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19 oct. 2019, 20:44
Un murmure cordiforme  Privé 
Mercredi 26 Octobre 2044, 15h30
Au fond de la Bibliothèque, Poudlard
3ème année


Mon index ne cesse de frotter énergiquement la tranche du livre qui est posé devant moi. Il me brûle légèrement à force, et une petite goutte de sang se met à s’étendre sur la page quand mon doigt se coupe avec le coin de la feuille. Aussitôt, je le porte à ma bouche pour aspirer le liquide écarlate qui pointe de ma coupure. Il est hors de question de tâcher plus que cela le livre. Mon sang est amer, possède ce goût de fer si reconnaissable. Une petite grimace se forme sur mon visage : la vue du sang me fascine, mais c’est vraiment dégoutant à sentir dans ma bouche. Je sais déjà que cette coupure n’est pas importante mais qu’elle me gênera légèrement pour écrire, et c’est ma dernière préoccupation. Si mes doigts s’accrochaient si fort au livre, c’est parce que mon regard, lui, n’arrive pas à y rester posé plus de quelques secondes d’affilées. Mes yeux ne cessent de s’échapper pour aller fixer la porte close que je distingue à travers les rayonnages. Cette fois, elle s’ouvre et mon cœur bondit, agité par un mélange de peur et d’excitation. Mais la seule chose que je distingue depuis mon lointain poste d’observation, c’est une queue de cheval blonde et une tignasse brune côte à côte, un couple main dans la main qui va silencieusement s’asseoir à une table près de l’entrée. *Pfff...*. Seule au fond de l’immense bibliothèque, je soupire profondément et reporte mon attention sur le bouquin.

*Avec la christianisation, les moldus ont repris l’antique fête païenne de la Samain pour créer Halloween*, relis-je pour la énième fois. *Durant des siècles, ils l’ont modifié à leur profit, oubliant les anciennes traditions celtiques*. Je le sais déjà. Je sais tout sur ce sujet. *Les sorciers n’ont jamais oublié les principes fondamentaux de cette célébration, bien qu’ils se soient adapté à certains aspects de l’évolution moldue*. Comme les stupides défilés et les chasses aux bonbons. Ou... les bals. *La magie était profondément ancrée dans la culture celte et les célébrations étaient liées aux variations spirituelles et aux foyers de pouvoirs*. Je déglutis. Les variations spirituelles. C’est ça, qui m’intéresse. *Chaque fête possédait un caractère propre et une signification particulière, liée à une période de l’année ou à une nécessité, car toutes les croyances proviennent de faits spécifiques*, déchiffré-je encore. Des bouquins là-dessus, j’en ai déjà lu deux ce mois-ci et plusieurs autres les années auparavant. Les célébrations celtiques, la Samain et toutes ses significations, je les connais pas cœur. Peut-être est-ce pour cela que je me force à les redécouvrir sans arrêt : pour graver d’autres détails dans ma mémoire, recommencer à zéro et cesser de ressasser ces vieilles idées dans ma tête. Je vomis les fêtes. Pâques, tout cela. Même Noël, je le vomis, mais un petit peu moins car j’ai des souvenirs qui me réchauffent le cœur de certains Noëls avec ma famille. Halloween aussi, je la vomis. Mais pour moi, la fin du mois d’octobre, ça n’a jamais été Halloween. Quand j’étais petite, Maman en parlait déjà en disant la Samain. *Maman...*. La Samain, c’est Maman. Ça n’a pas toujours été Maman. Mais cela va être le quatrième trente-et-un octobre que ce sera Maman.

*Située aux environs du premier novembre, la célébration de la Samain marque la fin et le renouveau*, dit le livre. Comme presque toutes les traditions. La fin, et le renouveau. La mort, et la renaissance. *Elle clôt l’année écoulée, pour célébrer et honorer le commencement de l’année à venir*. Cette fois, je crois que je vais avoir beaucoup de mal à clore cette année passée, à la laisser derrière moi. Ou pas. Peut-être que ce sera facile. Ce n’est pas l’important. Je relève les yeux de mon livre, et la porte de la bibliothèque reste close, à me narguer.
*Mais c’est également la Fête des Morts*. La Fête des Morts. J’ai passé trois Halloween à allumer une bougie, seule dans ma chambre ou dans mon dortoir, et à regarder la nuit en murmurant. L’année dernière, j’ai même laissé une gravure en Flambios s’éteindre seule sous le regard de Nyx. *La tradition veut qu’à cette période, une brèche s’ouvre entre le Sidh et le monde des humains*. Le Sidh, l’Autre-Monde. Celui où Maman est. Je n’ai jamais cru à la vie après la mort, ni à aucune religion. Mais je sais que les fantômes existent, et je sais que les âmes survivent, qu’elles ne s’évanouissent pas. Je ne les pense pas être en train de vivre une seconde existence, seulement d’errer, peut-être, dans un Ailleurs inaccessible. Capable ou non de songer et de ressentir. *Le temps ne s’écoule plus, car les mondes sont mélangés*, affirment les mots sombres qui dansent sur la page claire. *Le réel côtoie l’irréel, les morts côtoient les vivants, et les barrières tombent*. J’ai déjà senti la brume m’entourer et je me suis déjà demandée si Maman y vivait. Ma conclusion a été que j’étais idiote. *Les âmes peuvent se tendre et effleurer l’Autre Monde, et d’après certaines croyances, c’est le moment que choisissaient les sorciers (voyants ou non) pour communiquer avec les esprits*. Un jour, peut-être... non. Hier, j’ai failli m’arrêter pour parler à Miss Field avant de sortir. Je ne l’ai pas fait, et je ne le ferai pas, n’est-ce pas ? C’est vraiment trop stupide comme idée.
*Les celtes éteignaient leurs feux puis les ravivaient pour s’assurer une année calme et propice, et d’après certains sorciers, la Fête des Morts permettait également de s’assurer que les esprits des défunts demeurent en paix, afin qu’ils ne viennent troubler notre monde et que nous ne venions pas non plus déranger l’harmonie du Sidh*, terminé-je. La suite ne m’intéresse pas vraiment : je l’ai déjà lu. Et elle parle des autres célébrations. Les célébrations sorcières et moldues : Aux origines se nomme le bouquin. Comme s’il apprenait des milliards de choses, alors que c’est faux. Il n’a réussi qu’à faire pointer des larmes au coin de mes yeux, lorsque j’ai pensé, encore une fois, que la Fête des Morts est pour bientôt, et qu’elle est pour moi aussi pesante et obligatoire qu’elle est source d’amusement chez les Autres.

Mais, après tout, ce livre a aussi réussi à calmer légèrement l’angoisse qui vit dans mon ventre. Elle chauffe mon corps et me fait trembler. C’est elle, aidée du stress, qui me fait relever sans cesse les yeux vers la porte de l’Antre des livres. Ce matin, en quittant Aelle après avoir mangé, je lui ai lancé un « Je serai à la bibliothèque cet aprèm, retrouve moi d’accord ? » et je suis partie rapidement pour ne pas être en retard en Métamorphose. Je ne lui donne jamais rendez-vous, on se retrouve toujours à un endroit ou à un autre et on finit notre chemin ensemble pour aller étudier. On se croise par hasard, si tant est que le fait que je connaisse plus ou moins son emploi du temps par cœur puisse se nommer le hasard. Et, ce midi, je ne suis pas allée manger à la Grande Salle. En fait, je n’ai pas mangé du tout. Cela fait quelques temps déjà que je n’ai pas sauté de repas. Mais la boule grandissante, au fond de ma gorge, m’a obligée à faire demi-tour en apercevant l’immense porte de la Grande Salle. L’épreuve était trop ardue pour moi.
Je n’aurais pas dû lui dire de venir. Si je ne l’avais pas fait, peut-être serait-elle déjà là, comme si de rien n’était. Elle a forcément dû comprendre qu’il se passait quelque chose, n’est-ce pas ? Si elle ne vient pas, je n’aurais pas le courage de lui parler plus tard. Même si elle vient, je ne sais pas si j’aurais le courage de lui parler.
Bien sûr qu’il se passe quelque chose.

Il faut qu’Aelle vienne, vite. Sinon, je vais ranger mes affaires et je n’aurais pas le courage de lui demander ce que j’ai à lui demander.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

20 oct. 2019, 14:56
Un murmure cordiforme  Privé 
Mercredi 26 octobre 2044
Bibliothèque — Poudlard
4ème année


C’est en sortant de mon entraînement de magie  élémentaire — assez concluant, me rappelé-je avec fierté — que la voix de Thalia retentit dans ma tête : « Je serai à la bibliothèque cet aprèm, retrouve moi d’accord ? » ; j'avais oublié. C’est de toute manière un peu idiot de me demander cela, n’est-ce pas ? Nous nous serions retrouvées dans tous les cas. Mais parfois, je ne cherche pas à comprendre les manies de Thalia. Elles n’ont que peu d’intérêt. Alors j’ai haussé les épaules quand elle m’a dit cela et j’ai continué de déjeuner en la regardant s’éloigner. A présent, alors que je cherche à m’extirper de la mélasse des Autres qui grouillent dans les couloirs, je maudis la fille de m’avoir arraché un accord silencieux. Nous sommes mercredi. Je sais très bien qu’elle est à la bibliothèque à cette heure-là ; ou dans un quelconque lieu d’étude. Je l’aurais retrouvé en fin de journée, lorsque la bibliothèque aurait été moins remplie, peut-être. Mais là, elle m’oblige à venir maintenant. Elle m’oblige à venir tout simplement. Alors que Zikomo est je-ne-sais-où dans le château ! « Je te laisse t'entraîner, je vais faire un tour, » qu'il m'a dit tout à l'heure ; comme s'il a mieux à faire que m'aider à m'entraîner. Mais je n’ai pas le temps de partir à sa recherche, parce que si je le fais, je n’aurais pas le temps d’aller voir Thalia. Il était avec moi ce matin pourtant, ce fichu Mngwi ! Il aurait pu comprendre que j’allais retrouver Thalia après mon entraînement. Et il aurait pu me retrouver devant la salle de classe vide que j'utilise habituellement pour que nous puissions y aller ensemble. Mais non, Zikomo est égoïste et il disparaît sans ne rien dire. Et puis de toute manière, où est-il ? Que peut-il bien trafiquer seul dans le château ? Sans défense ? Sans ne connaître personne ? Sans moi ? Sans moi ! Il est insupportable. 

Je remonte la bretelle de mon sac sur mon épaule avant de m’engager dans les escaliers. Les Autres sont bruyants autour de moi. Je suis entourée d'abrutis qui jacassent, qui parlent pour ne rien dire et qui s’invitent cordialement à passer du temps ensemble. Et parmi tous les escaliers du château, il a fallu que je prenne celui sur lequel se trouve Nébor. Je le vois qui descend devant moi, accompagné de l'autre gros abruti de Pagowk. Je croise malencontreusement son regard lorsque nous atteignons le rez-de-chaussée et qu’il tourne pour rejoindre le sous-sol. Le brun me sourit ; je grimace et me détourne. J’ai le temps de voir l’indien entraîner Nébor derrière lui avant qu’ils ne disparaissent dans les profondeurs du château.
Merlin, les Autres me fatiguent.

Je ralentis délibérément en parvenant dans le couloir de la bibliothèque. J’attends que les Autres dégagent. Je songe déjà à ce que je fais faire : des devoirs, probablement. Sûrement cette dissertation pour le cours de Runes. Et je lirais un chapitre de Faire le lien entre être et magie de Frewd. Si j’ai le temps, peut-être prendrais-je quelques minutes pour écrire à Narym. Et à Papa et à Ma… Non, pas à eux ! *’Le méritent pas*. Narym, c’est bien.

Sans m’en rendre compte, je pousse la porte de la bibliothèque. Je fais quelques pas dans l’immense salle silencieuse avant de m’arrêter et de regarder autour de moi. Les tables proches de l’entrée sont toutes utilisées, mais je sais que Thalia ne sera pas là. Elle ne se met jamais là ; plutôt vers le fond. Là où le calme est le plus profond. Elle a tout compris, Thalia. Je tourne sur moi-même, reprenant lentement ma marche.
Là !
Cachée par un rayon, elle est là. Mon coeur sursaute en l’apercevant, mais je l’ignore. Aussitôt qu’elle apparaît sous mes yeux, disparaît cette appréhension que je ne me rappelle même pas sentir avant qu’elle ne s’en aille : une peur, une petite peur qui me chuchote qu’elle ne sera pas là ou qu’elle sera avec une Autre, m’empêchant d’aller la voir. Mais elle est là et elle est seule. Alors je laisse mon coeur sursauter et je m’approche en m’agrippant à la lanière de mon sac.

Je pose mes affaires sur la table et m’assoie en face d’elle. « Thalia, » dis-je simplement. Je l’observe un instant avant de me pencher pour fouiller dans mon sac. J’en sors un tas de parchemins, une boite en fer et mon exemplaire de Frewd que je disperse un peu partout sur la table, m’étalant pour avoir une meilleure vue sur mon futur travail. En ôtant mon sac  pour le poser par terre, mon regard caresse le grimoire qui trône devant Thalia.

« C’est quoi qu’tu lis ? »

Parler maintenant pour mieux se taire après. Déjà, mon regard a quitté ma voisine pour parcourir mes grimoires que j’ouvre devant moi. Au milieu, mon brouillon pour le devoir, devant moi la boite qui contient mes plumes, à gauche le manuel de Runes, à droite le livre de Frewd et entre tout cela des rouleaux de parchemins. J’ouvre doucement mon flacon d’encre que je dépose dans ma boite en fer. Bientôt, Thalia me couvrira de sa voix. Et là, les choses seront comme elles le doivent. *Sauf que Zik est pas là*. Certes. Tout ne peut être parfait. Mais déjà, la situation est comme je l’aime : moi, la Savoir, la bibliothèque, le calme… Et Thalia. Un petit sourire s’étend sur mes lèvres.

20 oct. 2019, 19:56
Un murmure cordiforme  Privé 
Les affiches pour le bal sont partout. J’ai trouvé ça stupide. Maman m’a appris à danser quand j’étais enfant, et j’aime plus ou moins cela. Danser, c’est posséder mon corps et m’y sentir un peu plus à l’aise. L’idée d’y aller ne m’aurait jamais effleuré si ce n’était pas pour Halloween, pour la Samain, pour la Fête des Morts. Pour Maman qui m’a appris à esquisser mes premiers pas de danse au rythme de ses musiques au piano, dans le calme du salon du Domaine. Même si les Autres y vont pour s’amuser, pour moi, Halloween est une célébration importante. La seule que je célèbre réellement. Le bal, je ne sais même pas si j’ai envie d’y danser. Peut-être juste y aller, me fondre dans l’ombre dans un coin. De toute manière, mon problème n’est pas là. *Stupide...*. Les traditions sont les traditions. *Vraiment stupide...*. Et pour aller à ce bal, il faut un cavalier. Ou une cavalière.
Je ne sais même pas si j’ai envie d’y aller parce que c’est la Fête des Morts.
Peut-être que j’ai envie d’y aller parce que, justement, il faut quelqu’un pour m’accompagner.
Ce n’est pas une idée si stupide que ça. *Bien sûr que si !*. Elle est plus dérangeante qu’autre chose.
Dérangeante, parce que le sourire qui a grandit sur mes lèvres quand j’y ai pensé est horriblement gênant. Dérangeante, parce que je ne peux m’empêcher d’avoir un peu mal au cœur quand j’entends les Autres parler de leurs projets. Dérangeante, parce que je n’arrive pas à arrêter de rougir en me disant que je sais très bien avec qui j’ai envie d’y aller.
*Évidemment*.
Aelle m’a sautée à l’esprit avant même que j’ai pu y réfléchir.

Aller au bal avec Aelle. Danser avec elle, ou juste rester à côté de la piste, à regarder les Autres se mouvoir. Ce serait presque l’occasion de l’embrasser à nouveau. *Pense pas à ça !*. Cette idée me fait rougir, horriblement.
Car, au fond, elle n’est pas si désagréable. Pas du tout, en fait.
Elle est même agréablement douce à envisager.

Mais il faut demander. C’est presque ça, le plus dur : demander. Ce n’est pas vraiment simple à faire. Regarder Aelle et dire « veux-tu aller au bal avec moi ? Je m’en fous du bal, j’aimerais juste être avec toi. Et puis, je suis presque sûre que je ne pourrais pas résister à l’envie de t’embrasser, et ça me donne encore plus envie d’y aller. » J’en suis incapable. *J’suis vraiment nulle*. Pourtant, je vais devoir le faire. Je ne sais même pas si elle a envie, mais je suis sûre qu’elle ne me demandera jamais. C’est certain.

Je sursaute quand j’entends des pas dans l’allée de la bibliothèque la plus proche. *C’est elle !*, s’exclament mes pensées. Oui, c’est elle, et elle se dirige vers moi. S’asseyant, elle commence à disposer ses affaires en me saluant. « Aelle, » lui retourné-je tout aussi simplement. Puis elle m’observe et me demande ce que je lis. *C’que j’lis !*. Un grimoire sur la fête pour laquelle je veux l’inviter à aller avec moi, voilà ce que je lis. Elle a déjà accordé son attention à ses bouquins quand je réponds :

« Un bouquin sur les origines d’Halloween. C’était pas aussi merdique à la base. »

Je redresse légèrement le bouquin en question pour qu’elle puisse en apercevoir la couverture si elle le souhaite, puis je laisse mon regard parcourir la page, sans rien lire. Mes yeux effleurent les lettres en passant dessus, sans s’y arrêter, et mes mains posées sur la table tremblent sous mon anxiété. Aelle est juste en face de moi et je ne peux m’empêcher de lui jeter des coup d’œils de temps à autre, le souffle court, l’observant tandis qu’elle travaille. Depuis qu’elle est arrivée, je n’ai pas tourné la page de mon grimoire, et je suis presque certaine qu’elle sent mon regard qui pèse sur sa nuque. Je suis mal à l’aise. Pour faire passer ce sentiment désagréable, je me penche et ouvre mon sac, avant de disposer mes affaires sur la table, autour de mon livre. J’attrape mon Carnet du côté de toutes mes notes, relis le compte rendu de la dernière expérience d’Emily, mordille ma lèvre. Déjà, j’ai fini de parcourir les trois pages noircies de mon écriture, et je ne peux m’empêcher de contempler encore la fille qui me fait face.
Tournoyant dans ma main droite, ma plume laisse quelques tâches d’encre sur mon Carnet et je m’empresse de les essuyer.

« T’as l’intention d’fêter Halloween, toi ? » murmuré-je soudain, brisant le silence des cinq dernières minutes. Ma bouche a parlé sans même demander l’avis de mon cerveau, et les mots se bousculent entre mes lèvres. Une gêne incroyable nait en moi, et mes joues rougissent. *C’était pas... merde !*. Je n’étais pas du tout censée aborder le sujet comme ça, c’est indélicat, stupide et tellement évident.
Et si elle dit non ?
*Et si elle dit non ?!*.
Si elle dit qu’elle s’en fout, qu’elle trouve ça nul — ça doit être le cas —, et qu’elle ne le fête pas, je fais comment ?
Je ne sais pas du tout. De toute manière, cet après-midi à la bibliothèque, cette demande que je veux lui faire, c’est du grand n’importe quoi. Une belle improvisation.

Baissant la tête, je change ma plume de main et me mets à griffonner quelques traits sur mon Carnet. Après quelques secondes, je relève la tête et jette un coup d’œil à Aelle, la boule au fond de ma gorge et le nœud dans mon estomac grandissant à chaque instant.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

21 oct. 2019, 10:39
Un murmure cordiforme  Privé 
Elle lit un bouquin sur Halloween. Je grimace ; le bal. L’association se fait rapidement dans mon esprit. Le bal d’Halloween est partout dans le château. Sur les tableaux d’affichage qui disparaissent sous les affiches, dans la Salle Commune où les Autres en discutent, dans les couloirs où l’on se donne des idées de déguisement et même en cours — car les gens n’ont pas d’autre chose à faire que de rechercher qui les accompagnera pour la soirée. Toute cette frénésie m’agace. Les Autres m’agacent. Que l’on me demande de venir au bal m’agace. Pourquoi faire un bal pour Halloween, de toute façon ? Cette fête se célèbre en famille, en mangeant des sucreries, en s’effrayant, en décorant la façade de la Maison ; certainement pas en se déhanchant sans but sur une piste de danse.
Je soupire légèrement et lance une oeillade à Thalia et à son livre ; pourquoi s’intéresse-t-elle à cette fête ? Sûrement parce qu’elle apprécie de connaître tous les changements qu’elle a subit depuis des décennies. L’histoire n’arrange pas toujours les choses, elle le dit elle-même : c’était pas aussi merdique à la base. Cela me rassure : je pensais bien que Thalia n’était pas comme les Autres à jacasser pour aller danser. D’ailleurs, l’idée qu’elle se rende au bal me fait sourire. Cela n’arrivera jamais.

« Avant, Halloween était une date où la magie était plus puissante. Et maintenant, plus rien. C’est merdique, » réponds-je distraitement en trempant ma plume dans l’encre.

Halloween à Poudlard est merdique, voilà ce que j’aurais dû dire. Cette année, cela me semble plus injuste encore qu’il n’y ait pas de vacances à cette période pour que nous puissions rentrer dans nos familles. Encore un fait qui m’empêche de passer cette fête avec mes frères, à s’enfoncer dans la forêt à la lumière des baguettes de nos aînés. Lorsque je pourrais de nouveau fêter Halloween avec eux, j’aurais dix-huit ans. Cela n’arrivera donc jamais. *Et de toute façon*, pensé-je avec désespoir, *même si y’avait des vacances j’aurais pas pu rentrer*. Ce rappel ne fait qu’assombrir davantage mon monde. Je me penche sur mon parchemin, le coeur lourd et entreprends de gribouiller quelques signes runiques sur mon parchemin.

Bientôt, le calme de l’étude m’arrache à mes limbes. Je vois Thalia lire du coin de l’oeil. Cette scène m’est si familière qu’elle réchauffe mon coeur. Pendant un instant, je songe qu’ici aussi, à cette table avec Thalia, c’est la maison. C’est un peu pareil, non ? Un peu comme lorsque je vais rejoindre Aodren dans le château et que nous passons du temps ensemble. Ça me fait un peu le même effet ; je me sens bien. Les mots coulent tout seuls sur le parchemin. Je suis inspirée, le devoir est simple. Même si Thalia ne fait que gigoter devant moi, je reste concentrée. Je sens pourtant son regard sur moi, de temps à autre. Mais elle le fait souvent, me regarder étudier. Je me demande toujours pourquoi elle le fait : hésite-t-elle à me poser une question ? Elle fait bien d’hésiter, je n’aime pas tellement être interrompu.

Au bout de quelques minutes, je me redresse pour tremper ma plume. Je tourne quelques pages de mon manuel à la recherche d’un paragraphe particulier. La voix vogue doucement vers moi ; si je n’avais pas levé la tête, je n’y aurais même pas fait attention.

« T’as l’intention d’fêter Halloween, toi ? »

Je braque mon regard sur Thalia, surprise. Les mots ont à peine le temps de se frayer un chemin dans mon esprit qu’une autre constatation me laisse perplexe : Thalia rougit. Pas fortement, mais assez pour que je m’en rende compte. Je l’observe jusqu’à ce qu’elle baisse la tête sur ses affaires, se soustrayant à moi ; peut-être ai-je rêvé, finalement. Ce n’est pas bien important. Ce qui est davantage étrange est cette question. Est-ce que je vais fêter Halloween ? La question me fait froncer les sourcils. Mais Thalia lit un bouquin sur cette fête, il est normal qu’elle pose la question après tout. Nous n’en avons pas encore parlé toutes les deux, de ce fichu bal ; Merlin merci, je ne reste pas avec Thalia pour que nous parlons de choses aussi frivoles.

Je hausse les épaules en triturant une page de mon manuel. Songeuse, je regarde ma camarade jusqu’à ce que les mots se fraient un passage entre mes lèvres :

« D’habitude, j’le fais avec mes frères. On va dans la forêt à côté d’la maison et on… On s’promène, tout ça. Zak et Nar nous faisaient flipper. » Je laisse ma voix s’éteindre, le regard dans le vide. « Enfin, c’pas comme si j’pouvais faire ça ici, nh ? »

Ici, il n’y aura pas grand chose à faire. Le seul point positif, c’est que tous les Autres seront à ce fichu bal et que l’on sera tranquille, moi, Zikomo et Thalia. Peut-être que pourrais-je même les entraîner dans le parc, on se promènerait dans le noir et on sursauterait au moindre bruit. L'idée serait séduisante, si le monde n'était pas la ruine qu'il est. Il est presque impossible de sortir la nuit, désormais. Et de toute façon, l'idée ne me réjouit pas tant que cela, maintenant que je me souviens des Manteaux Noirs qui trainent dans le coin. 

A toi de décider de si Aelle a déjà parlé de ses frères à Thalia. Je pense qu'elle l'a fait, mais sans détails. Il est donc fort possible que Thalia n'ait jamais entendu leurs prénoms, si ce n'est celui d'Aodren. Mais encore une fois, je laisse cela à ta convenance. Sur quatre frères, elle a bien dû en parler de un ou deux. 

21 oct. 2019, 12:45
Un murmure cordiforme  Privé 
Cinq jours plus tôt
Parc de Poudlard


« Y’a un bal, le 31. »

*Hein ?*. Je fronce les sourcils, dévisage la grande fille qui me fait face avec un air un peu perdu. Un bal, oui, il y a un bal pour Halloween. Tout le monde est au courant, les Autres ne parlent que de ça. Moi, je me contente d’y songer en silence, d’en rougir toute seule. Emily n’est pas le genre de fille qui parle pour rien, et pourtant, cette information est plus qu’inutile. D’un mouvement de tête, j’acquiesce en faisant signe que je suis déjà au courant, puis je reporte mon attention sur Luna et commence à caresser l’animal qui ronronne, étalée dans l’herbe.

« Tu d’vrais inviter Bristyle, » déclare-t-elle d’une voix calme.

*Quoi ?!*. Mes pensées s’éparpillent dans tous les sens, mes joues s’enflamment violemment, et mon visage trop expressif s’emplit d’une incompréhension totale. Mêlée d’une colère étouffée. Un petit sourire sur le visage, la Serdaigle m’observe tout en remontant ses lunettes. Ce simple geste m’exaspère soudainement.

« C’est quoi ton délire putain Emily ?! J’vais... j’ai aucune envie d’inviter Aelle à c’bal d’imbéciles ! »

Je crie presque, et la gêne qui m’envahit ne cesse de brûler un peu plus mes joues. *J’vais pas...*. Non, je ne peux pas inviter Aelle. Et Emily n’a pas à s’en mêler ! Mes pensées sont assez embrouillées pour qu’elle vienne rajouter son avis de Grande.

« Calme toi Thalia, réplique-t-elle. J’sais qu’t’aimes bien danser, donc t’aimes les bals. M’fais pas croire que t’as pas pensé à lui d’mander. »

Comment sait-elle ? Qu’est-ce qu’elle sait ? Est-ce qu’elle a fait des études de légilimancie en secret, avec tous les dons qu’elle a ? Je plisse les yeux d’énervement.

« T’es vraiment stupide. J’y ai pas... j’veux pas... ‘fin d’toute façon elle dirait même pas oui ! » m’exclamé-je alors.

Ses yeux se mettent à briller de contentement, et je me rends compte trop tard de mon erreur. « T’en sais rien, affirme-t-elle. Et je l’savais qu’t’en avais envie. » Le sourire qui étend ses lèvres, un sourire de satisfaction fait pour m’agacer, m’enrage plus encore.

« Commence par inviter ta black, toi ! T’as pas à t’mêler d’mes affaires ! »

« En fait, sourit-elle, j’ai bien l’intention d’inviter Abigail. »

Ses mots sont comme une claque. Je rassemble hâtivement mes affaires, les ramasse, et accorde une dernière caresse à Luna avant de foudroyer Emily d’un regard noir et de m’éloigner à grands pas lourds. J’ai la tête haute, mais mes pensées s’embrouillent.

« Tu devrais inviter ta Bristyle, Petite ! » lance Emily avec un léger rire.



*Ma Bristyle*, me souviens-je. Ma conversation avec Emily ne cesse de tourner dans ma tête, mais ces deux mots là restent toujours au premier plan. Comme elle est stupide. Ce n’est pas ma Bristyle. Énervée, elle m’a déjà dit à quel point elle s’en foutait de moi, alors ça ne peut pas être ma Aelle, n’est-ce pas ? De toute manière, c’est une expression complètement idiote. On pourrait, éventuellement, dire que je suis sa Thalia, j’imagine. Au vu de mon incapacité à rester plus de quelques secondes sans rougir à la simple idée de l’inviter à un bal idiot, on pourrait certainement dire cela.

« D’habitude, j’le fais avec mes frères. On va dans la forêt à côté d’la maison et on… On s’promène, tout ça. Zak et Nar nous faisaient flipper, » déclare-t-elle. Sa voix meurt, et j’en profite pour songer à quel point ses frères ont de la chance, d’avoir pu fêter ainsi Halloween avec elle pendant toutes ces années. *Zak... Zakary*, deviné-je sans mal. Je ne suis pas certaine du prénom complet de l’autre, Nar. Peut-être qu’elle me l’a déjà dit, peut-être pas. Ce n’est pas très important. Ce qui est plus important, c’est que moi aussi j’ai passé des Halloween dans les bois du Domaine, avec ‘Thus et Éole, voir même Emily, à parcourir les sentiers en essayant de ne pas avoir trop peur quand l’un d’eux surgissait devant moi. Ça me manquerait presque.

« Enfin, c’pas comme si j’pouvais faire ça ici, nh ? »

Je grimace un peu. Effectivement, ce n’est pas comme si on pouvait faire ça ici. Ici, il y a la Forêt, mais elle est interdite. Et puis, le Château est une île, maintenant. Alors c’est bien différent. On ne peut pas faire grand chose, ici, à part étudier. Et rêver d’aller à des bals.

« J’crois que j’ai toujours fêté Halloween moi, mais surtout toute seule ces dernières années. La Fête des Morts, tout ça, alors je suis un petit peu obligée... soufflé-je. C’est vrai qu’à Poudlard, on n’peut pas faire grand chose. »

*Demande lui*, intiment mes pensées. Il faut que je le fasse. Je crayonne encore un peu sur ma feuille, songe que j’aurais dû garder des devoirs au lieu de les faire tous tout à l’heure. Maintenant, je suis incapable de me concentrer sur un grimoire qui n’est pas une obligation. Rapidement, je lâche ma plume et ramène mes mains sous la table. Là, je les joins, et elles sont dissimulées à la vue de la fille qui me fait face. Elle ne peut pas voir à quel point je tremble.

« Y’a un bal, le trente-et-un... » tenté-je en rougissant à chaque mot prononcé. *Merlin, Merlin, Merlin* chante la litanie suppliante de mes pensées. « Tu, euh... t’aimes danser, toi ? »

Je n’ose pas lui demander si elle a l’intention d’y aller. La réponse est non, j’en suis certaine. Et si la réponse est non, je ne pourrais plus lui demander de m’accompagner. Je baisse encore un peu la tête, le regard dirigé vers mes mains. Je suis vraiment nulle à ce jeu-là. De toute manière, je devrais lui demander directement, puisque je suis sûre que sa réponse sera négative. *Mais peut-être que...* espère ma conscience. Je la fais taire. Pourtant, je dois bien espérer me tromper, quelque part. Sinon, je ne serais pas si terrifiée à l’idée de lui demander.

Pour l’allusion à la Fête des Morts, à toi de voir si Aelle est au courant pour la mère de Thalia. Je pense que celle-ci ne lui a jamais dit clairement, sauf si l’occasion s’est présentée, mais qu’elle a souvent dû faire allusion à sa famille en parlant de son père et de sa belle-mère, alors ta Protégée doit bien se douter de quelque chose.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

21 oct. 2019, 18:08
Un murmure cordiforme  Privé 
*La fête des Morts*. J’observe le visage de Thalia lorsqu’elle énonce ces mots. Halloween est la fête des Morts, effectivement, mais pourquoi ce fait l’obligerait-elle à le fêter ? La question tourne quelques instants dans mon esprit avant de disparaître. De toute façon, si c’est important elle m’en parlera. C’est ce que j’aime chez Thalia : elle parle quand il le faut et quand elle ne parle pas c’est qu’il n’y a pas besoin de parler. C’est simple comme fonctionnement. Je marche de la même manière. Est-ce pour cela qu’elle ne me rejette toujours pas ?

Mon regard se perd sur son visage pendant que je songe. La regarder là, face à moi, m’est tout aussi naturel que regarder Zikomo. Elle fait parti de mon paysage, de ma vie. Un peu comme Ao, un peu comme mes livres et tout le reste. Malgré cela, il m’est toujours aussi désagréable de porter mon regard longtemps sur elle. Comme si à trop la regarder elle allait s’envoler. Alors je ne la regarde jamais longtemps. Peut-être aussi parce que son regard me rend bizarre. Quand ses yeux verts me fixent, j’ai l’impression que je vais m’enflammer. Parfois je le fais, d’ailleurs. Alors bien souvent je détourne les yeux ; ainsi, je n’ai pas l’impression qu’elle peut tout lire de moi. Je n’aime pas l’idée qu’elle puisse tout savoir de moi.

Je papillonne des yeux pour revenir au temps présent et me redresse légèrement. Pendant un instant, j’avais oublié où j’étais. Je serre ma plume dans ma main pour ne pas la faire tomber, mais ne me penche pas encore sur mon parchemin. Maintenant que nous avons entamé une conversation avec Thalia, j’ai bien conscience qu’elle va encore parler. D’ailleurs, ça se voit. Ses yeux se détourne de son grimoire, elle gigote et… Je ne sais pas, mais je sais qu’elle va parler.
Quand elle le fait, un léger sourire s’étend sur mes lèvres.

« Y’a un bal, le trente-et-un... »  Sourire qui disparaît aussitôt que ces mots viennent flotter dans mes oreilles. *Elle va pas s’y mettre aussi !*. Je la regarde avec de grands yeux étonnés avant de m’apaiser : bien sûr qu’elle ne va pas s’y mettre. On ne fait que parler de cette fichue fête d’Halloween et de cette grosse connerie que l’on ose appeler bal. « Tu, euh... t’aimes danser, toi ? »

Je soupire légèrement en me laissant tomber contre le dossier de mon siège. Ma main joue avec ma plume et mon regard caresse le visage de Thalia. Je réfléchis. Ou plutôt non : j’essaie de comprendre l’intérêt de parler de tout cela. Je suis bien au courant qu’il y a un bal et elle sait que je le sais. C’est évident ! Je hausse les épaules, laisse mes yeux se balader sur l’horizon de livres.

« J’vois pas comment j’pourrais ignorer cette histoire de bal, » commencé-je en faisant les gros yeux à Thalia. Je soupire doucement. Décidément, je n’aime vraiment pas les évènements qui rassemblent autant de gens ; avant même que l’on y soit, il semblerait que les Autres se multiplient et je me sens envahi de toute part. « J’sais pas si j’aime danser, soufflé-je en la regardant distraitement. J’l’ai jamais trop fait. »

Je la regarde quelques secondes avant de me détourner et de rapprocher mon livre de moi.

« En même temps, danser n’est pas très… Hm… utile. Ouais. » Je hausse les épaules puis me penche sur mon devoir. « J’présume qu’j’ai jamais vu l’utilité d’faire un truc pareil. C’est bien mieux d’faire la magie, » conclus-je en trempant le bout de ma plume dans mon flacon d’encre.

J’écris quelques mots, regarde mon manuel, puis écris encore quelques signes. A ce rythme, je ne risque pas de bien avancer. Mais malgré mon envie de finir ce devoir aujourd’hui, je n’ai pas envie de dire à Thalia de se taire. J’aime parler et j’aime l’écouter. Même si le sujet actuel n’est pas mon préféré. Je me demande si Thalia aime danser. Non pas que la réponse m’intéresse *en fait si, elle m’intéresse*, mais si elle m’a posé la question, c’est bien pour me dire qu’elle aime danser, non ? Je lui jette un regard en coin. Je ne l’imaginais pas danser. Mais pourquoi pas. Je pourrais lui poser la question, mais je m’abstiens. Je sais qu’elle me le dira si elle veut me le dire. Et puis il y a ce signe runique que je ne parviens pas à retrouver ! Je tourne quelques pages de mon livre. Si je ne trouve pas, je finirais par demander à Thalia. Mais pas avant d’avoir épuisé toutes mes ressources, cela va sans dire. 

23 oct. 2019, 18:19
Un murmure cordiforme  Privé 
Le regard d’Aelle me caresse et je me tends légèrement, mes yeux fuyant les siens. Un instant, je me prends à regretter que Zikomo ne soit pas là. *C’est stupide*, me fait remarquer ma conscience. Heureusement qu’il n’est pas là. Devant lui, j’aurais été encore plus pétrifiée, et incapable d’aborder le sujet. Le Mngwi aurait tout deviné beaucoup trop rapidement, il est tellement intelligent. Pourtant, seule face à Aelle, je laisse mes pensées vagabonder vers le petit renard bleu. Lorsqu’il est là, la jalousie me dévore ; j’ai toujours peur qu’Aelle le préfère, qu’elle le fasse passer avant moi. Mais là, alors qu’il est absent, je pense à lui. Je pense à lui car je suis sûre qu’il aurait peut-être su me faire me détendre sous la pression du regard de la fille qui me fait face. Je pense à lui car, s’il avait été là, sa compréhension m’aurait peut-être aidée. Au lieu de ça, je laisse échapper un soupir de soulagement inaudible quand Aelle se met à contempler les livres, et je me laisse aller à scruter enfin son visage alors qu’elle parle.

Elle ne sait pas. Elle ne l’a jamais vraiment fait.
Elle trouve que ce n’est pas très utile.
Elle hausse les épaules, et préfère la magie.

Un grand sourire vient chatouiller mes lèvres. J’accepte ce sourire, car il me montre à quel point j’aime les réactions toutes simples de cette fille. Rien n’aurait pu me sembler plus naturel que ce haussement d’épaules et cette constatation, car c’est Aelle dans toute sa splendeur, parfaitement sincère. Celle qui ne voit pas pourquoi faire quelque chose si ça ne lui permet pas d’acquérir un nouveau savoir. J’aime cela. Avoir en face de moi cette fille qui veut simplement apprendre, j’aime cela, car elle est comme moi. Mais moi, je sais que les choses les plus simples peuvent aussi être utiles. Comme danser, par exemple.
Mon regard se perd dans la contemplation de son visage tandis que je la regarde travailler. Je connais ce visage par cœur, ces traits sont inscrits dans ma mémoire, et ce constat me réchauffe un peu plus le cœur. C’est la preuve que ce n’est pas un rêve, qu’elle ne m’a toujours pas abandonnée.

« Danser, c’est un peu comme écrire ou dessiner, commencé-je. On n’apprend rien, mais ça permet de s’vider l’esprit et d’chasser les pensées douloureuses. J’aime bien. » *Dis lui*. J’aime bien, du coup, peut-être que je vais aller au bal. C’est tout simple à dire. Ensuite, je pourrai lui demander. Pourquoi est-ce que je ne le fais pas ?
Mon souffle s’accélère un peu, mes yeux fuient de nouveau son visage pour aller se perdre sur ma feuille. Ma plume abandonnée a laissé son encre s’écouler sur le parchemin, tâchant mon esquisse. Je hausse les épaules. Ce n’est pas si grave.

Mes yeux se ferment un instant. J’ai vu les Autres, dans les couloirs. J’ai vu à quel point c’était simple pour eux, d’aller demander à quelqu’un. Beaucoup stressaient, mais tous avaient le courage. Certains multipliaient les effets, il y avait même quelques jolies trouvailles. Si j’avais envie de faire dans le spectaculaire, je lui demanderais grâce à des gravures de flammes ; si j’avais envie de ne pas parler et d’être surprenante, je lui demanderai en faisant un dessin, ou quoi que ce soit d’autre. Il y aurait des milliards de façon de le faire sans parler. Sans avoir à sentir cette horrible boule dans ma gorge, qui m’empêche de parler.
*Merlin...*.

« Aelle ? » Je murmure d’un ton grave, un peu inquiet. Ma voix tremble légèrement, mais je la force à devenir assurée. Ma main gauche rejoint mes cheveux et agrippe une mèche pour jouer fébrilement avec. Ma main droite se serre, toute moite. « Je... » Mes mots meurent dans ma bouche, comme si ma gorge se resserrait pour les empêcher de sortir. *Bordel*. Je laisse mon regard effleurer ses traits, se perdre dans ses cheveux. Chaque instant où je la regarde renforce mon envie de lui demander. De rester avec elle, encore et toujours. *Bordel*. Mon ventre retourné me fait mal. Ma gorge toute serrée aussi. Mes paumes aussi, à force de planter mes ongles dedans. Mes yeux me piquent un peu, et me brûlent. *Allez*. Je ne suis pas pitoyable. Je suis juste complètement folle de cette fille. *Complèt’ment folle, c’est sûr*. Et j’ai une peur infinie qu’elle me rejette.

« Viens avec moi. Au bal. Viens au bal avec moi, s’te plait. »

Mon ton est grave et je me prends à l’aimer. Il ne me fait pas honte comme quand il part dans les aigus ou dans les neutres absolument moches à l’oreille. J’aime bien ce ton, j’aime bien ma voix quand elle prononce ces mots-là, quand ces syllabes roulent sous ma langue. Ce n’était pas si dur, en fait. Ce n’est pas très dur, de laisser parler mon cœur.
*S’te plait*.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

24 oct. 2019, 13:49
Un murmure cordiforme  Privé 
« Quoi ? » 

Ma nuque craque quand je lève la tête vers la fille. Ma voix résonne dans la bibliothèque et je me recroqueville légèrement en sentant le regard des Autres se retourner vers nous. Puis, le coeur battant à toute allure, la gorge sèche, je tourne mes yeux vers Thalia. 
Qui vient de me demander d'aller au bal. 
Avec elle. 
Au bal. 
Qu'est-ce qui est en train de se passer ? Je ne comprends pas. Je la regarde, les yeux écarquillés, mais la vision de Thalia ne m'aide en rien à répondre à ma question. Mes pensées s'enchaînent à une vitesse ahurissante dans mon crâne. Pourquoi veut-elle aller au bal ? On ne va pas rester tous les trois ? On ne va pas aller se promener dans les couloirs ensemble ? On ne va pas rester loin des Autres, à étudier, à parler, à s'inventer notre Halloween ? Quoi ? Quoi ? Je ne comprends rien ! Elle veut m'inviter ? Moi ? Mais pour faire quoi ?  
*Danser, aller au bal*
. Se vider l'esprit, chasser les pensées douloureuses. Mais quelles pensées douloureuses ? Être avec moi, ça ne lui suffit pas ? 
Les secondes s'égrènent et ma bouche reste ouverte ; mon horreur s'inscrit sur mon visage. Je me sens trahi. Ouais, trahi. Par cette fille qui me regarde avec un regard qui dit qu'elle sait qu'elle m'a trahi. Et peut-être même que Zik est dans le coup. Tous les deux, ils vont se barrer pour Halloween. Pour aller au bal ! Mais... Je ne comprends pas. Ne devions-nous pas le faire tous les trois, juste tous les trois ?

« Mais... » Ma bouche est sèche, je déglutis difficilement. « Pourquoi tu vas au bal ? » m'insurgé-je.

On d'vait rester ensemble, toi, moi et Zikomo !
Les mots restent coincés dans ma gorge. 
Alors que je la regarde, mes yeux grands ouverts et ma bouche béante, je me rends compte que je ne lui ai jamais proposé mon Halloween à moi. Je ne lui ai jamais proposé d'aller nous promener dans l'obscurité des couloirs pour me faire croire, pendant un instant, que j'étais à la Maison. Et cela me fait mal au coeur ; car elle aurait dû le deviner. N'est-ce pas ? Elle aurait dû le vouloir également. Cela aurait dû être naturel, logique. Mais non. Elle n'y a même pas pensé. Je la regarde comme si elle était une Autre — je m'y efforce pendant un instant, mais c'est bien difficile. J'essaie de voir depuis combien de temps elle le sait. Depuis quand songe-t-elle au bal, à la danse, à sa tenue, à son ou sa cavalière ? Depuis que ce fichu bal a été annoncé, c'est certain. Et, voyant que je n'ai pas du tout l'intention de m'y pointer, elle s'est dit : tiens, j'vais la supplier de venir, comme ça elle m'occupera lorsque j'supporterais plus mon ennuyant et insipide cavalier.  Tout en se gardant bien de me prévenir de sa décision, bien sûr. 

« Pis t'façon, t'y vas avec qui ? » J'en lâche ma plume d'horreur. Quel Autre lui a donc fourré dans la tête ces idées de bal ? « J'pensais qu'on... J'pensais que... » Je secoue la tête, incapable de parler. Je prends une courte inspiration, essaie en vain de contrôler le poison de mon coeur. « J'pensais qu'on aller l'fêter tous les trois avec Zik, mais bon en dirait qu'c'est pas c'que tu veux. »

Je hausse les épaules et me laisse aller contre le dossier de ma chaise, les bras croisés sur ma poitrine. Une moue vexée déforme ma bouche et je tourne résolument la tête vers les rayons. Aller au bal. Quelle idée idiote. C'est encore plus idiot de croire que je viendrais aussi alors que je pourrais être partout ailleurs. M'enfermer dans un salle avec une centaine d'autres personnes. Dans une salle que je déteste, qui plus est. Déguisée, qui plus est ! J'aime bien me déguiser. J'ai un super déguisement de... *Non !*. Ce bal me donne envie de vomir. Ah ! et Thalia aussi, tiens. Avec ses idées à la mord-moi le noeud. Qu'elle aille toute seule à son fichu bal de merde. Avec son parfait petit cavalier, puisqu'il est mieux que moi et Zik.

24 oct. 2019, 21:51
Un murmure cordiforme  Privé 
Son exclamation me frappe de plein fouet et m’emplit d’horreur. Les regards convergent vers nous, m’enferment dans une prison invisible, scrutant à la recherche de la source de ce bruit. Je sens mon cœur qui bat trop vite. Je l’entends, même. Il n’y a plus que lui. Dans ma poitrine, il se serre si fort qu’il me fait mal. Douleur de cœur abîmé. Les secondes s’égrènent, défilent en emportant mes espoirs oubliés. Mes rêves irréalisables. Assassinés, arrachés par cette exclamation si dénudée de réflexion qu’elle me fait mal aux oreilles ; ce n’est qu’une sincérité pure, un cri qui me conte tout le dégoût qu’elle ressent en y pensant. En n’y pensant pas. De toute évidence, pas une seule seconde Aelle n’y a songé. Sa bouche s’ouvre et déchire un énième pan de mon espérance pour l’avaler, son horreur visible en poignarde un autre. Les filaments de mon espoir se noient à une vitesse affolante dans la rivière de ma terreur. Je tente d’en saisir un au passage, de l’agripper pour le ramener vers moi *t’es à moi*, mais la Fille d’en face, ma Douleur, choisit ce moment pour me frapper de ses mots. *Pas maint’nant !*. Mon attention glisse de mon espoir, l’abandonnant comme un souvenir d’un passé bientôt oublié, pour tomber sur Elle. « Pourquoi... » *Ne d’mande pas !*. Si elle demande pourquoi je veux y aller avec elle, je la tue. Non. Je me tue. Ou je l’embrasse ? C’est un petit peu la même chose. « tu... » Mes ongles déchirent mes paumes, griffent ma chair. Ornent de longues trainées rouges la lande blanche de mes mains. Jusqu’aux larmes. « ... vas au bal ? » Je les veux, ces larmes. Je les supplie de venir rapidement, pour détourner mon attention de l’espoir qui fuie si loin. Elle est si lointaine, la Voix. En provenance de la terre, si bas, si bas, alors que je flotte haut dans mon ciel de peur. Et tous ces nuages qui nous séparent ! Son son arrive tellement déformé par ici, une enfilade de syllabes diffractées et impossibles à rassembler tandis que mon cœur se serre de plus en plus. Je l’entends, la Voix, mais je ne l’écoute pas. L’espoir qui se barre à toute allure est tellement plus envoûtant à contempler. Et il a le son d’un cœur qui se brise à peine.

Pendant qu’il s’en va, l’espoir, je rassemble les dernières miettes qui m’appartiennent encore. Des petits fragments de rêves éparpillés, des illusions de cette soirée qui m’a bercée d’impossibilités. Aelle et moi, à ce bal, toutes les deux. *’deux*. J’aime ce mot. Deux. *Toutes les deux*. Merlin, il a une sonorité tellement agréable. Juste une petite syllabe, ce n’est pas dur à prononcer, même quand la bouche est asséchée et que l’espoir est mort. Peut-être que je pourrais essayer de voir si je suis encore capable de le prononcer. Quelle tonalité prendrait ma voix bizarre pour ce mot-là ?

Même loin dans mes pensées, je vois Aelle qui réfléchit intensément et me fixe. *Allez !*. Tout en songeant à la douceur amère de ce mot, deux, je la presse en fronçant les sourcils. *Allez, parle !*. Son corps est expressif, elle va causer. Mais elle attend, et cette attente qu’elle m’impose m’agace. Mon espoir est de plus en plus lent à s’en aller. De plus en plus douloureux. Si elle veut m’achever, qu’elle m’achève vite !

« Pis t’façon, t’y vas avec qui ? »

*Mais...*. Le peu de conscience qui me reste encore s’envole. Ou est-ce moi qui tombe ? Je tombe très lentement, comme dans de l’eau profonde, et j’ai le temps de réfléchir tout le long de cette chute. *C’qui fait mal, c’n’est pas la chute, c’est l’atterrissage*, se ramène une voix au fond de moi que je fais taire bien vite. L’atterrissage ne me fait même pas mal, il se contente de me surprendre en me coupant le souffle. *Quoi ?!*. Un sourire fleurit sur mes lèvres. Preuve que mon corps comprend avant mon cerveau, et cela à le don de me frustrer atrocement.
Avec qui j’y vais ? Avec QUI ?! Mais je n’y vais pas, puisqu’elle ne veut pas. Je n’y vais pas. Avec qui je voulais y aller ? *Avec toi !*. J’ai été claire, non ? Je lui ai demandé de venir avec moi. Mes sourcils se froncent.

La suite me passe par-dessus la tête et je n’entends que le nom de Zikomo, qui me fait grimacer un peu plus. Il faut toujours qu’il se ramène dans notre intimité, celui-là. Dans tous les scénarios du bal que je me suis jouée, il n’est jamais là. Mais puisque je ne serai pas au bal, ce n’est plus important.
Ses mots me bercent, litanie lointaine, et je regarde le spectacle fascinant d’Aelle qui se met à bouder.
*À bouder !*.
Est-il possible qu’elle ait cru que je voulais y aller avec un Autre ?
Est-il vraiment possible qu’elle ait cru cela ?

L’espoir revient par bribes. Ce sont des bribes prudentes et maladroites. Qui flottent autour de moi sans se décider à m’entourer réellement. Sans prévenir. Cette brusque remontée d’espoir me ferait presque suffoquer si je n’étais pas obnubilée par la vision qui s’offre à moi. Aelle, boudant, absolument sublime. Un rire nerveux s’échappe de mes lèvres. Ma main droite se lève aussitôt dans un réflexe, pour se plaquer sur ma bouche et me faire taire. Barrière pour mes paroles, pas pour mes pensées. *Arrête !*. Elpis danse en moi et je veux la tuer, car rien n’indique qu’Aelle veut venir avec moi. Tout montre que le bal la répugne.
Doucement, je décolle ma main de ma bouche. Retenant une grimace, j’observe la mince trainée brillante que ma salive a laissé dessus et je l’essuie rapidement contre ma cape.

« Aelle Bristyle, » commencé-je doucement. Toujours grave, ma voix me ferait presque sourire. *Oh...*. Son nom a une sonorité indéfinissable entre mes lèvres, une consonance tellement agréable. C’est un nom que je pourrais, je crois bien, prononcer des dizaines de fois d’affilée juste pour le plaisir. « Tu es une foutue idiote quand tu veux. » J’ai conscience de l’insulter, tout comme j’ai conscience de l’immense sourire qui étire mes lèvres. Ma peur est puissante, mais l’espoir la refoule très loin en moi. « T’as pas encore compris que j’me foutais des Autres ? Surtout des gars, » ajouté-je avec un sourire grandissant. *C’est n’importe quoi*. Ma bouche est sèche et je me mords un peu la lèvre. Dans ma poitrine, mon cœur se serre un peu plus. Mon corps se penche en avant, attiré par la gravité — celle de la Terre, ou celle d’Aelle ? *Arrête d’penser, fais !*. Elle ne me regarde pas, et je profite de cet instant pour la détailler du regard. Mon sourire amusé disparait pour laisser place à un sourire au coin de mes lèvres, tout autre. Un petit peu rêveur. Mes yeux tombent sur ses lèvres, et la vision ces deux petits morceaux de chair *si douces* me donne soudainement la force nécessaire.

« J’voudrais y aller avec toi. »

La phrase ravit mes oreilles, fait mal à mon cerveau, affole mon palpitant. *Merlin, j’suis complètement...*. Ma pensée reste en suspend, parce que je n’ai pas de mot. « J’suis en train d’te demander d’être ma cavalière. » J’ai une voix toute douce, grave et qui ne heurte pas mes oreilles comme à l’accoutumée. Cette voix pour les annonces importantes, ou pour les rêves qui resurgissent. Peut-être simplement cette voix pour Aelle.
De toute manière, si elle dit non, je passerais tout de même Halloween avec elle. Dans son étonnement, elle l’a dit, qu’elle pensait le fêter avec moi et Zikomo. Je dégagerai bien le Mngwi, mais ce n’est pas si grave. En plus, Aelle ne dira rien si j’allume une bougie ou si je regarde le ciel un peu trop longtemps en me demandant si les esprits reviennent vraiment du Sidh jusqu’à notre monde. Elle ne demandera rien, si je n’ai pas envie de parler.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

25 oct. 2019, 17:26
Un murmure cordiforme  Privé 
Et elle rit ! Elle se fout de moi ; ne cache pas ton rire derrière ta main, Thalia, je le vois. C'est trop tard maintenant que je l'ai entendu. Mon cœur se recroqueville plus durement dans son carcan. Il s'échappe de la chaleur de la colère pour goûter à la fraîcheur de la tristesse. Celle qui me chuchote que Thalia ne veut pas rester avec moi pour Halloween, qu'elle a fait ses plans sans moi, sans chercher à savoir ce que moi je faisais. Et son rire, il veut dire qu'elle s'en fout de tout cela. Je n'aurais pas dû rajouter la dernière phrase. Merlin, pourquoi ai-je dit cela ? Maintenant, elle sait que j'attendais quelque chose d'elle et elle rira bien de ne pas me le donner. Je serre les mâchoires et regarde résolument loin d'elle ; même si mes joues se recouvrent du rouge de la honte, même si mon cœur bat trop vite, même si déjà je suis en train de me persuader qu'Halloween sera très bien avec Zikomo, pendant que cette idiote sera au bal. 

« Aelle Bristyle, » dit-elle alors de sa voix qui m'oblige à la regarder. 

Ah ! ne dis pas mon nom. Surtout pas en entier. Mon cœur en rate un battement. Pourquoi le dit-elle en entier ? Quand elle fait ça, c'est comme si elle pouvait faire tout ce qu'elle voulait de moi. Quand elle fait cela, j'ai l'impression qu'elle me connait mieux que personne, qu'elle sait mieux que tous les autres ce qu'est ma vie et ce que je ressens ; je déteste cela. 

 « Tu es une foutue idiote quand tu veux. » 

*Quoi ?* 
J'écarquille les yeux. Je croise son sourire accompagné de ses mots. Ma bouche se tord en une moue désagréable ; le genre qui amène ma colère. La voici qui ne tarde pas à arriver. Elle m'envahit le cœur et tout à coup je refuse de rester en la présence de Thalia. Non, je ne peux pas. Pas alors qu'elle se fout de moi, pas alors qu'elle se refuse à moi en allant à son fichu bal. 
C'est impossible. 
Je ferme mon livre d'un claquement. Puis le deuxième. Je rassemble mes parchemins. Mon cœur brûle de colère. Je suis prête à m'en aller et je ne lui dirais rien du tout. Qu'elle reste dans le silence de son idiotie, ce sera mieux pour tout le monde. Et moi, je vais oublier que mon cœur me fait mal. 

« J’voudrais y aller avec toi. »

De surprise, j'arrête ce que je suis en train de faire et lève les yeux vers elle. Elle ne sourit plus. Elle me regarde de tout son regard vert et quelque chose à l'intérieur de cet éclat me retient et m'empêche de continuer à ranger mes affaires. Ses paroles flottent dans ma tête. Ils font mourir ma colère. Ils me font mourir moi ; ne reste désormais plus que mon esprit vide. Vide de tout, d'attente, d'espoir et même de peur. Ne restent plus que les Mots : J'voudrais y aller avec toi. Qui ne veulent rien dire. Je m'immobilise complètement, même ma respiration se fige. 
Je ne comprends pas. 
Elle me l'a déjà dit. 
Elle veut que je vienne ; j'ai même deviné que c'était pour lui servir d'amusement. J'ai même deviné que c'était juste par pitié. Alors pourquoi me le répète-t-elle ? 
Une petite voix qui s'élève au fond de mon cœur cherche à me chuchoter des choses que je ne veux pas entendre. C'est comme un murmure que je peux repousser d'une pichenette mentale. Je le fais. L'idée dégage, avant de revenir en force : *et si elle voulait que j'sois...*. Non, impossible. Impossible. C'est idiot, n'est-ce pas ? Mais la pensée ne veut pas me quitter. Et comme si elle pouvait m'entendre, la voix de Thalia me pique mon idée pour me l'offrir : 

« J’suis en train d’te demander d’être ma cavalière. » 

Et la fille qui est en face de moi, celle qui me demande cela en me regardant droit dans les yeux, en m'offrant toute sa sincérité, sans sourire, sans moquerie, cette fille c'est Thalia et je sais qu'elle ne ment pas. Je le sais tout comme je comprends instantanément ma méprise : en fait, elle n'a jamais voulu aller au bal sans moi, elle ne m'a jamais demandé parce qu'elle avait pitié. Non, elle me l'a demandé car elle voulait que je l'accompagne. Moi. 
Moi. 

J'ouvre la bouche. J'essaie de mettre un mot sur mes pensées, en vain. Je finis par baisser les yeux parce que c'est tout bonnement impossible de soutenir ce regard-là. En baissant le regard, j'essaie de comprendre ce qu'il se passe à l'intérieur de moi. Mon cœur bat comme un bienheureux. Il sursaute et fait des bons. Et mes pensées se fixent sur les précédents mots de Thalia. *Être sa cavalière*, répètent-ils bêtement en boucle, *être sa cavalière*. J'en conclus, avec beaucoup de gêne, que sa proposition me fait plaisir. Mais cela n'a aucune importante, n'est-ce ? Mon cœur heureux ne m'empêche pas de voir le problème en face ; rien n'est réglé. Non, rien du tout. Je lève la tête pour offrir mon regard froncé à Thalia. Ma bouche parle alors que je ne suis pas encore prête. 

« Mais... » Et mes mots se bloquent parce que l'autre me regarde avec bien trop de force. « J'comprends pas... » 

Ma voix me paraît si faible à coté de la sienne qui a énoncé avec tant de force son... Son quoi ? Son souhait ? Sa demande ? Veut-elle vraiment s'y rendre avec moi ? Comme un véritable souhait, comme une véritable envie ? Alors que l'on pourrait être toutes les deux tranquilles ailleurs, sans Autres ? Je ne comprends pas, nom de Merlin ! 

« Non, j'comprends pas du tout ! m'insurgé-je alors. Pourquoi tu veux qu'on aille au bal, Thalia ? » 

Cela n'a aucun sens, par Merlin ! Thalia n'aime pas la compagnie *sauf la tienne*. Elle n'aime pas la foule, elle n'aime pas les rassemblements, comme moi. Alors pourquoi, par tous les mages, pourquoi voudrait-elle aller au bal ?

« Y'aura pleins de... de gens là-bas et... On aime pas les gens ! » Je la regarde fixement, comme si à la place de la jolie jeune fille venait d'apparaître un immonde Erkling. « Pourquoi tu veux aller au bal ? Au bal ? » Je secoue la tête, complètement perdue. 

Je me laisse tomber sur le dossier de mon fauteuil, incapable de comprendre la logique d'une telle ineptie. Finalement, c'était bien plus facile de croire qu'un idiot d'Autre lui avait foutu cette idée en tête. Maintenant que je sais que la décision vient d'elle, je ne peux m'empêcher de me poser tout plein de questions. Quelque part au fond de moi, je me demande ce que j'aurais bien pu répondre à sa proposition si j'avais voulu aller au bal. De toute façon, la question ne se pose pas. Je ne veux pas y aller. Et si jamais j'étais obligée, mais vraiment obligée, c'est logique que j'y aille avec Thalia.