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06 févr. 2019, 09:41
 PV  Miroir de Flammes

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« CHARLIE ! »
Je serre les poings en entendant la voix lointaine, aux échos remontant jusqu’à moi malgré le Dôme de Noirceur qui entoure le Monde. Le cri déchirant est empli d’une volonté qui me tord les boyaux quand je constate que je suis sur le point de vomir, que mon cœur bat si vite qu’il semble vouloir s’échapper de ma poitrine. *Ferm’là*. L’Autre qui gueule me désespère, elle ne comprend pas que son effort est voué à l’échec. Son cri ne sert à rien ; celle qu’elle appelle est tombée. Partie. *Morte ?*. Non ! Juste évanouie, envahie par la douleur de Qiong. Ça doit être cela ; Qiong crache sa douleur dans cette Nuée, et Charlie tombe parce qu’elle ressent la douleur. Elle n’est pas morte. Pas morte. *PAS MORTE*. Si elle est morte, je ne pourrai pas lui arracher son secret, et ce serait terriblement triste. Je tord mes doigts, contemple mes pieds qui battent la mesure d’une musique qui m’est inconnue, frappant le sol l’un après l’autre. J’ai peur. Non. *J’AI PEUR !*.

« QUE QUELQU'UN APPELLE MISS LLOYD ! »

Elle se déchaine. *Tu m’sou-* QUOI ? Ma gorge est sèche et je peine à reprendre mon souffle, respirant au même rythme saccadé que celui de mon cœur affolé. Le regard fixé sur le Dôme, ou plus exactement sur l’Absence du Dôme. Il a disparu ! Pour laisser place à pire encore. Charlie est toujours à terre et Q *-IONG ?* aussi. Dans les bras du Doyen. Dans ses bras ? Je plante mes ongles dans mes paumes : Qiong devrait être dans les bras de Charlie et d’elle seule.
Et l’Autre qui continue de hurler. Elle se déchaine sur les éléments, balance sa peur — elle doit bien avoir peur ? — en criant des paroles inutiles. En agissant. Certes. Je peine à suivre les évènements qui se déroulent les uns à la suite des autres, mon mal de tête augmente à une vitesse dangereuse et le Monde se met à tourner autour de moi. Je ne me sort de cet état de torpeur que pour entendre l’annonce dégueulasse de Loewy, et le Monde semble réellement s’effondrer alors que je bouscule tous les Autres avec un seul objectif en tête : me barrer de ces tribunes envahissantes.




24 septembre 2043
Entrée de l’infirmerie — Poudlard
2ème année


12 jours. 12 jours que, lorsque je ne sombrais pas en consacrant toutes mes pensées à Aelle, j’avais passé à la scruter dans les couloirs. C’en était devenu une manie. Une habitude détestable que je continuais d’exécuter pour mener à bien mon projet. Je l’espionnais presque, en réalité. Et là, tête baissée, appuyée contre le mur extérieur de l’infirmerie, je tente de me rendre invisible. Le contact dur de la paroi de pierre est plus qu’inconfortable, et je me mords violemment la lèvre inférieure pour ne pas laisser échapper un gémissement. *Je dois y aller*. Détermination sans failles. J’appuie mon coude contre la pierre et commence à me détacher du mur, mais mon bras dérape et je laisse échapper un grognement sourd lorsque mon crâne heurte les bords du Carcan que sont ces murs qui m’emprisonnent. Ma détermination a volé en éclats ; elle n’était pas si forte que ça.

Petite gamine solitaire dans ce Château à l’affut. Autour de moi, le moindre Autre passant pouvait me blesser. Me heurter. Me tuer, s’il était vraiment fort. Poudlard est un terrain de chasse, un Rien qui est Tout, et ce Tout qui est Rien est foutrement dangereux pour moi. Je veux être seule, seule avec Moi pour réfléchir, mais je ne peux pas. L’heure tourne. Tic. L’horloge de l’infirmerie bat la mesure du Temps sans Fin. Tac. Et si elle se réveillait ? Rien à faire. Tic. *ET SI ELLE SE RÉVEILLAIT ?*. Je tente de me concentrer sur cette pensée, cette éventualité qui devrait me pousser à me lever et à passer enfin cette porte. Ça ne marche pas ; bien sûr. Je suis une pauvre petite fillette perdue dans Poudlard, et le Temps file sans me demander mon avis.

Un Autre passe et me dévisage sans gêne. *Va t’faire...*. Il s’est arrêté en plein milieu du passage, et me regarde avec cette expression pitoyable qu’ont les Autres essayant de comprendre quelque chose qu’ils sont incapables de comprendre. Ma présence ici ne le regarde pas. Ma tête baissée, mon regard fuyant, encore moins. Mon regard fuyant ? Je plante mes yeux droits dans ceux de l’Autre et les fais briller de toute la Haine que je possède. *Douce Échappatoire*. Je balance ma Peur, ma Tristesse et mon Incapacité dans l’Autre, et il vacille lentement sur ses pieds tandis que je me redresse, grandie. Le Carcan de Poudlard ne peut rien me faire. Les Autres sont insignifiants, je viens d’en déglinguer un d’un regard foudroyant. *Saigne, sale petit Autre*. Il me fixe avec des yeux dégoulinants de déception. Ah ! pauvre petit, il croyait que j’avais un joli secret à lui révéler ? Il finit par se détourner et s’éloigner d’un pas rapide, et je me laisse aller de nouveau contre le mur.

L’air frémit devant mon visage, ses chatoiements me faisant l’effet d’un miroir. Miroir. Les miroirs renvoient des reflets. Ce Miroir renvoie un Reflet. Une Chose. Une petite, toute petite, Chose recroquevillée sur elle même au milieu d’une lande. Lande grise. Une lande de tristesse. Une lande si nue, sans pierres ni formes, qu’elle en est terrifiante. La petite Chose bouge un bras, et je la voie qui tremble au cœur de la lande. Elle dresse la tête, tourne sa face vers moi. Derrière ses drôles de cheveux trop longs et trop sombres, je vois des larmes qui s’écoulent en cascade de ses Perles miroitantes. *MERDE !*. Je hais le Miroir. Mon poing s’anime, fend l’air et brise le Miroir de vérité.



Miroir de mensonge.

Miroir de vérité.

Non ! il ment, tu le vois bien.

Tu t’voiles la face !

Menteuse.

Pauv’petite Chose.

J’suis pas une Chose.

Pauvre petite Chose incapable de s’bouger.

J’suis pas incapable !

Alors pourquoi tu bouges pas ? Menteuse.

Je...

Menteuse.

...



*C’est moi*. La pauvre petite Chose, c’est moi ; Thalia. Petite enfant perdue. Je dois y aller, je le sais. Je dois y aller. Me lever. Méthodiquement, une chose après l’autre. Replier mon bras, le caler tout contre le mur *contact* et m’appuyer sur lui. Doucement. Le froid de la pierre me réveille lentement, je fixe le sol devant moi d’une manière différente de celle de toute à l’heure. Déterminée. Je rabats le pan de ma cape sombre, enlève ma capuche, rajuste mes cheveux autour de mon visage. Je hais porter de l’attention à ma tenue, mais aujourd’hui, c’est important. Mes mèches tombent sur mes épaules, soulignant mes traits pâles. Je suis moche, mais ça n’a aucune importance ; je suis toujours moche.

Je suis une gamine. Mais une gamine peut être une Arme. Surtout quand elle est affutée. Moi, je ne suis pas affutée. Pas encore. Mais je comprends, je sais que tout n’est pas superbe et que j’ai besoin d’être forte pour survivre. Je dois être forte. Je dois être une Arme. Une Arme petite, toute petite. Insignifiante, pour ne pas être la proie sur le terrain de chasse. Une Arme tout petite prête à frapper pour se défendre. Une Arme frêle comme une Rose, une Rose fanée, mais qui peut s’épanouir à tout instant et faire souffrir l’Autre de la pointe de ses épines.

*Une Rose*. Je suis une Rose. J’aime pas les fleurs parfaites, mais les roses ne sont pas parfaites. Elles sont dangereuses. Je suis une Rose : une fleur-Arme. Reste à trouver comme épanouir mes pétales *qui n’existeront jamais* et affuter mes épines. Pétales. Robe recouvrant la Rose, leur secret me sera révélé plus tard. Épines. Lames fines à l’affut, je sais comment les découvrir enfin.

Je suis debout, maintenant. Dressée au cœur de la marée d’Autres, entourée de Corps étranges qui filent autour de moi. L’infirmerie est à deux pas. Juste devant moi, à un mètre, sa porte crée une ouverture dans le mur sur lequel je m’adossais quelques instants plus tôt.
Ma tête me semble peser des tonnes et je déglutis plusieurs fois avant d’arriver à la laisser bien droite, mais je finis par m’avancer.



Un pas. *Puissante*. Un pas. *Déterminée*. Un pas. *Forte*. Un pas. *Courageuse*. Un pas. *Digne*. Un pas. *Impénétrable*. Un pas. *Indéchiffrable*. Un pas. *Intelligente*. Un tremblement. Non ! Ne pas trembler. C’est comme un jeu ; le Jeu de la Vie. Si je tremble, je perds. Aussi simple que ça. Je ne dois même pas trembler en pensée. Juste me concentrer sur mon but.

Désormais dans mon dos, l’horloge bat la mesure. Encore, inlassablement. Il est encore temps de reculer, mais bientôt, je n’aurai plus le choix. C’est si tentant. Ce serait bien, de me détourner, de retourner vaquer à mes occupations. Il serait trop tard, et je ne pourrai pas revenir en arrière. *NON !!*. Je serre les poings, redresse encore un peu la tête — si c’est possible. Dans la poche de ma cape, juste à portée de main, ma baguette est rangée de manière à ce que je puisse la saisir le plus rapidement possible. Parce que je fonce droit vers le Danger. Le vrai Danger. La gamine fonce vers les Autres ; la proie fonce vers le chasseur ; la Rose fonce vers celle qui la fera devenir une Arme. Ou qui la détruira.

Elle est là. Devant moi. Douze jours que je l’observe, quand je ne suis pas en cours et que je ne songe pas à *c’pas l’moment*. Elle est là, comme tous les jours depuis douze jours. En vain. J’ai surveillé toutes ses allées venues monotones, ses habitudes quotidiennes depuis douze jours. Je crois qu’elle n’a jamais manqué de se rendre ici. Cette salle que je déteste tant, qui est imprégnée de la mort et du sang. L’infirmière s’est barrée je ne sais où, et elle était seule dans cette pièce. Jusqu’à ce que j’arrive. Elle est, comme toujours, avec la belle Autre. L’Autre-guerrière qui a encore moins bougé qu’elle, puisqu’il semblerait qu’elle soit dans une sorte de coma.

Je franchis les derniers mètres qui nous séparent en résistant au puissant instinct de survie qui me hurle de saisir ma baguette pour me défendre contre elle. Celle qui va, au choix mais sans le savoir, m’aider à devenir une Arme - ou tout du moins me révéler quelques connaissances exaltantes - ou me détruire. Parce que je crois qu’elle en est capable ; elle me semble faire partie de ces Autres qui peuvent me blesser.
Je me plante devant elle en m’efforçant de ravaler ma peur intense, et je ne lui laisse pas le temps de poser une question. D’une voix claire et que j’espère déterminée, je prends la parole :

« Jenkins. »

Sitôt après, je me demande ce que je voulais dire. Jenkins. Tu te souviens de moi ? Certainement pas. J’espère qu’elle ne se souvient pas de moi. Jenkins. Alors comme ça, c’est fini ? Égalité ? Jamais ! Jenkins. T’inquiète, elle va bientôt se réveiller. Non, Tally Jenkins ne me semble pas être fille à vouloir être réconfortée et je n’ai pas l’intention de devenir ce que je ne suis pas : une gamine qui réconforte les gens. Jenkins. Loewy avait tout prévu, hein ? Elle est... ça s’fait pas ! C’est profondément vrai, mais je ne veux pas crier de déception et attiser la flamme. Ou plutôt, si, mais pas cette flamme là. Celle que je veux attiser, c’est celle du courage, celle qui brûle dans le cœur de Tally Jenkins, pour qu’elle me brûle également. Jenkins. Ça sert à rien d’rester là, tu d’vrais aller faire autre chose. Non, car peut importe ce qu’elle, ça ne servirait à rien. Et elle aurait l’impression d’être encore là, en pire. Je crois. C’était comme ça que j’étais auprès du corps de Maman, ça doit être la même chose sauf que Mei Ling n’est pas morte. Pas pour le moment. Je suis tentée de jeter un coup d’œil à son corps, mais je me concentre sur Jenkins. Jenkins. Non mais regarde toi ! Qu’est c’qu’elle dirait, Mei ? Bouge toi, ça s’trouve elle attend qu’ça pour s’réveiller en pleine forme ! C’est ça. Je n’ai pas la prétention de croire connaître Mei la guerrière sans jamais lui avoir parler, mais elle me semble être du genre à raisonner comme ça. Comme une battante.

Je me sens mieux maintenant que je sais ce que mes paroles signifient, mais je ne prononce pas la suite. Plus tard, si elle ne comprend pas, je le dirai peut-être. Pour le moment, ce simple mot contient tout ce que je ressens. Colère. Envie. Intérêt. Compassion *non ! Je... si... elle doit s’sentir comme moi quand Maman est morte !*. Rage. Injustice. Cette envie irrésistible de frapper encore et encore le premier Autre venu. Ça aussi, elle doit le ressentir. Sans doute pas pour les mêmes raisons, mais elle a forcément envie de faire ça.
Et je suis incapable d’en dire plus, tout ce que je veux exprimer est contenu dans ce simple mot :
Jenkins.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]
04 avr. 2019, 17:06
 PV  Miroir de Flammes
Tally était prostrée sur la chaise. Enfin, sa chaise. Sagement, sa fidèle amie l’attendait, chaque jour. Elle était toujours là, elle ne bougeait pas d’un pied. Ce robuste bout de bois était sans aucun doute la personne avec qui elle passait le plus de temps depuis l’épreuve fatidique. Depuis que Mei s’était transformée avant de… disparaître. Même Miss Lloyd avait du mal à déterminer où avait bien pu disparaître la jeune Chinoise. Celle-ci semblait bien loin. Dans un lieu que Jenkins ne pouvait atteindre, ni même comprendre. Une seule chose à faire : attendre.
La Serdaigle avait peut-être une seconde occupation : tourner et retourner la piécette porte bonheur du coffret du Grand Crapaud.

Elle se demandait souvent ce qu’il deviendrait, une fois que Mei s’occuperait plus du Dragon que de son animal. Elle se demandait aussi ce que faisaient les Créatures de Lien lorsque leur propriétaire ne les appelait pas… quand ceux-ci étaient endormis ou… morts ? Cela fit frissonner la rouge. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il advenait à une Créature de Lien lorsque son propriétaire mourait. On avait parlé des trois jeunes prodiges comme des personnes qui avaient su dompter ces bestioles mythiques, ils avaient donc implicitement accepté d’être liés à eux. Puis, ses pensées divaguaient, si elle avait dû se lier à un animal occidental, lequel aurait-elle aimé choisir ? Elle avait beau tourner et retourner ses connaissances en matière de Soins aux Créatures Magiques, rien ne valait le Dragon. Ni même le Crapaud Géant. Ils avaient décidément bien trop la classe.

Elle soupira. Parfois, même souvent, elle les jalousait. Elle enviait cette culture d’ailleurs qui lui faisait miroiter une puissance que les Occidentaux ne pouvaient effleurer qu’après des dizaines d’années d’entraînement. Elle enviait leur vision de la magie, comme deux pans en équilibre. C’était poétique. Et tellement plus censé que leur vision à eux fondée sur un « bien »  idiot et un « mal » encore plus infondé. Régulièrement, elle pensait à la transformation de Mei. La Magie Noire en action. La Magie Noire à l’état pur. C’était beau, c’était sensible. C’était hors du commun. Tally ne rêvait que de ça : être hors-norme. Dépasser les autres. Être mieux. Plus forte. Accabler les autres de reproches en démontrant sa puissance. Si parfois ce sentiment la prenait sur le terrain, ce n’était jamais le cas en magie. Elle n’avait qu’à se rappeler la brume qui l’avait envahie lorsque Miss Loewy l’avait assommé d’un simple Stupéfix.

Puis, quand Mei se réveillerait, ils partiraient. Et ça, elle n’y était pas préparée. Elle voulait rester auprès d’elle. Comprendre sa magie, sa culture, apprendre à la connaître, un peu mieux. Démêler ses histoires de familles, rencontrer Tran Hong Dao. Elle avait l’impression de lui avoir tant donné alors qu’elle restait un mystère entier à ses yeux. La rouge soupira à nouveau lorsque ses yeux se posèrent sur la brune. Si paisible dans son sommeil. Mais sa langue acérée lui manquait outrageusement. Il fallait qu’elle se réveille.

Son nom se répercuta entre les quatre murs de l’infirmerie.

Par réflexe, Tally Jenkins fit volte face et bondit de sa chaise. Si elle avait toujours été impulsive, le fait que Mei soit dans une position de faiblesse la rendait folle. Elle détailla la gamine qui l’avait interpellée. Elle se souvenait d’elle. Immédiatement, elle lui tapa sur le système. La peste prétentieuse. Celle qui entrait systématiquement en contradiction avec elle lorsqu’elles s’étaient retrouvées enfermées dans un piège ridicule. La Miss-Je-Sais-Tout qui lui courrait sur le haricot. Elle fit la moue. Elle ne voulait pas gaspiller du temps et de la salive pour cette gosse.

« _ Quoi ? fit-elle en retrouvant sa position assise. Nan. Casse-toi. T’as rien à faire là. Elle ferma son visage et se concentra sur Mei. Personne n’avait autant le droit d’être ici qu’elle. Alors, quand la Poufsouffle tarda un peu trop à tourner les talons, Tally grimpa sur ses grands chevaux pour la confronter. Elle se planta dans toute sa hauteur face à Thalia. T’es bouchée ?! J’ai dis. Casse. Toi. et elle suréleva un peu le menton. »

4ème année RP | < Adulte à présent mais que fait-elle ?
#Aïe aïe aïe | Honneur, force et persévérance.
Tallaze et Blally le couple naze en carton
11 mai 2019, 22:01
 PV  Miroir de Flammes
Les Autres sous-estimaient bien trop souvent le pouvoir des mots. Je l’avais remarqué il y a bien longtemps. Chaque instant de mon existence ne faisait que confirmer cette Suprême Vérité. Les mots étaient puissance car ils contenaient tout ; de leur simple signification à leur résonance vibrante, ces assemblages de syllabes pouvaient défoncer un être en une fraction de seconde. User des mots était délicat, cette simple raison faisait que leur usage était rare et précieux chez moi. D’autant plus que si les mots possédaient un pouvoir terrifiant, ils étaient bien plus dévastateurs couplés avec leur Moitié. Silences et mots étaient deux forces contraires et semblables, qui menaient une bataille permanente pour trouver leur Temps, le Temps où un des deux dominerait. Avec une observation minutieuse de ce combat incessant, un accroc s’était révélé à moi ; une petite faille pour les saisir tous deux et les plier à ma volonté dictatoriale. Oh, ils se rebellaient, bien sûr. Ils s’échappaient sans que je ne le veuille, se substituaient parfois l’un à l’autre, se déformaient contre ma volonté. Petit à petit, je tentais de créer une complicité avec ces deux Moitiés, mais elles étaient profondément récalcitrantes et ma patience n’était que rarement présente. Mais avoir conscience du pouvoir des mots tout comme du pouvoir du silence était matière précieuse pour les appréhender et les utiliser. Mesurer leur étendue était la seule chose importante.
Et les Autres sous-estimaient bien trop souvent le pouvoir des mots, tout comme celui des silences. Pourtant, leur Force était présente à chaque instant. Ici, il ne m’avait fallu qu’un mot.


Un mot. Sept petites lettres qui étaient insignifiantes et inutiles quand elles étaient éparpillées, et qui trouvaient leur sens lorsqu’on les assemblait. Un mot. Juste un.

« Jenkins. »


Un mot. Il avait fusé hors de mes lèvres et avait heurté l’air environnant. L’atmosphère ambiante s’était tendue, et par cette tension, elle s’était tant durcie que le mot avait rebondi contre elle pour se diriger droit vers la chaise. Et frapper Jenkins de plein fouet. Un mot.
*Les Autres sous-estiment bien trop souvent le pouvoir des mots* répéta ma conscience. Sinon, comment ces sept petites lettres auraient-elles pu créer ce bouleversement ?

Jenkins bondit de sa chaise et se retrouva face à moi. Mon regard avait suivi le mouvement brutal avec une fascination exaltante, et la vivacité des réflexes de la Serdaigle fit apparaitre une étincelle dans mon regard. *C’te fille est parfaite* ajoutais-je avec exaltation. Parfaite pour ce que je souhaitais. Son corps entier vibrait de fureur, chacun de ses gestes était empli d’une rage incontrôlée. Magnifique. *MAGNIFIQUE !* hurla ma conscience. Rage, la vraie, était un Monstre rare que je côtoyais depuis bien longtemps ; Jenkins était sublime à être autant possédée par Rage.

Passée l’apparente surprise, quelque chose sembla s’éteindre dans ses yeux ; je savais ce que c’était. Par Merlin, je le savais parfaitement, et c’était foutrement énervant ! *Elle m’a r’connu* tiquais-je avec un énervement dissimulé. *Et elle m’trouve pas digne d’intérêt, hein ?*. En retrouvant sa position assise, Jenkins prouvait qu’elle n’en avait rien à faire de moi et qu’elle ne pensait pas que je puisse représenter un danger. Parce qu’ici, elle savait être la plus forte. Mes yeux s’allumèrent et se mirent à briller du brasier de la rage. Je n’étais pas digne de son intérêt, n’est-ce pas ? Et que dirait-elle donc lorsqu’elle saurait qu’elle non plus n’était pas digne de mon Suprême Intérêt, car la seule chose qui m’intéressait était sa force et sa rage ?

« Quoi ? » commença t-elle à dégueuler. Tous ses sens semblaient alertes, son corps tendu comme dans un instinct défensif. Défensif ? *Ah !*. Protéger Mei-la-guerrière, se dresser devant elle. Mei. Alors comme ça, la seule chose digne de son intérêt de Grande était Mei ? Mon accroche était trouvée ; mon point d’appui pour commencer était fixé et je ne le lâcherai pas. « J... » commençais-je avec hargne et puissance, avant que sa voix ne me coupe dans toute sa rage :

« Nan. Casse-toi. T’as rien à faire là. »

Tout son être semblait dirigé vers son But ; l’unique sens de son existence du moment, n’est-ce pas ? Protéger la fille inconsciente. *Idiote* remarquais-je avec nonchalance. Attaquer Mei était certainement la dernière chose que j’allais faire ; cette fille était la puissance même, peut-être plus que Jenkins, et l’attaquer serait risquer d’abimer une telle puissance brute. Pourtant, je sentais mes bras qui tremblaient, j’étais consciente de chaque pore de ma peau. Cette fille m’irritait, m’énervait comme de rares Autres savaient le faire. C’était là la capacité étrange de Jenkins, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’aimer cette capacité. Mais elle m’avait coupé la parole, cette Grande dont la seule saveur était sa rage et sa force — *mensonge* signala mon inconscient —, et je détestais ceux qui me coupaient la parole. C’était comme briser l’once de voix que je laissais échapper, c’était horrible, destructeur. Et cette fille me coupait sans même s’en rendre compte, pour me dire de dégager. *MAIS J’VAIS PAS DÉGAGER, JENKINS !*. J’étais déchainée, mais cette sensation me faisait du bien. Mon but était tout proche, et je ne laissais jamais mes Objectifs s’échapper.

« T’es bouchée ?! J’ai dis. Casse. Toi. »

Et mon sourire franchit toutes les barrières que je lui imposais pour s’installer sur ma face. Moqueur, il régnait sur mes lèvres, les étendant d’une manière pas si désagréable tant elle était naturelle. Jenkins était une Force, mais elle ne savait pas se contrôler. Son cœur était de feu, ses gestes étaient de feu, sa rage était de feu. Et moi, j’allais tendre une branche au cœur du brasier, pour l’embraser et récupérer tout le feu que je pouvais.
Le sourire qui habitait désormais mon visage était transcendant par sa tendance à se foutre du reste du monde, et en l’occurrence, Jenkins s’attendait surement à me voir partir en courant comme tous ces petits idiots d’Autres. Mais elle se heurtait à mon sourire moqueur, et cette pensée ne faisait que nourrir mon sourire.

« Pas b’soin d’la protéger, elle est bien trop belle pour que j’l’attaque. » lançais-je avec force en pointant Mei du menton. Mei qui avait produit de la Magie Noire, ou ce que les imbéciles du Château nommaient ainsi. Simplement une Moitié de Magie, qui allait avec la Magie Blanche aussi bien que le silence allait avec les mots ou que le Yin allait avec le Yang. *Yin-Yang*. « Yin-Yang. Si j’la frappais, j’suis sûre qu’ça la réveillerait. Quelqu’un d’aussi équilibré se laisserait pas faire sans réagir ; la stupidité des occidentaux les rend faibles en les privant d’une Moitié de leur Magie. »

Merde. JE NE VOULAIS PAS LE DIRE ! C’était censé être des pensées, pas des paroles. *Par tous les Mages, j’déteste ça !*. Les mots n’avaient pas ce droit de sortir quand je voulais qu’ils restent informulés : ils étaient mieux informulés, une partie de leur puissance s’envolait lorsqu’ils atteignaient l’air. Et puis, Jenkins avait beau être une Force, elle restait une Autre. Ce degré de Compréhension était bien trop lointain pour elle. *Ah, si j’étais née en Chine...*. Ça ressemblait presque à une supplique. Non, ce n’était qu’un soupir, une constatation. C’était obligé. Je pouvais très bien trouver le moyen d’être surpuissante ici aussi, sinon, je ne me serais pas trouvée devant Jenkins en cet instant. Et si j’étais née en Chine, quoi ? Qu’est-ce que j’aurais fait ? *Je...*. Je ne savais pas. C’était horrible. Je savais juste que... *Si j’étais née en Chine, je s’rais une myriade de fois plus puissante !*. Oui, c’était certain. Maintenant, ce que je devais faire était simple : par tous les chemins possibles, je devais atteindre cette puissance infinie, cette maitrise magique, que j’aurais eu en étant née là-bas.

Mon regard s’était perdu dans le vide et je me re-concentrais vivement sur la fille aux cheveux de feu. Elle brûlait toujours, c’était vraiment superbe à observer. Rares, si rares, étaient les Autres qui brûlaient assez de colère pour attirer ainsi l’œil et mériter une certaine contemplation. Devant elle, j’aurais pu rester des heures cachée dans un coin, à la regarder se consumer de rage.

« Ta rage est foutrement belle à r’garder, t’sais ! » laissais-je échapper sans trop savoir si je le voulais vraiment. « Tu veux tellement pas admettre que t’es désespérée parce que Mei-la-guerrière est plus avec toi que tu transformes ton désespoir en colère ; j’connais ça, mais j’savais pas qu’c’était aussi sublime à observer. »

À peine les mots échappés de mes lèvres qu’une vague de compréhension me submerge : elle va hurler. S’il s’avère que j’ai raison, elle n’acceptera jamais la réalité et encore moins le fait que j’ai pu saisir ne serait-ce qu’une parcelle de sa réalité, et elle hurlera. Si elle ressent ce même sentiment de désespoir que moi à chaque fois que je perds un Autre qui m’était cher et que je croyais être différent des Autres, la probabilité que j’ai raison était extrêmement élevée.
*Parfait*. Tally Jenkins allait peut-être se révéler à moi dans toute sa splendide rage.

Mais chaque mot que je laissais échapper, chaque pensée que je formulais, m’approchais un peu plus de mon But, et du danger dans le même temps. Et également d’une chose aux contours un peu flous qui me faisait légèrement peur : Jenkins brûlait de rage. Un feu se transmet, et c’était exactement ce que je souhaitais au plus profond de moi ; brûler également de puissance, comme elle. Mais un feu brûle les doigts de celui qui s’en approche, n’est-ce pas ?
C’était stupide. Tally Jenkins n’était rien qu’une Autre, et je savais me défendre contre Eux.
*Rien qu’une Autre*.
Rien qu’une Autre, qui pourtant se comportait devant Mei inconsciente de la même manière que je me comportais devant le corps de Maman.

*RIEN QU’UNE AUTRE !*.
*Mais ce s’rait bien qu’ce soit pas une Autre*.
Quoi ? QU’EST-CE QUE J’AVAIS PENSÉ ?

*Ce s’rait bien qu’pour une fois, y’ait quelqu’un qui m’comprenne*.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]