Suite directe à ce RP


  Il baissa à nouveau les yeux et passa son pouce sur la jambe de son amie qu'il tenait dans sa main droite en un mouvement apaisant autant qu'il pu l'être. Il sauta, la remontant sur son dos, ravalant sa grimace de douleur. Le coup ne faisait plus mal, c'était simplement les bleus, ce n'était pas très grave. De toute façon, même la moindre pichenette le faisait marquer tellement il le faisait vite et pour pas grand chose. A l'époque, ses parents avaient même cru qu'il se faisait battre dans son école, même si ce n'était clairement pas le cas du tout. 

  -Je sais. J'suis désolé, t'as pas à l'être pour moi, t'm'as rien fais, ça va d'accord ? J'te promet. 

  Maman avait toujours dis "Ne sois pas vilain, Herschel". Parce que ce n'était pas digne de lui, disait-elle. Que c'était pas bien d'être vilain parce que ça ne nous aiderait à rien dans la vie, même l'inverse. On ne gagnait rien de bon à être méchant. La tristesse, la douleur, peut-être le pouvoir parfois mais un pouvoir de terreur. Il fallait être juste, gentil sans trop l'être, savoir être ferme sans être méchant. Il avait toujours tout fait pour être ce qu'on lui avait apprit, surtout parce qu'il savait qu'au fond c'était ce qu'il était et qu'il ne pourrait pas changer ça. Mais il était humain et avait ses défauts, comme le fait de s'énerver quand on attaquait quelqu'un à qui il tenait, et d'ensuite se sentir coupable comme si on avait torturé un chaton. C'était humain, la colère, la jalousie, le fait de se remettre en question, de se sentir coupable. Il était humain. Il l'avait toujours su mais on venait de lui balancer ses défauts à la figure et ça faisait nettement plus mal que quand il avait rencontré le sol quelques minutes plus tôt. 

  Il posa Panthéa au sol au niveau des portes de l'infirmerie et attendit patiemment qu'on se soit occupé d'elle avant de revenir vers elle et de se poser à côté de son lit, même s'il ne comprenait pas pourquoi elle en avait un. Était-ce le choc ? Il posa ses bras sur le lit, puis y posa sa tête. 

  -J'me sens vilain. 

L'infirmière l'avait d'abord taquinée, prenant son menton entre son pouce et son index en lui demandant si elle avait au moins gagné le combat duquel elle venait probablement de sortir, mais devant la mine déconfite de Panthéa et ses grands yeux encore pleins de larmes, elle fit le choix de la mener directement sur un lit pour l'apaiser. La jeune fille mentit en prétendant être tombée dans les escaliers. Bienveillante, l'infirmière lui avait demandé si elle s'était fait mal ailleurs qu'à la joue, mais devant les explications confuses de la jeune Serdaigle, elle prit le parti de la laisser se reposer tout à fait avant de lui poser de plus amples questions. Après s'être occupée de sa joue et de sa bouche, elle alla trouver Herschel, supposant qu'il était préférable de ne pas la laisser toute seule pendant qu'elle porterait secours aux autres élèves présents.

Panthéa supportait assez bien la douleur malgré sa mâchoire enflée. Elle était cependant bouleversée : non seulement on venait, pour la première fois, de la frapper en plein visage, mais elle avait aussi, sans aucun doute, perdu toute légitimité aux yeux de son meilleur ami. Elle retint ses larmes en le voyant arriver et préféra regarder la couverture qu'on avait mis sur elle plutôt que de poser les yeux sur lui, et risquer de lire toute la déception qu'il semblait ressentir à son égard. Elle était convaincue de l'avoir à tout jamais froissé, à tout jamais perdu.

Les mots qu'il prononça une fois installé à son chevet la surprirent complètement :

"J'me sens vilain."

Elle cligna des yeux, pas certaine d'avoir bien compris. Il se sentait "vilain" ? Etait-il possible qu'il se sente aussi coupable qu'elle ? Elle n'en crut pas ses oreilles.

"Hein ?", lâcha-t-elle, abasourdie. "M-Mais pourquoi ? C'est ... Tu as été exemplaire, c'est plutôt moi qui ... je crois que j'ai commencé la dispute et j'ai ... j'ai pas fait ..."

Elle éclata en sanglots. Elle avait eu mal, elle avait eu peur, elle avait eu le coeur brisé, c'en était trop. La jeune fille se cacha le visage dans les mains et se laissa complètement dépasser par ses émotions.

  Il n'eut pas envie de la prendre dans ses bras. Il l'avait toujours fait, à chaque fois qu'elle avait pleuré avant, toujours, toujours. Mais là il n'avait pas envie. De bouger, non seulement, et encore moins de prendre son amie dans ses bras, les gardant sous sa tête. Elle n'avait rien fait de mal, réellement en fait, elle avait été humaine. Il aurait presque dû être heureux qu'elle se soit énervée pour lui, parce que ça voulait dire qu'elle l'appréciait, qu'elle se souciait de lui et qu'elle était prête à montrer ses défauts les plus enfuis, juste pour lui, pour ne pas qu'il soit blessé. Mais il avait juste l'impression d'avoir forcé ce caractère à sortir, que c'était de sa faute pour s'être interposé qu'elle était devenue si haineuse. Et pourtant, elle lui avait fait peur. Et c'était de sa faute. Il avait vu tant de choses dans les tremblements de la main de l'autre garçon, prêt à le frapper. Et ça lui avait retourné le crâne. Et il avait eu peur d'avoir créé tout ça, de lui avoir explosé tout ça à la tronche, à la sienne ou à celle de Panthéa. Il avait l'impression d'avoir fait ressortir le pire des deux. Le pire de son amie. Il aurait dû être content de la connaitre maintenant bien plus que personne ne l'avait jamais fait. Mais il était juste triste. 

  -Je l'ai poussé. Et c'est de ma faute si...si tu as pas été comme d'habitude. J'suis désolé. Pour toi aussi, parce que tu as mal. Et aussi parce que l'autre, bah je sais qu'il fait pas exprès au fond. 

  Il releva la tête pour essuyer ses larmes qui coulaient sur ses lunettes dans cette position. Sa main tremblante passa sous ses verres et il se mordilla les lèvres. Il n'avait pas envie de dire ça à Panthéa, parce que son amie était si pure qu'il ne pensait pas qu'elle lui pardonnerait ce qu'il avait fait. 

  -J'ai vraiment senti un truc méchant là dedans, dit-il en pointant sa poitrine. 

C'était un cauchemar duquel elle ne se réveillerait pas. Sa prise de conscience était terrible. On lui avait arraché tout ce à quoi elle avait toujours tenu : la patience, l'amitié, la compassion. Il s'était suffi d'une seconde pour que tout bascule, et elle avait le sentiment que tous les regrets qu'elle pourrait exprimer ne servirait à rien - peut-être même que cela empirerait les choses, parce qu'il ne semblait pas qu'Herschel avait envie de les entendre à ce moment-là.

"Je l'ai poussé. Et c'est de ma faute si...si tu as pas été comme d'habitude. J'suis désolé. Pour toi aussi, parce que tu as mal. Et aussi parce que l'autre, bah je sais qu'il fait pas exprès au fond."

Elle releva les yeux vers lui et contempla son visage dévasté par la culpabilité. Elle ne comprit pas tout de suite, persuadée qu'il s'agissait de ses torts à elle, persuadée qu'il la tenait pour entièrement responsable de tout ce qui était arrivé, et qu'il était très déçu. Puis elle se rappela qu'il s'agissait d'Herschel : le garçon le plus doux et le plus gentil de l'univers, qui n'aurait jamais fait de mal à une mouche, et qui, sous ses yeux, s'était montré plein de colère contre quelqu'un. C'était lui qu'il blâmait. Lui qui se sentait mal, alors qu'il lui était venu en aide.

"J'ai vraiment senti un truc méchant là dedans.", conclua-t-il douloureusement en montrant son coeur.

Cette réalisation et la confession de son ami la forcèrent à répondre au quart de tour :

"Tu peux pas dire ça ! Tu ... Tu as été le plus courageux, tu es intervenu alors que j'étais ... Alors que j'étais par terre ...", sa voix était brisée par les sanglots mais elle lui parlait avec conviction, ayant à coeur de lui enlever l'horrible fardeau des épaules. "C'est ... Tu n'as rien fait d'autre que le pousser pour l'éloigner et c'est lui qui t'a attaqué ! C'est lui qui ... qui ... Même s'il n'est pas comme ça, et c'est de ma faute, j'aurais dû m'excuser et le laisser partir, mais j'ai été idiote et après j'ai failli le ... j'ai falli ... Mais il était sur toi et j'avais tellement peur, Herschel, tellement peur qu'il te frappe aussi ! Alors que tu n'avais rien fait !"

Elle aurait aimé lui prendre la main pour lui apporter son soutien, pour lui montrer qu'il n'avait jamais été quelqu'un d'autre, qu'il n'avait pas à s'en vouloir et qu'à ses yeux, il était le meilleur garçon qu'elle ait jamais connu. Elle se ravisa cependant, persuadée d'avoir tout gâché, et certaine qu'il ne la voyait désormais plus que comme une étrangère. Sans doute même avait-il eu peur, et à raison, quand elle avait sorti sa baguette et qu'elle l'avait pointé sur leur agresseur sans hésiter.

"J'aurais dû m'excuser mais ... Je ne pensais pas qu'il allait vraiment le faire, et je n'ai pas vraiment eu mal en fait. Peut-être un peu peur ... Mais je n'ai pas pu ... te voir souffrir, je n'ai pas réfléchi, je suis nulle."

Elle s'adressa de nouveau à lui en évitant de le regarder dans les yeux : "Tu es quelqu'un de bien, Herschel. Tu voulais me défendre et j'ai été violente. Tu es incroyablement doux et gentil, ne laisse jamais personne te dire le contraire."

    Il enfonça encore un peu plus sa tête dans ses épaules, les yeux devenus soudainement secs. Même avec les mots de son amie, il se sentait si naze. Un gros Naze, exactement comme il avait traité l'autre. Il lui semblait qu'il aspirait les sentiments des autres, que tout tournait dans sa tête. Et pourtant, il savait que ce n'étaient pas ses sentiments à lui mais ceux des autres et pourtant il n'arrivait pas à s'empêcher de les ressentir au plus profond de sa tête. Il avait l'impression que les sentiments tournaient dans sa tête, tapaient contre son crâne, bondissaient et rebondissaient à l'infinie, passant dans ses yeux jusque dans ses mains qu'ils faisaient trembler. 

    Il se sentait comme si la haine, la douleur, la colère et la tristesse qu'il avait ressentit dans les yeux des deux autres avaient été aspirées par ses bouffées d'air, qu'elles étaient rentrées dans son corps pour tout pourrir, pour brûler ses entrailles, crever ses poumons, les enserrer et les empêcher de se ressourcer en air frais, devenant obligés de repasser en boucle l'oxygène pourrie qu'il avait inspiré. Il se sentait nul et il n'avait pas envie de bouger de là. Il avait envie de rester comme ça pendant des heures, rester à côté de Panthéa sans pour autant lui parler, simplement attendre que la tempête de sentiments dans sa tête se calme un peu. Juste attendre qu'il oublie toute cette affreuse journée. 

    -Tu sais que ça change pas le fait que je sois ton meilleur ami et que je vais jamais te laisser, hein ? Tu le sais ça ? Ça change rien. J'ai juste besoin de... rester comme ça. J'suis comme un ballon plein d'une air nauséabonde et je ne sais pas comment me piquer pour la laisser sortir. Juste besoin de temps. J'ai l'impression d'être fautif pour tout ça. Pour toi, pour lui, pour moi. Mais t'as rien fais de mal, tu t'es défendue, tu m'as défendue et c'est bien de ta part, mais je ne peux pas supporter tout ça, j'y arrive pas. 

    Il prit la main de Panthéa et la ramena contre son cœur. Juste un peu de soutient. Pas grand chose, mais c'était déjà ça.  Il ne voulait pas plus que cette main où il sentait les battements de cœurs de son amie. 

Les paroles d'Herschel la rassurèrent énormément. Rien de ce qu'elle avait pu faire ne remettait en question leur amitié dans le coeur du garçon, et c'était bien là tout ce qui importait pour elle. Il lui confia cependant le gigantesque sentiment de culpabilité qui l'assaillait et qui lui minait le moral. Panthéa redoubla de compassion pour son meilleur ami, et quand il lui prit la main pour la poser contre son coeur battant, elle le laissa complètement faire, attentive à la moindre de ses demandes, au moindre de ses gestes.

"Tu ... Tu peux rester là autant que tu veux, Herschel", lui dit-elle à voix basse, sur un ton bienveillant et qui se voulait le plus rassurant possible. "Tu ... Tu ne dois pas te sentir coupable, toi aussi tu n'as fait que venir à mon secours quand j'en avais besoin, et tu ... tu n'as rien fait de mal, tu n'es pas du tout fautif. D'accord ? On a juste voulu se défendre, et au final, on n'a ... on n'a pas fait grand chose ...", conclue-t-elle dans un murmure.

C'était vrai. A part la poussée d'Herschel contre Azaël et la menace que Panthéa avait formulée à son encontre, ils n'avaient rien fait au jeune garçon. Quand elle se rappela de la colère qui l'avait saisie lorsqu'elle avait vu Herschel en danger, elle rougit de gêne, ne sachant trop ce qu'un tel sentiment - tout nouveau pour elle - pouvait bien révéler. Elle balaya cette pensée rapidement et posa un regard attendri sur son ami.

Il semblait avoir besoin de quiétude, et rien de ce qu'elle lui disait ne semblait lui remonter le moral. Il était simplement trop secoué, aussi ne voulut-elle pas rompre le silence encore plus que ce qu'elle n'avait déjà fait, et laissa sa main contre la poitrine d'Herschel, pour aussi longtemps qu'il en avait besoin.

    Au final, ils n'avaient pas fait grand chose, c'était vrai, mais il ne pouvait pas s'empêcher de penser qu'il avait réellement fait un truc d'affreux. Il devrait s'excuser, il savait qu'il ne serait pas en paix dans son crâne avec toutes les pensées qui se battaient tant qu'il ne se serait pas excusé à Azaël. Il n'avait pas tous les tords et méritait aussi des excuses, tout comme Panthéa et lui, bien qu'il savait qu'il y avait peu de chance que le garçon s'excuse, rien qu'à la façon dont il avait réagit. Il essuya ses yeux et replaça ses lunettes en se relevant, s'asseyant à nouveau correctement sur la chaise à côté du lit de son amie. 

    -On sortira de là comme on y est entrés, pas vrai ? Ça va rien changer entre nous, hein ? Je n'ai pas envie que quelque chose change juste pour ça. Assura-t-il en tapant de son poing son genoux droit. Est-ce que ça va un peu mieux ? Si jamais tu as des problèmes avec lui plus tard, faudra que tu en parles, mais au fond je suis sûr qu'il est pas si méchant. Maman et papa disent toujours que personne n'est ni tout gentil, ni tout méchant, alors je suppose que lui non plus. Et pis, y'aura toujours des gens plus méchants, et c'est sur ça qu'on doit se concentrer, non ?

    Il était impossible de ne pas croiser d'autres personnes plus ou moins méchantes qui auront plus ou moins de bonnes raisons de l'être, alors à quoi cela servait-il de se torturer pour quelqu'un qui n'était pas un vrai méchant et qui, de surcroît, brisait les précieux sentiments qu'il partageait avec Panthéa. Elle était simplement trop importante pour lui pour qu'il puisse continuer à faire n'importe quoi. Si il continuait à se détruire comme ça pour si peu de chance, qu'adviendrait-il de lui plus tard ? Est-ce que son empathie se supprimerait petit à petit ou, à l'inverse, augmenterait encore et encore jusqu'à totalement l'ensevelir sous une montagne de sentiments noirs comme le béton ? 

Panthéa considéra son ami pendant un long moment après qu'il lui ait répondu.
Elle ne savait pas quoi lui répondre, en vérité. Herschel était incroyable, admirable, comme à son habitude : il prenait déjà le recule nécessaire pour se rendre compte que, sans aucun doute, Azaël n'était pas un si mauvais bougre que ça. Pourtant, lorsque la fillette se remémorait les évènements tels qu'ils s'étaient produits (le Vivet, le ton méprisant d'Azaël, son entêtement à elle puis le coup de poing), elle ne voyait franchement pas comment son agresseur ne pouvait pas avoir un mauvais fond. Plus elle y songeait, et moins il trouvait grâce à ses yeux. Alors même qu'elle semblait prête à se remettre en question, les dires d'Herschel eurent l'effet opposé, et Panthéa se sentit si isolée dans la colère qu'elle ressentait, si seule dans la douleur qu'elle éprouvait, qu'elle se ferma complètement à la moindre tentative de recule. Contrairement à son meilleur ami, elle avait beaucoup de mal à passer outre le comportement d'Azaël qui, à ses yeux, avait clairement, désormais, tous les torts du monde. Bien sûr, elle-même aurait pu mettre sa fierté de côté à ce moment-là pour éviter le pire, mais après tout, il fallait bien faire face à ses adversaires pour ne pas se faire complètement écraser. En plus, il avait agressé Herschel juste après elle.

Non, vraiment, leur jeune camarade ne pouvait trouver grâce à ses yeux. Et elle se sentait dans son droit de lui en vouloir.
Elle fronça les sourcils, honteusement blessée qu'Herschel puisse passer si vite sur l'affront qui venait de leur être fait, encore plus écœurée de constater qu'elle n'y arrivait pas, elle. L'effet fut désastreux.
Elle se tourna lentement dans son lit et ramena la couverture sur elle.

"Tu as sans doute raison", souffla-t-elle en tournant le dos au jeune garçon. Elle ne voulait pas qu'il constate l'état dans lequel ce qu'il venait de dire la mettait. Elle se sentait ridicule de mal le prendre.
"... Mais moi je lui pardonnerai pas ce qu'il m'a fait. Ce qu'il a voulu te faire non plus."

Marre. Elle en avait marre d'être faible. Marre de devoir culpabiliser à la place de ceux qui faisaient du mal, à elle ou à son meilleur ami.
Il n'était pas dans sa nature de se venger, aussi, même si elle ne songeait pas à rendre à Azaël la monnaie de sa pièce, sa colère se transformait déjà en haine.
Azaël deviendrait-il son pire ennemi ? Sans aucun doute.