Le thermomètre de l’infirmier avait vu rouge : quarante degrés. Moi, je ne voyais rien du tout, les yeux fermés sur le souvenir de Nick-quasi-sans-Tête. J’avais tout de lui en ce temps : comme le sien, mon visage blême devait approcher une teinte translucide, couvert de toutes ces perles de sueur transparente qui le dévalaient… je ne sentais plus ma tête même si comme lui, ma main gauche contre mon cou me rappelait l’existence de celui-ci sous cette sphère lourde.

Je traînai comme un boulet avec moi ce poids de ne pas pouvoir aller à son anniversaire. L’anniversaire de ce fantôme toujours là pour essayer de raisonner les facéties de Peeves. Les deux fantômes étaient comme deux parents en somme pour les Gryffons : un initiateur à la malice et un sage, et l’envie de rencontrer ce parent sage, rassurant était grande sur mon lit, alors que mon souvenir se dilatait comme ma poitrine sous le coup de ma respiration haletante, imaginant tous ces fantômes des autres pays venus à l’anniversaire.

Le visage brouillé de Lily se superposa à celui de Nick. J’aurais aimé la faire tournoyer dans les danses heureuses du bal plutôt que de voir son image onduler, la tête pleine des tournoiements de la fièvre. Je lui glissai que je faisais désormais un Dracula fantôme, mon visage pâle, éclairci par le maquillage, encore blêmi par les gouttes transparentes qui le descendaient doucement.

Le rythme de ma tête pour seul rythme de fête, mon coeur battait le rythme de la musique du bal, un rythme saccadé - la vision de Lily y apportait les quelques éclats de couleur, ces échos de bonheur imaginé. Le pouls tremblotant comme la lampe de l’infirmerie, j’en imaginais la lumière se décomposer en un arc-en-ciel de joie à côté de Lily rouge et noir.

Mes impressions clignotaient - impressions fantômes d’un corps engourdi dont la main gauche moite serrait le drap blanc. Mes paroles de Dracula avaient laissé couler une goutte de sueur dans ma bouche dont le sel s’était mêlé à l’arrière-goût sucré de ce berlingot pour m’arracher une grimace digne de Dracula.

Une façon de donner raison à Lily qui pensait à un berlingot de fièvre. Je m'étais fait avoir comme un bleu pour cette plaisanterie. Ou comme un Rouge, comme Lily la Bleue avait été plus maline que moi en ne laissant pas tenter par ces friandises originales d'Halloween.

Une main froide se posa sur mon front. Pas Nick, non : Lily. Pas de panique. Puis un verre contre ma bouche. L'eau transparente pourrait être la boisson des fantômes, non ? Respirant tant bien que mal entre mes ébauches d’excuses et mes plaisanteries qui ne valaient pas un O, j’entendis le rire de Lily.

Les hoquets doux du rire de Lily, c’était mon premier souvenir d’Halloween.

L’infirmier était passé donner une potion : de nouveau assis, je déglutis difficilement les volutes épaisses et collantes du liquide pâteux, qui devait soulager la douleur mais criait en glouglous la sienne en passant ma gorge. Je fis effort pour me réjouir avec Lily d’avoir trouvé la cause du problème : « bingo, une berlue du berlingot ! ». La dernière bouchée me fit plisser quelque peu les yeux, tournant mon regard au loin, vers les murs.

Les murs de pierre me cachaient la fête. Celle de l’anniversaire de Nick et celle du bal qui se superposaient dans ma fièvre. Des murs solides, qui formaient un écran de fumée de puissance. Les yeux brumeux, le gris opaque de mes sensations m’ankylosait, adhérant à ma peau comme cette sueur qui ne quittait plus mon front.

Dans cette bouillie grise, une voix retentit. Pas la dame grise, non la jeune fille qui appartenait à sa maison, Lily, ma petite amie, qui me fit donner quelques inflexions d’amour et de reconnaissance à mon tour. La Dame Grise avait volé un diadème, ceux de la fête pouvaient gagner un diadème, Lily renonçait au diadème.

Plus, elle me tendait de l’eau. Transparente, rafraîchissante, dans ce sucré-salé de berlingot et de sueur. Je lui désignai mes patacitrouilles dans ma besace. Je lui disais qu’elles étaient pour elle, à défaut de pouvoir la conduire en citrouille en bal. Lily finit par en croquer une.

*Patacroc, patacroc, patacroc.*

Les craquements des patacitrouilles, c’était mon deuxième souvenir d’Halloween.

De « patacroc » en « pataclop » : les pas précipités de l’infirmier, entourés d’autres, puis de dizaines d’autres emplirent la pièce en moins de quinze gloups de potion. Crissements. Evanouissements. Gémissements. Des appels de prénoms, des cris de recherches. Un parfum de sang, d’alcool et de brûlé. Un dernier parfum qui me parut différent des autres, à la réflexion, avec Lily : pourquoi un feu dans ce orange d’Halloween ? S’il y avait un feu, c’était plutôt le feu de l’attente, le feu orange : l’infirmerie devenue orange effort.

La fièvre plaquée sur le visage, j’étais aussi dans cet entre-deux, ni dans la zone verte, pas prêt à prendre l’air avec Lily dans les herbes du parc, libre et sain, ni la zone rouge, celle de l’étouffement. Ma tête raisonnait comme résonne la caisse de résonance orangée d’une guitare que gratterait les cordées de transpiration qui affluaient sur mon visage.

Les boucles de Lily et les boucles des cris toujours renouvelés ne firent qu’un tandis que la fièvre m’engourdissait plus jusqu’au sommeil, clignant des yeux pour remercier Lily une dernière fois avant de me plonger dans un sommeil agité.

Les cent pas des (im)patients cachèrent les dix coups de minuit - sans doute Lily me quitta-t-elle à la même heure que la princesse qui voyageait en citrouille, mais mi-conscient, je ne pus à coup sûr pas lui faire la plaisanterie.