12/01/2045

Solenn était assise sur cette chaise depuis des heures. Depuis si longtemps qu'elle n'avait envie que d'une chose, se lever. Mais elle devait absolument finir ses devoirs. Elle arrivait à la dernière question de son devoir de Métamorphose, et une sorte de léger sourire s'affichait sur ses lèvres. Se perdre dans le travail lui permettait de ne pas penser à tout ce qui se passait en ce moment dans le monde. Il y avait beaucoup trop de violence, de mort. Tout la terrifiait. Enfin, surtout une chose : la sécurité de sa famille. Cela faisait deux jours qu'elle avait envoyé une lettre à sa mère, et elle attendait sa réponse avec plus qu'impatience. Heureusement qu'elle était occupée en ce moment, car elle ignorait si elle arriverait à supporter de ne rien savoir. 
Elle écrivit enfin le dernier mot de son devoir, et elle ferma les yeux de contentement. Elle glissa dans son sac de toile ses affaires, et se retrouva nez à nez avec le journal. Violet l'avait terminé ce matin et lui avait laissé pour qu'elle puisse aussi le lire. Car quand bien même elle redoutait d'apprendre que de nouveaux meurtres avaient survenu, que de nouvelles horreurs prenaient place dans le cœur des Hommes, elle voulait se tenir informée de la situation. Alors, elle prit le papier, et parcourut silencieusement les différents articles. Elle découvrit alors qu'en réponse aux actes des Moldus du 10 janvier, des attaques avaient eu lieu hier seulement contre les commissariats de police Moldu. Consternée, Solenn se rendait doucement compte qu'ils étaient en train d'entrer dans une série de vengeances de plus en plus meurtrières. Après un long soupir, elle réagit sans s'en rendre compte :

-C'est pas possible...

Elfie entrait dans la bibliothèque en ronchonnant, les sourcils froncés. Toujours aussi mauvaise en cours de métamorphose, le professeur avait conseillé aux élèves en difficulté d'aller se renseigner parmi les bouquins qui recouvraient les rayonnages. La jeune fille avait accepté comme beaucoup, en bonne poire, et se retrouvait maintenant dans le seul lieu qu'elle n'affectionnait pas du tout au château. Trop silencieux, se disait-elle. Elle y venait bien quelques fois, pour se distraire les jours de pluie, mais cela restait exceptionnel.

La rouquine parcourut les tranches pendant trente bonne minutes, à la recherche du livre adéquat. Parfois, elle s'arrêtait, prenait un livre, le feuilletait avant de le reposer. Elle tournait en rond. Devait-elle aller demander conseil au bibliothécaire ? D'un coup d’œil, elle vit qu'il était encore absent. Sûrement avait-il profité d'une accalmie des lieux pour aller ranger sa réserve...

Quelqu'un soupira. Plus loin, assise derrière une table, une jeune fille un peu plus grande qu'Elfie semblait abattue. Elle tenait dans ses mains un journal, probablement la Gazette. Avait-elle lu les mauvaises nouvelles qui y étaient racontées ? Une fille de son dortoir lui avait prêté ce matin; Elfie avait eu la même réaction.

Légèrement curieuse, la rouquine s'approcha, délaissant volontiers les rayonnages.

-Tout va bien ? Elfie la regarda en souriant. Je t'ai, euh, vu, tu sembles un peu triste non ? bafouilla-t-elle, ne sachant pas quoi dire.

Encore en train de lire les nouvelles, elle n'avait pas entendu la fille s'approcher. Ce fut donc légèrement surprise qu'elle se tourna vers l'inconnue. Sa surprise se changea en un sourire aux tons tristes, comme si elle voulait de se souvenir ce qui la dérangeait en ce moment, et elle essaya tant bien que mal de s'expliquer :

-Hum... Les nouvelles ne sont pas très... bonnes...

Elle eut alors une sorte de flash. Son cerveau, en proie aux idées les plus noires et à une anxiété qui durait depuis pas mal de temps, imaginait tour à tour les membres de sa famille harassés par des Moldus et tués. Une soudaine envie de pleurer la prit, mais elle se contint tant bien que mal et essaya de ne plus embêter la fille. Elle ne voulait pas lui faire perdre du temps alors qu'elle vivait la même chose que la majorité des élèves de Poudlard. La peur. 

-Mais ça va, ne t'inquiète pas. Tu...

Sa voix venait de trembler même si Solenn avait tout fait pour la maîtriser. Elle passa sa main dans ses cheveux, comme pour se redonner contenance,  et put finir sa phrase avec une voix presque joyeuse. Presque.

-Tu as besoin d'aide pour trouver un livre ? J'peux t'aider, j'viens souvent ici.

Elle ne mentait pas. Solenn passait le plus clair de son temps ici. Pour travailler, mais aussi pour échapper au monde de la Salle Commune. Elle travaillait rarement là-bas, quelquefois le soir juste après que la plupart des plus jeunes se soient en allés.

La demoiselle semblait charmante, et, contrairement à beaucoup, polie avec les autres. La qualité se perdait, sûrement à cause du contexte actuel, mais certains allaient parfois plus loin. Ils devenaient agressifs. De nombreuses fois, Elfie s'était faite méchamment rembarrée juste parce qu'elle avait parlé à la mauvaise personne. Autant dire qu'elle était restée sur ses gardes lorsqu'elle avait adressé la parole à la jeune fille pour la première fois.

Celle-ci était vraisemblablement plus âgée; elle mesurait au moins dix bons centimètres de plus qu'Elfie. Sa chevelure rousse pendait de chaque côté de son visage blanc, retenue par deux barrettes. La rouquine baissa les yeux. La jeune fille pâlissait. Elfie avait dû être trop intrusive inconsciemment ou la mettre mal à l'aise. Il était normal de s'inquiéter, de se méfier des autres après les horreurs qu'elle venait de lire dans le journal.

-Tu es sûre que ça va ? Elfie sourit faiblement. On risquait de la prendre pour une psychopathe à force de sourire en permanence.

La jeune fille l'interrompit et lui demanda si elle avait besoin d'aide pour trouver un bouquin. Cela tombait à pic ! Seulement, la demoiselle semblait avoir d'autres problèmes en tête et ne lui faisait cette proposition que pour changer de sujet, visiblement. Elfie accepta d'un mouvement de tête. Même si elles se mettaient à chercher ce fameux livre de métamorphe, la rouquine pourrait toujours l'interroger l'air de rien.

-Oui, euh, j'étais venue pour un bouquin de métamorphose. C'est le professeur Lynch qui me l'a conseillé... Elfie réfléchit un instant pour ne pas dire de bêtises. Tu t'appelles comment ? Moi, c'est Elfie Sweetheart.

Solenn avait presque coupé la parole de l'autre rousse sans le vouloir. Mais cela était plutôt une bonne chose car l'inconnue hocha la tête, visiblement contente d'avoir trouvé à son tour de l'aide. Solenn fit une pile de ses affaires pour ne pas encombrer plus la table et se leva, avec un joli sourire tout fait.

-Moi c'est Solenn. Solenn Cooper.

Elle regarda vers l'endroit où se trouvait la plupart des livres de métamorphoses utiles pour réaliser un devoir, et le désigna de l'index :

-Normalement, il devrait se trouver par ici. Je t'accompagne.

Elle se dirigea à grands pas vers les rayons, et tourna en même temps la tête vers la dénommée Elfie.

-Je suis pas très forte en métamorphose, donc je viens souvent ici, finit-elle dans un petit rire

Elle pouvait passer pour l'intello de service qui se trouvait nulle et qui passait son temps à réviser. Mais pour son cas, c'était plutôt pour s'assurer d'atteindre la moyenne qu'elle passait son temps à étudier. Il n'y avait rien de plus désagréable quand elle pensait à tous ces autres élèves qui se dénigraient constamment sans aucune raison que celle d'attirer l'attention.
Sortant de ses pensées inutiles, elle se tourna vers la rousse.

-Tu sais comment il s'appelle ton livre ? Parce qu'en y a pas mal...

Elle fit glisser son regard sur les centaines de livres entreposés ici. C'était enivrant de s'imaginer toute la connaissance qu'il y avait ici, tout le savoir que regroupait cette bibliothèque. Solenn n'était pas du genre à vouloir toujours emmagasiner des connaissances, mais aurait tout de même souhaité avoir plus de temps pour elle, pour lire autre chose que ses manuels de cours.

Solenn l'emmena vers le rayonnage qu'elle cherchait.

-Il s'agit du Manuel du cours moyen de métamorphose. On l'utilise qu'en troisième année normalement, donc c'est pour ça que j'en cherchais un exemplaire, expliqua Elfie.

La jeune fille semblait lasse. Le contenu du journal l'avait remuée. Cela se comprenait; les nouvelles n'étaient pas joyeuses et avec Ursula au pouvoir, elles risqueraient ne pas l'être pendant un bon moment. Solenn se forçait à sourire.

-Tu penses à ce que tu viens de lire n'est-ce pas ? Tu te demandes pourquoi les humains sont si bêtes. Je me le suis demandé aussi, quand je suis arrivée à Poudlard. Certains élèves me regardaient bizarrement juste parce que je suis une née-moldue. Ils étaient près à me zigouiller si on leur ordonnait ! Et c'était pareil pour tous les autres ! Je trouvais ça complètement débile, s'exclama la rouquine en zieutant les tranches des livres. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'on réponde à la violence par la violence. Qu'on se méfie des autres, qu'on généralise l'espèce. Une grande partie des Moldus sont stupides, j'en ai déjà fait les frais, mais certains sont assez intelligents pour comprendre que si les sorciers voulaient leur faire du mal, ils l'auraient fait depuis longtemps !

Elfie se tut. Avait-elle été trop rapide ? Ses yeux se posèrent sur Solenn.

Solenn écouta la réponse d'Elfie et réagit presque tout de suite :

-Ah oui, je m'en rappelle. Par contre, je sais plus où il est rangé, mais on peut chercher...

Elfie semblait bien avoir compris que Solenn ne souriait pas vraiment. Alors, elle parla, plutôt longtemps. Solenn l'écouta sans la couper, réalisant qu'elle n'était pas seule à ruminer des sombres pensées. Elle se sentit alors un peu ridicule. Elle n'était pas la seule à Poudlard à avoir peur pour sa famille. De plus, elle n'était même pas une née-moldue alors avait beaucoup moins à craindre quand à sa propre sécurité à Poudlard. Alors, d'une petite voix, laissant son regard traîner sur les livres pour que la rousse ne puisse apercevoir les larmes qui menaçaient de tomber, Solenn répondit :

-J'me demande surtout si les adultes arriveront à se rendre compte que s’entre-tuer ne sert à rien. Et oui, tu as totalement raison, les Moldus devraient se rendre compte qu'on est là depuis longtemps...

Comme pour elle, elle murmura "Mais bon, avec Parkinson c'est pas gagné". Elle ne fit pas d'autre commentaire, sachant que sa belle-mère travaillait pour Parkinson. Elle ne savait pas si elle avait le droit de ne pas apprécier Ursula Parkinson ou si elle devait se taire et ne pas faire de commentaire. Elle commença alors à scruter chaque livre, et désigna l'autre côté du rayon de l'index : "Cherche ici, je m'occupe de ce côté."

-D'accord.

Elfie se dirigea vers le rayonnage que lui avait indiqué Solenn. Ursula Parkinson, comme l'avait mentionné la demoiselle, était une femme aux idées arrêtées. Selon elle, les Moldus étaient la cause de tous les maux propre au Monde Sorcier. Une guerre menaçait d'éclater, attisée par la colère de chacun. Et contrairement à ce que pouvait penser certains, il ne fallait pas être un adulte, ou passionné de politique pour le comprendre. Les deux mondes étaient au bord de la rupture.

-Une fois, à l'école, la maîtresse avait dit à notre classe qu'en chaque humain, se cachait de la bonté. Connaissant l'existence du monde sorcier depuis peu, et celle d'Ursula Parkinson, je ne peux que contredire les paroles de cette bonne madame Kerrither ! s'exclama Elfie, en prenant un livre pour en examiner le contenu. Aussi fou que cela puisse paraître, je crois que miss Parkinson et ses sous-fifres restent une exception à la règle.

La rouquine reposa l'ouvrage et se détourna vers Solenn, qui cherchait au fond du rayon. Si on se basait sur le principe de son ancienne enseignante, Ursula aurait, au fond, de bonnes intentions pour améliorer la qualité de vie sorcière. Prise d'un doute, qui aurait pu lui faire changer d'avis, Elfie demanda à sa camarade :

-Tu crois qu'Ursula se bat pour un monde meilleur, ou qu'elle veut juste exterminer les Moldus qui se dressent sur son chemin ?

Solenn regarda du coin de l’œil Elfie se diriger vers l'autre rayon. Cette fille était bien plus jeune qu'elle, mais pourtant ses propos étaient bien plus philosophiques que les siens. Solenn n'avait jamais été vraiment douée pour exprimer ce qu'elle pensait. Elle avait toujours peur d'être ridicule, ou encore ne pas dire exactement ce qu'elle avait en tête. Les mots ne s'imprimaient pas parfaitement dans son esprit, tout restait flou jusqu'à ce qu'elle parle. Et souvent, les autres l'impressionnaient par leur façon de parler, et tout était plus compliqué : comment réussir à avoir le courage nécessaire ? Ses paroles étaient trop hésitantes, trop simples.

Solenn était en train de s'emparer d'un livre lorsque l'autre rousse reprit la parole. La Serpentard l'écouta attentivement, les yeux fixés sur la couverture rouge abîmée. Sa main toucha le vieux velours, rencontrant une légère crevasse ici et là. Elle l'ouvrit à la première page, lisant le nom des élèves l'ayant emprunté ces dernières années. Alors, la voix de la plus jeune lui parut plus forte et Solenn devina qu'elle s'était tournée vers elle. La française fit de même, écoutant la question. Elle haussa tout d'abord les épaules, sans prendre le temps d'y réfléchir vraiment. Puis, elle essaya vainement de trouver une réponse convenable.

-J'connais pas assez bien la politique pour vraiment te répondre. Peut-être qu'Ursula pense agir pour les sorciers ? Mais bon, si elle pense ça, c'est qu'elle est juste égoïste et...

Elle avait failli dire "méchante". Mais ce mot était bien trop enfantin et petit pour parler de la vision qu'elle avait d'Ursula Parkinson.

-Enfin... Tu vois ce que je veux dire.

Elle passa une main dans ses cheveux, légèrement gênée.

Elfie se rendit compte à quel point elle avait dû paraître hautaine. Quelle enfant de onze ans, moldue, était en mesure de tenir de tels propos politiques ? Pas elle. La rouquine était-elle bien sûre que ses dires n'avaient pas été influencés par les opinions de chacun, ou les conversations entendues dans les couloirs ? Elle ne le savait pas. Gênée, Elfie fit mine de se concentrer sur la reliure d'un ouvrage abîmé.

« -Oublie ce que je viens de dire, chuchota-t-elle à l'adresse de sa camarade. C'était bête. »

Nonobstant, Solenn avait raison. Ursula Parkinson était égoïste. Elfie, elle, ne pouvait s'empêcher de voir du bon en chacun, même quand les mauvaises actions de cette personne l'affectaient personnellement.

« -Tu aurais peut-être pu dire méchante aussi, même si c'est peut-être involontaire. Tout le monde pense mieux faire que tout le monde après tout. »

Elfie soupira, avant de s'illuminer. Après dix minutes de recherche, Elfie venait de tomber sur le bouquin de métamorphose qui lui avait donné tant de fil à retordre.

« -Solenn ! Solenn ! dit-elle en modérant sa voix pour ne pas déranger les étudiants qui travaillaient autour d'elle. Je l'ai trouvé ! »

Tout excitée, Elfie contourna les immenses rayonnages pour retrouver Solenn de l'autre côté. Haletante, elle appuya ses paumes sur ses genoux, livre en main.

« -Est-ce que Parkinson est une menace pour toi ? »

La question avait fusé, incongrue.