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09 août 2018, 07:35
Prémices d'une Existence  os 
Début mars 2043
Le Dôme Libre - Chemin de Traverse
2ème année


J'ai eu du mal à m'extirper du placard. Sa chaleur me couvait, m'enserrait dans ses bras moites. Je me souviens encore du souffle de ses baisers sur mon front et de la brise pleine de promesses qui me susurrait de doux mots à l'oreille. Ce souvenir gravite dans mon esprit comme une trace d'Enfance.

Le lendemain de mon arrivée, je me suis réveillée dans mon lit. Mon corps était brûlant et dégoulinant de sueur. Une odeur de moiteur m'enveloppait et faisait paraître l'obscurité plus sombre encore. Je n'ai jamais su comment j'avais atterri là. Je me suis levé sans oser regarder le placard, j'ai tiré les rideaux et ai ouvert en grand le battant de la fenêtre. L'air glacial du mois de février m'a claqué les joues ; je n'ai pas bougé durant de longues minutes. J'essayais de me persuader que j'étais bien à la Maison.
Papa m'a surprise depuis le jardin. J'étais affublée d'un grand tee-shirt trempé de ma transpiration nuptiale et l'air me faisait trembler. Il a levé la tête et m'a crié de rentrer parce que j'allais attraper mal. J'ai dit : « Trop tard. » mais il ne m'a pas entendu. Comment aurait-il pu : moi-même je n'ai pas reconnu ma voix.

Quand je suis descendu, ils étaient tous attablés autour du festin des jours particuliers. Je n'ai même pas réagit. Je me suis assise sans regarder ni Papa, ni Maman, ni Natanaël. J'ai pris une brioche, je l'ai coupée en deux, je l'ai badigeonnée de confiture, j'ai rajouté un œuf au plat et j'ai fourré le tout dans ma bouche. J'ai mastiqué longtemps. Aujourd'hui encore je ne comprends pas pourquoi j'ai tant apprécié ce déjeuner ; la saveur et le goût étaient tels que j'ai fermé les yeux pour les apprécier.

Le temps que je siphonne deux verre de jus de citrouille, Maman s’était décidée à parler. Elle ne m'a pas grondé une seule fois cette semaine-là. Elle s'est contenté de me dire que j'allais travailler et Papa s'est chargé de me dire comment cela se déroulerait. J'ai acquiescé à chacune de leurs paroles. Et quand Natanaël a dit de sa voix d'homme - j'ai remarqué pour la première fois qu'il avait un ton oscillant entre la profondeur des cavernes et le sommet des nuages - qu'il faudra que je raconte pourquoi j'en suis venu à péter un câble, je n’ai rien dit non plus. Je nageais dans un océan de brouillard ; j’étais là sans être là.

J’étais à bout de souffle rien qu’en regardant en arrière pour observer cette misérable soirée qui m’avait vu me faire éjecter de Poudlard.

Durant toute la première semaine, mon cœur a battu étrangement dans ma poitrine. Il avait un rythme saccadé et timide. Comme s'il tentait de ne pas se faire entendre. Chaque coup était une douleur que je me suis efforcé de réfréner : et si j'avais dépassé les limites ? Peu à peu, ces pensées m'ont quitté pour ne laisser que l'amertume. La colère de sentir brûler sur mon bras la poigne de Loewy. La rage qui se disputait face à la sienne ; ses paroles, tranchantes, qui me hantaient l’esprit.
Un dégoût indescriptible envers ce Chinois dont le nom m’échappait, de sa colère injustifiée à son choix idiot. Il me rappelait que j’avais perdu tout ce que j’aurai aimé avoir : son savoir et ses bracelets de jade.
Et la toute petite Charlie. *Rengan est un nom idiot.*. Pourquoi était-elle si petite ? Son visage s’inscrivait dans mon coeur aussi sûrement que la colère le faisait dans mon esprit ; tout ce que j’avais oublié à son propos me revenait par vagues. Les cris, la Magie, la cape, le mot. La Discussion. Son regard. Sa peau.

La première semaine me vit me languir sur le canapé du salon, quand je n’étais pas obligé d’accompagner Papa à son travail, l’âme habitée de ces souvenirs et du manque d’envie de ne pas y penser. Je me plongeais dans ce passé avec la force du désespoir, essayant de me rappeler ce qui m’avait amené à considérer Charlie comme je la considérais actuellement. Je tentais de comprendre pourquoi mon coeur se serrait dès que son souvenir me venait à l’esprit.

Sans même essayer de me réfugier dans ma chambre, j’avais élu domicile dans la pièce principale avec pour seul tableau l'incessant chemin de ma famille qui vivait sa vie quand la mienne avait été brutalement stoppée. J’avais dis à Papa que je travaillerai mais que j’avais besoin de me reposer au préalable ; apparement, il avait été assez niais pour croire à cette fable.
Je n’avais aucune intention de travailler pour une école idiote qui ne voulait plus de moi.

Je n’avais cesse de la revoir tenir la main de cette Chinoise aveugle. Son corps proche du sien, son attention entière focalisée sur elle ; elle ne m’avait pas accordé un seul regard. Pas un seul. *Foutue Charlie.*.
Qu’elle reste avec elle. Je n’avais plus besoin d’elle désormais. Je me foutais des Interdits comme je me foutais d’elle.

Le lundi matin suivant mon retour, Papa vint me réveiller. Ou du moins s’y essaya-t-il ; j’étais dors et déjà levée et affublée de mon pyjama. Je m’étais plongé dans une lecture quelconque pour oublier la pourriture qu’était cette Maison. Il me trouva, donc, et m'emmena avec lui au Dôme Libre.
J’avais toujours aimé cette boutique. L’odeur des ouvrages, le silence qui s’échappait des quelques conversations chuchotées entre deux rayonnages, la magie ambiante, le Savoir. Maintenant, j’allais apprendre à la haïr. Papa me montra ce petit espace qu’il avait aménagé dans l’arrière-boutique, non loin de son bureau : une petite table en bois avec ses quatre pieds arrondis, des rouleaux de parchemins, des piles de livres, des plumes et des pots d’encre. « Ce sera ton endroit, Aelle ! ». Si seulement j’avais pu lui faire ravaler son sourire idiot et la fierté qui perçait dans sa voix. Tout ce que je voyais, moi, c’était un cercueil ouvert sur l’ennui.

J’allai m'asseoir derrière la table, la colère et l’amertume brûlant mon coeur. Papa se plaça devant moi et me tendit ma baguette. Cette même baguette qu’il m’avait retirée le surlendemain de mon arrivée en arguant que si je n’avais pas la maturité nécessaire pour faire face aux autres, je ne devais sûrement pas l’avoir non plus pour gérer ma Magie.
Oh Merlin, c’est en la retrouvant que je me rendis compte du manque qui pulsait dans mon corps. Je me jetai sur elle et soupirai quand le souffle caractéristique de ma Magie grimpa dans mes veines jusqu’à envahir mon cerveau d’une douce torpeur. Je me laissai retomber sur le dossier de mon siège avec un sourire ; c’est à peine si je pouvais distinguer Papa derrière mes paupières avachies.

« Nous avons pu te dégoter une dérogation pour user de la magie hors de Poudlard jusqu’en juin. Entends bien que ce n’est que pour les études ! Son usage sera strictement surveillé, à la moindre bavure je te l’enlève, c’est clair ? »

Papa pouvait parler de sa voix la plus dure que je n’aurai d’autre réaction que celle qui était la mienne actuellement : un sourire idiot sur un visage blafard de joie. Je retrouvai ma Magie que je n’avais pas eu le temps de perdre.

« Ok, P’pa, » dis-je d’une voix pleine de langueur.

« C’est la Directrice Loewy qui nous permet cette dérogation. »

Ah, il fallait que cette Sorcière gâche encore la joie qui vibrait dans mon coeur. Elle s’en alla rapidement pour ne laisser qu’une amertume teintée d’excitation ; je tenais ma baguette dans le creux de mes mains et mon regard ne saurait s’en éloigner.

« Ton retour à Poudlard dépendra de ton niveau, bien évidemment, mais également de ton comportement. Tu dois faire amende honorable auprès de ta Directrice et de ses invités. Tu comprends pourquoi ? »

« Qu’est-ce que ça veut dire, faire amende honorable ? »

« Demander pardon, Aelle. »

Un sourire nerveux transgressa mes traits. Je quittai des yeux ma Moitié pour les poser sur Papa qui s’était agenouillé non loin de moi. Il me regardait avec son regard sérieux, les sourcils à demi-froncés et les lèvres closes.
Il était absolument hors de question que je demande pardon à Loewy, absolument hors de question. L’idée même de me trainer devant sa cape me fit frémir et une bile de dégoût emplit ma gorge. Je n’avais aucune raison de me traîner devant elle !

« Tu comprends pourquoi tu dois faire cela, Aelle ? » me demanda Papa.

« Non. Pas du tout, » répondis-je dans un souffle.

« Peu importe les raisons qui t’ont poussé à insulter le jeune Chu-Jung *il s’appelait comme ça ? Chu-Jung ?*. Tu as manqué de respect à un invité, à l’ensemble de la délégation Chinoise et également à Poudlard. »

Je trouvais cela un tantinet exagéré, peut-être est-ce pour cela qu’un sourire s’afficha sur mon visage et qu’un rire fit tressauter mes épaules.

« Tu peux rire Aelle, mais tu dois comprendre qu’insulter les autres n’est pas une option envisageable. Tu aimes Poudlard, n’est-ce pas ? »

Quelle blague. Poudlard n’était qu’un tas de briques dont le souvenir fit mourir mon sourire.

« Tu l’aimes, je le sais, et pourtant tu l’as jeté par terre devant tous ses habitants et devant des étrangers. C’est exactement comme si tu assistais  à une convention menée par Edgard Frewd sur Les dérivées des lois magiques - et je sais que tu en rêve - et qu’un étranger venait piétiner ses bouquins en arguant qu’ils étaient aussi idiots que ceux qui les a écrit. Aimerai-tu cela ? »

Il n’avait absolument aucun droit d’user de mes lectures favorites pour me faire intégrer sa façon de penser idiote ; cela étant, imaginer qu’une personne soit aussi peu cultivée au point de ne pas voir le génie des mots de Frewd me fit grimacer et cela fut suffisant pour Papa. Je savais qu’il avait raison, mais je ne pouvais pas m’en vouloir de ce qu’il s’était passé à Poudlard : j’avais des raisons bien trop ancrées pour cela.

« Tu n’aimerai pas. »

Il se releva en grimaçant. Mes épaules, qui s’étaient crispées sans que je ne m’en rende compte, se relachèrent légèrement.

« Si tu ne veux pas passer les quatre prochaines années à te battre avec nous, Aelle, et plus largement avec tout autre personne qui t’approche, tu ferais mieux de prendre en compte ceux qui t’entourent. Tu n’arriveras à rien sans cela. Je te rappelle que le savoir ne se trouve pas uniquement dans les livres. Si tu en doute, je t’invite à en discuter avec Maman. »

Vous ne pouvez pas faire tout ce que vous voulez sans prendre en compte les sentiments des autres.
Stalbeck m’avait dit les mêmes mots que Papa, pourtant ils m’étaient toujours aussi étrangers. Je ne voyais pas l’intérêt de se salir des sentiments des autres : comment pouvons-nous nous en sortir si, en plus de nos propres sentiments, nous devions prendre ceux des autres ?
Si je ne pouvais les comprendre, je pouvais néanmoins me sentir cerné par la voix de Papa qui avait pris son ton de Celui-qui-est-en-colère. Je baissai la tête, les mots se bloquant dans ma gorge et m’empêchant de lui faire ravaler sa tirade.

« Je te laisse deux semaines. D’ici là, tu auras écris un hibou au professeur Loewy pour t’excuser et tu me le feras lire. Sois sincère, que tu penses ou non avoir fait une erreur n’empêche pas que les excuses sont nécessaires lorsque l’on blesse ou que l’on bafoue d’autres personnes. Lorsqu’on les traite sans respect. »

Le bois de la table se dessinait en volutes gracieux et profonds, qui s’entrelacaient encore et encore jusqu’à n’être que fouilli. Elles dansaient devant mes yeux, les volutes, m’éloignaient de la voix de Papa qui m’Imposait encore. Elles se balancaient au rythme des mots, menant mon esprit dans une ronde pour me faire oublier que le schéma serait le même tous les jours jusqu’à septembre. Et septembre n’avait rien de plus reluisant qu’un vieux château qui ne voulait pas de moi. Une boule d’angoisse se forma dans ma gorge ; mon coeur chuta tout au fond de mon coeur et je fermai les yeux pour ne pas laisser les larmes les envahir.

« Tu as le programme de l’année ici, me dit Papa en sortant un parchemin de la pile qui trainait sur le bureau. Je veux que d’ici ce soir tu t’organises ton propre programme en répartissant ton travail sur la semaine entière, exceptés les week-end, jusqu’à la fin du mois de juin. La semaine de vacances de Poudlard sera également la tienne. Je sais que tu en es capable, nous regarderons tout cela ce soir avec Maman. »

Il quitta la pièce en me gratifiant d’un sourire que je ne lui rendis pas. Je ne voyais que les volutes du bois et elles ne dansaient plus.


Fin