-clos. Actuellement, elle le rejetait tout en regrettant sa bête naïveté des débuts. Le désenchantement n’avait certes pas tardé, mais elle avait un instant cru en l’endroit. La douceur des premières découvertes de merveilles qui ne se maintient que par les artifices et l’insidieuse manipulation. Une trompeuse apparence et une profondeur qui anéantit par ses vagues mortelles. La petite Swan y avait certainement laissé des lambeaux de son être alors que ses jours s’égrenaient.

« Le château est une Anémone. Son venin t’atteindra si tu lui redonnes consistance. »

Éternelle nouvelle Lune
Sombre Ciel

15 oct. 2018, 10:41
Château de papier  LIBRE 
Mes yeux brûlent de la hargne qui fait mal. Ils sont intenses quand ils regardent Celle-qui-détruit. Ils sont dur. Mais je sens mon visage s’effriter sans la perdition. Mes joues ballotent et ma bouche s’ouvre et se referme. Mon visage n’a pas la dureté de mon regard ; il est moue. Moue de la tétanie. Tétanie des autres.
Mon corps ne suit pas. Mes mains sont posés sur les livres, mais non pas agrippées de colère. Elles sont juste là, ne me permettant pas de canaliser ce qui permettra de faire fuir l’Autre. Et mes jambes, mes jambes. Tout en bas de moi, ces choses qui me raccrochent à la terre me trahissent de la pire des manières. Elles tremblent ! Elles tremblent, s’en foutant de la force que mon poids exerce sur le sol, se foutant que mes hanches soient si figées.
Mon corps, il se fout de tout.

Pourtant je le veux, par Merlin. *Fais la partir !*. Ouais, Aelle. Fais-la dégager cette Autre qui se croit tout permis. Fait-la partir de ton Antre, de ton instant de calme, de ton moment de solitude. Ne la laisse pas t’imposer ce regard qui te salit !
Par Merlin, je le sens s’infiltrer dans mon corps, ce Regard. Il me viole. Il me fait mal, il noue ma gorge.

Je déglutis difficilement. Je n’arrive pas à la faire fuir. Je n’arrive pas à bouger. Je n’arrive pas. La respiration erratique, je force ma tête à se détourner et je la baisse sur la pile de livres qui me permet de me tenir debout. Je m’appuie contre elle pour essayer de ne pas m’étouffer dans le silence qui m’est imposé par l’Autre.

Déjà, ses mots s’envolent. Ses mots sans sens n’ont pas besoin de réponse. Elle détruit ma barrière, je lui dis qu’elle était là pour moi, elle me dit qu’elle s’en fout. Je ne peux rien contre cela. Je ne veux pas la convaincre de rester dans son coin et de me laisser avec ma barrière contre les Regards. Je n’ai pas envie de fouiller son cerveau à la recherche de sa compréhension ; les Autres n’ont plus rien pour moi. Je les déteste.

Elle parle, encore. Cette fois-ci, je comprends. Je comprends que ce qu’elle dit est vrai et réel. Et je comprends que cela m’importe peu. Je ne ressens si sensation de victoire, ni sentiment de supériorité. Je ne ressens rien d’autre que le mal-être dans lequel me plonge cette Autre et son regard destructeur.
Elle se relève doucement. Elle s’éloigne du sol pour se rapprocher de moi ; je résiste à l’envie de reculer. Je ne veux pas céder du terrain. Je ne veux pas lui laisser prendre toute la place. Pourtant, quand elle pose sa main sur ma pile de livre, ma respiration se bloque et ma bouche laisse échapper un petit bruit entre le gémissement et la plainte.

Cette fois-ci, mes doigts s’agrippent. Ils s’accrochent aux livres et je me penche sur eux pour les protéger. Mes yeux sont fixés sur le bras de cette fille ; essaye-t-elle de les faire tomber de nouveau ? Le tremblement de mes jambes s’est généralisé à mon torse. Je crois que j’ai peur.

« Je ne veux pas d’un signalement, je veux une explication. »
« Qu’est-ce q… »

*Merlin !*
Je n’ai pas le temps de parler. Je n’ai pas le temps de lui jeter à la gueule sa folie déplacée. Je n’ai pas le temps de lui hurler de dégager, comme en a frémit d’envie un instant ma bouche ouverte. Je n’ai pas le temps car elle m’agrippe de ses Yeux-de-Lune et elle envahit mon regard :

« Pourquoi, pourquoi cette frénésie à ériger sa propre prison ? Celle-ci n’est-elle pas déjà de trop pour consumer ses captifs ? »

J’ai envie de chialer. Par tous les mages, j’ai envie de laisser couler mon cerveau en lambeaux par les larmes de mes yeux. J’ai envie de me laisser tomber sur la pierre et de me rouler en boule derrière un pilier pour évacuer toute ma tension dans les pleurs.
Non.
Non, je veux retourner dans mon grenier. Je veux prendre Calmar dans mes bras et m’allonger sur mon lit, sans avoir à penser. Mieux encore, m’allonger sur le canapé du salon, me perdre dans les flammes de la cheminée, mourir dans les paroles de ma famille qui parle. Ouais, j’aimerai me barrer de cet endroit qui, en à peine un jour, me rend plus mal que la Maison ces derniers mois.

Je rassemble les livres contre mon ventre. Mes mains tremblent horriblement. Je sens que la présence de l’Autre est fixée sur moi, comme si elle voulait m’arracher tout ce que j’étais. Je la sens très bien : elle attend une réponse, elle veut que je parle. Mais je n’en ai guère l’envie, moi. Je ne veux pas parler à cette grande Autre complétement tarée. Aujourd’hui, j’ai peur de la folie ; moi qui l’a toujours aimé. J’ai peur.

Je m’allonge sur la table, attrapant du bout des doigts mes parchemins et ma plume. Je rassemble tout près de moi avec la frénésie de Celle-qui-se-prépare à partir. J’en meurs d’envie, mais j’ai peur de le faire.
J’essaie d’ignorer l’Autre quand elle s’allonge sur la pierre du château, comme je l’ai souvent fait. Je suis rassurée de ne plus avoir à subir son Regard. Si soulagée que je m’éloigne un peu, d’un petit pas, pour ne pas être saisie.

Occuper mes mains me fait un bien fou. Je prends un temps infini pour plier mes parchemins en un rectangle parfait, alignant les coins avec précision pour essayer de forcer mon esprit à prendre une décision. Je pose ma plume près de la pile de livres qui s’est vue agrandie par les parchemins.

L’Autre prend soudainement la parole d’une voix traînante, presque éteinte.

« Le château est une Anémone. Son venin t’atteindra si tu lui redonnes consistance. »

Je me fige mais ne tourne pas la tête. Je sens mon coeur battre contre ma poitrine. Il est fort. Il fait mal. Non, c’est l’Autre qui me fait mal. Je lui jette un regard, me détournant rapidement quand je tombe sur sa face blanche.
Le château c’est le château. C’est ce grand Monstre qui nous garde dans son estomac. Il nous digère peu à peu puis finira par nous chier aux portes du domaine. Une anémone, c’est une bestiole des bas-fonds des profondeur. Rien à voir avec le Monstre-Château. Ce dernier n’a aucun venin ; il a de grandes dents de pierre pour nous bouffer, voilà tout. Mais je n’étais pas aveu… idiote au point de croire que c’était Lui le problème. Non, il ne serait qu’un refuge tout à fait bon pour le Savoir s’il n’y avait pas ces Autres - et cette Loewy - pour le rendre moche.

Je fouille la table du regard à la recherche de mon sac. J’ai dorénavant la certitude que cette Autre ne comprendra jamais rien, peu importe qu’elle soit plus âgée que moi. Je dois me barrer d’ici, m’échapper de son regard. Peut-être que tout au fond du parc, les Autres ne me trouveront pas.

« Rien ne f’ra partir le château, dis-je d’un ton hargneux. Il est là, c’est tout. »

Je me penche pour regarder sous la table et sous ma chaise. Mon sac n’est nul part et je sens poindre dans mon coeur le sceau de la lassitude mêlée d’effroi. Sans mon sac, aucun moyen de quitter cette pièce d’Autres - quelle idée idiote de venir ici.

« Il s’ra toujours là, » soufflé-je en jetant un regard à l’Autre allongée.

L’oeil fuyant, je la regarde. De sa courte chevelure sombre à son corps fin, de son ventre à ses hanches cachées par ses robes, de ses mains blanches à ses longues jambes. *Là !*. A côté des guibolles de l’Autre, abandonné aux pieds de ma chaise laissée en plan, mon sac marron gît.
Une fatigue sans nom me frappe le crâne ; je m’appuie contre la table, le regard rendu flou. J’ai l’impression que jamais je ne parviendrais à surmonter cette épreuve de plus. Celle de récupérer mon sac pour fourrer mes affaires dedans et fuir. Il y a ce grand corps habillé de Yeux-de-Pierre qui m’en empêche. Il est grand, grand comme une barrière.

Et il me fait peur.

20 oct. 2018, 12:39
Château de papier  LIBRE 
Le seul moyen de ne plus voir les pans, c’est de les empêcher de s’immiscer à la vue. Autrement il s’en trouvera toujours des surfaces, des coins, des manifestations partout dans le champ de vision. Ce dernier est en alors saturé, emprisonné. Si elle ne regarde, elle recouvre présence à elle-même. Ce n’est qu’en se laissant abriter par nul autre réceptacle que son propre corps, par nuls autres contours que sa Silhouette familière que la petite Swan est protégée. Dès que le château reprend le pouvoir la forme n’est plus personnelle et devient étrangère, ainsi se constitue la geôle. Baisser ses deux petits voiles de pénombre revient à refermer les brèches qui la jettent entre ces Murs. Apaisant, engourdissant surtout. L’adolescente parvient à oublier et à noyer ce qui l’affecte.  Toutes ses fissures ne sont cependant pas parfaitement calfeutrées, l’air continue de se déplacer autour d’elle. À s’infiltrer puis s’échapper dans le va-et-vient de ses respirations. L’air se distord aussi, et ses oreilles traduisent ces fléchissements volontairement provoqués. Ceux de l’enfant qui fait vibrer l’air. Ils assènent des mots d’une rare violence et assurance. Exactement ce que Phœbe cherche à réfuter, voilà que cela lui est balancé comme vérité. Elle ne le prendra jamais de la sorte. Elle ne l’admettra jamais.

Image


Souvenir : Fin de la Première Année

La fillette descend du train, les panaches de fumée embrument le quai, mais s’estompent pour laisser voir ces nombreux points de densité, ces proches qui attendent les étudiants pour les retirer pour un court intervalle de la forteresse. À peine a-t-elle eu le  temps de faire quelques pas que déjà deux regards adultes la scrutent et suivent la distance les séparant de l’enfant, que ses pas lents couvrent. Elle atteignit le niveau de ses parents, tout sourires, ravis de revoir leur petite Phœbe qui avait un petit peu grandi, et qui avait été absente depuis des mois.

« Alors, cette première année ? »

L’élève regarda tour à tour Ulysse et Psyché, et s’arrêta sur cette dernière, ses yeux gris étaient accusateurs, sa mère avait été à Poudlard, elle connaissait, elle aurait pu avertir sa fille de ce qui l’attendait.

« Tu ne m’avais pas prévenue. Tu ne m’avais pas dit qu’il y avait tout plein de gens là-bas. Il m’est impossible d’exister dans l’amas. »

Sur ce dernier mot, la jeune Swan posa sa main sur son cœur, se désignant et marquant cette torsion qu’elle avait senti. Dans l’essaim, elle ne pouvait qu’être égarée, elle avait besoin de s’en détacher, soit par l’instant de solitude, soit par la présence unique. Mais la trouver était malaisé, qui pouvait l’approcher en tant que plein Être et non entité du brouillard vibrant ?

« Et les cours, ne te plaisent-ils pas ? C’est pourtant un excellent collège… Tu as des amis ? »

La petite fille baissa les yeux, sentant qu’ils ne comprenaient pas vraiment. Certains cours la poussaient à développer des aspects de sa magie, qu’elle voulait voir évoluer, s’étoffer. Pourtant elle sentait qu’ils n’étaient pas indispensables, elle ne saisissait pas en quoi un passage par l’école était essentiel. Elle haussa les épaules et marmonna entre ses dents.

« Peut-être. »

Elle repensa à ce camarade, il était gentil. Phœbe ne parvenait pas à se convaincre que quelques instants de clarté suffisaient à occulter la nature effrayante du château qui obligeait des enfants à se fondre les uns dans les autres sans jamais se connaître. Psyché s’approcha alors de sa fille et s’accroupit pour se mettre à sa hauteur, et enroulant un accroche cœur de la fine chevelure de la petite Swan, elle tenta de l’apaiser.

« Si tu veux t’intégrer au monde magique, c’est un passage obligé. Nous ne pourrons jamais t’apprendre la magie aussi bien. Découvre-la, appréhende-la, profite de la possibilité de la côtoyer perpétuellement. Si tu n’apprécies pas Poudlard, trouves-y au moins ta Magie. Et explore, tu pourras trouver un refuge si tu vas au bon endroit. »

Les lèvres pincées, Phœbe affrontait le regard de sa mère, se demandant si elle pouvait la croire, si ce qu’elle disait était juste ou simplement un moyen de la persuader de poursuivre. Ce n’était pas elle qui n’appréciait le collège, c’était lui qui ne l’appréciait pas.

« Sept ans. Qu’est-ce que j’y gagne ? »

« La liberté, tu feras ce que tu veux ensuite. Des découvertes, de jeunes magiciens qui t’aideront à construire ta Magie, des ressources aussi. Tu n’en as pas forcément conscience, mais tu as encore besoin de guides. »

L’enfant se dégagea en reculant d’un pas en soupirant. En cet instant précis, elle souhaitait seulement oublier, effacer des considérations de son esprit Poudlard, ne pas avoir à y penser durant cette période de répit. Découverte et exploration. Elle essaiera peut-être, juste pour voir si cette possibilité était à envisager. Elle portait encore sa confiance en ses parents.

Image


Phœbe frémit à ce souvenir où elle avait partagé pour la première fois sa désillusion. En fin de compte, ils n’avaient eu ni tort ni raison. L’adolescente croyait avoir trouvé le refuge, la Salle des Hauteurs, qu’elle avait visité ponctuellement. Il ne lui avait pas été dit que les présences étaient des mirages, même quand on les pensait tangibles. Elle avait frôlé à plusieurs reprises dans les couloirs une vraie sorcière, qui avait la lucidité frappante pour la petite Swan. Émancipée des barrières comme ne le sont que si peu. Incandescente, elle était partie, évaporée. Comment ce que l’on tient pour si véritablement ancré peut-il s’envoler et s’éclipser ? L’argentée avait perdu sa Pluie, et la seule eau qui pouvait mouiller son visage était la traître coulée des yeux. La Pluie qui tombe sur la pierre a la capacité de l’attaquer, de la rendre poreuse, de cette porosité, la petite Swan avait vu fascinée la japonaise affaiblir les tangentes. Elle ne veut pas penser son nom, elle enveloppe avec douceur le souvenir en elle, mais ne souhaite pas lui offrir d’emplir la surface de son esprit. Présence qui veille et latente, oubliée mais jamais oubliée.

Les sentences crachées par la jeune élève l’animent, si bien que l’adolescente redresse son dos pour se retrouver assise, les jambes légèrement repliées. La tête baissée, un rideau de cheveux sombres entoure son visage et la protègent. Leur finesse n’en fait pas une chape hermétique et régulière, ce sont de petites mèches peu denses qui lui permettent de voir au travers si elle le souhaite. Cependant, son regard est rivé contre le sol, comme s’il cherchait à la transpercer, la voir s’effriter. Cette réalité n’est pas impénétrable. Non, il ne sera pas toujours là. La verte et argent n’était pas ici à perpétuité, elle savait qu’il y avait un terme. Elle savait aussi où se laisser capter pour qu’une Sphère d’attention la sature pleinement, effaçant ce qu’elle cherchait à balayer.


« Sept ans. Il n’a pas plus d’existence que cela. »

Qu’il soit là ou non pour qui ne le fréquentait pas ou plus, en quoi cela importait-il ? Il était alors la succession des scènes d’un long songe, rien n’empêchait d’en relever des Instants sur un carnet, mais rien n’interdisait de résolument conserver les pages vierges. Probablement la petite Swan avait-elle esquissé un trait, deux traits, plus…  Jamais ce n’était conservé, il s’agissait d’intentions, destinées à qui méritait le souvenir.

Elle avait besoin de devenir orfèvre, ces années, elle les consacrerait à la réalisation de cette aspiration.  Voilà  tout. Ordinairement elle parvenait à ne pas être confrontée à l’oppression, si l’enfant n’en avait pas construit avec tant d’application une cage d’épaisseurs, elle aurait pu sans rappel continuer à se faire happer par ses distractions. Admettre l’éphémère, la petite Swan n’en saisissait pas l’intérêt. S’il a vocation à disparaître, il était insensé de déterminer qu’il représentait sans appel un immuable, c’était si faux dans la considération personnelle de la Serpentard.

De son petit poing elle frappa la pierre, et sentit son bras devenir gourd, elle n’eut pas besoin de regarder pour comprendre que ses doigts s’étaient rougis, une sorte de vibration interne parcourait son membre, la gardant de le bouger une nouvelle fois. Rigidité certes, mais pas immuabilité pour autant, Phœbe en était persuadée. Ce n’est pas en se jetant sur le château que quoique ce soit se produirait. D’une certaine façon pas grand-chose pouvait le détruire, le faire s’effondrer. Si même Ilion, dont les remparts avaient été érigés par la puissance divine, était tombée, il n’y avait pas de raisons qui feraient que Poudlard serait mieux gardé. Certaines rumeurs avançaient même que ses barrières avaient été franchies par un navire récemment. Il était faillible.


« Il est vulnérable. »

Compressant très fort ses paupières contre ses Perles d’Argent, pour en extraire une autre forme de perle, l’adolescente resta ainsi quelques secondes avant de recueillir une minuscule goutte au bout de son doigt. Une bille translucide aux reflets irisés. Se relevant, le doigt tendu en avant, elle laissa la gravité faire son œuvre pour la sphère puisse choir, et s’écraser contre la pierre.

« Il peut s’effriter. Je réfute. Je réfute et je nie. Il s’estompera au moins au terme. »

La fin du cycle, son affaiblissement toujours croissant confirmé par ces dernières années, quelle que soit la forme du terme, la petite Swan ne percevait en rien l’inébranlable. Quelque soit son empire, rassurant ou oppressant, ce devait être limité dans le temps, inévitablement. Cette fille croyait trop au château, la petite Swan ne pourrait jamais partager sa perception, son regard triste se posa sur la table, l’alignement parfait des fournitures faisant écho en elle. Un ordre qui ne s’insère et ne prend place en aucun ordre. Le chaos bourdonnait et vibrait d’animation vitale. Par le nouvel agencement, la construction rigide mais sans forme était amorphe et morte. Ne rien susciter pour créer une échappatoire à l’excès des visions et des ressentis. Elle avait au moins compris cela.

La petite Swan voulait si ardemment comprendre ces lacs Onyx qui la contredisaient, sans jamais se justifier, sans jamais l’éclairer. Ils la laissaient dans la même pénombre de leur teinte. Et étrangement, l’adolescente se laissait atteindre alors que l’insensibilité aurait été si préférable pour passer outre. Elle se laissait gagner par le trouble que faisait naître son être en négatif, sa contradiction, alors qu’elle devait l’ignorer, le détournement amené n’était pas le bienvenu dans les pas de l’argentée.

Éternelle nouvelle Lune
Sombre Ciel

03 nov. 2018, 10:10
Château de papier  LIBRE 
Il me fige.

La table est une béquille et ce grand corps à terre le vent qui me pousse à choir. Je veux fermer les yeux, mais ces derniers m’imposent leur volonté. Ils restent grand ouverts, écarquillés, révulsés sur la table. Ils sont ouverts sur le monde, près à engloutir tout ce qui surgira. Mais à l’intérieur de moi, dans mon corps, j’ai davantage l’impression que c’est le monde qui va me bouffer. Je me sens ballottée dans tous les sens. Les griffes des Autres tirent mon esprit, le poussent et le déchirent. Ils en font ce qu’ils veulent. Je ne suis qu’un pantin dans leurs yeux.

Le pantin s’agite quand l’Autre se déplace. Le temps qu’elle redresse son dos, je me suis éloignée vers le coin de la table, mon barda fourré entre mes bras tremblant. Une pointe de plume me rentre dans les côtes ; je la sens fourrager ma peau au travers ma robe. Je suis incapable de l’en éloigner. Mes yeux écarquillés se sont jetés sur la l’Autre-grise qui agit comme si je n’étais pas là.
Un venin s’engouffre dans mon corps et me brûle les veines. J’avale une goulée d’air qui me glace le corps et, en détaillant l’Autre, je comprends que ce n’est pas la colère qui m’atteint, mais le rejet : je la déteste. Je ne sais pas d’où provient ce sentiment, mais il est là, partout, et je sais. Je sais que la vision même de cette fille me donne envie de vomir.

*Dégage de là !*. Ouais, retourne dans tes cachots, retourne où tu veux mais ne vient pas près de moi avec ton égoïsme et tes paroles de chamane. Dégage d’ici !

Ah ! la pointe de sa langue me dit tout autre chose que ce que je souhaite entendre. Sept ans. Pas plus d’existence que cela. Un sourire naît sur mes lèvres et je le laisse grandir. Mais il n’a pas le goût de la joie ou du rire, non. Il a la saveur d’une rafale glacée ; il s’incruste sur mon visage et le tord en deux, ce sourire qui a le goût du vomi.
Lorsque mes épaules se mettent à tressauter sous les à-coups nerveux de mon rire, je tourne le dos à la la Timbrée-du-sol pour faire le tour de la table. Mes pas sont précipités, mon souffle court et mon visage froissé. La bibliothèque a disparu pour ne laisser que cet espace, ici, cette alcôve qui me fait mal. Elle s’infiltre dans mon âme pour la fossiliser dans sa peur.

« Il est vulnérable. »

Mes doigts s’enfoncent dans la couverture de mon livre de botanique. Mon sourire se fane. Les battements de mon coeur résonnent à l’intérieur de mon crâne. Je ferme les yeux un court instant avant que ma tête-pantin ne soit attirée par le morceau de tête que j’aperçois de l’autre côté de la table en bois. Je fixe la peau blafarde et les cheveux raides, l’esprit englouti par un vide effrayant. Mes yeux se baladent sur ses joues pâles. *Elle chiale ?*. La pensée fuse dans ma tête et anime mon corps : je me laisse tomber contre la table, enfonçant mon ventre dans le plateau de bois.

*’Tain, elle pleure*, râle mon esprit. J’enferme ma lèvre entre l’étau de mes dents et je détourne le regard. Je regarde à peine l’Autre tendre son doigts devant elle *qu’est-c’qu’elle fout, merde ?*. Cette vision me fige de gêne et je grimace sans m’en cacher. Finalement, écrasant mes livres contre moi, je continue de contourner la table.

Je me renfrogne sous ses paroles et lorsque j’arrive près d’elle, de l’autre côté, seule une chaise nous séparant, je lui jette mon regard d’obscurité qui se glace sous la colère. Je crible ses yeux vides de toute mon âme, souhaitant arracher de ce visage tout ce que je n’aime pas y voir : la bouche et les yeux.
Je laisse tomber mon paquet sur la table. Le bruit de la rencontre entre le bois et les livres résonne sous le haut plafond de la bibliothèque. L’un de mes parchemins se soulève et virevolte dans les airs. J’aplatis ma main sur le plateau de la table pour anéantir toute fuite. La douleur se répand dans ma paume et jusque dans le coude. Peu importe.

Je me baisse et arrache mon sac du sol. La lanière s’envole, cogne contre le pied de la chaise, peut-être même contre la fille. Je le jette sur la table et entreprend de fourrer mes affaires dans sa gueule béante. Mon coeur bat sourdement dans ma poitrine et mon esprit est désespérément vide. Pourtant, j’ouvre la bouche. Pour foutre un coup dans la gueule du silence ou pour effacer les paroles de l’Autre ?

« Rêve, craché-je d’une voix tremblante en triant mes livres. Rien va s’estromp… s’estomper ou j’sais pas quoi. Alors arrête d’attendre. »

Je jette mon sac sur mon épaule, ignorant la douleur lancinante que le poids des livres inflige à mon membre. Je pousse du plat de la main les six bouquins inutiles ; ils se rangeront tout seul. Je me détourne, prête à me barrer de ce lieu puant d’Autres. Je tremble, mais ce n’est plus la colère qui agite ma peau. Il s’agit juste de moi que je ne reconnais plus. De la chose qui est dans mon corps et qui se sert de moi comme une vulgaire poupée. *J’fais quoi ?*. Ouais, qu’aurait fait la Aelle d’avant ?
Aucune idée.

« La prochaine fois qu’tu m’croises, ne m’regarde pas, » lancé-je d’une voix amère avant de me détourner.