C'était en jouant à saute-mouton dans le parc de l'école que le drame était arrivé. Blaze avait pris beaucoup d'élan pour sauter par dessus Eliott -peut-être un peu trop. Il avait aisément réussi à sauter par-dessus le frêle garçon mais il était violemment retombé sur ses genoux puis face contre terre. Cela lui avait valu un petit saignement de nez qui n'avait pas duré, et une légère bosse sur le sommet du crâne. Mais aussi, une violente douleur avait irradié son genou droit. Le garçon n'y avait pas prêté beaucoup attention, il avait l'habitude de se faire mal, d'ignorer sa douleur, puis le tout passait au bout de quelques heures ou jours. Il avait donc terminé la journée ainsi et la nuit, rien pas même cela ne pouvait perturber son sommeil de mort. Mais le lendemain matin, il fut surpris de pouvoir à peine plier le genou sans ressentir une vive douleur et surtout -le tout était étrangement gonflé.

Ses amis avaient du le traîner de force à l'infirmerie. En semaine, il n'aurait rien dit : cela aurait été un plaisir de rater des cours. Mais là, c'était un dimanche et il n'avait qu'une seule envie, c'était profiter du beau temps qui revenait enfin et jouer à nouveau dehors. Pas rester cloîtré dans un lit. Miss Lloyd lui avait alors dit qu'il avait une entorse -rien de très grave, mais il ne fallait pas forcer sur sa jambe pendant un moment et il devait porter une attelle. Une fois soigné, il avait bondi hors de son lit (et failli tomber au passage) en criant qu'il allait retourner jouer au Chat avec ses copains et au final, probablement de peur qu'il n'aggrave son cas, miss Lloyd lui avait demandé de rester toute la matinée à l'infirmerie.

Bref, c'était une longue et ennuyeuse histoire, je vous l'accorde. Désormais, Blaze s'ennuyait. Successivement, il chantonnait, grognait ou ronflait. Il passait le temps en imitant des bruits de pet avec sa bouche ou en roulant avec ses doigts des crottes de nez qu'il essayait d'envoyer le plus loin possible. A un moment, las et profondément ennuyé (cela devait faire une demi-heure qu'il était arrivé !), il se tourna vers un lit voisin. Il y avait une étrange forme sous la couette et une poignée de cheveux dépassait. Quelqu'un ! Il y avait QUELQU'UN !

« Héééé ! » murmura-t-il tout bas. « Tu m'enteeennnds ?? Tu vas bien ? T'es qui ? Tu veux parler ? On peut parler si tu veux. Tu veux parler de quoi ? Tu préfères la confiture de figues ou de mirabelles ? Pourquoi t'es lààà ??  »

Je n'avais vraiment pas de chances. Même beaucoup de malchance. Ma journée avait très bien commencé, j'avais passé une nuit agréable à rêver d'Alaska et des vacances de Pâques qui approchaient à grands pas, et je m'étais levé de bonne humeur. J'avais ensuite mangé en compagnie de Taylor et (malheureusement) de ma cousine Athéna, où elles avaient eut une discussion de filles, de laquelle j'étais exclu, mais je m'y étais habitué. Nous étions un dimanche, j'avais donc quartier libre. Ni cours, ni devoirs à faire car expédier hier. Une journée pour m'amuser avec mes amis. J'avais donc rejoins mon ami Deamon et nous nous étions alors promener vers le Lac Noir, en souvenir de notre première discussion (et de notre excursion risquée avec le calmar géant). Jusque là, tout allait pour le mieux, je riais et voyais la vie en rose. Sauf que, avec ma malchance et ma maladresse, tout ne pouvait pas se passer de cette façon.

Un malheur arriva, en même temps qu'un élève d'une année supérieure bien énervé. Ce garçon n'avait pas l'air très intelligent, avec ses cheveux blonds rasés et son air niais. Par contre, il allait très vite et semblait être en colère. Et ce qui devait arriver arriva, le grand à l'air niais me fonça dedans sans me remarquer. Pourtant j'étais assez grand et ne passais jamais inaperçu, mais cet élève devait être trop énervé (ou trop bête) pour s'apercevoir qu'il fonçait dans un pauvre petit première année traumatisé. La violence du choc me déséquilibra et m'envoya valser contre un arbre à côté duquel j'étais. Mon dos heurta le tronc, et mon coude droit s’égratigna contre l'écorce rugueuse. Mais ce ne fut pas le pire : en tentant vainement de ne pas tomer, je réatterris sur mon pied droit qui, sous mon poids se tordit et craqua. De douleur, je poussais un cri avant de m'effondrer au sol en me tenant la cheville.

Les yeux clos, je tentais de rester calme et de retenir mes larmes, mais c'était difficile. Quelqu'un me porta jusqu'à une pièce où cette même personne me laissa aux soins d'une autre personne (une femme cette fois-ci, avec une voix horriblement aiguë). Je me laissais faire, tandis qu'elle m'allongeais dans un lit douillet. La douleur était toujours bien présente, mais je me risquais un regard vers l'extérieur, par dessus ma lourde couette blanche. Une femme s'affairait autour de moi. C'était l'infirmière, Mlle. Lloyd. Quand elle aperçu mon oeil sortir de sous ma couche épaisse d'édredon, elle me tendit un flacon de liquide bleuté.

"Tiens, prends. C'est un petit anti-douleur, ça ne te ferais pas de mal."

J'attrapais d'une main tremblante le flacon et me relevais de quelques centimètres afin d'engloutir le contenu amer de la fiole, avant de me replonger dans mon lit douillet. La douleur s'estompa un peu, mais je sentais toujours ma cheville, avec l'impression qu'elle allait exploser. J'entendis soudain une voix masculine chuchoter près de moi :

"Héééé ! Tu m'enteeennnds ?? Tu vas bien ? T'es qui ? Tu veux parler ? On peut parler si tu veux. Tu veux parler de quoi ? Tu préfères la confiture de figues ou de mirabelles ? Pourquoi t'es lààà ??"

Un soupir franchit mes lèvres, suivit d'un grognement de douleur après que j'ai une nouvelle fois émerger de sous ma couette. Une tête brune était tendue vers moi. C'était à lui qu'appartenait la voix qui ne cessait de poser des questions. Un peu ronchon, je lui répondis :

"Oui, ça je t'entends... T'es plus bruyant qu'une armée de cloches qui sonnent en même temps... Et non, je ne vais pas bien. J'ai mal. Je suis moi, et toi ? Oui, je veux bien parler, je m'ennuie un peu. Je sais pas, comme tu veux. Personnellement, j'préfère celle de mirabelle, surtout celle de grand'ma. Et toi ? J'suis là parce que je me suis fais mal."

Il y avait bien quelqu'un sous cette couette ! Une petite tête brune apparut. Blaze éclata de rire lorsque l'autre lui dit qu'il était plus bruyant qu'une armée de cloches. Il trouvait la comparaison plutôt amusante, mais il mit rapidement une main sur sa bouche pour essayer de calmer son hilarité. Il ne voulait pas être assommé avec un tranquillisant ou autre truc du genre parce qu'il "incommodait" les autres occupants de l'infirmerie. Le garçon ne daigna pas se présenter mais ce n'était pas grave car maintenant qu'il était à visage découvert, Blaze le reconnaissait. C'était un première année à... Gryffondor s'il ne se trompait pas ? Il avait parfois cours avec lui. Il n'indiqua pas non plus la raison de sa présence ; enfin si, apparemment, il s'était fait mal. Mais c'était si évident que Blaze eut l'impression d'être pris pour un idiot. Le petit Serdaigle afficha une moue boudeuse et croisa les bras. Heureusement l'autre -ah certes il le reconnaissait, mais il avait oublié son prénom ! préférait aussi la confiture de mirabelles. C'était un bon point commun.

« T'es vraiment bizarre comme type. Tu parles pas comme les autres, genre tu dis pas ton nom et t'expliques pas tout correctement. Moi j'suis là parce que je suis tombé en jouant à Saute-mouton, c'est un peu naze mais je serai bientôt sorti de l'infirmerie je pense. C'est parce que j'ai la bougeotte et que l'infirmière a peur que j'aggrave mon cas que je suis coincé ici. »

Il sourit. 

« Mais bon, t'es p't'être bizarre mais comme on préfère tous les deux la confiture de mirabelles, j'pense qu'on peut quand même être copains. 'Fin, si tu veux. Dis, machin -je t'appelle comme ça parce que t'as pas donné ton nom ; euh moi non plus d'ailleurs, moi c'est Blaze. Bref, Machin. Tu veux faire un concours de celui qui lance le plus loin ses crottes de nez ? On a droit à deux doigts, et on doit pas prendre d'élan. Okay ? Par contre j'commence à manquer de matière première, j'ai pas mal joué tout seul tout à l'heure. »

Il espérait sincèrement que l'autre accepterait. Blaze ne connaissait pas beaucoup de jeux d'intérieur alors il faisait comme il pouvait.

Ma tête finit d'émerger de sous mon lourd  édredon, accompagnée d'un rideau de cheveux noirs et emmêlés. Je me relevais avec lenteur et douleur à la fois à l'aide de mes coudes. Ma cheville, même si elle était située à l'autre bout de mon corps, m'élançais douloureusement à chacun de mes gestes. C'était très, très pénible et j'émis un grognement d'agacement mêlé avec de la douleur. Pourquoi fallait-il que le sort s'acharne sur moi ? Déjà qu'en tombant je m'étais fait très mal, mais si je ne pouvais même pas bouger comme bon me semble, je pense que je rentrerais très vite dans une dépression. Moi qui aimait tant bouger et faire des bêtises, grimper aux arbres ou plonger dans le Lac en compagnie de mes amis, je devrais surement rester cloitrer dans une pièce blanche infernale à regarder les murs jusqu'à la fin de la semaine.

La voix du garçon m'ayant interpellé me rappela alors que je n'étais pas le seul à être dans cette galère, et j'esquissais un demi-sourire en entendant ses propos. Il disait que j'étais bizarre et que je ne répondais pas comme les autres. Cette phrase me fit marrer intérieurement, car je savais que les autres personnes rencontrées pensaient ça de moi. C'était plus fort que tout, je n'aimais pas dévoiler mon nom où mes raisons d'être dans un lieu quelconque dès que je voyais quelqu'un. Je préférais laisser un voile de mystère sur ma vie, en laissant les autres aux prises avec une devinette sur mon nom, alors que je connaissais déjà le leur.

Le garçon m'expliqua alors la raison de sa venue, ce à quoi j'éclatais littéralement de rire.

"Moi c'est pas mieux ! C'est un gars bête comme ses pieds qui m'a foncé d'ssus. Et j'suis tombé contre un arbre. Ma cheville a craquer, et je sais toujours pas c'qu'elle a. Moi, j'suis coincé ici parce que je ne peux pas bouger mon pied, même sous antidouleur. Alors j'attends que Mlle. Lloyd arrive."

J'accompagnais cette phrase d'un regard vers le reste de l'infirmerie. Il était identique à ce que je m'étais imaginé : des lits blancs alignés, où se reposaient parfois un élève ou deux ayant des malformations physiques dues à un sort ou tout simplement une maladie intérieure. Les murs étaient aussi blanc que le visage des patients, et j'aperçus une porte close qui donnait sur le bureau de l'infirmière. Et, en dernier, je vis une grande fenêtre lumineuse, donnant sur le Parc ensoleillé. L'astre solaire brillait de milles feux, ce qui me fit rager. Et moi qui était enfermé dans ce trou blanc ! Mon regard translucide se détourna alors des fenêtres lorsque le garçon parla, pour aller se poser sur son visage. Il proposa d'être ami avec moi, puis se présenta comme étant Blaze. Il m'appela Machin, ce à quoi je répondis, une lueur de malice dans les yeux :

"Machin, c'est un joli prénom, mais j'pérfère quand même que tu m'appelle par un surnom mieux. Au fait, je m'appelle Ulysse, mais ma meilleure amie me surnomme Ulyssounet, donc si tu veux... t'peux m'appeler comme ça."

Lorsque je parlais de "ma meilleure amie", je m'inquiétais. Taylor ne savait pas où j'étais, et devait s'inquiéter. Il fallait que je trouve un moyen de la prévenir. Mes pensées furent une nouvelle fois détournée lorsque Blaze me proposa de faire un concours de lancer de crottes de nez. Surpris et assez dégoûté, je tordis la bouche, signe que je n'étais pas totalement partant. Pourtant, une petite voix me dictait de dire oui, car sinon j'allais m'ennuyer ferme. J'acquiesçais avant de dire :

"Ok, par contre... hum... je n'ai jamais jouer à ce... jeu ?"

Tout en écoutant l'autre garçon, Blaze occupait ses mains comme il pouvait. Il s'amusait à secouer sa couverture pour faire de l'air et observait la transparence des draps blancs en passant sa main derrière le tissu. L'infirmerie, c'était d'un ennui mortel. Heureusement qu'il n'était pas entièrement seul sinon, il n'aurait probablement pas survécu pendant cette longue attente. Blaze ne put s'empêcher de rire aussi quand le Gryffondor exposa la raison de sa présence à l'infirmerie. Pourtant au fond ce n'était pas si drôle ; il riait alors que l'autre avait probablement assez mal, mais il trouvait l'image d'une grande perche percutant une brindille sur son passage sans l'apercevoir vraiment très hilarante. 

« Si ça a craqué, c'est que c'est cassé, j'pense. T'as pas de chance si elle ne s'est pas encore occupée de toi, moi elle m'a réparé presque à mon arrivée ! N'empêche, tu dois être sacrément fragile pour te casser un truc parce qu'on t'a poussé. » dit-il après s'être lui-même foulé la cheville en jouant à Saute-Mouton. L'autre s'était enfin présenté -il s'appelait Ulysse. Blaze lâcha un "ah !" comme s'il se souvenait enfin de ce prénom si particulier. Le surnom le fit rire. Ulysse, c'était très bien. Blaze réservait les petits surnoms aux personnes qui lui étaient proches, c'est-à-dire sa famille et ses deux meilleurs amis. Il aurait l'impression de trahir Herschel et Eliott s'il commençait à appeler le Gryffondor Ulyssounet ou encore Ulychou. 

Il lâcha un soupir lorsque le garçon indiqua qu'il ne savait pas jouer à ce jeu. Déjà, ce n'était pas un jeu : c'était une compétition. Il y avait une sacrée différence. Pour une compétition, c'était beaucoup plus sérieux et il y avait des enjeux, même si Blaze n'avait pas encore décidé de la nature de ceux-ci. Ensuite, il pensait pourtant que la manière de procéder était universelle. Devait-il réellement apprendre à ce garçon à rouler des crottes de nez et à les éjecter... ?

« Ulysse, c'est quand même mieux que Machin. C'est bizarre que t'aies jamais joué à ça, je pensais que tout le monde connaissait moi. Bon, j'te fais une démo mais une seule, compris ? J'ai quasi plus rien dans mon nez alors je dois garder des réserves. Observe le maître. » fit Blaze avec le plus grand sérieux. C'est son pouce qui vint se loger dans sa narine gauche, tournant sur lui-même jusqu'à dénicher une petite perle. Il la sortit délicatement de son habitat et l'observa avec une satisfaction coupable. Ensuite, à l'aide de son index, il la roula contre son pouce pour lui donner une parfaite forme ronde. Ceci fait, le bout de son index prit appui sur son pouce, placé perpendiculairement, juste derrière la perle. « On vise... et hop, on éjecte la marchandise ! » expliqua Blaze en alliant le geste à la parole. La petite perle se perdit rapidement plus loin, sur le sol. Malheureusement, de leur emplacement, il était difficile pour les garçons de la localiser.

Une fois ma dernière phrase prononcée, je voulus rectifier mais Blaze ne m'en donna pas la temps. En fait, j'avais déjà "jouer" à ce "jeu" qui était en réalité une compétition aux yeux de mon camarade. Avec mon frère, parfois quand je n'étais encore qu'un gamin de cinq ans qui s'ennuyait dans son lit alors que mes parents pensaient que je dormais, on s'amusait à faire une Course aux Crottes de Nez (plus couramment appelé CCN). Le but était d'être celui lançant le plus de crottes de nez en une minute. Achille gagnait tout le temps, car je n'étais pas très doué pour ce genre d'activités. Nous jouions souvent à ça, mais aussi à des concours de prouts ou de rots. Rien qu'à y penser, tout cela me donnait la nausée. Je me demandais à présent comment j'avais put aimer autant ces activités dégoûtantes. La seule raison valable que je trouvais ? Que j'étais petit et insouciant.

Blaze éclata de rire lorsqu'il entendit le récit de ma chute. Vexé, je le fusillais de mon regard translucide avant de croiser les bras - en me faisant souffrir la cheville au passage. Mon camarade se calma, surement car il avait vu le regard noir que je lui avais lancé, et me dit que ma cheville devait être cassée. A ces mots je soupirais. Lorsqu'il remarqua que l'infirmière n'était toujours pas venue pour moi, je lançais un regard en arrière afin de voir où était Mlle. Lloyd. Nulles traces de cette dernière, qui semblait s'être absentée derrière la porte close, qui devait donné accès à son bureau. Il n'y avait presque plus aucuns malades dans l'infirmerie, sauf une fille aux oreilles de lapin qui poussait des couinements aigus. Je ne put m'empêcher de ricaner en la voyant.

"Ma cheville cassée... cool, je vais devoir rester des millions d'années enfermés à l'infirmerie. A m'ennuyer. Toi, tu pars quand d'ici ? Elle t'la dit ?"

Blaze, sans attendre ma réponse, avait déjà reprit la parole pour me dire qu'il me faisait une démo de son jeu bizarre. Il alla chercher une perle dans son nez avant de l'envoyer à l'autre bout de la pièce, où je la perdit de vue. Opinant du chef, je me redressais un peu dans mon lit - en grinçant des dents pour m'empêcher de crier de douleur - et posais lourdement mon dos sur mon oreiller posé à la verticale contre le mur. J'imitais mon camarade en délogeant une petite perle dont mon nez était rempli de son habitat naturel pour la déposer sur mon pouce et l'expulser à l'aide de mon index. Elle vola pendant au moins cinq secondes avant d'atterrir quelque part près de la porte du bureau de l'infirmière. Je demandais à Blaze, tout sourire :

"Alors, j'y arrive bien ?"

Blaze était particulièrement déçu par sa propre performance de lancer de crotte de nez. Après que la perle eut quitté son doigt, il l'avait aussitôt perdue de vue et était totalement incapable de savoir, à peu près, à quelle distance il l'avait envoyée. C'était ce qu'il arrivait quand il ne restait plus que de petites solitaires, et que les grosses bien dodues avaient déjà servi aux jeux antérieurs. Le garçon se tourna vers Ulysse ; peut-être avait-il réussi à observer la trajectoire de sa crotte de nez, lui ?! Son voisin de lui s'était redressé dans son lit et avait enfoncé l'un de ses doigts dans son nez. Ravi, Blaze l'applaudit. Il avait enfin réussi à convertir quelqu'un à son jeu préféré ! Cela n'avait pas été une mince affaire. Au sein de sa propre maison, il avait déjà acquis une réputation de cradingue auprès de certains garçons. Le petit sorcier garda les yeux rivés sur la jolie perle dégotée par son nouvel ami -c'était forcément son ami s'ils jouaient aux mêmes jeux. Elle était impressionnante ! Et le lancer aussi fut impressionnant : le regard du garçon suivit avec attention la trajectoire de la petite perle, qui vola bien longtemps et bien haut jusqu'à atterrir près de la porte du bureau de l'infirmière. 

Blaze, qui s'était aussi redressé dans son lit, applaudit de toutes ses forces au risque de se faire disputer. Il parvint à faire redescendre son enthousiasme d'un cran en se souvenant que l'infirmerie, c'était comme la bibliothèque : 'fallait pas abuser avec le bruit ! Néanmoins, c'était avec un regard brillant d'admiration qu'il se tourna vers Ulysse. 

« Mec, t'es vraiment un génie ! Mais c'est vraiment la première fois que tu fais ça ?? J'te le dis parce que faut quand même que tu saches, mais t'as un *** de talent ! J'ai rarement vu un aussi beau lancer ! Mais mec, tu pourrais participer à des concours nationaux ! Nan, des concours internationaux, tu sais, avec plein de pays différents ! Je pourrais être ton entraîneur si tu veux ! »

Néanmoins, cela s'annonçait compliqué pour leur compétition. Blaze ne se sentait pas capable de le vaincre ; il n'avait plus beaucoup de matière première et l'autre était trop fort pour lui. Sans rien dire à Ulysse, il rétrograda l'activité de "compétition" à "simple jeu". Hors de question de se faire battre ! Pourtant d'ordinaire, Blaze aimait prendre des risques mais on ne rigolait pas avec ce jeu-là. 

Il se souvint aussi que le Gryffondor avait dit quelque chose avant leurs premiers lancers. Ah, qu'est-ce qu'il pouvait être peu attentif parfois... Le garçon se gratta la tête, comme si cela pouvait ramener quelques souvenirs à sa mémoire. Oh chouette, ça avait fonctionné ! 

« J'sais pas si tu vas rester des millions d'années parce que d'ici là tu seras mort, enterré et décomposé. Mais elle est p't'être occupée avec un cas plus grave, j'sais pas, mais ton tour devrait pas tarder je pense. Moi je devrais partir au moment du repas. C'est pas question que je loupe un repas dans la Grande Salle d'abord, parce qu'ici j'suis sûr qu'on peut moins manger. »

Je tendis le cou pour voir l'endroit exact de mon projectile, sans le trouver. Je savais qu'il était atterrit à peu près vers la porte du bureau de l'infirmière, mais je n'avais aucunes idées de l'endroit exact. Je commençais un peu à m'inquiéter, bêtement : et si Mlle. Lloyd voyait ma petite perle, elle m'accuserait et me ferait nettoyer l'infirmerie de fond en comble malgré ma cheville surement cassée ? Je déglutis difficilement, me demandant si le jeu de Blaze était une bonne idée... A cette pensée, je tournais ma tête vers mon camarade qui semblait impressionner. Soudain, il déclara que j'étais un génie et que je pourrais participer à des concours nationaux ou même internationaux, et qu'il voudrait bien être mon entraîneur. Perplexe, et fier en même temps, je demandais avec une voix gorgée d'orgueil :

"J'suis si fort que ça ? Et je serais ravi que tu sois mon entraîneur, si ces concours chelous existent vraiment."

Dans la voix et le regard de Blaze, je vis qu'il y avait quelque chose d'autre que de l'admiration. Peut-être de la jalousie ? De l'incompréhension ? C'était vrai que je lui avais dit que je n'avais jamais jouer à ce jeu, ce qui était complètement faux. Il devait s'en étonner, car d'après lui mon tir était parfait et que ça aurait été surprenant que je sois véritablement débutant. Je me mordis la joue, un réflexe qui était normalement féminin mais que j'avais pris. Comment expliquer à mon futur entraîneur de lançage de crottes de nez parfait que je lui avais semi-mentit ?

Heureusement que mon FELCN (Futur Entraîneur de Lançage de Crottes de Nez) changea de sujet pour répondre à mon autre question. Il me déclara qu'il partirait surement à midi, ce qui me déprima. J'allais devoir rester tout seul pendant longtemps, jusqu'à ce que Mlle. Lloyd daigne enfin  me soigner convenablement. Je soupirais et lançais un regard empli de tristesse à mon camarade. J'ouvris la bouche pour lui répondre, mais un grincement provenant de l'autre côté de la pièce me coupa. Une femme sèche sortit par la porte que j'avais repéré tout à l'heure et se dirigea vers nous. Mlle. Lloyd.

"Bon, occupons-nous de toi..."

Blaze gardait un œil sur son jeune protégé. Il réfléchissait déjà aux futurs rendez-vous qu'il lui donnerait pour améliorer son art afin de le rendre apte à remporter des concours internationaux. Les deux garçons ne feraient probablement pas cela dans le parc, car il ne serait pas facile de retrouver les crottes de nez dans l'herbe. Il fallait un endroit neutre et approprié pour qu'ils puissent s'entraîner en toute discrétion, sans attirer le regard des adultes. Blaze avait un jour entendu parler de la salle sur demande. Il ignorait sa localisation exacte, et comment y accéder, mais si une telle salle existait, elle serait parfaite pour leurs entraînements secrets. C'était certain. Il y aurait probablement de beaux terrains plats, avec directement des appareils de mesure sur place et tout le nécessaire. Il s'apprêtait à confier son idée à Ulysse quand il aperçut l'infirmière qui se dirigeait vers eux. 

Il devina qu'elle venait probablement enfin pour s'occuper de son voisin de lit. Aussitôt, ne souhaitant pas encore une fois passer pour un élément perturbateur, il fit un petit clin d’œil à Ulysse, ce qui semblait vouloir dire  « On se retrouve tout de suite après ! », puis il se glissa sous les couvertures. Il tourna le dos à son camarade et cacha sa tête sous les couettes. Il resterait ainsi jusqu'à la fin des soins du Gryffondor. Après, ils reprendraient leurs jeux et leurs discussions concernant les entraînements de lancer de crottes de nez. Mais... ce n'était pas un brin suspect ? Pour que son sommeil paraisse plus réaliste, Blaze devait faire quelques efforts. Il se mit à ronfler -enfin, il faisait semblant bien évidemment, plus ou moins bruyamment, ce qui pouvait convaincre ou non toutes les personnes présentes dans l'infirmerie qu'il dormait bel et bien. Pfiou, c'était dur de faire semblant de ronfler. Pourtant, d'après Herschel et Eliott, il ronflait super bien la nuit. Ce ne devait pas être si différent...

Quand est-ce qu'elle avait fini, l'infirmière ? C'était long. Blaze avait envie de jouer à nouveau avec Ulysse. Il attendait. En ronflant.

Je jetais un regard fatigué à l'infirmière. J'étais à la fois triste et heureux qu'elle arrive enfin - ou plutôt, ma cheville était heureuse mais mon cerveau était triste. La première sautait littéralement de joie sachant qu'elle allait se faire soigner, l'autre se demandait si ça allait faire encore plus mal ou si j'aurais le temps de discuter avec Blaze juste après. D'ailleurs, ce dernier, en voyant Mlle. Lloyd arriver, m'adressa un clin d'oeil puis se tourna de l'autre côté, de façon à me présenter son dos. Pff. Il m'abandonnait aux mains de l'infirmière qui allait me torturer sans pitié avec ses remèdes de toutes les couleurs et de tous les goûts. Je soupirais bruyamment en la voyant apporter avec elle une fiole contenant un drôle de liquide jaunâtre. Je poussais un déglutissement (ça se dit ?) tout aussi bruyant que mon soupir, ce qui m'attira le regard noir de l'infirmière.

Elle me demanda d'une voix un peu sèche, mais où transperçait une sorte de sympathie :

"Vous avez très mal, jeune homme ?"
"Oui, m'dame... Dès que je bouge, ça m'fait mal. Blaze il dit que c'est cassé." dis-je en désignant le garçon enfoui sous ses couvertures.

Mlle. Lloyd hocha la tête sans rien dire et me demanda de poser ma cheville sur la couette afin qu'elle la voit mieux. Je tentais de m'exécuter sans pousser des hurlements de douleur, mais c'était compliqué. Dès que ma cheville était en contact avec la couverture, ou même bougeait d'un millimètre, elle m'élançait douloureusement. Quand la torture de la cheville sur la couette fut achevée, je découvris que le bas de ma jambe était rouge et gonflée. Rien que voir cet horrible tableau me fit mal. De nouveau, Mlle. Lloyd hocha la tête tandis qu'elle posait sa fiole.

"Bon, c'est moins pire que ce que je pensais. C'est juste une entorse. Je ne peux rien faire hormis te faire un plâtre en te prêtant des béquilles. Tu vas rester une nuit ici parce que c'est encore bien gonflé et je te laisserais partir demain matin. Ah d'ailleurs, demain, pas de cours pour toi."

Elle m'adressa un clin d'oeil complice avant de me dire qu'elle reviendrait dans quelques minutes pour me faire mon bandage. Puis elle partit, me laissant seul avec Blaze qui ronflait comme un sonneur. Au prix de nombreux efforts, je me penchais vers son lit et lui soufflais :

"Réveille-toi, faux dormeur, et dis-moi ce que je dois faire pour devenir un pro du lancer de crottes de nez."