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29 oct. 2018, 10:20
A trois, il n'y aurait rien
12 septembre 2043
Portes d’entrée du château - Troisième Épreuve
3ème année


Le ciel est sale. Son bleu est bariolé de nuages long et dilués. Ils traversent la toile comme de longues fissures, déchirant l’horizon et se déplaçant avec langueur. Je les regarde évoluer. Ils voguent au dessus du lac sans prendre le temps de se refléter sur sa surface noire et miroitante. Sous leur souveraineté, je me sens minuscule. Le vent souffle autour de moi, s'infiltre sous ma cape et me fait frissonner. Au loin, je vois les arbres de la Forêt Interdite se balancer sous ses bourrasques ; même l’herbe à mes pieds tangue sous sa force. Pourtant en une seconde il perd son souffle, disparaît au détour des grandes tours du Château et laisse en paix ma courte chevelure châtain. C’est seulement quand il disparaît que je peux sentir mon coeur battre la chamade à l’abri de ma poitrine. Il bat si fort qu’il emplit le silence laissé par le vent.

Dans la périphérie de mon regard, je surveille les grandes portes du Monstre de pierres. Elles ne sauront tarder à s’ouvrir. Il y a déjà du mouvement là où se porte mon regard : au loin, sur le stade de quidditch. Cette information, le Lieu-de-Charlie, je n’avais pas eu besoin de creuser pour la trouver. Tous en parlaient ici. C’était comme une gangrène ; il suffisait qu’un des abrutis du Château chuchote un mot sur les Chinois et voilà que la maladie s’échappait pour frapper tous ceux qui approchaient. Elle envahissait les bouches et les crânes, elle rougissait les joues et agrandissait les sourires. Elle était partout. Dans la grande salle, les mots des Autres concernant le Tournoi étaient si présents qu’ils emplissaient ma bouche, me donnant envie de vomir. En cours, il ne se passait pas une heure sans que ne soit chuchotée entre deux rangées la frénésie que chacun ressentait. *Pas moi.*

Moi, elle me donne envie de pleurer, cette épreuve. Elle m’a hanté ; chaque nuit, chaque journée, chaque réveil.
Moi, ce tournoi, il me donne envie de vomir.

Je resserre les pans de ma cape autour de moi. Entre mes doigts, ma baguette. Elle me donne la force nécessaire pour être ici, pour m’empêcher de fuir au loin. Loin de cette porte, loin de cette frénésie. Mon estomac est coincé quelque part entre mon ventre et ma gorge ; il me fait mal. Je jette des regards frénétique vers la porte puis vers le stade. Je sais que l’heure approche. Je le sais horriblement.

Quand les grandes portes s’ouvrent je ne sursaute pas. Mon regard se braque sur elles et je regarde d’un oeil vide la foule d’étudiants que dégueule le Château. Mon coeur se serre en avisant les sourires et en écoutant toutes ces voix qui parlent. Les Autres se déplacent vers le stade, détruisent le silence, rabaissent l’empire des nuages. Ils font se taire le vent ; ce dernier s’apaise comme si la seule chose qu’il attendait venait d’arriver.

Je me serre un peu plus contre mon rocher. D’ici, personne ne peut me voir. Je regarde sans être vu, j’ai découvert apprécier cela ; mais aujourd’hui, je n’y prends aucun plaisir. Mes mains sont moites et mes yeux révulsés. Les poils de ma nuque se dressent sous les frissons. Je suis effrayée.

*Pourquoi j’suis là, Merlin ?*

C’est une folie. C’est une folie. Je ne devrais pas être ici. Je devrais être cachée dans la bibliothèque, cachée derrière les rayons, loin de tout cela. Loin de cette frénésie.
Inlassablement, mes yeux se posent sur le stade de quidditch mis à sac. Mes yeux fouillent la foule sans ne rien voir. *Chu-Jung…*. Ils me frappent, mes souvenirs. Les souvenirs de ce soir-là. Le souvenir de mon Chinoi est cuisant ; je sens encore ma main moite dans l’étau de la sienne. Je ne revois que cela et Elle. Sa toute petite taille, ses cheveux sombres, sa main et celle de l’Ave *NON !*.

« Merde…, » gémis-je en emprisonnant entre mes dents ma lèvre inférieure.

Mon souffle s’accélère. Je regarde les portes du Château. Mon coeur bat si fort, je me sens chanceler sous sa force. Comme s’il pouvait m’arracher tout ce qui me faisait tenir debout. J’allais crever sur le parvis de Poudlard, cela sera glorieux.

Le coeur en branle, je m’appuie contre le rocher pour m’extirper de ma cachette. J’apparais au grand jour, la face cireuse et les cernes profondes. Mon pas est incertain, j’ai l’impression que chacun d’eux qui me rapproche des portes va m’envoyer me cogner la tronche contre la terre. Je traverse le courant d’Autre à contre-sens, résiste vaillamment sous l’assaut de leurs épaules. Je garde la tête baissée ; leur bouche dit déjà bien trop de chose pour que je veuille subir leur Regard. Heureusement, j’en ai rien à foutre. Mon corps transforme mes émotions en armes tranchantes et me les plante dans l’âme.

J’échappe au regard du ciel pour apparaître sous celui du grand hall. Ici, la foule est plus dense. Les Autres sortent de la grande salle et avancent. Peu importe que je sois sur leur passage, ils avancent. Alors je me traîne jusqu’à un coin, à l’ombre de la porte et je m’affale contre l’immense battant. Je regarde le flux passer, les yeux flous et l’esprit ailleurs.

*Charlie*
*‘peux plus d’toi…*

Mon poing se crispe sur ma baguette. Je ne sais toujours pas ce que je fais ici. Ni où je vais. Ni où je veux aller.

*J’vais t’voir*. Je secoue la tête, je me frotte les yeux. *Te voir*. Je n’arrive pas à m’en détourner. Je mire les Autres de tous mes yeux, regardant leur face réjouies ou toute chiffonnées, je les regarde, j’attrape leur voix pour les laisser envahir ma tête mais rien n’y fait : je l’entends toujours. Ma voix qui me chuchote ses mots ; mes pensées sans consistances qui se baladent dans mon crâne *Rengan*, qui murmurent ce nom idiot, *Charlie*, ce prénom pitoyable.
J’ai passé ma nuit à la vomir. J’ai vomi son nom en allant me coucher, rendu ses yeux en pleine nuit et dégueulé son prénom au réveil. Mon estomac douloureux me le rappelle et ma bouche pâteuse se venge de ces rejets. Pourtant, Elle est toujours là et mon coeur flanche dès qu’il entend mes pensées. Il flanche en boucle, le con. Il flanche encore et encore parce que mes pensées sont là encore et encore.

Je serre le tissu de ma robe entre mes doigts ; je le tords dans ma main. Mes yeux posés sur les Autres fouillent frénétiquement. Je regarde vers la grande salle, me lève sur la pointe de mes pieds pour apercevoir les tables à l’intérieur. Puis je matte l’entrée des cachots, le coeur au bord des lèvres. *Pas là !*. Je me détourne vers l’extérieur, les yeux brûlants.

« T’es où, Ao ? » gémis-je, le coeur au bord des lèvres.

Il est nul part. Il n’est pas là car il ne veut pas me voir. Il n’en a rien à foutre de me voir ; il traîne avec Jace et cette Quétrilla. C’est tout ce qui l’importe. Il ne me verrait même pas. Je regarde quand même dans la foule des Autres, je recherche une trace de lui. *Merlin, s’t’plait*. Je veux le voir. Juste de loin. Comme ça. Peut-être croiser son regard. Je ne sais pas. Je ne veux pas rester avec Charlie. Je ne veux pas rester ici avec Charlie. Je ne veux rester nulle part avec Charlie.
Mais il n’est pas là. Le flot des Autres s’écoulent lentement jusqu’à disparaître. Tous avalés par l’extérieur en direction du stade d’où le bruit se fait de plus en plus fort.

La douleur de mes yeux augmente et *pleure pas !* ma gorge se noue. Autour de moi, le hall m’impose son silence. Le traverse une bande de Serdaigle en branle, la gueule épouvantée, qui ne me regarde même pas. Mon coeur se soulève quand je vois un Serpentard qui avance au loin puis s’effondre quand je remarque sa face d’inconnu.
Personne ne fait gaffe à moi. Ma vision se brouille, les contours disparaissent. J’ai chaud, ma peau frissonne, mon souffle s’épanche.

« ‘chier, murmuré-je en me frottant les yeux du revers de la manche. ‘tain, quelle abrut… »
« Ely ?! »

*Aodren !*
Je m’arrache à ma manche. Mes yeux se révulsent, je bats des paupières pour faire disparaître l’eau dans mes yeux. Tout à coup, mon estomac retombe à sa place et mon coeur fait une dernière embardée avant d’être mis à terre par une vague de soulagement qui manque de me renverser. Dans mes yeux, les larmes me brûlent les cils. Et j’en ai rien à foutre.

« Aodre… ! » *Quoi ?*

Je me recule précipitamment. Mon corps rencontre le bois dur de l’immense porte d’entrée. La douleur se répercute dans mon corps et secoue mon crâne atrophié par la surprise. Je baisse mes yeux écarquillés, mon regard ravagé par les larmes, pour les poser sur le corps minuscule qui me fait face.

« Bah… Tu pleures, Aelle ? »

*Grewger*.  Le sale gnome.
La colère fait grossir mon coeur qui m’explose au visage, répandant les miasmes filandreux de mon désespoir dans ma bouche trop grande :

« P’tite conne ! »

Le souffle court, je regarde le visage de l’enfant se froisser et ses petits yeux bruns se froncer. Elle balance son épée en bois devant moi, toujours aussi ridicule avec ses boucles blondes qui lui retombent devant la face. Qu’est-ce qu’elle fout là, par Merlin ?

« Pourquoi tu dis ça ? braille-t-elle. J’sais ce que ça veut dire hein. Je t’ai rien fait ! Et t’as les yeux tout rouge, ça veut dire que t’as pleuré, ça aussi je le sais. Pourquoi tu pleures, hein ? C’est pas à cause de moi, au moins ? »

Elle s’est rapprochée de moi, m’imposant son corps d’enfant et la chaleur de sa peau. Je me redresse et, les yeux brillants de colère, je pose une main sur son épaule pour la repousser. L’enfant bat des bras, son épée déchirant l’air en toute inutilité. Elle vacille de trois pas avant de se stabiliser. Cela ne me fait même pas sourire.
Mon coeur me fait mal.

« Dégage, Grewger, j’veux pas t’voir ! »

Ma voix est aussi lamentable que mes pensées.
Je lance un regard noir à Krissel. Elle se recroqueville. Son épée pend au bout de son bras. J’ai le coeur qui bat tout doucement mais douloureusement fort. Il se tord dans tous les sens. Je regarde autour de moi en vain ; Ao’ ne passera plus par là. J’ai encore envie de chialer. Mais mes yeux tombent sur Grewger ; jamais je ne pleurerais devant elle. Plutôt crever.
Je renifle et me frotte le nez du dos de la main.

« Je… Je vais voir le truc qui se passe sur le ter… » commence à dire Krissel de sa toute petite voix ridicule.

Je l’interrompt brutalement, réduisant l’espace qui nous sépare pour plonger mes yeux dans les siens : « Ta gueule ! ». Je respire fort. Mon coeur s’arrache de son socle pour venir frapper ma poitrine. La bouche de Krissel reste ouverte et son souffle me caresse. Je vois ses lèvres tomber et son nez se plisser. *S’tu pleures, je…*. Mes doigts arrachent un pan de ma cape pour s’y accrocher avec force. L’enfant me dévisage en silence, le visage froissé et les joues rouges. Je peux voir les mots se préparer sur la barrière de ses lèvres. Je vois ses yeux se balader sur mon visage. Puis elle les dirige vers le sol et ne s’en détourne plus. Je regarde ses paupières et ses cils, le souffle court.

Quand j’arrive à me dérober au dégoût que je ressens, je me détourne et je fais face à l’immense Château. *J’peux pas y aller*. Non, je ne peux pas. Je jette un dernier regard à Grewger avant de me traîner vers les grands escaliers. Je vais aller m’enterrer dans un coin et ne plus y bouger. Quand j’en sortirai, tout cela sera terminé. Ouais, tout sera fini. *Charlie*. Même toi tu le seras. J’enfonce mes mains dans mes poches, essayant d’ignorer la boule dans gorge.

« Attends Aelle ! »

Krissel hurle dans mon dos. Elle me fige sur place. *Laisse-moi partir…*. Il faut qu’elle me laisse ou je vais y aller. Je vais me précipiter là-bas et… Je ne sais pas. Et je ne sais pas.
Je n’arrive ni à soupirer ni à grimacer. Je ne peux que regarder mes pieds, figée. Sans pouvoir avancer ni reculer. Les escaliers s’ouvrent à moi et dans mon dos m’appellent les cris des Autres. Je ferme les yeux très fort.

« Tu vas où ? » me demande Krissel d’une voix hésitante.
*J’sais pas*.
« J’me casse Kri… Grewger. Laisse-moi, » marmonné-je derrière mes paupières fermées.

Parle encore. Parle encore, Krissel. Tu me fais hurler de rire et de colère ; parle-moi, je ne veux ressentir que cela. Le rire et la colère, l’envie de t’écraser et de te faire pleurer. Ouais. J’en ai marre d’être triste. *J’suis triste, putain !*. Je suis malade de tris...

« Bah… Viens. »

Je me retourne doucement. Mon corps flanche sous les assauts de mon coeur.
Krissel me regarde de ses grands yeux bouseux, ses doigts triturant la garde de son épée. Ma bouche se crispe.

« Viens avec moi voir l’épreuve ! »

*Quoi ?*. Cette gamine se fout de ma gueule. Je me suis toujours demandé, lorsque j’y pensais, si Krissel était brave ou seulement conne. *Conne*. Foutrement conne. J’aurai bien aimé lui dire, mais ma bouche reste fermée. La salive sur ma langue est acide ; je l’avale difficilement.

« Viens, je te dis ! me lance-t-elle en s’éloignant vers la porte. J’te promet que ce sera cool ! On pourra peut-être trouver Aodren. Dis, tu crois qu’il voudra bien qu’on vienne avec lui ? Enfin, c’est sur qu’il voudra ! T’sais, la dernière fois il m’a dit qu’il était bien c… »

Quand Grewger parle, mon esprit se casse. Une partie reste en moi et l’autre se fait aspirer. Là, Grewger, elle m’aspire. Je la regarde, le corps recroquevillé, un cri coincé dans la bouche, et je me dis que c’est simple. Grewger, elle sait où elle va. Et je crois qu’elle sait aussi où je vais. Enfin, je ne m’entends plus penser. Je sais que je pense. Je sais que j’ai encore foutrement mal là où aucun baume ne pourra atténuer la douleur. Je sais que mes yeux brûlent. Je sais que mes lèvres frémissent de chuchoter son prénom. Je sais que je dois avoir peur. Et je sais que j’ai foutrement peur. Mais Krissel, elle est là. Et avec son épée qui se balance de partout et sa voix qui parle de choses idiotes, elle m’aspire.

Je la suis sans trop y penser. Le regard un peu fou. Les jambes tremblantes. Je la suis et quand elle se retourne, elle s’arrête brusquement et me regarde avancer vers elle. Elle a un air foutrement vide ; de grands yeux qui ne regardent rien. Et sa bouche est grande ouverte, comme si elle voulait me bouffer. J’aurai bien aimé qu’elle en soit capable. Je la vois hésiter, mais quand je passe près d’elle de ma démarche tremblante, vacillant sous la torpeur de mon corps, elle se précipite à mes côtés en babillant d’autres paroles inutiles.


oOo



12 septembre 2043
Terrain d’entraînement - Troisième Épreuve
3ème année


Le bruit hurle à mes oreilles. Krissel et sa voix. Les Autres et leurs cris.
Désormais assise, je ne peux plus bouger. Mes fesses sont douloureuses sur le banc en bois. Elles me rappellent que je suis encore là. Que je dois respirer et vérifier que le bras blanchâtre de Krissel ne me touche pas.
Je regarde l'espèce de tente. Je n’arrive pas à détourner le regard. Je ne veux même pas regarder le Doyen et Loewy qui prennent toute la place sur le terrain. Non, je ne peux que regarder la tente.

Même Grewger ne peut pas me détourner de cela. Sans savoir, je sais comment cela va se passer. Mon cœur qui rue dans ma poitrine me le hurle : ELLE VA SORTIR. *’sors pas !*. Mon attention se fait la malle. Elle s'envole au-dessus de stade-qui-n'est-plus-un-stade et se perd dans les affres du ciel cotonneux. Je ne sens plus mon corps. Mes fesses douloureuses sont loin ; mes yeux brûlant plus encore. Je n'entends qu'une chose qui m'alpague : le bourdonnement de mes tympans. Elles sont bruyantes ces oreilles, elles sont chaudes.

Les pans de la tente frémissent.
Mon estomac saute et s'écrase contre mon palais.
Le goût de la bile m'emplit la bouche. Ma main se crispe sur le banc. Un son torturé sort de ma bouche, entre le gémissement et le gargouillement. *J'avais vomir !*. La tête me tourne ; j'écrase mes paupières aussi fort que je le peux. *J'peux pas !*. Le monde disparaît et le bruit de mes oreilles augmente. Ma respiration est puissante mais j'entends Grewger déblatérer à mes côtés. « ...ssemblent tous, non ? ». J'essaie de me concentrer sur ses paroles pour ne pas attendre les murmures des Autres. Quelqu'un foule la lande qui s'étend devant moi, l'immense champs de ma peur. Mon cœur s'accélère. « C'est le garçon que tu as… ». *Chu-Jung !*. Ce n’est pas… Un soupir fend mes lèvres et derrière mes paupières se dessine l’éclat éblouissant de mon apaisement *c'est pas elle !*. J'ouvre les yeux à l'instant même où Grewger me pourfend le cœur de ses mots acérés :

« Oh ! c'est l'aveugle ! ». Le ciel bleu s'infiltre dans ma rétine et me défonce le regard. « ... en parle. Ouah, elle est belle, non ? ». Mes yeux sont attirés. « La Gryffondor me fait flip… ». Mon cœur tombe et ma respiration s'emballe. J'avale une énorme goulée d'air qui s'engouffre dans mes poumons ; douloureux volutes qui m'amènent les larmes aux yeux. « ... a toujours l'air bizarre. Un peu comme toi… ».

J'ai envie de crever quand je tombe sur elle. La Chinoise. Mon corps me fait mal et mon esprit me flanque l'image de deux mains enlacées sous la gueule.

« ‘tain, » je murmure. Ou peut-être que je cris. Ma gorge me fait mal.

La face porcelaine de la Chinoise brille fort. Ses yeux sont comme tous les autres de loin. Sa gueule me fait mal. Mes phalanges écrasées contre le banc sont blanches d'effroi. D'ici elle est toute petite, l'Aveugle. Je pourrais tendre la main et l'écraser entre mon pouce et mon index.
Un grognement est coincé dans ma gorge. Il a un goût dégueulasse. *J'vais t'tuer !*. Je n’arrive pas à être en colère. Je ne suis rien du tout. Rien qu’un puit qui me bouffe toute entière.

« ... un peu flippant mais moi j'aime bien. Tu crois que je l'aimerais bien elle aussi, Aelle ? »

Je cligne une fois des yeux. Puis une seconde fois. *Tourne pas les yeux ! Tourne pas tes putains d'yeux !*. Je tourne les yeux.

Mon souffle se bloque.

*Char… Belle.*

Mon souffle se bloque, mais mes yeux s'écarquillent. Ils prennent toute la place sur mon visage. Ils m'engloutissent de leur vision. Ils me retournent le crâne pour imposer cette image à ma compréhension. Ils frappent mon esprit d'Elle.

Je ne vois plus que cela.

*Oh non...*

Mon souffle se bloque, mais mon sang me fouette le corps. Il s'engouffre dans mes membres, sous ma peau, pour les brûler de son flux ardent. Le bout de de mes orteils frémit, la chaleur secoue mes jambes ; elle renverse mon ventre ! De là, elle se diffuse partout, m'étouffant alors que j'étouffe déjà.

*CHARLIE !*

Quelque chose se rue sur mon cœur. L'écrase dans son poing. Le Pauvre se remet à battre avec l'ardeur des Mourants.

Un courant d'air balaye mon visage. Seule Chose du monde qui parvient encore à se faire ressentir. Il me caresse la peau ; il est frais le long de mes joues. Pourtant, j'ai chaud. *Pourq… Oh…*. Je ne tourne pas les yeux, de peur de La perdre. J'approche une main de ma figure et pose mes doigts sur ma joue. Quand j'éloigne cette dernière, elle est mouillée de mes larmes.
Je les sens maintenant qui s'agglutinent dans mes yeux.

« Tu… Tu tu pleures encore, Aelle ?! »

J'en ai rien à foutre. Je n'arrive pas à la regarder, Krissel. Mes yeux se baladent sur ce Monstre de corps.
De sa bouche que je distingue à peine à son crâne brun. J’te *J’te*
De ses petites jambes à douceur de sa peau brune. *dé*
De son nez à ses mains qui pendent. teste *teste*
Elle tient sa baguette dans ses mains. Elle s’y accroche comme si elle connaissait son importance. Sans savoir que je vois et que je sais ; je sais que rien n’est important. De moi à sa baguette, rien n’a d’importance pour cette Charlie Re… Charlie.
La bile m'envahit la bouche. Si seulement je pouvais vomir ; cela m'arracherait à sa vue.

« Aelle, qu'est-c'que t'as ? »

Sa peau sur la mienne m'arrache de Charlie. Une douleur explose dans mes poumons et ma vision se brouille quand je descends mon regard sur la main de Krissel posée sur mon bras. Je la regarde, la bouche béate et l'esprit fuyard. Ma respiration est sifflante. Je reprends violemment mon bras sans prendre la peine de mater la face flippée de Grewger.
*Disparaît pas !*. Mon cœur bondit, je jette mon regard sur le terrain en contrebas, je fouille le stade. Mes poumons comprimés me font mal mais j'en ai rien à foutre. Mon corps pourrait mourir dans l'instant que je vivrais l'éternité pour continuer à la regarder.

Je tombe sur Elle. Pourquoi je ne ressens rien ? Pourquoi n’ai-je pas mal au cœur ? Pas aussi mal que je le voudrais ? Si seulement je pouvais m’effondrer en hurlant, m’arracher le coeur de mes griffes de haine. Pourquoi je ne me lève pas pour crier ma douleur ? Merde, elle m'a tellement hanté… A-t-elle aspiré la torture qu'elle m'a infligé ? Je veux être en colère ! *Reste juste là…*. Merlin, je veux sentir mon visage se tordre, pas se diluer sous mes larmes ! *J'vais juste rester là*. Je veux crever comme la dernière fois avec la fille-Fermée, crever de tristesse. *Te r'garder*.

« ...ele ? »

Mon corps est mort. Je ne sens que mon cœur et mes poumons. Le reste est mort. Mes fesses, insensibles. Mon crâne, invisible. Mes frissons, impassibles. Je ne ressens que mes yeux et cette vague humide qui me chatouille le fond de l'être. Elle barbotte au fond de mon corps, elle me fait tanguer doucement. Je suis triste et ma tristesse n'est pas un monstre. Non, c'est une mer qui prend toute la place.

« Ely, j'sais que tu m'entends. Tu peux pas toujours faire comme si j'existais pas, tu sais ? »

Je cligne des yeux.
J'ai perdu Charlie.
Je me tourne vers Grewger. Elle a de grands yeux qui me fouillent l'âme. J'aimerais la prévenir : tu ne vas rien trouver. Il n'y a que la Mer qui chatouille, mais je m'en fous qu'elle ne trouve rien. Elle m'agite sous les yeux son épée de bois. Je regarde la garde et mû par l'urgence de son regard et le gouffre de mon coeur je tends la main pour la serrer dans mon poing.

« C'est pas qu'une arme pour tuer, me chante Krissel de sa voix affaiblie par la distance qui sépare son monde du mien. Ça donne la force. Ah ! toi t'as pas b'soin de force, Aelle. Mais ça fait du bien de l'avoir dans les mains, parfois. Puis Papa me disait la dernière fois qu'avec cette épée en main j'étais certainement la… »

Mes yeux sont attirés par le terrain. Je tombe directement sur Elle et la Mer m'envoie une vague salée en pleine gueule : elle renverse mon âme. Je vacille à l'intérieur de moi. Je serre fort la garde de l'épée de Krissel dans mon poing que je ramène contre mon buste. La vague monte dans ma gorge qu'elle noue douloureusement puis dans mon nez qu'elle fait couler. Je suis en train de me diluer. *’tain*. Ça fait mal d'être là. J'ai mal de la regarder. Mais je me sens enfin à ma place.

Je monte mes genoux que le banc et je me sers contre eux. Je les soude à ma poitrine. J'écrase mon corps. Je me roule en boule pour tuer la Mer qui s'agite. La pointe de l'épée caresse mes joues. Et là-bas, tout en bas, elle ne me voit pas. Elle ne me voit pas.
*S'te plaît, r'garde moi*.
Pourquoi faire ? Hein ? L'Aveugle est là. Elle ne voit qu'elle.
*J'suis là !*.
Elle aussi est là. Mais pas avec moi.
*Charlie*.
Elle a oublié mon prénom. Je ne sais pas pourquoi cette évidence me saute à la gueule maintenant, mais elle le fait. Elle m'a totalement oublié, c'est obligé. Je suis totalement seule, c'est obligé.

Un sanglot me déchire la bouche. Je plaque mes lèvres sur mes genoux pour étouffer le bruit ; l’enfermer tout au fond de mon être.
Mes pleurs enfermés, mes yeux débordent. J’ai un trou dans mon coeur qui prend toute la place. Il grossit lentement, se referme sur moi, me prend dans ses bras et ne me lâche plus. Je me sens déborder de tous les côtés. De mes yeux qui coulent pitoyablement à ma bouche qui bave pour ne pas laisser partir mon sanglot ; jusqu’à mes épaules qui tressautent sous le force du trou.

Je veux que Narym soit là. Par Merlin, j’aimerais tellement qu’il soit près de moi. Son regard miel me ferait permuter. Je n’aurai plus à subir la scène qui se joue devant mes yeux.
Je n’aurai plus à être coincé sur la Lande.

Sur cette Lande, il n’y a que moi. Moi et Charlie.
Le dessin du monde s’est effacé pour m’enfermer dans sa prison d'inexistence. Les Autres sont partis, aspirés par mon trou, me laissant seul avec cette Chose qui me tue. Loewy et son compagnon d’arme, les Chinois et leur face sérieuse, Krissel et son épée de bois, le terrain, les arbres au loin, le ciel plein de nuages. Il ne reste plus rien sur cette Lande, si ce n’est mon corps recroquevillé et la figurine de Charlie.

Charlie s’agite. Je braque mon regard sur elle et je retiens ma respiration.  Puis elle s’effondre. *Qu’est-ce que…*
Le monde revient brutalement.
J’ouvre la bouche pour crier mais elle crie avant moi. L’Aveugle.

Je la regarde ;  mon âme reste attachée à la Charlie-qui-ne-bouge-plus.

Merlin, mais arrête, hurle ma tête, arrête de crier ! *Charlie !*. Elle va crever, ferme ta gueule !

L’angoisse m’enserre la gorge, petit monstre perfide qui fait taire mes larmes et qui s’accroche à ma bouche ouverte.

Puis le terrain disparaît sous la coupe d’un dôme noir et Charlie, tout au fond de moi, gémit de douleur.


Dernière modification par Aelle Bristyle le 30 oct. 2019, 17:44, modifié 1 fois.

20 mars 2019, 17:27
A trois, il n'y aurait rien
Après l’Épreuve


Un coup d’épaule me jette sur la droite. Je me sens tomber. Je brandis mon bras vers l’avant ; à ma plus grande horreur il s’enfonce dans les côtes d’un grand mec. Je m’agrippe tant bien que mal à son tee-shirt et tente de m’éloigner de lui. Mais la foule est telle que je trébuche et me retrouve le nez dans les poils de son bras. Je grimace. Je n’ai aucun effort à faire pour m’éloigner de lui : l’homme me repousse facilement et me passe devant en me jetant à peine un regard. Celui-là, c’est le genre qui avance sans ralentir. Je reste dans son sillage. Il est grand, mais pas autant que Zakary.

Je baisse la tête pour ne pas voir les Autres. Je regarde mes pieds pour ne pas trébucher. Mais surtout, je cache mes yeux parce que j’ai honte du picotement que j’y sens. Je marche à petits pas, le nez collé à l’ombre de mon bélier ; l’homme. Il se fraie un passage dans la foule et je le suis avec simplicité. Je me sens étouffer parmi tous ces Autres. Comme s’ils me tenaient tous dans la poigne de leur main et qu’ils serraient, serraient encore pour m’étouffer. C’est comme cela que je me sens ; parce que ma gorge est gonflée et qu’elle me fait mal. Et mon esprit est paumé et que je n’arrive même pas à être horrifiée par la foule. Je fais partie d’elle, elle m’ingère. Un mal de tête lancinant me frappe le crâne. Je me concentre sur lui, à peine consciente que le flot me mène loin du terrain de Quidditch.
J’ai abandonné Krissel sur les bancs des tribunes. Elle avait un air si ébahi sur le visage qu’elle ne m’a sans doute pas vu partir. Surexcitée, elle battait des mains et hochait vigoureusement la tête, comme pour dire : oui, c’était très bon ! Très beau spectacle ! J’ai gardé son épée, je n’ai même pas pensé à lui rendre.
Je dois m’éloigner d’ici. Vite. S’il-vous-plaît.

La foule s’éloigne de la lande où s’est déroulée la Troisième Tâche. Elle se dilue peu à peu dans le parc et bientôt je peux quitter l’ombre de l’homme et sa démarche furieuse. Je m’éloigne des Autres, je trébuche dans l’herbe, je force sur mes jambes pour aller plus vite. Quand la foule se désintègre, quand les élèves ne sont plus que des moutons dispersés dans le parc, j’allonge ma foulée. Je marche vite et mes poumons me font mal ; cependant moins que mon  me. J’arrive dans l’ombre des portes du château quand mon souffle se décide à totalement me quitter : je m’arrête, les mains sur les genoux pour me soutenir. Mes poumons hurlent leur douleur, mais ce n’est pas dû à l’effort physique. Non, cette douleur-là va de paire avec la chaleur qui pulse dans mon crâne et les tremblements de mes jambes. Les larmes m’envahissent les yeux sans prévenir et la terre que je regarde éperdument se floute. *’erlin…*. Je me redresse tant bien que mal et cours comme je peux à l’intérieur du hall.

Mes pas résonnent dans la bâtisse vide. Ils m’implantent dans l’instant et j’y vois un peu plus clairement. Je cligne brutalement des yeux et des gouttes salées tombent sur mes lèvres. Je me précipite sur le côté du hall et m’effondre à moitié sur la porte qui mène au couloir des Poufsouffles. Ce dernier est vide et cela me rassure ; par Merlin, je ne parviens à contrôler ni mes larmes, ni les sanglots qui manquent de s’élever dans l’air. Je suis une enfant. Je suis une gamine qui chiale sans raison. C’est ce que je suis, n’est-ce pas ? Je suis bien trop d’accord avec ce point pour éloigner la honte qui m’envahit.
Tu veux rater ta vie comme elle ?
T’aurais mieux fait de rester chez toi.

La honte, écrasante, qui me fait me sentir pitoyable. Je suis pitoyable et, par Merlin, je m’en fous de la plus belle des manières. Comment faire autrement après ça, hein ?

Je frappe les tonneaux et m’engouffre dans le passage. Je ne regarde même pas le salon ; je me jette vers les dortoirs et rentre dans le mien en laissant la porte claquer derrière moi. Là, le silence. Ma respiration est une insulte à la paix qui règne ici. Mais elle ne veut rien dire, cette paix. Moi, j’ai mal. Merlin, j’ai mal et je veux crier. Mais je n’y arrive pas, alors je cours vers mon lit et arrache la couverture du matelas. Mes pleurs redoublent d’intensité ; ici, personne ne peut m’entendre. Alors je me mets à chialer comme l’enfant que je suis et ma bouche se tord pour faire sortir mes sanglots. Je geins comme une bête en souffrance. Je dégage mes sandales, me défait violemment de ma cape qui tombe au sol. Je tremble de tous mes membres. J’enlève ma robe d'écolière ; dessous, ma peau nue. Mes sanglots me déchirent la poitrine, mes larmes roulent le long de mes joues, mes yeux se plissent. Je monte dans mon lit lentement, je me sens si faible. Je tire les rideaux autour de moi puis, enfin, je rabats la couette au dessus de ma tête.

L’obscurité m’envahit. Je gigote jusqu’à parvenir à me rouler en boule ; j’attrape Calmar sous mon oreiller et l’enferme dans la prison de mes bras. J’enroule mes doigts autour d’une de ses tentacules et je ferme les yeux le plus fort possible.

Peu à peu, mes sanglots s’apaisent. Je finis par me taire, puis mes larmes cessent de couler.

La chaleur s’invite doucement contre mon corps. Mon dos moite me gratte et mes jambes me tirent. Je me recroqueville encore, autant que possible. Calmar m’empêche d’être la boule inexistante que je veux être, mais je ne le dégage pas. Non, je reste ainsi.
A l’abri sous ma couette.
Seule.
Loin de Charlie.
Lentement, mes pensées retrouvent leur place dans ma tête. Timide, je me laisse aller à rejouer la scène de l’apparition de Charlie. Mon coeur bat à peine durant l’entreprise. Je la regarde de loin. Mon coeur bat à peine, mais la mer de ma tristesse est toujours là. Mes yeux me piquent, se noient de larmes qui coulent contre le matelas. Je ne les arrête pas.

Pour la première fois depuis ce qui me semble une éternité je me laisse à penser à la petite fille que j’ai vu sur ce terrain. C’est exactement la même que j’ai rencontré en première année, et pourtant…
*C’est la même !*.
Celle qui a gueulé et qui a brisé sa baguette ?
Ou celle qui t’a proposé de vous retrouver dans les sous-sols ?
*C’est la même…*.
Et pourtant, elle n’est rien du tout. Rien. Rien.
Absolument rien.
Je ne sais ni ce qu’elle est, ni ce qu’elle veut ; Krissel est plus importante qu’elle. Non ! Non, c’est faux. Mon coeur rate un battement. Charlie est comme personne. Et elle n’est certainement pas moins que Grewger, mais je suis forcé d’admettre que je ne la connais pas. Et que je n’ai pas envie de la connaître. Et que je souhaite éperdument qu’elle me regarde comme elle l’a fait dans le passé.

Je plonge la tête contre le corps pelucheux de Calmar et frotte mon nez contre sa surface. C’est une fille que je ne connais pas et qui ne se rappelle même pas de moi qui me manque ; je sais que c’est une douleur destinée à disparaître alors je me laisse aller dans mes souvenirs. Je me laisse aller à la voir, encore et encore, avec sa frimousse brune et ses yeux verts. Je me plonge dans mon coeur languissant. La tristesse est une couverture épaisse. Elle se pose sur mon esprit et m’enveloppe tendrement. Je me glisse dans son étreinte et je finis par ne plus sentir les larmes qui coulent de mes yeux, ni le manque que je ressens dans mon coeur.

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