Inscription
Connexion

25 mai 2018, 13:23
Timbre de Cristal  Solo 
Avril 2043 – Vacances scolaires
Librairie le Dôme Libre – Chemin de Traverse
2ème année


Les cris aux alentours. Les doigts qui me frôlent et les bras qui me poussent. Je ressens chaque contacts avec une extrême sensibilité ; chacun d'eux fait chavirer mon cœur avec une telle force que mes jambes en tremblent. Les rires me font frémir et les paroles courber la nuque. J'ai peur de laisser se dessiner sur mes lèvres l'esquisse d'un éclat que je ne veux pas ressentir.

Dans la grande rue pavée, Aodren éclate de rire et bouscule Zakary. Son bras frôle ma peau, me donne envie de me décaler. Je ne bouge pas, me contentant de harasser Ao' de mon regard noir. Plus que tous les autres je veux, lui, le perforer de mes yeux jusqu'à voir un trou béant laisser tomber son cœur sur les pavés. Ainsi, je n'aurai plus à supporter son ton de Celui-qui-partage-mon-Secret. Il ne sait rien de rien. Rien du tout.

Narym se jette sur la porte et nous l'ouvre d'un geste théâtral. Je lance un regard absent à la devanture en verre emplie de rayonnages pour ne pas être tenté de lever les yeux au ciel. Je passe en dernière, après Natanaël. Lorsque j'arrive près de lui, Narym me fait un clin d’œil complice. Je lui réponds par un grognement.
Revenir ici me fatigue. Une torpeur sans nom se dépose sur mes épaules, remonte sur ma nuque et  me couvre la tête de son voile glacé. Sans vie, mon regard dérive vers la petite pièce derrière le comptoir. A l'agonie, mes yeux ne peuvent briller ni de colère ni de tristesse. Mes sourcils, eux, se froncent à la vue de la table en bois qui apparait dans l'entrebâillement de la porte de l'arrière-boutique. J'avais pris plaisir à partir en la laissant couverte de toute sorte de débris inutiles, vendredi dernier. Aujourd'hui, la voir ainsi ne me donne aucun plaisir : je préférerai ne pas la voir du tout.

Cela me tombe dessus sans prévenir. Mon souffle se coupe et mon visage se tord : je veux quitter cet endroit qui sent comme la Maison. Le Dôme Libre était ma forêt sans la Maison. Mon repère, mon calme, mon souffle. Ce lieu de Savoir était ce qui m'avait forgé, c'était mon cœur battant. Aujourd'hui, je le regarde et je ne vois plus rien. Ou peut-être est-ce parce que je vois trop : Papa derrière son comptoir, les rayonnages bordéliques – toujours les mêmes –, les livres dans lesquels je peux piocher. Même le bocal à brume me rebute : je suis tenté de le fracasser par terre pour le lui montrer. Ses volutes me donnent mal à la tête.

Le soupir au cœur, je me détourne de ce tableau ennuyeux pour lancer un regard morne à l'extérieur. Les paroles de mes frères et de mon père m'habitent le crâne et m'empêchent de m'évader. La boutique compte peu de client, ma famille se permet donc de parler comme si nous nous trouvions dans notre salon.

« Depuis quand tu me réclames des bouquins, Ao' ? » demande Papa.

Cette fois-ci, je ne résiste pas : je lève les yeux au ciel, je soupire et ne tenant plus, je lance même un regard fébrile de colère au Faux Grand Con qu'est Aodren. Ce dernier se pavane devant Papa et 'Naël, ébouriffant ses cheveux en secouant la tête, les yeux étincelants de toute la connerie qui l'habite.

« Depuis qu'il bave devant les Chinois, » lancé-je d'une voix goguenarde.

Zakary éclate de son rire horripilant et malgré les frissons qui courent dans mon dos, je ricane nerveusement en évitant son regard. Mon cœur s'est mis à battre furieusement dans ma poitrine.
Aodren, lui, ne rigole pas. Sa tête est toute froissée, elle me donne envie de rire : un long sourire s'installe sur mes lèvres sèches.

« Il a raison d'être fasciné, clame Papa en farfouillant dans ses étagères. C'est le point de départ de toute passion. »

Je hausse les épaules sans me départir de mon sourire. Sur la bibliothèque me fait face un ouvrage à la couverture dorée. Je triture l'un des coins avant de l'ouvrir paresseusement à sa moitié.

« Mieux vaut les admirer que les insulter, les Chinois ! » me lance Aodren qui s'est rapproché de moi.

« Chacun ses préférences, » lui dis-je du ton le plus méprisant que je puisse trouver, sans même le regarder.

Mes doigts se crispent sur le livre. Le souvenir du Chinois, de l'estrade et de Loewy est encore bouillant dans mon cœur.

« Aodren, Aelle. »

Papa. Sa voix est froide et puissante. Je frissonne malgré moi.

« Si vous êtes venus pour vous disputer, vous pouvez rentrer à la maison. »

Je me renfrogne et jette un regard à l'Abruti. Il s'excuse bien malgré lui, un air boudeur sur le visage. Puisque je n'ai pas l'intention de lui ressembler, je me détourne en emportant le livre. Papa se tourne vers moi ; je le sens à son regard qui me perfore le dos.

« Tu sais Ely, les étrangers sont très susceptibles, alors tu ne devrais pas t'en faire. »

La voix qui flotte près de mon oreille n'est pas celle de Papa. Elle est grave et profonde. Elle me fait frémir.
Zakary.
Je me tourne vers lui. Merlin, sa hauteur me fait pâlir ; je plie ma nuque pour le regarder, mes yeux se perdent dans ses boucles noires. Pas dans ses yeux, il ne le mérite pas.

Je tremble dans mon cœur figé et j'en suis livide. Je ne veux pas avoir peur de lui et pourtant, mon cœur n'en peut plus de battre. Sa hauteur me fait perdre la tête.
Quelque part dans mon monde en suspens, une porte disparaît dans un bruissement strident. Des clients arrivent. La porte disparait toujours quand les clients veulent l'ouvrir ; étrangement, elle ne fait jamais le coup à Papa. 

Je sursaute et me retourne. Le sort est brisé, je peux bouger. Je ramène mes bras contre moi en observant Papa se jeter sur les clients penauds face au vide de la porte qui vient de disparaître. Les portes de Papa sont toutes jalouses.

Je m'éloigne rapidement de Zak', effrayée à l'idée qu'il me parle encore. Je me réfugie près des clients, faisant mine d'observer les rayonnages.
Le livre doré serré contre mon cœur, j'entends encore sa voix dans mon crâne.

J'aimerai être en colère, mais je ne parviens qu'à être effrayée.

Premier post réservé.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 15 avr. 2019, 10:31, modifié 3 fois.

06 juin 2018, 01:29
Timbre de Cristal  Solo 
Deux jours.
Plus que deux petits jours avant de devoir rentrer à Poudlard. Bien sûr, Alexander était ravi de revoir tous ses amis ... Mais pour le reste, c'était une école comme les autres, avec son lot de cours interminables, de devoirs fastidieux et, pour son propre cas, de soirées passées en retenue. En même temps, ce n'était pas facile de se hisser à la hauteur de Juliet et Ruby : les deux, légitimement réparties à Serdaigle, étaient excellentes. Et bien que ce ne soit pas par manque de volonté, Alex ne parvenait pas à suivre le rythme scolaire. Il obtenait tout juste des notes suffisantes - hormis en vol où il faisait montre d'un certain talent, apprécié par le professeur - et même malgré le soutien de ses camarades, rester enfermé dans une salle plus d'une demi-heure était pour lui un supplice, une entrave à sa liberté.

Ces quelques jours de vacances avaient été pour lui une véritable bouffée d'air frais. Il avait retrouvé son chez-lui pour la première fois depuis la rentrée de septembre ... Et avec tout le confort que pouvait lui offrir le château, il n'y serait jamais aussi à l'aise que là-bas, à Aberdeen. Les premiers jours de vacances avaient été difficiles pour lui : ses parents, plus inquiets pour son avenir que franchement énervés, ne cessaient de lui répéter que les études étaient importantes et que le retard accumulé dès la première année se paierait très cher plus tard. Ruby se rangeait plutôt de son côté, cherchant à modérer le discours de leurs parents, mais quand vint le sujet de la discipline, elle était à cours d'arguments. Mais une fois passées les remontrances, le doux soleil printanier offrit à Alex de belles après-midi occupées à voler avec ses frères et soeurs dans le jardin de la propriété.

Ayant prévu de retrouver des amis à Londres le dernier week end avant de retourner à Poudlard, le garçon avait effectué le voyage avec ses deux grandes soeurs, laissant ses parents en Écosse. Tandis que Juliet préférait rester travailler au Chaudron Baveur, Alex et Ruby (qui avait d'ailleurs la quasi-certitude que leur aînée ne bossait pas toute seule, mais avec un garçon de son année) profitèrent d'une journée quasi-estivale, le soleil anglais étant tout de même plus chaud que son cousin écossais, pour se promener sur le Chemin de Traverse. Le magasin de Quidditch était le seul véritable but d'Alex qui pouvait passer des heures à admirer les dernières nouveautés en matière de balais ou d'équipement, mais sa grande soeur insista pour se rendre d'abord dans une librairie. Ils passèrent devant Fleury et Bott mais le magasin était bondé : des affiches sur la vitrine indiquaient qu'une séance de dédicaces se tiendrait tout le week-end, ce qui avait peu d'intérêt pour les deux jeunes sorciers.

"Ce n'est pas grave je connais une autre librairie un peu plus loin : on y va rapidement et après on passera chez Keddle & Leather si tu veux.

En effet, il ne fallut pas deux cent mètres pour tomber sur une boutique qu'Alex n'avait jamais remarqué. En même temps, lui et son amour pour les bouquins ... La vitrine en verre laissait voir l'intégralité du magasin. Des centaines et des centaines de livres étaient "rangés" dans de hautes bibliothèques parallèles, entrecoupées de rayons assez larges pour permettre à plusieurs clients de se balader sans se gêner. Rien qui ne donnât envie au garçon de s'aventurer à l'intérieur. Mais bon, sa soeur franchissait déjà la porte qui émit un petit son de clochette pour prévenir le libraire de l'arrivée ou du départ d'un client. Alex soupira. Au dessus de la porte était écrit en lettres dorées Dôme Libre : "libre", quelle ironie pour un enfant qui considérait la lecture comme un enfermement.

L'intérieur était très lumineux grâce à une immense verrière en guise de plafond, faisant paraître l'espace plus grand qu'il ne l'était. Un homme, probablement le responsable du magasin, se présenta alors à Ruby et Alex. Ce dernier n'entendit qu'à peine la requête de sa grande soeur au libraire, et il ne s'aperçut même pas que celle-ci s'éloignait en suivant son guide jusqu'au rayon qui l'intéressait. Ses sens semblait éteints, son regard se perdait dans le vide. Il commença à déambuler machinalement dans les rayonnages, se demandant quel plaisir les gens pouvaient avoir à consulter les innombrables titres des ouvrages exposés et se dire d'un coup "Oh tiens, celui-là je le lirai bien !". Sans but précis, il marchait d'un pas lent, survolant des yeux des titres qui ne lui inspiraient rien et dont le souvenir s'évanouissait de son esprit quelques secondes à peine après y être entrés. Il hésita à sortir pour attendre sa soeur à l'extérieur de la boutique. Là au moins, il y aurait de la vie, il pourrait regarder les gens, écouter des conversations, ... tandis qu'ici tout était figé, silencieux, triste.

"N'oublies pas Alexander, tu auras beau accumuler autant de connaissances que possible, ce ne sera jamais que la force de ton coeur qui te fera agir : un coeur plein de vertu est supérieur à une tête pleine de science !!"

12 juin 2018, 17:40
Timbre de Cristal  Solo 
Mes oreilles résonnent du battement frénétique de mon coeur. Je le sens frapper mon être jusqu’au plus profond de mon crâne, comme un rythme régulier et entêtant. il m’hypnotise ; il m’entraîne dans une mélodie que je ne veux pas écouter. Et pourtant je ne bouge pas, le coeur qui frappe mon corps, les doigts crispés autour de ce livre dont le titre ne me revient pas. Je ne bouge pas parce qu’en plus de ce rythme qui fait mal, ne veut pas me quitter le son de mon ricanement ; celui que j’ai eu face à Zakary. Il bat en rythme avec mon palpitant et je ne peux faire que cela : rester face à la porte regarder la rue morne et ennuyeuse.

Derrière moi, la boutique s’agite. Les clients suivent Papa et Papa babille des choses inutiles. Je ne me retourne pas mais je me souviens. Je me souviens d’un temps où, enfant, je le suivais de toutes mes petites jambes pour écouter ce qu’il avait à dire. Je ne parlais pas. Jamais. Mais je le suivais et j’aimais l’écouter parler, je le trouvais alors si grand et si passionnant, ce Papa. Je pouvais l’écouter parler des heures et des heures, même s’il ne me parlait pas à moi, j’aimais entendre sa voix Raconter.
Aujourd’hui il raconte et je ne veux pas entendre. Comme tous les jours que j’ai passés ici, j’essaie de ne pas écouter. Je ne sais pas pourquoi.

Mes yeux semblent se fondre dans mon crâne. Ils s'enfoncent parce que je ne les retiens pas. Je ne fais aucun effort pour fixer mon regard alors il se casse. Comme j’aimerai les imiter. Finalement, je me retourne.
Dans la boutique, les livres sont libres. Ils volent de part et d’autre de la pièce, ils décident de leur place dans les rayons ; parfois, ils s’empilent les uns sur les autres et ne veulent plus bouger lorsque Papa veut en attraper un qui est sous la pile. Aujourd'hui, les livres commencent tout juste à se réveiller. Ils aiment lorsqu’il y a du monde, ils sont joyeux. Ils volent et ils piaffent mais ils ne se mettent pas en pile.

Natanaël et Aodren sont tout au bout de la pièce, dans un renfoncement dans lequel se cache des bouquins particulièrement intéressants. Je grogne : comme si l’un d’eux pouvaient s’intéresser à ceux qui se cachent là-bas.

Inconsciemment, mon regard se tourne vers Zakary. Le Grand Con attrape un livre qui vole devant lui et l’ouvre au hasard. Je grimace quand il commence à le lire sans même regarder le titre ; je ne sais pas pourquoi, mais mon sang brûle dans mes veines. Il m’agace. *Lui, il adore ceux de là-bas*, me laissé-je à penser. Mon souffle, comme s’il voulait me faire payer cette pensée idiote, se bloque dans ma gorge et j’émets un drôle de bruit coincé. Le grain de ma peau se hérisse, je ramène mes bras contre moi. J’arrache mon regard du grand corps de Zakary en déposant brutalement le livre dorée sur l’un des rayons. Il prend son envol sur le champ et fonce vers mon frère en battant de toutes ses pages.

J’ai à peine le temps de me jeter dans un autre rayon ; Zakary a levé la tête à l’approche du bouquin tueur et j’espère qu’il ne m’a pas vu. Ces derniers temps, dès qu’il me voit il vient me parler. Je n’en peux plus de sa sale tronche.
Je marche lentement dans le rayon, mes yeux voguant sur les dos des livres sans en retenir le titre. Parfois, un mot me saute au visage alors je m’arrête et je le tourne dans tous les sens. J’essaie de voir s’il a quelque chose à me donner. Pour le moment, aucun d’entre eux n’a été assez fort pour me décider à me saisir de l’un des livres. Je mâche les titres dans mon crâne sans pouvoir m’empêcher d’écouter les À-côtés : la voix passionnée de Papa qui n’en peut plus de s’exprimer, les pas lents mais profonds de Narym qui, comme moi, déambule dans son silence réconfortant. Les rires de ‘Naël et d’Aodren qui me donnent envie de regarder entre deux étagères pour les épier. Mais j’entends surtout le bruit des pages qui se tournent ; Zakary.

Lorsque mon esprit retient le mot porte, je m’arrête et regarde le dos brun du petit livre. Il n’a rien d’intéressant, ce livre. Pourtant, je tends la main pour m’en saisir. Le bout de mes doigts allait goûter à sa couverture mais je les retiens. Une forme, à l’orée de mon regard, m’interpelle plus que ne l’a fait le mot. Je tourne la tête en laissant retomber mon bras.

Au bout de l’allée, il est apparu comme s’il était paumé. Un grand garçon dégingandé à la face toute pâle et à la tignasse emmêlée. Il a le regard vide et la posture de celui qui ne sait pas où il est. Je le regarde de haut en bas puis de bas en haut, essayant de déterminer s’il est une gêne pour ma découverte. Je n’arrive pas à décider si je peux prendre le livre ou si je ne peux pas. Si je le prend et que ce garçon me gêne, je serais frustré. Mais si je ne le prends pas alors que je veux le prendre, même si l’Autre me gêne, je le serais également.

Je jette une grimace agacée au ciel ; Merlin, ne me force pas à penser ! Je grogne en m’appuyant sur l’étagère, le regard charbon toujours braqué sur l’Autre. Soudain, je sais pourquoi il m’a capturé l’esprit : il me rappelle l’autre Grande Perche. Mon coeur rate un battement et je dois me retenir pour ne pas laisser m’échapper un juron. Je ne veux pas penser à cette blonde idiote ! Surtout ne pas laisser mes pensées voler vers elle et vers le Savoir qui a toujours été le sien. Ne pas se laisser envahir.
Malgré toute ma bonne volonté, je sens mon coeur s’affoler ; le même qui vient tout juste de s’apaiser. Je le sens chauffer dans ma poitrine et me rappeler des paroles auxquelles je ne veux pas penser. Mais surtout, je la vois Elle dans son corps à Lui. La Grande Perche et son amie - la Toute Molle. La Toute-Molle et la Grande Perche qui se sont jouées de moi et qui ont joué pour moi.

Je m’avance sans même m’en rendre compte. Un pas vers lui, un pas vers ce souvenir que je n’ai même pas cherché à enfouir. *Qu’est-c’qu’elle fait ?*. La pensée fuse dans mon esprit et détruit toutes les autres. Elle s’impose au milieu de la Molle et de la Perche et les évince. C’est marrant, hein, lorsque l’on pense que ces deux-là la connaissent. Je ne peux pas m’empêcher de ricaner. Un vrai ricanement qui s’échappe de ma bouche et qui vole dans les airs.

*Qu’est-c’tu fais ?*
Charlie.
Je n’arrive toujours pas. Je n’arrive pas encore.  Je fronce les sourcils pour la faire partir, mais elle ne part pas.

15 avr. 2019, 10:33
Timbre de Cristal  Solo 
Elle est une gangrène. Elle s’impose dans tous les versants de mon crâne, sur toutes les faces son visage se dessine et sa voix se fait entendre. Et me voilà à me rappeler, me souvenir de cette soirée durant laquelle elle est apparue. Cette soirée ; la Chinoise Aveugle qui a scandé son prénom. Quand était-ce la dernière fois que j’avais entendu ce prénom ? La dernière fois, c’était Ao’, c’était il y a longtemps ; au travers les rayons, je dirige mon regard noir en direction de mon frère. Tout le monde semble avoir le droit de dire son prénom et moi, je n’ai aucun droit, même pas celui de rester au château.
Le coeur en peine, j’essaie de respirer ; de m’en aller. De quitter mon crâne qui ressasse des pensées qui me font mal. Je ne veux pas penser à cela, je ne veux pas me laisser aller, je ne veux surtout pas. J’ai trop pleuré, je me suis trop enfouie dans mon placard, les premiers jours, pour échapper à tout cela. Aujourd’hui, je ne veux pas. Même si je suis là où je ne veux pas être, je ne veux pas penser à Charlie, ni aux Chinois, ni à Loewy, ni aux mois qui vont suivre.

Mes yeux papillonnent et se déposent presque naturellement sur le grand garçon qui est au bout de l’allée. Le voir et voir la fille qu’il me rappelle — *Crown, son nom d’merde* — me ramène au hibou que j’ai reçu de cette dernière ; fichu hibou. Je ressens encore au fond de mon coeur la colère qui a été la mienne ce jour-là. D’un reniflement hautain, je me détourne. Je laisse ce garçon derrière moi, je le laisse à son air idiot et à sa carcasse immense. Celui-là, il fait partie de ceux qui finiront par ressembler à Zakary, aucune raison que je m’en approche, donc.

Je déambule dans mon rayon, toute envie de décrypter les titres disparue. Toute envie tout court disparue ; j’avance jusqu’à ce que je parvienne à la partie centrale de la boutique. Mon regard balaye les petits rayons qui y trônent et je ne vois pas Zakary. Il n’y a qu’Ao’ et Natanaël qui n’ont pas bougé et Papa qui, les bras chargés de livres, parlent à ses clients.
Je soupire discrètement. Je n’ai rien à faire ici. Rien à faire avec eux ; je n’ai pas envie de supporter leurs paroles et leurs rires. Même si voir Narym me fait du bien. Oui, lui, il me fait du bien. Je fais un tour sur moi-même pour trouver le plus âgé de mes frères. Je ne le vois pas dans la partie centrale du Dôme Libre alors je m’enfonce dans les rayons opposés à la porte qui mène à l’arrière boutique. Je regarde dans la première allée ; il n’est pas là. Il n’est pas dans la seconde. Quand j’arrive à la troisième et dernière allée formée par les grands rayons remplis de livres, je ne suis pas surprise de le voir là. *Narym*.

Tête penchée par-dessus un livre, il ne m’a pas vu. Ses cheveux châtains lui retombent devant les yeux, s’échappant de son catogan, comme toujours. Son regard d’ambre m’est caché, mais je ne doute pas de la force avec laquelle ils doivent briller : si Narym ne s’est jamais montré aussi passionné pour la lecture et la découverte comme moi ou Maman — ou Zakary —, il montre un intérêt certain pour ce genre de livre qui n’en a aucun pour moi : les romans. Un jour, il m’a dit que la capacité d’imagination était essentielle au bonheur et il m’a conseillé de lire deux trois histoires sorcières qu’il pouvait me conseiller. Je ne l’ai jamais fait. Et je ne compte d’ailleurs pas le faire. En le voyant ainsi plongé dans son livre, je me dis qu’il n’est pas bien différent de moi. Lui aussi préfère s’enfoncer dans un recoin calme, loin du brouhaha de nos frères.

Je m’avance doucement vers lui. Je n’ose pas le héler ; que lui dirais-je alors ? Je n’ai rien à partager, rien à demander, rien à expliquer. J’ai juste mal au coeur et je ne sais pas comment faire pour m’enlever cette douleur — je suis néanmoins persuadée que ce n’est pas en restant dans cette fichue boutique qu’elle s’en ira.
J’aimerai être à Poudlard. Dans sa grande bibliothèque. Dans son immense parc. Dans ses longs couloirs.
J’aimerai aller en cours. Ecouter la Connaissance des prof’, apprendre, étudier.
J’aimerai que l’on me pose des questions qui me fassent réfléchir.
J’aimerai, mais je n’ai rien de tout cela.
Une soudaine envie de pleurer me secoue ; l’une de ces envies qui nous envahie complètement avant de s’en aller aussi soudainement, nous laissant vide et plus mal qu’avant son arrivée.

Au travers mon regard brumeux qui lutte contre les larmes, j’aperçois Zakary. *Hein ?*. Depuis quand est-il là ? Sa présence m’arrache complètement à mes envies douteuses et j’ouvre de grands yeux pour le voir arriver dans le rayon dans lequel nous étions, moi et Narym, si tranquilles. Une grimace sur le visage, je vois le visage de Narym se lever et ses yeux tomber dans les miens ; puis il se détourne quand Zakary flanque sa main sur son épaule et je ne peux empêcher mon regard briller de toute la colère que je ressens dans mon coeur envers cet idiot de frère.

« Vous faites quoi ? » dit Zakary, une main autour des épaules de Narym et ses yeux tournés vers moi. Le second ferme son livre, un sourire éclatant sur ses lèvres. Moi je me renfrogne et baisse la tête sur mes pieds pour ne pas être obligé de subir le regard de Zak’.

18 avr. 2019, 08:16
Timbre de Cristal  Solo 
« Je t’avais pas vu, Ely, me lance Narym de son éternelle voix douce. Et toi Zak’, t’arrive toujours par derrière pour me surprendre ! J’en ai marre ! »

Il faut être idiot pour comprendre qu’il n’en a pas vraiment marre parce que son sourire peut s’entendre dans ses mots. Je hausse les épaules, restant dans mon coin. J’hésite à me retourner et m’en aller pour laisser les deux ensembles. J’en veux à Zak’ de s’être imposé — encore — et s’ils s’approchent j’ai peur de ne pas savoir comment contrôler la colère qui fait flamber mes veines.

« Mais non, Nar’, tu adores ça, » répond Zak’.  Avant même qu’il ne le fasse, je devine qu’il va me parler et mon coeur s’arrache de son socle. « Tu cherches un truc, Aelle ? J’peux t’aider à le trouver si tu veux ; enfin, tu connais mieux la boutique de papa que moi, mais à trois on devrait s’en sortir, non ? »

« Je ne crois pas qu’elle ait besoin de nous, Zakary, intervient Narym en me souriant légèrement. Mais si on peut t’aider… »

Il s’approche légèrement de moi, traînant dans son sillage un Grand Con heureux. Sous leur regard, je fonds. Je me sens crever, comme si j’allais m’effondrer, comme si je n’étais plus capable de rien. Ma gorge se gonfle, mon coeur s’ébat, mes mains sont moites ; je ne sais pas quoi dire, alors ma bouche lance les premiers mots que lui jette mon esprit :

« Y’a qu’à Poudlard qu’on peut tout trouver. »

Je fais face aux regards éberlués de mes frères et j’ai tout juste le temps de m’en offusquer qu’un éclat rouge colore mes joues ; la gêne qui me frappe manque de me renverser, mais le plus violent des sentiments que je ressens est mon regret qui explose dans mon coeur : *ta gueule, Aelle ! Parle pas d’Poudlard !*. Trop tard. La moquerie s’installe dans les yeux de Zak’ et la peine sur la tronche de Narym ; ça ne peut qu’être cela, n’est-ce pas ? Il n’y a que la moquerie pour froncer ainsi le regard de mon grand frère et pour expliquer le soupir qui sort de ses lèvres. N’est-ce pas ? Evidemment ! Mon coeur va me trahir, je le sens. Déjà il se tord pour me faire ressentir une peine que je ne comprends pas ; je ne veux pas être triste, je préfère être en colère.
Je ne m’écoute plus, j’agis pour effacer des tronches de mes frères ces émotions qui n’ont aucune explication :

« J’veux pas savoir ! » braillé-je. Quant à savoir ce que je ne veux pas savoir, je suis incapable de me comprendre moi-même.

« Toi ? me sourit Zakary. Toi tu ne veux pas savoir ? Il n’y a rien de plus faux ! »

« Zak’, » intervient — encore — Narym en se détachant de lui. Je regarde les deux sans les comprendre. Zakary balaye l’intervention de notre frère d’un mouvement de la main et se penche vers moi un sourire étrange sur les lèvres. Je croise les bras sur ma poitrine, j’essaie d’avoir l’air fière, mais le fait est que je me sens minable.

« A Poudlard, tu aurais pu tout savoir, continue Zakary. C’est vrai qu’il n’y a pas d’autre endroit au monde pour tout connaître… Tu n’as toujours pas vu la forêt interdite, les autres salles communes, les cachots, les salles oubliées. » Il se redresse et plonge ses yeux dans les miens. « Tu connais la Salle-sur-Demande ? »


Mon visage se crispe, comme mon coeur. Je sais que j’ai l’air pitoyable avec ma bouche qui se tord vers le bas, mes lèvres qui tremblent et mon souffle court ; ils peuvent le voir. Narym me regarde d’ailleurs d’un air soucieux et sa main se pose sur l’épaule de Zakary. Il le soutient c’est évident. Et ce Grand Con de Zak’, il me dit toutes ces choses qui me font mal  ; est-ce voulu ? Sait-il que je crève d’envie de retourner au château, sait-il que je ressasse tout ce que je pourrais y faire ? Sait-il que j’ai mal de ne pas connaître ce qu’il me dit ?

« Alors ? » répète-t-il.

Je me sens obligée de braver son regard imposant. Je tremble, mais je me sens obligée de répondre car sa présence est si grande qu’elle m’avale toute entière.

« Je..., bafouillé-je, je n’connais pas, nan. »

*J’te déteste !*
De me faire dire une chose que je n’aime dire.
*Je te hais !*
De me rappeler que je ne connais encore rien du château.
*J’veux t’frapper*
Pour me remémorer le fait que je pourrais très bien ne jamais en connaître davantage.

« Laisse-la, s’exclame Narym. Elle n’a pas envie de parler de ça, tu le sais non ? »

Peut-être que Narym n’est pas contre moi, finalement. Je m’échappe un instant dans son regard clair avant d’être de nouveau appeler par celui, noisette, de mon deuxième grand frère. Celui-ci s’est redressé et je dois courber la nuque pour le regarder. Il est bien plus grand que Narym ; tellement plus grand que moi. Ma gorge se serre quand je remarque que lui ne m’a pas quitté du regard. Même quand il répond à Nar’, il ne se détourne pas ; je me sens attachée à lui, arrachée à moi.
J’ai envie de pleurer.

24 avr. 2019, 16:58
Timbre de Cristal  Solo 
« Elle n’a pas envie, je sais Narym. Je sais bien. » Ma respiration s’étire ; mes yeux me piquent. « La Salle-sur-Demande, Ely, tu ne l’as jamais vu mais je pense que tu sais ce que c’est, n’est-ce pas ? »

Je bats des paupières ; par Merlin, voient-ils combien je lutte ? La chaleur court sur ma peau et s’infiltre en moi, je brûle de mon propre mal-être.

« Bi… Bien sûr ! » Comment avoir l’air grande lorsque l’on est aussi minable ? Je ne suis rien d’autre qu’une pauvre gosse qui s’est faite virée de Poudlard, comment puis-je avoir seulement le droit de parler de cette école ? « Je connais. » S’il m’étouffe, il ne doit pourtant pas m’écraser ; Zakary, je t’emmerde. J’en sais plus que toi ! Et si ce n’est pas le cas, un jour, j’y arriverais !
Je ne sais pas comment je fais pour me redresser, ni comment je parviens à froncer les sourcils face à cette présence étouffante. Pourtant, je le fais. Je l’affronte : « J’suis pas conne, lancé-je. Je sais bien c’que c’est qu’la Salle sur Demande ! »

Zakary sourit. Narym soupire. Et moi je respire. 

« J’en étais sûr ! s’exclame Zakary. Tu n’es pas conne, c’est certain. D’ailleurs, tu ne devrais pas utiliser de tels mots, ils sont loin de t’aider à prouver que tu ne l’es pas. »

Ma bouche se tord. *Sale con !*. J’en envie de grogner.
Narym soupire — encore. Je regarde sa main qui est toujours sur l’épaule de Zak’. Il me semble la voir se crisper et Zakary grimacer.

« J’fais c’que j’veux, » lancé-je, fière. 

« Pas exactement, » me répond Zakary sur le même ton. Je retiens mon souffle. Je gonfle mes poumons. Je serre les poings. Zakary sourit et coule un regard vers Narym qui, entre nous, n’intervient pas. Je me demande pourquoi il reste silencieux. Ce silence me fait mal et moi aussi je lui lance un regard ; le mien est plein de rancoeur, j’espère qu’il le ressent. Zakary reprend : « Tu ne fais pas ce que tu veux, puisque tu es là. Et pas à Poudlard. »

Ses mots sont des armes et elles s’enfoncent dans mon ventre. Je me penche légèrement, touchée, la douleur se répandant dans mon être. Le « Putain, Zak’ ! » de Narym ne suffit même pas à l’empêcher de se distiller en moi, comme un horrible poison. Ses mots coulent dans ma tête ; tu es là et pas à Poudlard. *J’suis là*. Les larmes envahissent mes yeux et pendant un instant la haine que je ressens envers Zakary est si grande que j’en oublie tout à fait comment respirer. J’essaie en vain, mais rien ne passe dans mes poumons.
Je vais crever.
Crever de haine.
Puis la colère disparaît pour ne laisser qu’une tristesse immense qui autorise mes larmes à couler sans que moi je ne le fasse. Avec horreur, je sens les sillons tièdes sur mes joues.

J’ignore Narym qui s’est accroupi devant moi et qui me regarde d’un air soucieux. Je lève la main et essuie rageusement mes larmes. Quand je lève la tête vers Zakary qui n’a pas bougé, mon visage est déchirée dans une grimace de haine si profonde que j’ai la joie de voir les traits de mon frère se figer pendant un instant.

« J’te déteste ! » lui lancé-je avec une rage enfantine que je regrette sur le coup.

Zak’ accuse le coup sans douleur ; c’est normal, lui aussi me déteste.

« C’est faux, Aelle, me dit Narym en levant une main vers moi. Calme-toi, Zakary ne fait que t’embêter, tu sais qu’il peut-être idiot avec ça. » Sa voix m'enveloppe, mais elle n’est rien face à ma rage et mes larmes.

Je renifle bêtement, mais je n’ai pas le temps d’enchaîner que Zakary m’harasse de sa voix :

« Je t’embête, Aelle, tu ne vas pas t’énerver pour ça, non ? » Poings serrés, nez coulant, je le défis de croire le contraire. *Ta gueule*, scandé-je au fond de moi, *ta gueule*. « Barnabas le Follet, tu connais ? » *Hein ?* « Au septième étage, la tapisserie moche qui prend une place énorme, tu vois ? » Qu’est-ce qu’il me veut avec son cours d’histoire idiot ? Bien sûr que je connais Barnabas le Follet, et peut-être suis-je déjà passé devant une tapisserie le représentant, mais actuellement, et même plus tard d’ailleurs, je n’en ai absolument rien à faire.

« J’m’en fous d’ton Barnabas ! » braillé-je.

26 avr. 2019, 19:09
Timbre de Cristal  Solo 
Mon regard de feu flambe en regardant Zakary. Et quand je le baisse sur Narym, il brûle toujours. Je lance un regard noir à ce dernier, non pas parce qu’il est en faute, mais parce qu’il est Là. Et que j’ai l’impression d’exploser tant ma colère est forte.
Je me détourne d’un mouvement de cape et m’apprête à m’en aller, toute tremblante de ma rage, les joues piquantes de mes larmes. Mais Zak’ fait un pas vers moi, je l’entends, et sa grosse main s’abat sur mon épaule. Je glapis, me retourne vers lui et me dérobe à sa poigne en poussant un « Hé ! » bruyant. Je recule jusqu’à ce que le bois d’une étagère pleine de livres s’enfoncent dans mon dos ; mon coeur bat à toute vitesse et je ne cache plus mon souffle affolé.

« Non tu t’en fous pas ! me lance Zak’ d’une voix forte et pleine de colère. Et tu veux que je te dise pourquoi ? Non, tais-toi et laisse-moi parler, par Merlin ! » Il s’approche et je me recroqueville. « En face de cette tapisserie, tu trouveras un mur. Si tu passes trois fois devant en pensant très fort à ce dont tu as besoin, une porte apparaîtra. »

*Qu’est-ce que…*
Béate, j’ai peur de comprendre ce qu’il est en train de faire.
Je n’essaie même plus de me dérober. Mon regard traîne sur Narym qui s’est redressé et qui regarde Zak’ avec un truc bizarre dans les yeux.
*Il joue à quoi ?*

« Tu commences à comprendre. Si la porte apparaît, c’est que tu as réussi. Tu auras trouvé la Salle-sur-Demande. »

« Hein ? » je fais bêtement, un ricanement tremblant sur les lèvres.

« C’est l’moyen de trouver la Salle-sur-Demande, Ely, je ne vais pas répéter ! me dit mon frère, tout sourire. Et je t’assure qu’il y a plus découvrir la-dedans que partout ailleurs dans le château. »

« Ah... Ah bon ? » demandé-je, perdue.

J’ai envie de mourir.
Je me déteste. Je déteste ma voix, je déteste ma colère qui m’abandonne, je déteste comprendre Zakary.
Mais par dessus tout, je déteste le sursaut que fait mon coeur en comprenant la clé que vient de me donner ce Grand Con.

« Oui ! intervient alors Narym. C’est une super salle. Elle va beaucoup te plaire, j’en suis persuadé. »

Devant mon silence perplexe, Zakary se met à rire. Non pas d’un ricanement lâche comme le mien, non, d’un grand éclat de rire joyeux qui me laisse plus perplexe encore.
Pourtant, au fond de moi mon coeur se calme. Ma colère laisse place à une envie énorme de retourner au château, mais cette fois-ci, je suis surprise de ne trouver aucune tristesse l’accompagnant. Mais cet heureux sentiment qui me réchauffe le coeur se trouve bien vite avalé par un rappel douloureux : je n’ai plus accès au château.

« J’sais même pas si j’y r’tourn’rai, » soufflé-je difficilement en baissant la tête.

« Tu accepterais de ne jamais pouvoir découvrir cette salle ? » La voix traînante de Zak’ me fait lever la tête. « Parce que c’est ce qui arrivera si tu n’y retournes pas. »

« Mais j’le veux moi ! craché-je d’une voix faible. C’pas moi qui décide. »

« Si, c’est toi » chantonne Zak’.

« Non ! » lui asséné-je en coulant un regard noir vers lui.

« Ce que veut dire Zakary, intervient Narym, c’est que Miss Loewy t’a puni, mais que si tu te maintiens à niveau tu pourras retourner au château. Si tu apprends de tes erreurs, alors en septembre tu feras ta rentrée en troisième année et tu pourras aller découvrir cette salle. Est-ce que tu en doutes ? Pour le moment, il n’est absolument pas question que tu ne retournes jamais au château, heureusement ! Il est question de remise en question et de travail. »

Mes mots m’ont quitté. Le regard que je pose sur Narym est perdu, douloureux et plein d’espoir.
Je peux retourner au château.
Je ne sais même pas si j’en ai envie.
*Pourquoi j’le voudrais ?*
Revoir Loewy ? Charlie ? Les Chinois. Je n’en ai aucune envie.
Je hausse les épaules, le coeur en proie à des envies contraires.

« T’as tout ce qu’il faut pour passer en troisième année, me lance Zakary en me dépassant pour gagner l’allée centrale. Tu étudies bien et tu es intelligente. Tu n’as pas de problème à te faire à ce propos. La seule chose qu’il te reste à faire, c’est de réfléchir à ce que tu as fait. »

Il se tourne une dernière fois vers moi et me lance un clin d’oeil avant de disparaître dans l’allée. Un clin d’oeil ! Une étrange chaleur se répand dans mes tripes ; je n’aime pas ça. Je grimace et décide d’en vouloir à Zak’ pour son discours de Grand idiot : comme si je ne pensais pas déjà assez à ce qu’il s’est passé sur cette estrade ! Je pense toujours au Chinois et à Charlie et à tout ça. Aucune envie d’y penser plus que cela, ça ne changerait rien à rien.
Gorge nouée, je songe tout de même au nouvel espoir qui pousse en moi : je suis capable de retourner au château, a-t-il dit. Narym aussi l’a dit ! Je coule un regard vers lui ; son regard est perdu sur l’endroit où se tenait Zak’ avant de disparaître. Comme s’il sent mon regard sur lui, il baisse la tête vers moi et me souris tendrement. Il ne dit rien. Narym, il ne parle pas pour ne rien dire. Il parle seulement quand il faut. Et là, je sens qu’il ne faut pas et lui aussi le sent. Je crois. Son sourire s’agrandit et lui aussi s’en va dans l’allée.

Des voix me parviennent de derrière les rayons et je me penche entre deux étagères pour observer mes frères se réunir au centre de la boutique : Narym et Zak’ retrouvent Natanaël et Aodren et bientôt leur voix à tous se répandent dans la boutique. Les clients partis, nous sommes seuls.
Et moi, plus seule encore dans mon coin.
J’essuie les restes de mes larmes sur mes joues. Un soupir tremblant s’extirpe de mes lèvres.
*Salle-sur-Demande*, songé-je. Pourquoi Zak’ m’a dit comment y aller ? A-t-il deviné que le trou dans mon coeur allait se faire moins gros ? A-t-il compris ce qu’il a réveillé en moi ; que je me sens presque capable de retourner au château ?
*Non*, me rassuré-je, *il peut pas savoir tout ça*.
Après tout, c’est un Grand Con, n’est-ce pas ?


- Fin -