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19 mars 2020, 17:34
Les cœurs Misérables  Privé 
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1er Novembre 2044
Couloirs, Poudlard
3ème année


Hier soir, pour la première fois depuis quatre ans, je n’ai pas allumé de bougie pour Maman le soir de la Fête des Morts. Hier soir. *Hier*. Cette pensée est envahissante. *Soir*. Elle me ramène au trou noir de ma mémoire. Il est si difficile de me souvenir. L’angoisse et la panique glissent encore leurs tentacules glaciales dans mon dos douloureux. Hier soir, qui a si bien commencé pour si vite casser la gueule de mes espoirs. Hier soir, et l’ombre de ma peur devant tant d’Autres confinés. Hier soir, et le sort qui m’a ouvert la tempe. Hier soir, et ma perte totale de contrôle. Hier soir, et le blanc total de mes souvenirs. La pensée effacerait toutes les autres si l’une d’elle n’était pas encore plus dévastatrice. Elle défonce tout, celle-là. Avec son unique mot. Comme un cri. *Aelle*. Aelle, le prénom qui résonne dans tout mon corps tandis que je coure dans le couloir. Aveuglement. Tout est flou autour de moi, ma robe déchiquetée et sale me gêne pour avancer, mais je n’ai pas le temps de l’enlever. Mes pensées battent la mesure de mon cœur affolé, me rappelant sans cesse mes joues sales de larmes séchées. Elles dégueulassent ma face, je le sais. Tout comme le sang trop vite essuyé sur ma tempe. J’ai mal. Je suis paumée. Je ne sais plus rien. Il y a juste ce prénom, comme une certitude. *Aelle*. Et mon cœur tordu de ne pas savoir ce qui lui est arrivé. Et mon esprit défoncé parce que je n’ai pas pu honorer la Mémoire et me rapprocher des Morts, hier.

« Gil’Sayan ! » me frappe la voix aussi misérable que mon être.
« Eh, attend ! » *Gil’Sayan*. Un instant, je suis certaine qu’on appelle mon frère. L’autre, je me rappelle que j’étais seule dans le couloir il y a quelques secondes.
Soudainement, la tonalité de la voix réveille un souvenir. Je l’ai déjà entendue. Où ? Je ne sais plus. Quand ? Je ne sais plus. Je ne sais plus grand chose, ce matin. Mais, après cette fraction de seconde, je me retourne pour voir un garçon arriver vers moi.

« Je... Tu… Tu vas où ? »

Je cligne des yeux.
*Quoi ?*. Une fraction de seconde. Paumée.
*Aodren !*. Je me souviens.
Son frère.

« Aelle ! » Le cri rauque remplie ma gorge de douleur. « Ao... Où est ta sœur ? » Désespérée. Puis mon corps chute à peine vers le mur et je m’y rattrape, les yeux dans le vague, en l’attente désespérée des paroles de ce sauveur inattendu.

« Infirmerie. »



« On... on y va. »

*J’ai peur*. Les mots résonnent dans mon crâne. J’ai peur, et Aodren aussi. J’ai peur de ce qu’il m’a dit. Peur de voir Aelle. Peur de comprendre à quel point j’ai été inutile, idiote, stupide, faible, pitoyable. Je sais parfaitement que j’ai fait n’importe quoi. Jamais je n’aurais dû m’éloigner ; c’est de ma faute. Jamais je n’aurais dû la laisser quand la panique m’a envahie. *Jamais*. Jamais je n’aurais dû céder à ces crises, ces symptômes de faiblesse. Jamais, Merlin, jamais je n’aurais dû flipper d’être enfermée avec tant d’Autres et de ne pas pouvoir m’enfuir au point de la laisser ! Maintenant, elle est blessée. Et je n’ai rien fait. J’aurais pu, j’en suis certaine. Si j’étais restée, au lieu de me recroqueviller dans un coin et de sombrer, j’aurais pu. Son frère peut dire tout ce qu’il veut ; je sais que c’est de ma faute.

J’avance. Je passe la porte. Je découvre les lits, tous alignés. Tous remplis.
Et dans l’un d’eux, se trouve cette fille. Cette fille que j’ai abandonné hier. Cette fille qui me réclame, maintenant, alors que j’ai tout foiré. Sûrement doit-elle m’en vouloir, ne serait-ce qu’un peu.
On aurait pu faire son Halloween dans les couloirs, avec le Mngwi que je jalouse tant.
*Quelle conne*.

Soudainement, mon regard explore un nouveau coin de la pièce, et je l’aperçois dans un des lits. Mon souffle se coupe et mon cœur se serre. Je la distingue à peine. Mes mains se mettent à trembler, et je les serre l’une contre l’autre pour ne pas qu’on puisse le remarquer. Le Serpentard est derrière moi. Je ne sais pas s’il me suit. Je n’y prête pas attention. Je suis seulement plantée là, pendant quelques secondes qui me semblent être une éternité. Pétrifiée. Puis je m’avance le plus rapidement possible vers son lit *j’ai peur*, tentant d’ignorer ma terreur.
Je m’arrête au pied du lit, m’agenouille aussi sur le sol pour être à sa hauteur. Alors, seulement, je me risque à poser mon regard sur elle.
Il faut qu’elle aille bien. Je sais que ce n’est pas le cas.
Mais, il faut qu’elle aille bien. *Désolée*
Bordel, Aelle, il faut que tu ailles bien, s’il te plait.

Actions d’Aodren écrites par la Plume d’Aelle.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]
20 mars 2020, 12:37
Les cœurs Misérables  Privé 
1er novembre 2044
Infirmerie — Poudlard
4ème année



Tourner le dos à l’Autre a été douloureux, mais je l’ai fait. Me tourner pour oublier que je suis incapable de lui parler, me tourner pour oublier que je ne suis plus rien, rien d’autre que cet être misérable. Mon horizon est blanc. Le paravent m’empêche de voir le lit en face de moi, il me cache au monde et je l’en remercie. Malgré sa blancheur, il me permet de partir. Lentement, tendrement mes pensées s’évaporent dans la noirceur de ma douleur et mon esprit se dilue dans mes limbes. Je ne pense à rien, je ne vois rien, je ne ressens rien. Mon coeur est tout vide, aussi vide que mon esprit, aussi béant que mes lèvres. Lorsque je remarque que ma bouche est entrouverte, je la referme. La potion que m’a donné Aodren est un philtre calmant, elle ne devrait pas me rendre aussi débile, n’est-ce pas ?
Non, elle ne devrait pas.
Ce n’est pas à cause de la potion, c’est à cause de moi. C’est à cause de ce Monstre qui habite ma tête, celui qui ronronne dans mes oreilles. C’est un gros chat qui s’enroule autour de mon crâne et qui serre mon pauvre corps entre ses pattes. J’ai chaud. Et j’ai mal. Mon épaule gauche me fait mal. Ton mon poids appuie dessus, alors que j’ai bien compris que j’étais blessée à cet endroit-là. Mais je suis incapable de changer de position, je ne le peux pas. Ma tête bat comme un coeur ; chaque battement est une vague de douleur. Elle est lourde, elle va exploser, et peut-être finirais-je par mourir. De toute façon, quelle différence entre mon état et la mort ? Il n’y a pas de différence.

Un mouvement à l’orée de mon regard.
Je ne cherche pas à me tourner, je n’en ai pas la force. Je laisse l’Autre se ramener. L’Autre est aimable, il s’accroupit devant moi. Elle. C’est une fille. Une jolie fille, même si ses yeux n’ont pas l’éclat du saphir de mon rêve *c’était Fleurde* ni la force de l’émeraude. Mais ses yeux sont jolis et ils me regardent. Mon esprit se réveille légèrement à cette vision. Il essaie de me chuchoter quelque chose. Il me tire à lui, mon esprit, il me force à me concentrer. Alors je me concentre, je fronce légèrement les sourcils, essaie de repousser la lourdeur de mon fichu crâne.
Concentre-toi.
Concentre-toi.

J’ai l’impression de nager dans une mer de boue dans laquelle le courant m’éloignerait sans cesse de la rive. Concentre-toi ! A quoi songeais-je ? Ah, oui. Thalia.
*Thalia !* explose mon esprit. Et tout à coup, tout me revient. Le bal, les costumes, les cris, les sortilèges, la lumière, la douleur et Thalia nul part, Thalia absente. Une inspiration soudaine me défracte les poumons et j’essaie de me redresser, poussant sur mes bras. Ma vision s’élargit et là, juste derrière Thalia, j’aperçois Aodren. Il a réussi, il l’a trouvé. N’ayant plus la force de me redresser, je reste ainsi, à demi-écrasée sur mon coussin, à moitié tournée vers Thalia. La couverture me tombe sur le ventre, dévoilant la robe blanche toute moche qui m’habille et le bandage qui enserre mon épaule.

Elle est là. Thalia. Elle a bon air, je crois. Je ne suis pas sûr. Elle porte son costume de la veille. J’espère que ce n’est pas une folie de mon esprit, j’espère qu’elle est bien là. Je ne comprends pas ma tête. Elle fait n’importe quoi, ma tête. Elle entrave mes pensées et l’instant d’après elle les libère si vite que je ne sais plus ce que je pense ni comment je le pense. Et si ma tête était celle qui imaginait Thalia ? Tant bien que mal, j’arrache ma main de la chaleur de mes draps. Mon regard ne quitte pas celui de la fille ; et si j’oubliais qu’elle était là et qu’elle s’en allait ? Je crois que j’ai envie de dormir. Je laisse tomber mon bras sur le matelas, ma main dépasse, je l’approche de Thalia et attrape sans trop en avoir conscience une mèche noire qui pend non loin de moi. C’est doux dans ma main, c’est doux. Cela signifie qu’elle est bien là, n’est-ce pas ?

Je souris.
J’ouvre la bouche, aucun son n’en sort. Ce n’est pas grave. J’inspire, ouvre la bouche encore une fois.

« Tu… » 

Je songe. Ma phrase est trop compliquée. Les mots sont lourds. Ils s'imposent dans mon esprit, puis se perdent sur le chemin de ma bouche. Je finis par oublier ce que je voulais dire alors je reste ainsi, sans bouger, caressant la mèche du bout de mes doigts et mon regard dansant avec celui de Thalia.
20 mars 2020, 16:59
Les cœurs Misérables  Privé 
Tout coule. Lentement, le flot de la rivière du temps qui passe. Son eau se fend autour de moi, je me suis figée au milieu du courant. Dans mes tympans fermés au monde, le bourdonnement des secondes égrenées, filant une à une dans le sabli- *clepsydre*. Les grains sableux que je tente de recueillir dans ma main *perds pas d’temps, recentre toi !* se dilatent en eau qui file entre mes doigts. Loin, loin derrière, je sens la présence du Frère, tout autour, celle de la blancheur du lieu. La couleur a plus de consistance que les lits et leurs occupants, elle frappe ma rétine en reflétant un souvenir d’hôpital. Et mon regard coule sur la courbure des sourcils froncés, plus lentement que l’écoulement du temps, pour dégouliner sur tout son visage. En évitant ses yeux. *’m’reconnais pas*. L’arc de mes sourcils résiste pour ne pas se froncer à son tour ; elle ne réagit pas. Du tout.

D’un coup, son inspiration attaque l’Écoulement en sens inverse. Son corps qui se redresse, trop faible, ma pensée soudaine pour essayer de l’aider. Puis la couverture qui retombe en attirant mon regard *arrête* sur sa robe si blanche *arrête*, son épaule bandée *arrête*, le peu de peau dévoilée *arrête*. Ma respiration s’accélère un peu. Vraiment blessée. Une vraie réalité, qui se heurte à la torpeur de l’Après-Crise et à l’Écoulement qui veut garder son calme. Un minuscule tremblement s’éprend de ma lèvre inférieure.

Son regard qui coule dans le mien est la plus belle chose qui pouvait m’arriver. Je m’y accroche de toute mes forces pour cesser la dispersion de mes pensées, comme une fracture dans la clepsydre qui les fait se détourner de l’harmonie pour s’enfuir. Vissée dans son charbon, pour ne plus *jamais, jamais* en sortir. C’est un jamais à la consonance de toujours. Ses yeux n’ont pas l’air de souhaiter quitter les miens. Et, même si je n’arrive rien à distinguer dans ses pupilles, ce contact visuel réchauffe tout mon épiderme. Si le sang sur la partie droite de mon visage — il macule ma tempe, mon arcade sourcilière, mon œil et le haut de ma joue — ne me semblait pas si glacial, mon visage s’enflammerait sûrement.
Ma promesse de ne plus jamais me décrocher de son regard se rompt à l’instant où son bras tombe lourdement sur le matelas. Incapables de se détacher de sa main, mes yeux l’observent s’approcher de *moi*. De moi. Le tremblement gagne ma lèvre supérieure. Ma noirceur coule dans sa main. *Douce*. Ses doigts trop proches, dans mes cheveux. Une ombre de panique nait à l’arrière de mon esprit, vite repoussée par l’Écoulement de mes songes dans le temps qui leur est propre.

Comme pour attirer mon regard ailleurs que sur ses doigts mêlés à ma mèche, elle sourit. Ma respiration s’accélère un peu plus, devant sa bouche ouverte en Rien. Pas de paroles. Juste son incapacité à causer qui suinte dans l’air et qui tord mon cœur.

« Tu... »

Je l’entends sans l’écouter, je sais déjà que ça ne veut rien dire. « Tu ». Elle veut parler de moi. Un sourire étire mes lèvres en retour au sien, pas vraiment forcé, juste appuyé pour faire sauter la barrière de ma tristesse. Mes yeux sont pleins de larmes qui ne coulent pas. Son silence me détraque. Le tremblement agrippe mes mains, puis mon dos, mes bras, mes jambes. Si je n’étais pas agenouillée, j’aurais peur de tomber. J’ai peur de tomber. En arrière. Je tremble devant Aelle si mal. *C’est toi ?*. Elle ne se ressemble même pas. Un séisme dans mon cœur, tremblement de terre qui ouvre des failles. Ou peut-être que le tremblement est un tsunami, qui submerge mes pensées. J’ai beau avoir mon crâne qui me lance, mes pensées folles, mes membres faibles, mon esprit défoncé par la terreur, je ne m’inquiète que pour elle.

Ma mèche s’échappe de ses doigts. Ou c’est moi qui la retire. Je ne sais plus *rien*. À la place, alors que mon corps me semble être pétrifié, une statue plantée à ses côtés, ma main gauche s’élève et vient saisir la sienne dépassant du lit. Doucement. *Tout douc’ment*. Un des mes doigts s’agite à peine *suis l’Écoulement, n’brise rien*, caresse un instant sa main puis cesse. Comme pris en flagrant délit. Sans la serrer, comme si une simple pression pouvait la casser. *Trop fragile*.

« Tu..., » je me rends compte que je veux parler quand le mot râpe ma gorge. Puis, je m’aperçois que je ne sais pas quoi dire. Mes yeux se mouillent de plus en plus, mais je lutte contre la marée montante.
« ... veux que j’t’aide à te redresser ? » Elle est à moitié redressée, son manque de force m’explose au visage.

« Pas besoin de parler. Je vais bien. »

J’articule doucement, ma voix est si calme qu’elle apaise presque les tremblements qui me secouent. *J’vais bien*. Te voir comme ça me terrifie, je me suis évanouie, je n’ai pas de souvenirs, j’ai peur, j’ai mal, mais je vais bien.
La pression des larmes contre mon barrage de pensées est immense. Soudainement, mon regard posé dans celui d’Aelle, je songe que j’ai envie de la prendre dans mes bras et de la serrer fort pour être sûre qu’elle est bien là. Puis je refoule la pensée, parce qu’elle me fait peur.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]
20 mars 2020, 23:52
Les cœurs Misérables  Privé 
Où étais-tu, Thalia ?
Hein, où est-ce que tu étais lorsque j’allais mal ? Où est-ce que tu étais lorsque je me suis réveillée ce matin ? Pourquoi n’étais-tu pas près de moi, lors de l'incident ? Hein, Thalia ? Je ne comprends pas. Nous sommes allés au bal ensemble, je m’en souviens. Alors pourquoi est-ce que je me retrouve ici et pas elle, pourquoi est-ce qu’elle n’était pas avec moi, pourquoi Aodren a dû aller la chercher ? Je me souviens de ce que je voulais lui demander : tu étais où ? Le étais et le se sont fait la malle, ils ont disparu dans les méandres de ma douleur, le Monstre dans ma tête les a mangé et il vient juste de les recracher. Mais à quoi cela sert-il que je m’en souvienne maintenant ? Je n’arrive pas à parler et je n’ai pas envie de parler. Non, je préfère caresser ses cheveux et regarder ses yeux. Une petite voix dans ma tête me chuchote qu’il y a du sang sur ce visage-là, qu’il y a de la souffrance sur ces traits. Mais je ne comprends pas ce que cela veut dire alors je n’accorde pas de crédit à mes pensées. De toute façon, elles s’enfuient mes pensées. Elles se diluent mes pensées. Elles ne laissent que mon corps qui a mal, ma main qui tremble et la douceur de cette mèche que je frotte entre mon pouce et mon index. A-t-elle toujours eu les cheveux aussi doux ? Peut-être. Il me faudra le lui demander. A-t-elle toujours eu les yeux aussi brillants, aussi verts ? Oui, de cela j’en suis certaine. Je me rappelle très bien de son regard. Il est toujours posé sur moi à essayer de fouiller, de chercher. Mais aujourd’hui, je ne crois pas qu’il cherche. Il se contente de regarder. J’aime bien. J’aime bien quand tu me regardes Thalia. Tu veux bien rester comme cela pour toujours ? Tu veux bien me regarder ? Ainsi, mes pensées se taisent, mon esprit s’endort. Je peux me contenter de ressentir mon coeur battre doucement, c’est agréable, c’est chaud, c’est vivant.

La douceur entre mes doigts disparaît. Je le remarque en même temps que je remarque que les yeux dans lesquels je suis plongé sont pleins d’eau. Elle va se noyer, si ça continue. Et je ne pourrais même pas la sauver. La pensée agrandit mon sourire. C’est marrant, peut-elle réellement se noyer à cause de ses propres larmes ? *Larmes*. Pleure-t-elle ?
Elle bouge.
Mes yeux suivent ses mouvements.
Une autre douceur s’installe dans ma main ; je la regarde brièvement. Il n’y a plus de mèche entre mes doigts, désormais il y a une main pâle qui me touche à peine, la main de Thalia qui enveloppe la mienne. Mon coeur s'affole soudainement.

*
Aodren Bristyle


Sa tristesse déborde ; les larmes coulent. Aodren détourne le regard, se sentant comme un intrus dans l’étreinte de ces deux enfants. Elles se regardent si profondément qu’il se sent de trop. Alors, quand Gil’Sayan glisse sa main dans celle de sa soeur et que celle-ci en sourit de béatement, Aodren balbutie une phrase incompréhensible et fait marche arrière, s’enfuyant de l’infirmerie. Il préfère attendre dans le couloir, il préfère les laisser seules. Et s’il pleure comme un malheureux, c’est son problème.

*


Il rue dans le secret de ma poitrine, il bat de toute ses forces, m’envoyant de grands coups contre la cage thoracique. Mon souffle s’accélère. Il s’échappe entre mes lèvres entrouvertes, glisse contre le matelas et tombe dans le vide qui me sépare de Thalia. Ce sont de grands coups douloureux. Bam. Bam. Bam. Et ma respiration me manque. Je ne panique pas, pourtant. Mais cette main me rend folle. Cette main viole mon coeur. Cette main dépose des frissons tout le long de mon corps, cette main farfouille dans mon ventre pour le tordre douloureusement. Merlin, je veux la serrer. Je veux la serrer fort pour ne pas qu’elle s’échappe. Mais je ne peux pas faire cela, n’est-ce pas ? Je ne peux pas. C’est un fait. Je ne peux pas, je n'y arrive pas. Ce n’est pas grave, je peux me concentrer sur le regard qui ne se détourne pas. J’ai l’impression que le visage de Thalia est lumineux. Est-ce à cause de la lumière extérieure ? Le soleil peut-il nous faire rayonner ? Je suis certaine que Thalia peut rayonner sans soleil. Ce ne sont pas les rayons qui l’éclairent, ça non. Elle, elle bouffe les rayons, elle les enferme à l’intérieur d’elle, tout comme elle me vole les battements de mon coeur. Oui, Thalia est une voleuse de rayons. Cette pensée aussi me fait sourire et je sens mes lèvres qui s’étirent.

« Tu... »

Sa voix résonne dans mon crâne. Elle me fait un peu mal à la tête. Mais je ne montre rien, je préfère qu’elle parle ainsi je me tairais. L’entendre parler me rappelle que j’ai essayé de lui demander quelque chose. Je ne me rappelle plus ce que c’est.

« ... veux que j’t’aide à te redresser ? »

Quoi ? Pourquoi voudrais-tu faire cela ? M’aider à me redresser ? Doit-on aller quelque part ? Où ça ? Je ne comprends pas. Peut-être qu’elle veut que je l’aide à se redresser ? Mais je ne peux pas. Merlin, je ne peux pas.

« Pas besoin de parler. Je vais bien. »

Moi, je ne vais pas bien. Je le sais, j’ai mal partout et ma tête est tellement douloureuse qu'elle va exploser. Mes yeux se remplissent de larmes. Je ne sais même pas pourquoi. Je me fous de la raison. Je les sens couler le long de mon nez et mouiller l’oreiller. Je pleure parce que j’ai mal, parce que Thalia est là, parce que je n’arrive pas à serrer sa main. Je ne sais pas pourquoi je pleure. J’ai un Monstre à l’intérieur de mon corps, il prend toute la place, il bouffe mes pensées, il bouffe mes souvenirs. Et je sanglote misérablement, enfonçant mon visage dans l’oreiller. Ne lâche pas ma main, s’il-te-plait, je ne peux pas te le demander, je ne peux pas te le faire comprendre, mais ne me lâche pas. Je crois que je mourrais si tu partais loin de moi, Thalia, je mourrais.
22 mars 2020, 19:59
Les cœurs Misérables  Privé 
Je maintenais l’Écoulement de mes pensées *du temps* avec faiblesse. Et elle l’a brisé d’un coup. Ses larmes dégoulinent, chacune d’elles comme une épine qui se plante dans mon cœur. Et son sourire d’il y a quelques instants ne peut rien contre cette vague de pleurs qui me submerge et me donne envie de craquer à mon tour. Je ne peux pas. Je ne peux pas me le permettre. Pour elle, il ne faut pas que je pleure. C’est elle qui va mal. Moi, je ne peux pas. Je ne peux que serrer sa main plus fort, sans plus avoir peur de la briser, parce qu’elle chiale et que la seule chose que je sais faire, c’est lui tenir la main pour ne pas qu’elle sombre. Et mon regard, son regard ; la seule chose qui me maintient encore en vie. Mais quand elle enfouit sa tête dans son oreiller pour y sangloter, elle brise cela. Ma main serre la sienne, encore plus, toujours plus. Mon cœur s’envole à chaque sanglot, se tord un peu plus. Le tremblement dévore mes épaules, je suis un Séisme. Avec pour seul point de survie, seule bouée de sauvetage, sa main. Ce n’est pas vraiment pour elle, en fait, c'est plutôt pour moi. *J’suis égoïste*. Oui, je suis égoïste. Je l’ai toujours été, n’est-ce pas, Aelle ? Hier soir plus que jamais. Je suis tellement désolée. Mes lèvres se plissent sous l’effort que je mets à ne pas verser de larmes, à ne pas tomber dans la Mer de Pleurs comme la fille dont je tiens la main.
À chaque seconde, le tremblement me malmène un peu plus. Je n’en peux plus, plus du tout. C’est comme si je sanglotais aussi, mais aucune larme ne coule. Mes yeux sont pourtant à demi clos, ma vision brouillée, le monde flou. Autour de moi, il n’y a plus rien d’autre qu’elle. Elle et ses larmes.

Un instant, j’ai peur qu’elle s’étouffe ainsi, dans son oreiller. Un instant après, j’essaie de démêler quelque chose de la tempête de mes pensées. Ma main lâche la sienne sans que je ne sache pourquoi. Puis je me retrouve penchée vers elle, un bras se glissant sous son dos pour la relever. Elle est plus lourde que moi, peut-être parce qu’en plus d’être plus jeune, j’ai toujours été trop maigre. Elle est plus lourde et mon dos se tue à la relever, parce que la douleur a un poids aussi. Parce que je fais beaucoup trop attention à ne pas effleurer son épaule ou sa tête pour ne pas la blesser. Et à peine l’ai-je légèrement redressée, à peine n’est-elle plus en train de déverser sa peine dans son oreiller, que mon second bras rejoint l’autre et que je me penche pour la serrer contre moi. *Contre moi*. Elle est dans mes bras, même si ma position est tout sauf confortable, même si j’ai envie de pleurer et de dormir à tout jamais. Elle est dans mes bras et je ne sais même pas pourquoi. Je sais juste qu’elle pleure, et que ce bruit fait hurler mon cœur à l’agonie. Je sais juste qu’une larme se fraye à son tour un chemin sur mes joues, et que cette fois, je ne la retiens pas, parce qu’elle ne peut pas la voir. Une main posée sur sa nuque, légère, pour ne pas que sa tête parte en arrière parce qu’elle n’a plus de force ; mais ce n’est pas dur de se dégager de mon étreinte, je le sais parce que je fais exprès pour qu’elle me laisse si elle le veut. Je ne sais pas du tout si cela fait une fraction de seconde ou des minutes entières que je tiens Aelle dans mes bras, serrée contre moi. Il y a seulement mon étreinte qui ne veut pas la blesser mais qui la serre le plus fort possible, peut-être même trop, je sais pas, *je sais plus*, pour ne plus jamais la lâcher. Pour ne plus jamais la laisser. Ne plus jamais l’abandonner. Plus jamais la laisser pleurer sans moi.
Plus jamais.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]
24 mars 2020, 17:41
Les cœurs Misérables  Privé 
Elle lâche ma main.
Je ne lui en veux pas.
Je m’en veux à moi. De ne pas la tenir assez fort, de ne pas être assez déterminée, d’être faible, d’avoir mal, de ne pas pouvoir penser, d’être incapable de m’exprimer, de me sentir comme dans une cage dans ma tête, de ne pas réussir à relever la tête, de ne pas agripper son regard, de ne pas la supplier de rester. Les larmes me font mal, nom de Merlin. Elles s’échappent de mes yeux comme des coulées de lave, brûlant ma peau, m’arrachant des morceaux d’âme. J’en perds toute capacité à percevoir l’extérieur, je n’entends rien d’autre que le bourdonnement dans mon crâne. Pleurer attire le Monstre, pleurer donne de la force aux vagues. La douleur est grande, elle part de mon front, au-dessus de mes yeux, et s’infiltre dans mon crâne. Il y a un tambour, là-dedans, il bat en rythme le tambour, en rythme de ma douleur, en rythme du bourdonnement. Mais je ne parviens pas à arrêter. Bientôt, ce ne sont plus les larmes, mais les sanglots qui me dépossèdent. Ils secouent mes épaules, ils deviennent bruyant. J’ai mal ! J’ai mal, mal, *mal*, *mal*, *mal !*.

On m’attrape. Je le sens vaguement au loin. Encore Aodren qui veut me faire boire une potion ? Un bras s’infiltre dans mon dos, un bras m’entoure les épaules, une main contre ma nuque, une présence, une odeur, une chaleur. Là, tout contre moi, un corps qui me serre contre lui. Je comprends instantanément que c’est Thalia. Peut-être l’odeur ? Peut-être la couleur ? Qu’en sais-je. Ses bras m’enveloppent, ils se referment autour de moi et le monde disparaît. La noirceur se pose sur moi, mais ce n’est pas la noirceur qui fait mal. C’est la noirceur qui Cache — le monde, les Autres, la douleur, les souvenirs. Thalia est mon Voile, elle m’abrite dans son giron. Elle n’éloigne pas la douleur — comment le pourrait-elle ? , mais elle m’en éloigne. Dans son étreinte, le monde se teinte de douceur et de chaleur, dans son étreinte, ma conscience tangue et le reste s’effondre.
Un instant pour songer à tout cela.
Et les sanglots reprennent.
Lourds, puissants, humides. Mes épaules tremblent, peut-être tout mon corps tremble-t-il. Je n’en sais rien. Je suis contre elle, tous muscles relâchés, et je ne sais plus le reste. Je ne veux plus savoir. Mon corps est un réceptacle minable. Toutes les choses qui lui pesaient, toutes ces choses qui traînaient dans ma tête, j'ai l'impression de les évacuer maintenant. Je pleure le monde qui va mal, je pleure ma famille qui me manque, je pleure le bal qui m'a fait mal, je pleure les larmes d'Aodren, je pleure Thalia qui me fait ressentir trop de choses, je pleure mes pensées qui me trahissent trop souvent, je pleure mes secrets, je pleure mes golems, je pleure Nyakane, je pleure mes douleurs, je pleure mes peurs, je pleurs ma colère. Je pleure à m'en vider le coeur. 

Les sanglots durent toute une vie.
Peut-être pleuré-je encore.
Je ne sens que ma main. Proche de mon visage, celle-ci a retrouvé sa vigueur. Mes autres muscles étant relâchés, je lui offre toute ma force : j’agrippe le costume de Thalia et le serre aussi fort que je le peux entre mes doigts tremblant. Je l’agrippe, je l’attache à moi. Et je m’abandonne. Dans ses bras, le reste n’a guère d’intérêt. La douleur pulse étrangement ; je me concentre sur l’odeur, une douce odeur au goût de baiser. Elle avait la même quand on s’est embrassé, c’était bien, c’était chaud, comme là. Je ne veux pas l’oublier, je ne veux pas oublier cela. J'ai l'impression d'avoir attendu cela toute ma vie. Comme si cette étreinte était tout ce que j'attendais alors que je n'y ai jamais songé avant. Comment puis-je attendre une chose à laquelle je n'ai jamais pensé ? Je ne sais pas, mais je suis bien. C'est mieux que les câlins de Maman, c'est mieux que la chaleur de Papa. C'est mieux que tout le reste, c'est Thalia. 

Mes lèvres bougent. Je le remarque à un moment — combien de temps cela fait-il que j’essaie de parler ? Ai-je au moins réussi à dire quelque chose ? Cela n’a pas d’importance, n’est-ce pas ? Thalia me protège de ses bras, mon esprit refuse de se concentrer, et moi je me laisse porter ; doucement dans les vagues, tendrement dans l’odeur. Mes oreilles captent peu à peu ce que j’essaie de dire : « Reste… ». Une fois, une seconde fois, une troisième fois. Le mot coule hors de mon corps. Celui-là, je m’en souviens. Alors je le répète inlassablement.
Reste.
Reste.
Reste avec moi.
Reste autour de moi.

J’en oublie le temps, j’en oublie la douleur. Mes yeux sont fermés, il n’y a guère que mes lèvres pour bouger lentement. Bientôt, elles ne disent plus rien. Bientôt, ma main relâche son étreinte, mais mon coeur lui reste verrouillé autour de Thalia. Elle ne pourra pas s’en échapper. Jamais.
29 mai 2020, 17:09
Les cœurs Misérables  Privé 
Ses sanglots entrainent mes larmes, bien silencieuses comparées aux siennes. C’est une étreinte secouée de tremblements, malmenée par les pleurs. Ce n’est pas important. Elle est dans mes bras, elle ne m’échappe pas, et je ne l’abandonne plus. Et pleurer me fait du bien ; pour la première fois depuis longtemps, pleurer me fait vraiment du bien. Je pleure pour oublier. Je pleure mes terreurs, mes pensées, mes regrets, mes douleurs, mes doutes, tout ce qui me fait mal. Je pleure pour me vider de tout cela, et sans cette immense quantité de douleur en moi, je me sens presque vide. Pas légère, juste vide. Et puis sa main se met en mouvement, m’agrippe, me serre un peu plus contre elle. *Elle est là*. C’est une certitude, maintenant.

Elle est là, je suis là. On est là. On est là, tout va bien.
Le bal, la blessure, l’oubli, les Autres, les crises, on s’en fout. C’est dur, je sais. Mais là, tout de suite, on peut. Je m’en fous. Je les oublie. Ça n’existe pas, ici. Je suis incapable de penser. Incapable de penser, de vivre, de bouger. Je ne sais pas faire autre chose que ressentir ; ressentir son corps contre le mien et mes bras qui la serrent un peu plus, et ce contact, qui me fait autant de bien autant qu’il ne me fait du mal. Un contact que je ne peux pas désamorcer, que je ne veux pas désamorcer, que j’arrive à apprécier, dans lequel je peux m’abandonner. La serrer, encore et encore, toujours plus fort, le monde n’existe plus. Il y a toi et moi, Aelle et Thalia, c’est tout. Le reste ce n’est rien, le reste importe peu.
Je suis désolée, désolée de t’avoir laissée, désolée de ne pas avoir été là, désolée de ne pas t’avoir sauvée, désolée de ne rien pouvoir faire pour toi, désolée de ne pas te faire aller mieux, désolée de te laisser pleurer. Je ne peux rien faire d’autre que te serrer contre moi. Te serrer jusqu’à m’en couper le souffle, jusqu’à ne plus savoir si c’est réel, jusqu’à ne plus me rendre compte si je pleure encore ou non, jusqu’à abandonner le monde, jusqu’à oublier mon prénom. Je suis incapable de faire autre chose, tu sais. J’espère que ça suffit, ma belle. J’espère que ça te suffit.
Je sais que ça ne suffit pas. Ce n’est pas comme ça que tu vas aller mieux. Je le sais bien. Mais tu comprends, je ne peux pas faire mieux. Et puis... et puis moi, je crois que ça me suffit. Oui. Ça me suffit à oublier hier, cette nuit. Ça me suffit à oublier tout ce qui n’est pas Nous. Tout ça, ça me suffit. Ça me suffit, de ressentir pour ne plus penser.

« Reste... »

Ressentir, et écouter.

*Reste, reste, reste, reste...*. Encore et encore. Ses lèvres bougent, doucement ; elles font bouger mon cœur, en même temps. Il tressaille, il sourit, il pleure. Reste. Sa voix, *ta voix*, tellement faible, tellement douce. Et mes épaules tremblent à leur tour, je ne sais pas si c’est à cause des sanglots. Reste. Ça suffit, alors ? Je sais pas si ça suffit, mais c’est déjà ça. Reste. Je pars pas, je pars jamais. Comment je pourrais partir ? Comment je pourrais repartir ?
Et sa main se desserre, jusqu’à ce qu’elle se détache. Mais moi, je la sens encore. Et sa voix s’amenuise, jusqu’à ce qu’elle se taise. Mais moi, je l’entends encore. *Je reste*.

« J-je reste, promis. Toujours. »

Ma voix tremble, comme mon cœur. Je reste, toujours, évidemment, on se l’ait promis. Je te l’ai promis. Je sais que je ne suis pas restée, tout à l’heure, mais je le voulais, vraiment. C’était le vide, il m’appelait. C’était le monde, il m’assourdissait. J’en pouvais plus, je pouvais plus. Je regrette tellement de ne pas avoir été plus forte, j’aurais peut-être pu t’aider, j’aurais empêché ça. Je veux te le dire, mais j’en suis encore incapable. Mes lèvres bougent mais ma voix ne suit pas. Elle est coincée dans mon cœur. Alors je me tais, je reste silencieuse, les yeux fermés. Mes larmes continuent de tremper mes joues, de s’échouer sur mon visage, et je resserre un peu plus mon étreinte, alors que je croyais que c’était impossible. Tout est si étrange, tout est si doux, tout est si amer. Tout est si différent, avec toi. Reste. Et je ne partirais pas, toujours pas. Je suis bien, prêt de toi. Je ne sais pas ce que cela signifie, bien, mais si cela veut dire que mon cœur s’accélère, que mes pensées s’apaisent et que mes larmes ne me font plus mal, alors je suis bien, prêt de toi.
Oui, je suis bien. Oui, je reste. Oui, je t’aime. Oui, promis.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]