Un œil bleu. Bleu comme un océan. Grand ouvert. Qui fixe, qui guette, qui examine.
Un autre œil. Toujours de la couleur de l'océan. Qui rejoint l'autre dans son observation.
Un nez, des lèvres, une frange désordonnée. Qui apparaissent tous trois dans l'encadrement de la porte entrouverte, au-dessus, ou en dessous des deux yeux qui continuent leur examen attentif du moindre recoin.
Une main s'ajoute. Pâle, pleine de cicatrices. Un vernis noir écaillé. Elle se pose doucement sur la porte, appuie.
Et Elle, Elle entière jaillit dans la pièce, toute en peau pâle, yeux bleus, cheveux noirs ébouriffés, t-shirt Jimi Hendrix, jean troué et tennis usées.

Elle s'avance, elle furette d'un mur à l'autre, d'un coin à l'autre, sans ordre aucun, sautillant tantôt, courant l'instant d'après. Sa tête se penche, elle est intriguée. Elle pose avec révérence son index sur l'un des murs et entreprend de tracer une ligne à mesure qu'elle s'avance, conquérante.
Elle n'est pas censée pouvoir rejoindre la chorale avant la rentrée prochaine, mais rien ne l'empêche d'aller examiner de plus près l'endroit où elle passera sans doute une grande partie de son temps dans quelques mois à peine. Son regard se pose sur chaque élément, avant qu'une sorte de sourire béat ne naquisse sur ses lèvres. Son doigt quitte le mur alors qu'elle virevolte pour aller zieuter l'autre côté de la salle.
Elle chantonne, teste la résonnance en augmentant peu à peu le volume, jusqu'à ce que sa voix grave et rauque emplisse la pièce. Le son est parfait, superbe. Pas sa voix, qui n'est pas la plus extraordinaire du monde, quoique jolie quand elle s'en donne la peine, plutôt la vibration que l'endroit donne à son timbre. C'est léger, mais elle l'entend. L'adolescente se met à rire, joyeuse, avant de bondir et de chanter plus fort, en tournoyant comme une toupie, jusqu'à ce que le tournis la fasse tomber par terre. Elle attend près d'une minute que ses vertiges disparaissent avant de se lever en tanguant un peu. Se prend les pieds dans le vide, ré-atterrit sur les fesses.
La deuxième année pousse un grognement, avant de se relever une nouvelle fois avec force jurons et protestations. Finalement, elle finit par s'asseoir, encore. Cette fois volontairement. De toute manière, elle n'est pas pressée, alors autant rester là, puisque le mauvais sort semble l'avoir décidé. Enfin, mauvais sort, mauvais sort, faut pas exagérer non plus, hein. Elle n'est juste pas douée. Ou ce n'est pas son jour. Mais ça n'a rien à voir avec la chance. C'est le hasard, point. Qu'on me parle pas de ces histoires de malchance. Elle n'y croit pas, et n'a clairement pas envie d'y croire, point final. C'est juste des bêtises.

Elle croise les bras. C'est le silence. Total, pesant. Elle n'a plus envie de chanter et rien d'autre pour le combler. Peut-être pourrait-elle parler ? Mais que se dirait elle à voix haute ? Bah, ce que je pense. Non. Elle est déjà un peu beaucoup, tu veux dire frappadingue, inutile d'en rajouter.
Peut-être pourrait-elle mettre de la musique ? Mais son baladeur ne fonctionnera pas dans l'école et elle ne veut pas écouter de la musique classique.

—Ça manque de chansons moldues, ici !

Elle aurait bien aimé un vieux rock. Quelque chose qui swingue. Qui amène la bonne humeur. Radar Love, par exemple. Ça, elle aimerait bien. Ou même des trucs qui swinguent moins. Tant que c'est de la bonne musique, elle ne dit non à rien, elle n'est pas une chipoteuse, hein. Mais puisque de toute façon, chipoteuse ou non il n'y a rien d'intéressant à écouter, elle ne va pas se torturer l'esprit avec ça. Elle pousse un soupir tragique. Elle espère bien que pour la rentrée prochaine, il y aura des choix intéressants. Elle aime bien Poudlard, mais la musique de chez elle lui manque beaucoup. Elle peut la chanter tant qu'elle veut, rien ne pourrait égaler ce qu’elle ressent quand elle l'a dans les oreilles. Nouveau soupir.

—Pourquoi y a pas de chansons moldues, merde ? crie-t-elle.

La gryffonne se doute bien que personne ne va lui répondre, mais tant pis. Frustrée, elle donne un grand coup dans le sol avec son poing. Elle le secoue ensuite en grimaçant, le seouant dans tous les sens. Ce n'était pas l'idée la plus maligne qu'elle ait pu avoir. En même temps, les bonnes idées viennent souvent avec les bonnes musiques, HEIN ? Elle s'énerve pour pas grand-chose, mais tant pis. De toute façon, qu'est-ce qu'elle pourrait faire de mieux ? Aller manger, par exemple ? Elle n'a pas faim. Bon bah... rester assise là comme une grosse débile, alors.

Marcher. Malya n'avait pas faim. Elle déambulait entre les étages, dans les couloirs. Une chose interdite à la pension, naturelle à Poudlard. Son oncle aurait donné n'importe quoi pour la surprendre à enfreindre une telle règle. Sourire. Le directeur de la pension n'avait plus aucune emprise sur elle. Il ne se souvenait plus de rien. Il appartenait au passé. De toute façon, la pension appartenait au passé. Les points d'interrogation ne lui plaisaient toujours pas, mais... elle ferait avec. Elle haussa les épaules à cette pensée. La fin de l'année approchait, elle commençait à réviser de plus en plus sérieusement, mais certaines matières ne l'attiraient plus du tout. Tant pis pour les examens, au pire. La vie, ce n'était pas que des notes. Il fallait avancer pour ne pas perdre l’équilibre.

Droit devant soi.
Tout droit, elle était au quatrième étage. Il y avait cette entrée, là, cette salle de Bal ravagée à Halloween. Peut-être aurait-elle compris quelque chose à ce qui s’était passé ce soir-là si elle avait su ce qui se passait dans le monde qui l’entourait.
Mais peu importait, désormais. Cela aussi appartenait au passé.
Le présent, lui, était en face d’elle. Visiblement, il était représenté par les portes de la salle de répétition.

Une voix. Un cri. Colère. Frustration. Voilà ce qui s’échappait de cette salle.
Des grossièretés, même.
Moldues. Quel horrible mot.

Entrer complètement. Sans regarder.
Peu importait qui. Peu importait pourquoi.
Répondre.

- Parce qu’on est chez les sorciers, ici. Et qu’on n’a pas besoin d’eux.
Tout simplement.
Regard perdu dans le vide. Les moldus, on n'avait pas besoin d’eux. Pourquoi s’encombrait-on de ces êtres ?
Et pourquoi Malya n’avait-elle jamais posé la question de la sorte ?

Une voix. Qui parle, lui parle. Une voix dont les mots, pendant un instant, lui font penser à La Voix. C'est tout à fait le genre de chose que cette Tourmenteuse lui aurait dite. Les quelques secondes qui suivent sont les plus longues de sa vie. Elle est partie, elle est partie définitivement. À moins qu'elle ne soit revenue ? Que ces mois de répit n'aient été qu'une brève accalmie ? Que nouveau, elle se sentira folle, dérangée, instable, mauvaise ? Elle sent les larmes monter, elle sait qu'elle va craquer. Soudain, son cerveau reprend le dessus sur ses émotions. Le timbre est différent. Et ne résonne pas dans sa tête mais dans la pièce. Qu'est-ce que..? Elle se retourne. Une fille. Brune. Peut-être plus jeune. Elle ne l'a pas sentie arriver. Cette fille est passée à travers son détecteur de présence sans que celui-ci ne se déclenche. À ce moment précis, c'est plus cette singularité que les mots prononcés qui réussit à l'interpeller. Je crois que j'ai un problème. Elle doit être malade. Très malade. La jeune fille doit aller à l'infirmerie de toute urgence.
Avant qu'elle ait pu bouger pour se précipiter à l'infirmerie, elle assimile ce que la fille lui a lancé. Mon cerveau est à l'ouest, aujourd'hui. Sa caboche va à deux à l'heure.

—Pardon ?

Certes, elle est dans une école de sorciers, il est donc plutôt logique qu'il n'y ait pas de musique moldue. En théorie. Si la communauté sorcière à de bons musiciens — qu'elle prend toujours plaisir à écouter — elle trouve les chansons des sans-pouvoirs... absolument géniales. Merveilleuses. Même certains morceaux de rap arrivent à la transporter. Il lui semble donc logique de pouvoir, à Poudlard, écouter des chansons moldues. Quand c'est bon, c'est bon. Y a pas à réfléchir sur l'appartenance de la chanson.
Et puis «On a pas besoin d'eux» ? Elle n'est pas d'accord. "Eux" ont de très bonnes inventions. Les bus, par exemple. Et quel est l'un des moyens de transport le plus utilisé chez les sorciers ? Le Magicobus. Et bim, dans les dents !

—Ils font de supers pizzas, quand même.

L'argument imparable. Elle va juste me prendre pour une débile. Peut-être pas. Peut-être qu'elle aussi elle adore les pizzas et qu'elle va se rendre compte de l'absurdité de ce qu'elle a dit. On y croit...
Elle contemple l'autre en se demandant si la remarque anti-moldus qu'elle a faite veut dire qu'elle est vraiment contre eux. Parce qu'on peut être un peu sec parce qu'on de mauvaise humeur par exemple, sans le penser réellement. En tout cas, ça l'arrangerait bien de savoir. Comme ça, si c'est une anti, je n'hésite pas à être méchante. La deuxième année est devenue gentille, sympa, cool et tout et tout, mais elle peut encore être une vraie teigne sur certains sujets. Celui-là en particulier. Rien que de l'évoquer, la brunette sent une colère sourde s'emparer d'elle et elle doit lutter pour que celle-ci ne l'envahisse pas complètement. Comme avec La Voix, tiens !

Heureusement que je sais qu'on est à Poudlard.
Les pizzas ? Sérieusement ? C'était son seul argument ? On n'allait pas discuter longtemps sur la nourriture moldue, ce n'était pas un thème assez intéressant pour animer une conversation de plus de cinq minutes.
Puis la pizza, quoi. Ce truc comestible qui servait à balancer de la sauce tomate sur les autres, ou faudrait-il dire, le truc immonde qui permettait aux moldus d'envoyer de la sauce tomate sur Malya. Longue vie à la pension. Longue vie la cantine. Longue vie aux moldus.

Non mais elle se prend pour qui, pour les défendre comme ça ?
Parce que lorsque Malya se sentait attaquée dans ses idéologies - incontestables puisque soutenues par ses augustes géniteurs -, il fallait bien qu'un complot fût à l'origine du rien qui créât le tout. Il s'agissait donc d'une attaque mûrement réfléchie, visant à déstabiliser la Malya fragile qui passait les lourdes portes des salles de classe moldues.

- J'aime pas la pizza. Toute façon, c'est trop moldu. J'aime pas ce qui est moldu.

Elle se retint d'ajouter le J'aime pas les moldus. qui lui brûlait les lèvres. De toute façon, la LAM, ç'avait été un secret de Polichinelle, non ? Pas une nouveauté, Malya qui haïssait les moldus. Depuis quand le cachait-elle ?
Depuis jamais. Qu'elle me le demande, je lui dirai.

La Malya d'avant aurait dit "Oui, c'est bon les pizzas...". Parce qu'elle l'aurait dit à Chan. Chan était parti. Et la Malya d'avant aussi.

Cette fille n'aime pas ce qui est moldu. C'est ce qu'elle a dit. Pas besoin d'être un petit génie pour comprendre ce que ça veut réellement dire : c'est assez explicite. Elle aime pas les moldus tout court. Et la pizza. La deuxième année ne sait pas ce qui la révolte le plus. Nan mais sérieux, qui aime pas la pizza ? Personne, car c'est carrément impossible. Il y a tellement de sortes de pizzas qu'il est obligatoire que l'une d'elle nous plaise, même si on est difficile. Ou alors, c'est une psychopathe. Y a que les psychopathes qui aiment pas ça. Ou pas, parce que dans les films, même les fêlés du ciboulot en mangent, alors... Alors elle a vraiment de graves problèmes mentaux.
Et en plus, elle est anti-moldu. Décidément, cette première année est tout ce que la rouge et or déteste. Elle n'a désormais plus aucune raison d'être gentille avec elle. Elle peut la pourrir sans aucuns scrupules. Mais elle ne le fait pas. Parce que si il y a bagarre ou insultes et que les profs arrivent, ce sera elle la coupable parce qu'elle aura initié le conflit. Super injuste, mais c'est comme ça.

—Et pourquoi t'aimes pas tout ce qui est moldu ?

Peut-être que c'est une de ces Sang-Purs consanguins complètement obnubilés par la pureté de sang. Sachant qu'il n'existe pas de familles n'ayant pas au moins un moldu dans ses ancêtres... La sienne, par exemple. Si jusqu'à ses arrières-arrières-arrières-grands-parents les Bailey n'ont aucun moldus dans leur arbre généalogique — et par à cause de la pureté de sang, simplement pour ne pas trahir le secret de leur nature magique, par exemple — la rouge et or peut au moins en citer deux. Et la petite amie de son cousin est née-moldue. Bon, après c'est sûr que c'est plus facile de se marier avec des personnes que l'on a plus l'habitude de côtoyer, n'empêche que l'inverse est possible et elle considère ça comme naturel. Il y a évidemment des mauvaises personnes chez les moldus, mais c'est pareil chez nous. Et puis, elle adore leurs inventions. Et leur cuisine. Surtout la cuisine. Venant d'une grande mangeuse comme elle, ce n'est pas étonnant.
Elle se mordille la lèvre en imaginant tous les plats devant elle. Ça lui donne un peu faim, d'y penser. Faudrait que j'arrête. Oui, faudrait. Sauf que c'est vraiment difficile.
T'as une anti-moldus en face de toi, rappelle-toi. Ça lui coupe aussitôt son appétit et elle se renfrogne. Elle ne va se laisser aller ainsi face à l'une de ces horribles personnes. De ces adeptes d'Ursula Parkinson. Ce nom la fait se hérisser aussitôt. Elle serre les dents tandis que la haine l'envahit. Contre Parkinson, contre cette fille qui partage surement ses idéaux. J'ai envie de la cogner. La brunette ne sait pas comment elle parvient à se contenir. En tout cas, elle ferme très fort les poings et ses ongles s'enfoncent si profondément dans ses paumes qu'elle se demande si ça ne va pas saigner. Si la jeune fille essaie de garder une expression neutre pour ne pas montrer sa faiblesse, elle n'arrive néanmoins pas à effacer totalement la tension qui règne en elle. Ça doit se lire sur ses traits pour peu que l'on y fasse attention, mais elle n'y peut pas grand chose.