La cabane dans le dortoir, la cueillette de fleurs étranges dans le parc du château, l'enquête paranormale à propos des fantômes de l'école et les discussions avec les tableaux dans les couloirs, la recherche désespérée du Vivet Doré, le décompte de toute les marches de Poudlard ...

Trois semaines s'étaient écoulées depuis la fin de l'année scolaire et Panthéa n'avait pas chômé. Par peur de s'ennuyer et de trop songer à son père, la fillette avait fait mille efforts pour toujours se trouver quelque chose à faire, et en était devenue hyperactive.

Ce qui lui arriva ce matin là fut donc un comble, une horrible tâche dans son agenda pourtant si serré.

Quand elle ouvrit un oeil, Panthéa constata que son oreiller, ainsi que son pyjama, étaient trempés de sueur. Elle imputa d'abord la faute aux multiples couches de couvertures et de draps qu'elle avait empilés les uns au-dessus des autres pour se constituer la base secrète parfaite, mais la nausée qu'elle ressentit en se redressant la fit rapidement revenir sur son diagnostic initial : quelque chose clochait.

Un pied timide toucha le parquet du dortoir avec délicatesse, suivi d'un second. La fillette s'assura de la stabilité de son équilibre avant de se mettre complètement debout et de se diriger devant un miroir afin de mieux analyser la situation.

"Oooh ... C'est pas possible ...", finit-elle par lâcher en apercevant sa maigre silhouette dans la glace.

Une colonie de boutons rouges et mauves lui couvrait une bonne partie du visage et, par ce qu'elle put juger en soulevant sa chemise de nuit, ses cuisses, ses bras et son cou n'étaient pas épargnés par l'irruption.
Une gigantesque quinte de toux s'empara d'elle et lui fit littéralement cracher un mucus répugnant à la couleur vert pomme.

"C'est pas vrai ... c'est pas vrai ...". Panthéa sanglotait en enfilant sa robe avec beaucoup de difficultés. Quand vint le moment de mettre ses habituels collants, elle se résigna : la tâche était simplement infaisable.

Résignée et pleine de douleurs, elle descendit les marches et traversa les couloirs qui séparaient la salle commune de Serdaigle de l'infirmerie. L'heure encore très matinale lui garantit cependant, à son grand soulagement, de n'être vue de personne.

La porte s'ouvrit et l'entrée de Panthéa arracha un cri de surprise à l'infirmière qui osa à peine la toucher pour la mener vers un lit.

"Ma pauvre enfant ! Mais dans quel état vous êtes-vous mise !? Avez-vous mangé une cochonnerie ? Les élèves rivalisent de génie pour inventer des confiseries sans se préoccuper de leurs ingrédients ...!"

Epuisée par son périple, Panthéa n'entendit pas le reste des remontrances de l'infirmière et se contenta de s'allonger sur le lit, la mine déconfite et le moral dans les chaussettes.

S’occuper seule d’un enfant n’est déjà pas une chose facile ; alors s’occuper seule d’un enfant malade, tout en essayant de cacher sa présence à un château entier…

Cela faisait deux jours qu’Irene devait supporter les pleurnicheries de Louis. Visiblement, le blondinet n’appréciait vraiment, mais vraiment pas d’être recouvert de boutons rouges et mauves. Lui qui pouvait parfois être difficile était devenu un véritable calvaire boutonneux. Un bonheur pour sa mère, en somme.
Heureusement, Poudlard employait une infirmière très efficace. Dès l'apparition des premiers symptômes, Irene lui en avait fait une description très précise et le verdict était tombé : une pustulite bicolore. Rien de très grave : beaucoup de repos, quelques potions pour aider à supporter ces quelques jours, et tout serait réglé. Et surtout, surtout, éviter tout contact entre l’infecté et les sorciers qui n’auraient pas encore contracté la maladie. Oui, la pustulite bicolore était extrêmement contagieuse. Par bonheur, Irene l’avait attrapée étant enfant et pouvait s’occuper de son adorable bambin sans aucune crainte. Elle devait tout de même bien avouer qu’elle ne rechignait pas à donner à Louis les potions fournies par l’infirmière. Celles-ci permettait de dégager la gorge et le nez du patient, mais elles avaient aussi un petit effet secondaire : la somnolence. Et ne plus entendre Louis pendant quelques heures étaient un privilège dont Irene ne comptait pas se passer.

Néanmoins, Ruby Lloyd n’avait pas fourni d’énormes quantités à Irene et celle-ci se retrouvait déjà à court. Elle profita donc d’une sieste de Louis pour aller lui demander un supplément.
À première vue, il n’y avait personne dans l’infirmerie. À première vue seulement, car un drap cachait en réalité une élève. Alors qu’Irene avançait au milieu des lits en quête d’un indice sur le lieu où trouver l’infirmière, elle aperçut Panthéa Johnson, une jeune serdaigle restée au château pour les vacances. Et ce qu’elle avait sur son visage stoppa immédiatement le professeur dans ses recherches.

Des boutons.
Rouges.
Et violets.
Exactement comme Louis.

Pouvait-il s’agir d’une simple coïncidence ? Irene l’espérait de tout son cœur, car si Kristen apprenait que son fils était à l’origine d’une épidémie de pustulite bicolore à Poudlard, nul doute qu’elle n’en serait pas vraiment ravie.

« Bonjour miss… commença Irene d’une voix douce. C’est une sacrée maladie qui vous amène ici. Ma pauvre, ce doit être extrêmement gênant, surtout au début de vos vacances d’été…

Irene inspira et expira avant d’en venir au fait :
– Que vous arrive-t-il, exactement ? »

Ses paupières étaient si lourdes qu'elle eut bien du mal à les ouvrir.
Un professeur se tenait à son chevet. Panthéa mit quelques secondes à réaliser de qui il s'agissait.

"M-Miss Field ...", chuchota-t-elle avant de s'éclaircir la voix et de sortir de sa somnolence. "Je ... oui, euhm, je n'sais pas trop ... Je me suis réveillée comme ça."

Elle prit appuie sur ses bras et se redressa légèrement. La sueur perlait en fines gouttes sur son front, mais elle semblait avoir froid.

"L'infirmière dit que j'ai mangé quelque chose de pas bien", dit-elle en faisant la moue. "Mais je n'ai rien mangé d'autre que le repas hier, j'ai pas de bonbon caché dans ma chambre, juré."

La présence de l'enseignante la mettait mal à l'aise, elle ne voulait pas contredire les diagnostics des adultes - partant du principe qu'ils avaient forcément raison - mais Panthéa ne supportait pas non plus qu'on l'accuse injustement d'une chose qu'elle n'avait pas faite.

"Ca ... ça me gratte de partout." Pour preuve, la fillette releva l'une de ses manches et tendit son bras vers Irene, découvrant des boutons de couleur rouge et mauve. "C'était ... je n'ai pas gratté, j'ai juste regardé et je ... j'en ai partout ailleurs ..."

Sa voix se brisa légèrement. Embarrassée de se sentir aussi "sale", Panthéa était surtout une petite fille loin de sa famille et avait très peur face à cette étrange maladie dont elle découvrait tous les symptômes. Malgré la bienveillance dont Miss Field faisait preuve en s'adressant à elle, la mort de son père et l'été en solitaire lui rendaient la situation encore moins supportable.

"Est-ce que c'est grave ? Est-ce que ... Est-ce que je vais guérir ?"
On percevait des sanglots dans sa voix et ses yeux se gorgeaient déjà de larmes qu'elle retenait avec difficulté.

Le diagnostic de miss Lloyd rassura (très) légèrement Irene. Pas de pustulite bicolore annoncée, c'était déjà ça. Peut-être Panthéa avait-elle effectivement mangé une de ces sucreries piégées, vendues sur le chemin de traverse. Peut-être avait-on voulu lui faire une (mauvaise) plaisanterie. En tout cas, rien - mis à part les symptômes identiques - ne reliait cette réaction étrange à la maladie de Louis.

Tout à son inquiétude, la professeur faillit oublier de rassurer Panthéa. Elle avait les yeux dans le vague et ne revint soudain à elle qu'après de longues secondes de réflexion. Puis elle réalisa que la fillette lui avait posé non pas une, mais deux questions.
« Oh, mais oui, vous allez guérir, ça ne fait aucun doute.

Ce ton neutre et désinvesti n'était sans doute pas le plus convaincant pour la malade. Irene plaqua un sourire rassurant sur son visage avant de reprendre, davantage dans son rôle :
– Miss Lloyd est une très bonne infirmière. Elle vous remettra vite sur pied. Et, en attendant, vous avez la chance de pouvoir vous reposer autant que vous le souhaitez, au calme.

Irene ne réalisait pas que pour une enfant de cet âge, rester seule toute la journée était tout sauf une chance. Encore moins pendant les vacances d'été.

– Est-ce que des amis à vous sont passés vous voir ? »
Si ses visiteurs n'étaient pas contaminés, la pustulite bicolore pouvait être définitivement innocentée. Et Louis avec elle.

L'enseignante ne semblait pas totalement avec elle et Panthéa sentait comme un décalage entre ce qu'elle ressentait et la réaction de sa professeure. Après tout, n'avait-elle pas raison de craindre ainsi pour sa vie ? Des plaques de boutons, de la fièvre et une fatigue contre laquelle elle ne parvenait pas à lutter ... Elle vivait probablement ses derniers instants et personne n'avait le courage de lui dire. On semblait bien plus s'inquiéter pour ses camarades que pour elle, mais Panthéa avait devancé les recommandations de l'infirmière et s'était arrangée pour ne croiser personne.

Elle secoua doucement la tête de droite à gauche et remonta la couette sous son menton.

"Je n'ai croisé personne.", dit-elle d'un ton qui ne laissait pas la place au doute, avant d'avouer d'une petite voix : "...Et ... personne ne viendra me voir, mes amis sont repartis chez eux pendant l'été."

Pas d'Azaël, pas d'Herschel. Ses deux camarades lui manquaient énormément. Elle aurait apprécié les avoir à son chevet mais devait se contenter des adultes qui, à n'en pas douter, la jugeraient beaucoup. Elle se sentait déjà bien honteuse. Puis une pensée naquit dans sa mémoire épuisée :

"Par contre ... par contre, avant de partir pour la gare, j'ai fait la bise à une amie qui avait beaucoup de fièvre et qui semblait très fatiguée ..."
Panthéa fronça les sourcils puis lança un regard interrogateur à Irene : "Est-ce que ... Est-ce que ça vient de là !?"

Irene laissa passer un instant avant de hocher lentement la tête.
« J'imagine que... c'est possible. Que vous a dit Ms Lloyd à ce sujet ?

En vérité, la réponse lui importait peu. Pour Irene, cela ne faisait pas vraiment de doute - d'autant plus que cela innocentait Louis. Peut-être même était-ce Panthéa, ou un autre élève de Poudlard, qui avait contaminé son adorable rejeton !
Mais... cela soulevait un autre problème. Parce que, de toute évidence, Louis ne pouvait pas avoir attrapé sa maladie contagieuse tout seul. Si celle-ci venait d'un habitant du château, c'est bien qu'il y avait eu un contact entre les malades. Irene avait-elle manqué d'attention ? Ou bien était-ce un des baby-sitter de Louis qui l'avait sorti à son insu ? Non... Elle imaginait mal Sigmund agir ainsi, alors qu'elle lui avait bien précisé que la présence de Louis devait rester secrète. Alors, l'elfe de maison, peut-être..? C'était peu probable.

Irene, qui ne s'appelait définitivement pas Sherlock, demanda à Panthéa :
– Qui était cette amie ? Avez-vous croisé d'autres personnes qui semblaient malades ?
Avant de se reprendre, une fois encore, avec un sourire compatissant.
– Pourquoi n'écririez-vous pas une lettre à vos amis ? Cela vous aiderait à passer le temps, j'en suis certaine. Je peux m'occuper de l'envoyer pour vous, si vous le souhaitez. »

Ce qui lui permettrait par ailleurs de continuer à s'informer de son état.

On ne lui avait rien dit. L'infirmière avait fait demi-tour en apercevant le professeur au chevet de la malade et s'était tenue éloignée depuis le début de la conversation. Panthéa aurait juré voir une étincelle de culpabilité dans son regard, mais sans doute son esprit embué lui jouait-il encore des tours. Elle se contenta de hausser les épaules à la première question de Miss Field. Qu'aurait-elle pu faire d'autre ?

La suite de l'interrogatoire lui demanda plus ample réflexion. Y avait-il eu d'autres élèves malades ? Les aurevoirs sur le quai de la gare avait été longs, douloureux, plein de larmes et de promesses plus ou moins tenues. Rien, à part sa camarade, ne lui avait indiqué les prémisses d'une épidémie de grande ampleur. Mais que savait-elle du fonctionnement des maladies infectieuses ?

"Euh ... Je ... Je ne crois pas. Enfin, plusieurs toussaient, Celia était celle qui avait l'air le plus fatigué. Je ..."
Elle se creusa les méninges. Quelques têtes familières, puis des indices qui lui avaient échappés refirent surface : "Je crois que j'ai vu des élèves se gratter ou se plaindre d'avoir un peu de fièvre. En tout cas ils sont tous partis.", confirma-t-elle comme si cela devait rassurer son enseignante.

Mais plus elle y réfléchissait, et plus elle trouvait l'attitude de Miss Field inquiétante. Pourquoi lui posait-elle toutes ces questions, à la place de l'infirmière ? On n'avait pas encore eu le temps de poser un diagnostic que l'on s'inquiétait déjà du nombre d'élèves touchés. La proposition qu'elle lui fit d'écrire une lettre à ses amis fut interprétée, par la fillette, comme une distraction, quelque chose qui l'empêcherait de voir où se situait vraiment le problème. Miss Field semblait bien trop concernée par la situation.

Elle allait lui demander la raison de sa venue à l'infirmerie lorsqu'elle fut interrompue par l'infirmière, qui s'adressa bien plus à sa professeure qu'à elle-même.

"Une pustilite bicolore, selon mes observations.", lâcha-t-elle d'un trait en regardant Miss Field avec insistance. Puis elle se tourna vers Panthéa en arborant un sourire bienveillant : "Rien de trop méchant, mademoiselle, mais il faut surveiller l'évolution de la maladie et la traiter comme il se doit. Vous resterez ici au moins cette nuit."

Une pustulite !? Quel cauchemar ! La fillette adressa un regard écoeuré et implorant à l'infirmière qui demeura près de Miss Field, comme si elle attendait une réaction de sa part. Panthéa dressa une oreille attentive à ce qui allait suivre.

Irene retenait sa respiration. D'autres élèves étaient peut-être touchés ? Elle se sentit néanmoins un peu soulagée en apprenant qu'en dehors de Panthéa, ils avaient tous quitté Poudlard. S'il y avait bien eu un début d'épidémie dans le château, les vacances auraient eu raison d'elle. 

Ses pensées furent interrompues par l'infirmière qui vint donner son verdict concernant le mal de Panthéa : une pustulite bicolore. Et le regard qu'elle portait sur Irene semblait appuyer l'étrangeté de cette coïncidence. 
Irene restait silencieuse, comme si ne pas parler pouvait faire oublier sa présence à tout le monde. Mais Ruby Lloyd n'avait pas l'air décidée à en rester là. Et puis, Irene était venue pour une raison bien précise : récupérer des médicaments ! Elle n'allait pas rentrer bredouille par peur qu'on lui fasse une remarque désagréable. Elle remit son masque souriant avant de dire à Panthéa :
« Je vous souhaite un prompt rétablissement, miss. Ne vous inquiétez pas, la plupart des sorciers subissent cette maladie une fois dans leur vie, ce n'est qu'un mauvais moment à passer.
Puis, se tournant vers l'infirmière :
– Miss Lloyd, serait-il possible de m'entretenir avec vous en privé quelques instants ?

Une fois à l'écart, elle demanda à l'infirmière les remèdes tant attendus. Uns fois récupérés, elle s'excusa d'un sourire : 
– Je dois y retourner avant qu'il ne se réveille... »
Puis elle s'enfuit, ignorant superbement l'étrange coïncidence entre ces deux infections. Avec un peu de chance, bientôt, Louis et Panthéa serait rétablis et tout le monde aurait oublié cette histoire...

Le monde des adultes semblait toujours étrange aux enfants. A la fois inaccessible et plein de conversations mystérieuses, dont personne ne semblait vraiment comprendre le sens. Des conversations auxquelles s'ajoutaient parfois des regards lourds, pesants comme autant de mises en gardes silencieuses, ou bien des messages qu'on ne pouvait pas comprendre.
Cela frustrait toujours beaucoup la fillette qui ne supportait pas d'être mise à l'écart au prétexte qu'elle "n'était pas assez grande" pour comprendre. Si personne ne lui disait jamais rien, comment était-elle sensée grandir, apprendre ?

Le diagnostic posé par miss Lloyd eut un effet indescriptible sur miss Field. Elle se dépêcha de rassurer Panthéa avant de se tourner vers l'infirmière, l'air résolu. Une fois leur petite discussion entretenue à l'écart, l'enseignante tourna les talons et s'en alla, laissant la fillette à ses questions sans réponses et aux bons soins de miss Lloyd.

"C'est vraiment pas grave alors ?", demanda Panthéa, encore suspicieuse.

"Vous ne devriez pas remettre en question ce que vous disent vos professeurs, mademoiselle Johnson.", lui répondit l'infirmière dans un sourire bienveillant. Elle tapota le front de la fillette et secoua la tête de droite à gauche. "En revanche, tant que la fièvre n'aura pas diminué, vous ne pourrez pas quitter ce lit. La pustulite n'est pas une maladie dangereuse, mais cela n'empêche pas de suivre son traitement avec le plus grand sérieux.", appuya-t-elle en regardant Panthéa dans les yeux.

Cette dernière n'osa rien répondre. Les docteurs et les infirmières savaient toujours se montrer très persuasifs.
Elle tira la couverture jusque sous son menton et se lova contre l'énorme oreiller.
Voilà au moins qui la sortait de sa routine estivale.



Merci beaucoup Miss Field !