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08 nov. 2019, 05:23
Maîtresse  CROISÉ 
[ 12 SEPTEMBRE 2043 ]
Infirmerie, Poudlard

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Quelques minutes après la fin de l’épreuve



Depuis son arrivée, les effluves magiques de Charlie étaient scrutés avec minutie par Miss Lloyd. L’infirmière de l’école se tenait à quelques centimètres de la petite gryffonne, baguette en main, déployant une concentration prodigieuse ; la Rouge et Or n’avait toujours pas quitté son état d’inconscience.
Diana Anderson — la jeune Serpentard, également inconsciente — était allongée sur le lit d’à côté. Miss Lloyd avait déduit de son examen rapide que le stress avait été l’origine de sa perte de connaissance ; quant à Charlie, l’examen n’avait toujours pas abouti.
La baguette de Miss Lloyd n’était qu’une assistante de ses analyses, celle-ci restait pointée vers le sol, attendant de pouvoir vibrer avec les oscillations magiques de sa maîtresse.

Le silence des secondes englobait les murs d’un calme reposant, les élèves avaient été envoyés dans leurs dortoirs respectifs, et les Chinois s’agitaient autour de leurs propres blessés — dans la Pagode.
Toujours aussi concentrée, l’infirmière s’interrogeait quant au malaise de la petite gryffonne, elle n’arrivait à définir le facteur déclenchant du bouleversement ; Charlie n’avait pas fait de crise depuis tellement de mois qu’elle la pensait sur la voie de la stagnation. L’infirmière avait, certes, relevé le changement de comportement de la Rouge et Or depuis la rentrée, mais cela n’influait pas sur ses symptômes qui semblaient stables.
Une grimace furtive traversa le visage impassible de l’infirmière, elle expulsa ses pensées triturées loin de son esprit concentré, celles-ci n’avaient pas lieu d’être en cet instant.

Brusquement et sans le moindre signe précurseur, Charlie écarquilla les yeux. Sans sursaut ni spasme de son corps, son regard paraissait être la seule chose qui vivait en elle.
Miss Lloyd était immobile, attentive à l’activité magique de sa patiente.
Avec une lenteur effrayante, la Rouge et Or cambra son dos ; étirant sa nuque en l'arrière à la recherche d’oxygène. Sa bouche se réveilla brusquement sur son visage, s’ouvrant et se refermant dans le vide ; Charlie manquait d’air, son corps était frappé d’éclairs en quête d’air.
Sa langue se raidit dans sa cavité et ses mains se plaquèrent durement contre son cou.
Le couloir d’oxygène dans la gorge de Charlie était tellement fin que des larmes se mirent à couler incontrôlablement vers le tissu immaculé du lit.
Silence.
L’infirmière observait la jeune fille avec une minutie froide, décortiquant les différentes strates protocolaires dans son esprit véloce ; cette scène d’agonie qui se déroulait sous ses yeux était dérangeante, mais son calme glacé lui permettait de se détacher de ses émotions.
Les ongles de Charlie étaient en train de se planter dans la chair de son cou, luttant contre un sentiment d’oppression affolant. Le silence relatif était toujours présent, mais le calme avait disparu, éjecté à travers les hautes fenêtres.
Le frottement du petit corps tordu contre les draps se répétait en écho dans l’esprit de Miss Lloyd, des nuances de bleu décoraient le visage révulsé de la Rouge et Or. Tout était compressé.
Sept secondes.
Puis l’infirmière leva sa baguette pour la pointer sur le cœur de Charlie. Le sortilège se déploya sans couleur, il y eut seulement un déplacement d’air qui provoqua un violent spasme chez la gryffonne.

HAAAA !

Son cri de libération résonna contre les murs, frappa le métal des lits, s’engouffra dans l’intimité des tissus, frissonna dans la sensibilité de l’infirmière.
Silence fracassé.
Miss Lloyd pointa sa baguette légèrement plus haut. Un sortilège aux couleurs émeraude — très éloigné du jade mortel — enroba le visage de Charlie, la plongeant instantanément dans un sommeil aussi artificiel que profond. Son corps s’affaissa dans ses draps, comme si rien n’avait existé. Paisible, à nouveau.
Les échos du hurlement se compactaient dans les pensées de l’infirmière, à l’image d’un souvenir irréel. Cette information était mise de côté dans son analyse pour mieux se concentrer sur les sept secondes d’examen.
Une observation aussi longue lui avait permis de déceler l’origine du bouleversement. Une origine qui n’était pas entièrement physique. Miss Lloyd abaissa sa baguette magique vers le sol, lui offrant à nouveau sa place d’appoint. Le regard de l’infirmière reflétait l’inquiétude face à la magie de Charlie, chaotique. Cette crise était bien trop violente, elles dépassaient les compétences de l’infirmière-médicomage.

Merlin… chuchota son Être.


oOo

Charlie, 13 ans.
3ème Année





*Bon Dieu…*. Depuis combien de temps est-ce que j’étais par terre ?
*Bordel-ça-fait-mal*. Je n’avais aucune idée du temps, alors que je ne m’y perdais jamais dans ce foutu temps. Mon souffle était tellement cabossé que mes poumons s’enflammaient de plus en plus. Je n’avais même pas assez d’énergie pour écarter mes paupières. Où était passée ma force ?
*’l’ai perdue depuis trop longtemps*. Mes oreilles étaient mortes. *Bordel*. Mon nez aussi. Le bordel des Autres ne transperçait plus mon crâne et l’odeur de la terre ne traversait plus mes narines.

Tout était fini ?

Je n’avais même plus l’énergie pour rassembler mes pensées. Les Autres m’avaient laissée par terre, la gueule dans ma faiblesse ; j’avais raté mon sortilège, j’en étais sûre.
C’était raté.
Je me sentais tellement lourde que je m’enfonçais dans la terre pour qu’elle me recouvre, cacher ce corps trop faible. *Mon crâne encore plus*.
J’étais un métal froid et lourd, un peu comme du plomb. Déviant à travers un espace sans-nom.

Sur une échelle de un à dix, à combien jaugez-vous votre difficulté à respirer ?

*Lloyd ?*. J’étais vraiment aussi faible que ça pour que les Autres me l’envoient ? *Bordel…*. Je me faisais peur.
L’épreuve était terminée pour moi. J’allais être embarquée à l’infirmerie. Mon souffle écorchait les murs de ma gorge. Insupportable.
Ma bouche était une bouillie visqueuse, sans ouverture. Tous mes sens avaient disparu.

Sept ?

J’espérais de tout mon cœur que Lloyd n’allait pas me demander de marcher, je ne voulais plus rien faire. Tout ça ne servait plus à rien.

Miss, je m’en vais récupérer votre valise le temps que vous recouvriez vos esprits.

*Qu’est-c’tu racontes…*. Prendre ma valise ?

Ne sortez pas de votre lit.

*Hein…*. Tous les Autres étaient au courant que je m’étais foirée, ils m’avaient bien vue. *Votre lit ?*. Je ne compre…
VOTRE LIT.
*POURQUOI-TOUT-EST-SI-LENT-DANS-MON-CRÂNE ?!*
BORDEL.
Mes paupières claquèrent contre mes orbites. « Han ! ». Une teinte marron-moche m’aveuglait, alors que mon souffle se cabossait de plus en plus ; je me faisais secouer par ma propre respiration. « Qu’es… ». L’oxygène rentrait et sortait si vite dans ma gorge que je n’arrivais même pas à parler. *Lloyd !*. Elle était plantée là. À me fixer comme une abrutie. *Qu’est-c’qui m’arrive ?!*. J’étais déjà à l’infirmerie !

Détendez-vous, le risque de crise n’existe plus.

*Loewy !*. J’avais encore l’image en tête : Qiong sur ma droite, le Doyen loin devant à côté de la Directrice. *Bordel !*. Qu’est-ce qui s’était passé ?! Mon cœur frappait dans mon crâne, les fenêtres sur les murs étaient plongées dans la nuit. *J’dors-depuis-quand ?!*.

Mi… j’avalais des goulées d’air pour essayer de calmer mes poumons en feu, Miss…

Je vous écoute.

J’avais envie de vomir mon cœur qui battais beaucoup trop lentement, mais avec une puissance affreuse. *Qu’est-ce qui…*. Mes mots s’emmêlaient dans mon crâne, et je sentais mes idées qui se noyaient dans mon sang. Chaque battement claquait dans mes veines boursoufflées. *J’ai…*. Le monde sentait la rose, comme celles de Madame Crown. *Belle…*. Bon Dieu.

Recouvrez vos esprits, je m’absente quelques secondes.

Une phrase poussiéreuse, comme un réflexe, sautillait sur le bord de mes lèvres. Lloyd se cassait vers la sortie. En avalant une gorgée d’oxygène plus grande que les autres, je crachais mon réflexe : « Pas d’visite ? ». Des fourmis couraient dans mon nez pendant que je reprenais une inspiration douloureuse. *Dis-moi !*.
Le visage de Lloyd vrilla vers moi. Et sa grande bouche dansa : « Vous n’êtes pas en état ».

Elle ne me regardait pas vraiment, je le voyais entre mes inspirations. *En état…*. Pourquoi est-ce qu’elle ne me disait pas simplement qu’il n’y avait personne ?
Menteuse. Elle était une foutue menteuse. Je voulais lui gueuler dessus. Pourtant, ma bouche restait cousue, totalement silencieuse.
Je n’arrivais pas à bouger pendant que je la regardais s’en aller, mon corps était tellement bizarre. Quand j’avais autant de mal à respirer, ça se calmait avec les secondes, mais pas maintenant. L’impression que ma respiration était un peu meilleure s’enrayait dans une boucle. Mes pensées se tenaient là, sur cette limite entre l’espoir et la réalité.
Je vais mieux ; non c’est toujours pareil.
La porte de l’infirmerie gémit doucement. *Seule*. Des guêpes me tournaient dans le crâne. *’fait nuit et personne n’est v’nu*. J’expirais pour la millième fois en quelques secondes, pour inspirer tout aussi vite.
J’étais tombée avant même de commencer l’épreuve. *Pas vrai ?*. Je ne pouvais même pas me passer la langue sur les lèvres, j’allais m’étouffer si je fermais la bouche. Le plomb se densifiait dans mes veines. *Depuis des semaines*.

Qu’est-ce que je foutais ? Hein ?

Sur ce foutu lit en train de respirer comme un chacal. Je ne ressentais plus aucune harmonie. *Qu’est-ce que…*. Je ne ressentais plus rien du tout depuis des semaines. Et là, sur ce matelas terreux, je me rendais compte que je fanais.
Depuis des mois, les éclairs étaient Noirs, et je ne les voyais pas. Ils étaient tellement invisibles sur ce ciel de noir que je n’avais pas fait attention. Mais je les sentais dans mon corps, ils bourdonnaient en essaims en gangrenant ce que j’étais. Pourquoi est-ce que je me sentais si différente de moi-même ? *Hein ?*.
Une comète m’avait disloquée. Puis elle m’avait volé mon côté harmonieux en me laissant mon côté discordant, débordant de pourriture. Et je pourrissais si fort sur ce tissu terreux que je ne dégageais aucune odeur putride, j’étais déjà morte ; et les mots n’avaient pas d’odeur.
Les Autres m’avaient exécutée. *Pourquoi ?*.
Ce petit sourire paisible sur le grand visage de Yuzu, encadrant son regard hypnotisé. Elle puait le bonheur, maintenant qu’elle avait tout abandonné. *Pourquoi ?*. Elle puait tellement fort que ça en créait des couleurs affreuses en moi, qui m’obligeaient à l’abandonner. Elle m’avait poussée à l’abandonner sur le sillage des Autres. Et je me demandais encore *Pourquoi ?* elle avait fait ça.
Ce petit sourire paisible sur l’énorme visage de Papa, décorant son regard trop fier. Ses traits élargis par la joie contre les lèvres de la Peste, comme si je n’avais jamais existé. *Pourquoi ?*. Il m’a abandonné, lui. Et il était tellement heureux depuis. Il était exactement comme Yuzu. C'était des peureux, tous les deux. Ils préféraient abandonner comme des traitres au lieu de me frapper.
Alors que j’aurais aimé me faire frapper ! Oh ouais, j’aurais tellement aimé ! *Pourquoi ?!*. Mais ils avaient préféré ne rien faire, et c’était le pire choix.
L’abandon, l’inaction. C’était bien pire que n’importe quel coup qu’ils auraient pu me foutre. Je ne pouvais pas répondre au Rien, je ne pouvais pas crier, ni frapper à mon tour. Je ne pouvais rien faire à part détourner le regard. *’êtes heureux hein ?*.
En expirant de toutes mes forces, je tirais ma main droite vers ma bouche. Mes doigts tombèrent sur mes lèvres gonflées pour les caresser. Doucement. En harmonie. À chaque fois que mes lèvres touchaient une bouche, c’était pour me jeter dans l’abandon. Papa, puis Yuzu. *Bon Dieu !*. Je. Ils. *POURQUOI ?!*.
Pourquoi est-ce qu’ils étaient aussi heureux après avoir tout abandonné ? Et pourquoi ça ne marchait pas avec moi ?! *J’AI TOUT ABANDONNÉ !*. Mes harmoniques ! Mes travaux sur l’Histoire ! Mon Amour pour le Sens ! *BORDEL ! Tout mon talent était gâché !*. Qu’est-ce qui n’allait pas avec MOI ?!
J’avais tellement essayé pourtant. J’avais tellement essayé d’être comme vous. TELLEMENT. Vous que j’avais tant aimé.
Et moi ? Et moi alors ? ET MOI ?!

Mes doigts coulaient sur mes lèvres en me chatouillant le crâne explosé.

Ça ne fonctionnait pas pour moi. *Rien*. Je n’étais pas heureuse. *Je…*.
Je sentais mes lèvres boursoufflées ; je ne voulais plus jamais qu’un Autre les touchent. *Dis, pourquoi ?*. Et encore moins un non-Autre.
Pourtant, les plus douloureux étaient ceux qui ne m’avaient jamais touchée.

Qiong…

Je n’étais rien à côté d’elle, même pas une poussière ; je n’étais qu’une faible sorcière alors qu’elle était un ange. Mon souffle glissait entre mes phalanges tremblantes, et l’image des yeux laiteux se dissolvait en découvrant le vert, miroir des miens.
Affreux. *Toi…*.

Maman…

J’arrachais les lèvres de mes doigts. Mes pensées étaient agglutinées entre elles face à ma bouche qui Osait. Les senteurs de rose revenaient pour m’enivrer, mais je m’interdisais l’abandon.
La lame glissait contre mes tissus, quelque part entre mon cœur et mes poumons. C’était précis, affreusement soigneux. *DITES-MOI POURQUOI ?!*.

Plus personne.
Vide du Rien.
Ah. Bon Dieu. Ah. Quand il n’y avait plus personne, c’était là qu’elle apparaissait.
C'était elle, les larmes. Oh ouais, elle était encore là, en train de mastiquer. Là, tout au fond, en train d’attendre que tous les Autres crèvent. *J’te Vois*. Sors ! Sors de ta foutue Tour !
*SORS !*.

Aelle…

Elle est là. Sur ma main ; en une petite croche composée. Tellement Noire. La croche est floue dans mes yeux, mais parfaitement nette dans mon regard. *Non… Non, non, non…*. Cet Instant où elle m’avait habillée des flocons de son Océan.
Je m’étais regardée en elle, j’étais sublime d’elle.
Bordel.
Depuis cet Instant-là. *Je Me suis abandonnée*.
Et l’Océan n’en avait rien à foutre.

Ksssss.

Je…

Je suis triste.
Mes lèvres déchirées me le murmure.
Oh bordel de merde !
C’est un chuchotement de mon cœur.
Je me rends compte à quel point je suis triste !
MON CŒUR ME FAIT TELLEMENT MAL !

Mes dents se plantent dans ma main. Et je serre.

J’veux crever !
J’en peux plus !

Et je serre tellement fort.

Mais ils m’ont déjà tous tuée.
TOUS !
Je suis morte. Pourtant, il me reste la Magie.
Il ne me reste plus que ça.

Ma peau se perfore.

Je n’abandonnerais plus. Plus jamais.
Plus rien.

Mes muscles éclatent.

Tout ce que je posséderais, je le garderais.
Tout ce que je voudrais, je l’aurais.

Mes larmes me noient.

J’vais crever, ouais.
Mais j’vais tous les crever avant.
Tous les Autres.

Mon souffle s’arrête de douleur.

J’vais pas crever seule.
Jamais.

Je ne relâche pas l’étau autour de ma main, même si je la perds.
Je l’ai bien fracassée pour toucher une Autre, alors pourquoi ne pas me l’arracher pour me toucher, moi ?


« MISS ! »


Un éclair bleu. Et tout mon corps vrille.
Mes larmes se projettent, ma main se détache et mes dents se raidissent.
J’ai le temps de voir la tronche de l’infirmière avant de basculer sur la droite.

Bordel.

Je ne peux plus bouger. Je n’ai pas le temps de réfléchir que le regard d’Anderson couvre déjà toute ma vision.

Bordel.

Ce n’est pas la peur répugnante qui me frappe dans ses iris-tout-bleus.
Non, pas du tout.
Là, juste là-dedans, il y a un truc bizarre : le signe d’une compréhension éclatante.
Et je comprends déjà ce qu’elle veut dire.
Cette Autre va crever.
Dernière modification par Charlie Rengan le 22 nov. 2019, 19:13, modifié 5 fois.

je suis Là ᚨ
08 nov. 2019, 05:24
Maîtresse  CROISÉ 


Charlie était assise sur le rebord de son lit, les jambes ballantes, la respiration torturée, le dos outrageusement droit ; alors que Miss Lloyd s’agitait non loin d’elle.
L’infirmière pointa sa baguette sur la valise de la gryffonne — qu’elle venait de rapporter du Dortoir Mariana Graysmark — puis elle la fit léviter pour la faire retomber lourdement face à la petite.

Vérifiez vos affaires.

L’intonation de l’infirmière-médicomage prêtait encore moins à la négociation qu’à l’accoutumée ; la vision de Charlie se mordant jusqu’au sang tournoyait encore dans son esprit. L’état psychologique de la fille avait aiguisé sa vigilance.
À présent, tous ses gestes étaient autoritaires et méticuleux, il n’y avait plus aucune place pour la légère empathie qu’elle avait développé au fil des deux années à suivre la Rouge et Or.

On part tout d’suite ?

Charlie n’était pourtant pas perturbée par la froideur de l’infirmière. Son regard figé ne quittait pas les yeux de la grande femme, elle n’avait pas accordé le moindre regard à la valise qui s’affaissait sous ses pieds.

Oui, affirma Miss Lloyd d’une voix toujours plus dure.

L’intensité des flux magiques palpait les atomes en suspens ; ceux-ci étaient enrobés d’une fine couche aussi invisible que la tension entre les deux regards.

Qiong acceptera qu'on m'envoie loin ?

L’immobilité traduisait toute l’agitation intérieure, profonde, insoupçonnée dans un regard aussi fixe. Miss Lloyd n’était aucunement gênée par le regard de Charlie, ses propres prunelles étaient tétanisantes de calme.

Miss Xixia n'a aucun pouvoir sur votre santé.

Plus l’infirmière prononçait de mots, plus son calme grandissait ; jusqu’à atteindre une indifférence toute paternelle et une froideur perçante. La Rouge et Or fouillait à la recherche de la moindre faille, mais les impasses s’accumulaient dans son esprit, elles bouchaient ses pensées comme des centaines de cloches sur ses bougies.
La gryffonne s’éteignait en fur à mesure des secondes, elle assimilait la situation avec lenteur, mais profondeur. Si bien que Miss Lloyd trouva bon d’ajouter quelques mots d’explication : « Loewy et moi-même sommes d’accord sur cette solution qui se trouve être la meilleure pour vous, la directrice a ainsi autorisé votre départ immédiat ». À cette fin de phrase, Charlie détourna son regard-trop-statique vers la valise ouverte à ses pieds, signe d’une résignation première. Une inspiration difficile souleva sa poitrine, pour mieux la dégonfler en saccades.
Sa respiration ne sifflait pas, ne crachotait pas ; elle n’émettait aucun bruit inquiétant qui pouvait alerter l’extérieur. Le seul signe réellement visible était son souffle qui s’amenuisait au fur à mesure des secondes tel un ballon de baudruche défraichi.

En faisant gémir ses fesses contre le matelas, Charlie se laissa glisser pour atterrir sur la roche du château. Ses bras tremblaient sous l’effort de poussée. Sa magie tournoyait sans le moindre contrôle dans son corps, dans ses muscles dangereusement faibles.
La Rouge et Or s’agenouilla face à sa valise en plongeant ses mains dedans, dans le dédale de ses souvenirs. Inconsciemment, ses doigts faisaient des mouvements arrondis entre ses différentes affaires, miroir de son tournoiement magique.
Sa main fatiguée s’enroula autour d’une cape bien trop grande pour elle.

Pressez-vous, Miss Kelsey a été prévenue et elle vous y attend.

Ces mots semblaient s’écraser sur le mur qu’était la gryffonne. Celle-ci n’altéra pas la continuité de ses mouvements, pas d’empressement, pas de changement ; ses jambes gémirent lorsqu’elle se releva, le regard fixé sur la cape. Miss Lloyd détourna son attention de Charlie pour se diriger vers son bureau et enfiler sa propre cape.

Le vide des secondes était fort dans le regard de Diana Anderson, même si elle observait la scène attentivement. Son esprit ne pouvait pas être ailleurs qu’ici, et pourtant elle n’arrivait pas à mettre de mots sur ce qui était en train de la fasciner.
Ce qui se déroulait sous ses yeux était hypnotisant de simplicité, tout comme d’étrangeté. Le regard perçant de Charlie dans le tissu de sa cape, et le regard glacé de Miss Lloyd sur cette gryffonne. Diana ressentait l’intensité de l’invisible sans le comprendre.
Dérangeant.
Elle déglutit avec discrétion.

Tendez-moi votre main, ordonna l’infirmière à Charlie.

La gryffonne était toujours aussi indifférente aux mots de Lloyd. Sans se presser, elle enfila sa cape bien trop grande.
Ses gestes étaient lents, mais précis. Lorsque la cape se retrouva sur son dos — et dans la continuité de son mouvement — elle tendit lentement son bras à l’infirmière ; que celle-ci examina en un seul coup d’œil. Le sortilège de soin prodigué quelques minutes plus tôt avait fini son processus, les profondes traces de morsure avaient totalement disparu.
Satisfaite, l’infirmière ne fit aucune remarque. Elle pointa sa baguette sur la valise gisant par terre, qui se referma en un seul claquement.

Nouez votre cape.

Sur ces mots, Miss Lloyd fit volte-face en prenant la direction de la sortie ; la valise de Charlie lévitant mollement sur son sillage.
Les secondes s’écoulaient toujours avec ce vide entre elles, telles des croches percutantes, des peintures grignotées.






Dans le halo des lumières écrasantes, le regard vitreux de certains sorciers se dirigeait vers cette curiosité.
L’infirmière de Poudlard avec une gamine, et une valise.
La baguette exhibée de la Médicomage provoquait certains froncements de sourcils, les yeux scrutateurs suivaient le déplacement de ces trois discordances à cette heure tardive. L’auberge de la Tête du Sanglier avait le regard rivé sur cette bizarrerie.

Pourtant, Charlie et Lloyd n’étaient aucunement dérangées par cette attention. Charlie suivait — difficilement, mécaniquement, le souffle dément — les pas de l’infirmière ; alors que celle-ci se dirigeait vers la cheminée en rassemblant psychiquement toutes ses dernières observations de Charlie. Informations qu’elle devait impérativement délivrer à Sainte-Mangouste.

Inconsciemment, Miss Lloyd — toujours autant plongée dans ses pensées — prit une poignée de poudre de cheminette de sa main libre, puis baissa la tête pour s’engouffrer dans la cheminée ; la valise sur ses pas.
Ses yeux se relevèrent pour constater le petit corps figé de Charlie, le tourbillon de ses pensées se dégonfla pour permettre à son regard de se focaliser sur la Rouge et Or.

Allons-y.

Dans les prunelles de la jeune fille, les émotions étaient vitreuses, proches des regards énivrés aux alentours. Lloyd n’était plus dans son propre esprit, sa concentration était à présent entièrement dirigée sur la gamine statique. Elle serra la poudre de cheminette un peu plus fort entre ses doigts, redoutant l’imminence d’une crise.

J’veux y aller toute seule.

De l’extérieur, l’infirmière resta impassible.
Pourtant, de l’intérieur, elle fut surprise par deux choses : la voix de Charlie qui était radicalement différente de son regard vitreux, elle était confiante, douce, très calme. Puis, deuxièmement, le sens de la phrase en elle-même.

Il en est hors de question, rétorqua-t-elle d’une voix toujours aussi dure, son intonation n’avait pas changé depuis l’infirmerie.

Vous m’avez dit qu’ils étaient prévenus, renchéris la Rouge et Or sans laisser de blanc.

Le regard de Miss Lloyd roula dans ses orbites. Elle avait un mauvais pressentiment.
Avant même de répondre, elle envisagea de jeter un sortilège à la gryffonne qui avait — selon elle — déjà trop fait des siennes. Mais l’état de santé de Charlie était spécial en cette soirée, elle le ressentait, l’expression de sa magie était altérée.
Alors avant d’opter pour la force qui ne ferait que dégrader sa présentation à Sainte-Mangouste, elle décida d’aller dans son sens : « Je dois m’assurer qu’ils vous prennent en charge, c’est pour vous que je fais cela ».

Ils m’connaissent bien, ils s’sont bien foutus d’ma gueule, cracha Charlie en grimaçant soudainement.

La langue de l’infirmière se colla contre son palais. Elle détourna ses yeux de la petite insolente, ce qui lui fit réellement prendre conscience des sorciers qui étaient présents, avec leurs regards appuyés.
Sa langue racla contre ses dents.
Tout le monde les regardait. Il n’y avait plus de place pour la négociation.

Venez.

Non.

L’infirmière durcit ses traits. Une étincelle de magie imperceptible claqua au bout de sa baguette, elle en avait assez de ce spectacle.
Sa voix était un ordre, une obligation, une autorité ; et cette gamine devait s’exécuter.

Miss Rengan.

Dans la vitre de son regard, une brusque fissure craqua, traçant des traits blancs immaculés dans les prunelles de Charlie.

J’VEUX Y ALLER SEULE !

Aigu. Puissant. Ce cri surprit tout le monde, Lloyd y compris.
Charlie et son cri.
L’immobilité de ses mouvements contrastait avec la fissure ardente qui bavait dans son regard perçant.

Tout l’hôpital me connait !

Ce cri était moins puissant, mais beaucoup plus énervé. Le bras de Charlie frappa l’air en pointant une direction précise pour son esprit, chaotique pour les Autres.
Autres qui regardaient tous, là. *Bordel !*.
Les yeux craquelés de rien.

Toute cette école me connait !

La gorge pointait au bout de la langue, elles hurlaient ensemble en harmonie. *Pas vrai ?!*. En mo…

Tout c'foutu patelin me connait !

La baguette tressauta dans la main, là-bas, ennemie de ma volonté.
Qu’est-ce qu’ils avaient tous contre moi ? Hein ?! Je n’avais rien fait ! C’était ça mon problème ! Je n’avais absolument rien foutu et c’était exactement pour ça que rien ne fonctionnait !

Tous les sorciers d’Angleterre ont entendu parler d’cette abrutie qui s’est évanouie comme une merde !

Et cette baguette qui se levait encore, en me gueulant que j’avais raison.
Ouais, je n’étais plus rien depuis que j’avais tout abandonné. Mais plus jamais. Plus jamais je n’allais abandonner.

Alors vas-y ! Lève ta baguette et frappe-moi ! *TRAINÉE !*.
Ma gorge brûle tellement que je veux la cracher par ma bouche !

TOUS LES AUTRES SAVENT…

Une couleur m’arrache la gueule.
Ma langue se fige et toute ma bouche disparait. *Enfin !*. ENFIN !
La pointe de son arme, à cette trainée.
Bordel ! Elle est efficace !

*AAAH !*. Ma robe est tirée tellement fort que tout mon corps se jette en avant. L’arrière de mon crâne frappe contre mon dos. Le monde est à l’envers. Rien ne fonctionne comme il faut.
*Bordel !*.
Je vois les gueules en biais.
*Bordel…*.
Et les vitres fermées de cette pièce.
Je lévite, je vole vers la trainée à la vitesse d’une comète.
*’fait chier…*.
J’imagine le monde s’articuler derrière ces vitres. Il pouvait bien être en feu, ce monde, que je n’en saurais rien ; que je n’en aurais rien à foutre.

*’seule*.

L’extérieur ne m’intéresse plus. Mon intérieur brûle déjà bien trop.

*Seule…*.

Je touche la trainée, un choc qui rabat mon crâne tellement fort que j’en perds la vue.

*'gueuler*.

Bon Dieu. Une fumée verte.

*SAINTE-MANGOUSTE !*

Et je vomis mon cœur sur le plancher.


F I N

je suis Là ᚨ