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07 oct. 2020, 12:47
Coeur de tempête  PV 
5 juin 2044
Bibliothèque — Poudlard
3ème année



Je ne l’ai pas ouvert le soir-même. Lorsque je me suis retrouvée seule dans mon alcôve, j’ai rangé le cadeau de Fraw tout au fond de ma valise, qui elle-même traînait sous mon lit, et j’ai essayé de l’oublier. Je n’ai ni ôté le papier cadeau, ni cherché à voir ce que ça pouvait bien être.

Ce soir-là, je n’ai pas dormi. Impossible de fermer l’oeil. Les mots de Fraw tournaient dans ma tête comme une mauvaise mélodie, ils se répétaient en boucle et en boucle. A certains moments, épuisée, je me suis pensé prête à les croire, à lui faire confiance. Mais l’instant d’après, toutes ses paroles me paraissaient trop belles pour être vraies, trop exagérées pour ne pas être des mensonges. Alors, les paroles de Fraw, j'ai préféré les oublier.

Un jour est passé.
Et un second.
Et un troisième.
Le cadeau ne quittait pas mon esprit. Pas plus que les paroles. Et la question, foutue question, qui me hante et qui me fait mal encore aujourd'hui : pourquoi refuser son amitié ? Et dans l’obscurité de la nuit, les réponses me semblaient évidentes : parce qu’elle me fait mal, parce qu’elle se fout de moi, qu’elle ne respecte pas mes envies, qu’elle croit me comprendre alors qu’elle ne me comprend pas, qu’elle n’a absolument rien fait qui m’ait donné envie de passer du temps avec elle. Mais dans le jour, quand j’écoutais les cours, que je mangeais ou que je me douchais, je me prenais à penser : mais elle dit m’apprécier, mais elle me complimente, elle a même dit : « Je tiens à toi », alors pourquoi ne pas profiter de ça tout simplement ? Juste un peu ? Mais, honteuse de mes propres pensées, je finissais toujours très rapidement par les enfouir bien profond dans le noir de mon esprit et d’éviter d’y penser.

Fraw est une gangrène. Quand je ne veux pas penser à elle je pense à elle et quand je ne veux pas la voir je la vois. Le matin dans la Grande Salle, la journée dans les couloirs et la nuit dans mes putains de rêves. Elle n’est pas Envahissante, mais elle est Présente. Quand je ne m’y attends pas, elle arrive dans ma tête pour se rappeler à moi. Parfois, je revis notre rencontre, parfois je me remémore ses courriers, d’autres fois encore je ressens la même douleur qui m’a fait suffoquer dans le hall, l’autre jour.
Je ne comprends pas ce que je ressens.
J’ai pensé m’en ouvrir à Zakary mais… Non. Au dernier moment, j’ai déchiré la lettre que je lui ai écrit et l’ai brûlé ; erreur que de me confier à Zak ! Il va se faire des idées, après. Cette fille n’est rien, pas besoin d’en parler à mon frère.

Et, en parfait reflet, le cadeau de Fraw me hante de la même manière. Un soir, une semaine après ma dernière altercation avec Fraw, je me suis surpris à ouvrir ma valise pour le regarder. Que peut-il cacher ? Pourquoi cette fille a voulu me faire un cadeau de Noël alors que nous ne sommes qu’en mai ? Zikomo m’a conseillé de l’ouvrir, tout simplement. Mais je crois que Zikomo ne comprend pas très bien ce que je ressens, alors je ne l’ai pas écouté et j’ai renvoyé le cadeau dans les profondeurs de ma valise.

Et pourtant aujourd’hui, je me trouve là, jambes croisées sur mon lit, le coeur battant, les yeux posés sur la couverture du livre. Parce que c’est bien un livre. Un livre au nom étrange. Pourquoi les tempêtes changent nos vies ? Les écrivains, au nombre de deux, me sont inconnus. Je lis le résumé, feuillette quelques pages et je parcours même le sommaire. Cela n’empêche que je ne comprends pas.
Pourquoi ?
Qu’est-ce qui a bien pu passer par la tronche de cette fille quand elle a décidé de m’offrir cette chose ? Je suis presque rassurée, néanmoins. Je me dis : elle ne me connaît pas tant que ça. Et c’est agréable de penser cela, penser que Fraw n’a pas complètement violé le sanctuaire de mon coeur, que je suis encore Moi, entière, sincère, secrète.

C’est en relisant machinalement le sommaire que je tombe sur quelques mots griffonnés à même la page. « Tu ne te rends peut-être pas compte de ta valeur, mais moi je l’ai vu. Je te vois Tempête. Je te vois. Tu n’es pas seule ». Ces mots m’arrachent mon souffle. Littéralement. De quel droit... ? *Comment... ?*. Pourquoi ?
Pourquoi ces mots résonnent-ils ?
Pourquoi me dérangent-ils ?
JE NE SUIS PAS SEULE ! ai-je envie de hurler à Fraw. J’ai envie de le lui inscrire à coup de poings dans la gueule. Je ne suis pas seule et je ne me sens pas seule ! J’ai Thalia, moi, j’ai Zikomo ! Mais ce dernier dort tout près de moi alors je ferme les yeux très fort, je serre les poings et les mâchoires, et je demande silencieusement à mon coeur de se calmer. *Calme-toi s’te-plait, j’veux pas l’réveiller*. Si je le réveille, il voudra savoir pourquoi est-ce que… *je pleure ?*. Foutus yeux qui profitent de la moindre de mes faiblesses pour se remplir de larmes !

Le coeur battant, j’essuie rageusement mes larmes et dépose violemment le livre sur mon étagère. Chose que je regrette dans l’instant ; me mordant la lèvre, je vérifie que Zikomo ne se réveille pas. Heureusement, il a l’air bien trop endormi pour se préoccuper de ce que je fais.

En m’allongeant sous ma couverture, je laisse mes pensées dériver sur cette Fraw et je me demande ce qu’elle me veut. Je veux dire… Elle ne me connaît pas, elle doit certainement savoir ce que j’ai fait l’an dernier avec les Chinois, et c’est tout. Elle ne sait pas qui je suis, elle ne connaît que deux de mes frères de vue, elle doit certainement savoir pour Zikomo et peut-être pour Thalia, peut-être savoir que je suis bonne en cours, que je suis souvent à la bibliothèque ou que sais-je encore, mais elle ne sait rien d’autre. Elle ne sait pas que je ne me sens pas du tout comme une tempête, elle ne sait pas que je déteste que l’on me donne un surnom sans mon consentement, elle ne sait pas que je déteste les étreintes, que je déteste que l’on insiste auprès de moi. Elle ne sait pas que je veux être celle qui décide ; qui décide de quand, de pourquoi et d'où. Elle sait peut-être que j’aime les ouvrages comme celui qu’elle m’a offert, que j’aime apprendre tout et n’importe quoi, même sur un sujet aussi étrange que les tempêtes, elle sait peut-être que j’aime les livres, mais elle ne sait pas que je ne me sens pas seule *parfois si, quand mê… Ta gueule !*, que je n’ai pas besoin d’elle, que je ne veux pas de son amitié ou de ses compliments — quoi que ces derniers, je veux bien l’avouer puisque nous sommes au beau milieu de la nuit, me font tout de même assez plaisir…

Antares Fraw est venue me voir un jour, pensant me connaître et pensant que je voulais la connaître. Elle a insisté, beaucoup insisté, malgré le fait que je lui ai dit que je ne voulais pas d'elle. Elle s’est pris mon poing dans la figure, ainsi que mes cris. Pourtant, elle a commencé à m’envoyer des lettres auxquelles je n’ai jamais répondu. Et lorsque j’ai décidé de lui envoyer une réponse lui demandant d’arrêter de me harceler, elle a continué à le faire. Et la dernière fois, alors que je venais lui reprocher en tout bien tout honneur de laisser mon frère en paix, la voilà qui me crie dessus et me balance tout un tas de paroles bizarres, dérangeantes et… Et… Je ne sais même pas qu’en penser. Ce livre qu’elle m’a offert est la cerise sur le gâteau. Un livre ? en cadeau de Noël ? alors que nous sommes en mai ? C’est très bizarre de faire une chose pareille et si je demande à Thalia, je suis certaine qu’elle trouvera ça bizarre, elle aussi.

Je me retourne dans mes draps et repousse finalement ma couette ; j’ai trop chaud. Et mon esprit est lourd de pensées.

J’ai essayé de lui faire comprendre des choses, notamment comprendre que je ne voulais pas d’elle. Pourtant, elle persiste. Et cela m’agace, m’agace si fort que je pourrais lui exploser la tronche contre un mur. Pourtant… Pourtant quelque part je trouve cela admirable. Je ne peux m’empêcher de me dire : cette fille, elle m’apprécie tellement qu’elle continue malgré le danger. *C’n’importe quoi*. Certes, mais je ne peux m’empêcher d’y penser, même si je n’y crois pas tellement.
Je n’arrive pas à me défaire de mes sentiments.
D’un côté, l’intérêt : pourquoi moi ? pourquoi persister ?
De l’autre côté, le dégoût : tout chez elle me rebute, du souvenir de son odeur et de ses bras autour de moi aux mots qu’elle persiste à vouloir m’offrir.

Ce soir-là, le sommeil met un long moment avant de me prendre. Et quand il le fait, ce n’est que pour me plonger dans des cauchemars remplis de lueurs sombres, de cris et de grands bras qui veulent m’attraper.

Les jours passent, et je continue à réfléchir. Thalia doit sûrement avoir compris que quelque chose me dérange, mais elle ne me dit rien. C’est ce qui est bien avec Thalia et c’est d’ailleurs une chose dont je suis persuadée que Fraw est dénuée : le respect de l’intimité. Si je ne veux pas parler, Thalia ne me force pas à parler ; et en plus, elle comprend même qu’elle n’a pas besoin de me poser de questions, que je viendrais de moi-même si j’ai envie de venir.
Thalia, c’est vraiment la meilleure.

Deux ou trois jours après avoir découvert le livre de Fraw, j’en ai commencé la lecture. Ce livre ne parle pas de magie, il ne m’intéresse pas autant qu’un autre et ne me passionne certainement pas, mais je dois avouer qu’il est intéressant. Il est percutant. Mais plutôt crever que de l’avouer à Fraw, plutôt crever.

J’ai pris ma décision sans trop savoir comment.
Les examens s’enchaînent, les révisions également. J’adore cette période studieuse de l’année et j’ai trop confiance en mes capacités pour être angoissée pour quelques examens. Le mois de juin est entamé, la chaleur commence à faire rayonner l’extérieur et l’ambiance a un goût de vacances qui n’est pas sans me déplaire. Le monde fait tellement n’importe quoi ces derniers temps que l’idée de rentrer à la Maison me réjouit au plus haut point, même si cela veut dire que je serais éloignée de Thalia pendant deux mois. J’ai envie de revoir Papa et Maman, mes frères, retrouver ma chambre, mes livres, la Tour et le parc autour du Domaine. Je veux mon chez-moi.
C’est entre deux examens que j’ai décidé que je ne pouvais pas rentrer à la Maison sans avoir de réponse au *pourquoi ?* qui continue à sévir dans mon crâne. Le Pourquoi de Fraw. Je ne peux pas le laisser prendre plus de place dans ma tête, j’ai bien trop de choses à penser pour m’encombrer de ça, moi. Alors j’ai pris la décision d’aller lui parler.

« Tu viens avec moi si je la trouve, hein ? demandé-je à Zikomo le jour où j’ai enfin trouvé le courage d'aller dénicher Fraw, où qu’elle soit.
Je t’ai dit que oui.
Ouais, mais tu resteras avec moi tout le long, hein ? Et si elle commence à… Enfin, t’sais, à insister et genre à… prendre trop d’place…
J’interviendrai, oui. »

Confortablement installé sur mon épaule, le Mngwi me mordille l’oreille pour me rassurer. Mais moi, je ne suis pas du tout rassurée. J’ai l’impression de faire une connerie. Mais je me dis que si jamais je veux partir, je partirai. Comme ça, en courant. La Salle Commune des Jaunes n’est pas loin. Si je m’y réfugie, Fraw ne pourra pas me poursuivre.

J’entre silencieusement dans la bibliothèque. Je n’ai aucune idée de si Fraw sera là ou non, mais comme nous sommes en période d’examen, il y a tout de même de fortes chances pour qu’elle y soit. Mon coeur sursaute quand j’aperçois installée à une table Ebony, penchée sur ses révisions. Mon coeur me souffle d’aller la retrouver, mais ce n’est pas le moment — peut-être plus tard, si la conversation avec Fraw se déroule comme je l’imagine.

Je traverse un rayon, puis un second sans la trouver. Je croise des élèves, seuls ou en groupe, installés à des tables ou à même le sol, tous plongés dans un livre ou penchés sur des parchemins. Certains lèvent la tête vers moi à mon passage et me suivent du regard quand ils s’aperçoivent de la présence de Zikomo sur mon épaule ; ceux-là, je les fixe jusqu’à ce qu’ils se détournent. Je déteste que l’on regarde trop longtemps Zikomo.

Mon coeur s’arrache de son socle lorsque je la trouve.
Parce que je la trouve.
Elle est là, installée à une table — seule, heureusement. Avec des livres, des parchemins, vraisemblablement en train de réviser. Pendant un instant, je suis persuadée que je vais faire marche arrière et m’enfuir, m’enfuir tant que je le peux encore. Mais les pattes de Zikomo s’enfoncent dans mon épaule :

« Allez, vas-y, me souffle-t-il. Elle ne va pas te manger, tu sais.
T’en sais rien, toi, » marmonné-je furieusement.

Je prends une grande inspiration et m’avance vers elle. Bam ! bam ! mon coeur veut s’échapper de mon corps. Il s’agite comme un fou et moi j’ai tellement chaud que la sueur recouvre mon front. Dans ma tête, je me rassure : *Si elle fait un truc qu’j’aime pas, j’me barre, c’est simple. Elle peut rien m’faire et puis si elle dit un truc qui m’plait pas, j’lui envoie un sortilège dans la tronche*. C’est rassurant de savoir que j’ai les moyens de me défendre.

J’arrive près d’elle.

« Dis rien, surtout, » dégueulé-je d’une voix terriblement tremblante en m’asseyant en face d’elle.

Zikomo saute sur la table, puis sur mes genoux. Il lance un léger « Bonjour » à Fraw ; il est bien trop poli pour ne pas la saluer, mais après ça il se tait et se contente de rester silencieux, à demi-caché par la table. Il a promis de n’intervenir que si ça tourne mal.

Je déglutis difficilement, fronce les sourcils et sans trouver le courage de plonger mes yeux dans ceux de la fille en face de moi, je continue :

« Laisse-moi parler, ok ? J’vais juste te poser une question. J’veux une réponse simple, ou alors j’me barre aussi sec. Pas b’soin d’dire n’importe quoi, j’le saurais. »

Et il tambourine, mon coeur, tambourine, tambourine comme un fou.

« Pourquoi ? Tu m’connais pas du tout. Alors pourquoi tu… Voudrais (pour bien qu’elle comprenne que je n'y crois pas du tout, je mime deux gros guillemets à l’aide de mes doigts) d’venir mon amie ? On d’vient pas ami avec des gens qu’on connaît pas, j’te signale. »