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28 févr. 2018, 11:43
Seize Grains  solo 
Papa, Maman,

La vie ici est tout aussi calme qu'elle l'a toujours été. Les devoirs sont intéressants, et la bibliothèque bien fournie.

La liste des élèves séjournant au château pour les vacances de Noël circule dans les salles de classe. J'aimerai y mettre mon nom afin de rester ici pour les vacances. J'ai besoin de rester ici, que ce soit pour les devoirs, les recherches et autre chose. J'ai besoin de rester loin de la Maison, s'il-vous-plait, je suis bien ici et je n'ai pas envie de rentrer pour le moment. Je vous promets que je prendrais soin de moi, je travaillerai pour rattraper mes devoirs et je vous écrirais. J'ai juste envie de rester tranquille, cette année.

Aelle.

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Chère Ely,

Nous comprenons ton souhait de rester à Poudlard durant les vacances de Noël. Si tu as besoin du calme du château pour te retrouver, nous ne pouvons t'enlever cela. Nous espérons que tu sauras trouver ce que tu cherches.

Cette période est cependant une fête de famille, que nous avons toujours passée tous les sept, ton absence serait une réelle souffrance pour tout le monde, crois-le. Nous t'accordons la possibilité de rester à l'école pour les vacances à la condition que tu nous revienne pour quelques jours à Noël, du vendredi soir au mercredi en fin de journée. Ainsi, nous pourrons passer les fêtes tous ensemble et nous aurons également le plaisir de te revoir. Ce n'est pas une condition négociable, tu sais comme nous que nous aurions pu refuser que tu restes au château. Nous t'attendrons donc le 22 décembre à 18 heures à King's Cross.

Il serait important, pour toi comme pour nous, que tu retournes voir Miss Stalbeck durant ton retour en Angleterre. Nous t'avons pris rendez-vous pour le vendredi soir afin que tu puisses profiter amplement de ton week-end parmi nous.

Ici tout va bien. Tes hiboux nous manquent. N'as-tu donc pas envie de nous renvoyer plus souvent cette petite créature aux yeux jaunes ? Il nous avait beaucoup amusé.

Ton père (qui est près de moi) a acquis de nombreux nouveaux ouvrages que tu auras plaisir à lire, à la librairie comme à la maison. Natanaël travaille comme un acharné et n'est plus souvent à la maison. Nous pensons qu'il s'est trouvé une petite amie, cela serait une nouveauté, n'est-ce pas ? Durant les vacance, il nous a dit qu'il nous emmènera sur son campus pour nous faire « goûter à l'excellente vie qui y règne » a-t-il dit. Il a, semble-t-il, oublié que j'avais passé de nombreuses années sur ce même campus au même âge que lui. Veux-tu que nous organisions cela lorsque tu seras présente ?

Prend soin de toi, ma fille, et ne fais rien d’insensé, les temps ne sont pas sûr. Tu nous manques beaucoup Aelle et nous espérons te revoir rapidement.

Nous t'aimons,

Tendresse,

Papa, Maman et Natanaël.


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Le 6 décembre 2042
Parc – Poudlard
2ème année


La feuille de parchemin préalablement dépliée gisait sur le sol, montrant sa face intérieure au soleil et aux nuages paresseux. Eux-seuls pouvaient avoir accès aux lettres tracées à l'encre noire d'une écriture élégante et déliée ; eux-seuls pouvaient sentir l'amour qui existait dans cette encre sans âme et dans ce parchemin qui laissait monter dans les airs l'odeur alléchante du foyer familial.

Le soleil darda son rayon sur le parchemin, une seconde humaine qui pour lui, parut une éternité ; quand son rayon trembla, ce ne fut pas pour retourner scruter la profondeur de l'Espace, mais bien pour caresser de sa chaleur, bien pâle dans l'hiver de cette planète, le dos d'une jeune créature qui tournait le dos au parchemin. Le soleil, tout d'abord, lui frôla le bas du dos, attiré comme jamais par la noirceur du tissu qui le recouvrait. Puis il monta peu à peu, flânant encore et toujours dans l'éternité qui était sienne, se promena sur des épaules étroites, toucha une cascade de fins cheveux châtains, grimpa sur une petite tête d'enfant. Il finit par s'échouer sur une peau pâle et froide qui lui était difficile à réchauffer. Il essaya de s'infiltrer sur les joues humides, puis sur la fine peau des paupières, même dans les yeux ; mais rien n'y faisait, cette peau n'existait pas pour accepter ses doucereux rayons. Alors il quitta la créature pour aller flâner là où la vie voudrait bien de sa chaleur. Il se retourna sur lui-même pour scruter la lumineuse profondeur de l'Infini.


Des années plus tard pour lui et une poignée de minutes pour le monde humain, il revint de toute sa puissance pour se jeter sur la créature. Il évinça les nuages duveteux de son chemin, brûla les ailes d'un oiseau qui l'empêchait de voir et inonda de sa lumière l'immense parc du château. Le paysage, jusqu'ici morne dans son habit de neige, s'illumina d'un éclat si vif que la créature leva la tête vers le ciel pour s'offrir entièrement à lui. Au préalable éblouie par son propre reflet que lui renvoyaient les cristaux de glace, le soleil ne reconnut que tardivement la créature qu'il avait essayé de faire sienne. Lorsqu'enfin il se souvint d'elle, il lutta pour ne pas s'enfuir sous l'accès de chaleur qui émanait d'elle. Comment la fraîcheur et la chaleur pouvaient donc se côtoyer sur un même corps ? La créature était plus haute que précédemment, tenant laborieusement debout sur les frêles baguettes lui servant de jambes. Ses bras étaient croisés sur sa poitrine, toujours couverts par l'habit de noirceur qui attirait le regard du soleil. Ses yeux étaient incandescent. Si le soleil avait eu une conscience, peut-être aurait-il pu savoir qu'il s'agissait de colère. Mais il n'en avait pas alors il ne put que regarder de son éclat tremblant la braise irradier dans ce regard de charbon. Les joues de la créature, auparavant si humides, étaient à présent sèches et rêche sous sa caresse ; les cheveux, libérés de la prison de l'écharpe qui encerclait le cou de la créature, volaient en tous sens, lui donnant un air divin qui plut au soleil.

L'astre rêveur observait la créature comme il en observait tant d'autres de ses nombreux œils scrutateurs. Il ne la regardait pas plus intensément et ne la trouvait pas plus plus étrange qu'une autre. Il l'observait juste de son regard jaune, avide de sa chaleur, peureux de son manque d'éclat. Il la regarda lever le nez au ciel ; l'écouta sans ciller offrir sa présence aux astres plus beaux qu'elle :

« Accepter sans condition, c'était trop vous d'mander ? »

Était-ce là son plus brillant éclat ? Le vent contenait plus de mélodie, le remous des vagues, bien plus de magie. L'Univers était une éternelle musique et les êtres humains étaient incapables de la percevoir et moins encore de la reproduire. Le soleil fut tenté de s'enfuir devant ce manque de profondeur, mais il décida de rester lorsque la chose s'affaira sur la cape de neige qui recouvrait le parc. De son œil tout jaune, il pouvait voir la chaleur de la créature augmenter dans son corps et c'était la seule chose qui importait. De ses pieds ridicules jusqu'à sa petite tête remplie de poils, la fournaise tournoyait sans ne laisser la chance à une seule parcelle de peau de vivre de sa fraîcheur.
Le soleil comprit à cet instant que s'activer ainsi, en balançant ses jambes dans la neige et en vociférant tout haut, était la seule possibilité qu’avaient les humains pour éblouir ce qui les entourait. Ou du moins le croyaient-ils, car le soleil n'était pas éblouie. Lui n'avait pas besoin de bouger, il n'avait qu'à respirer pour réduire en cendre ce qu'il regardait. Et l'humain tapa du pied sur la neige, balança son bras vers le ciel, enfouie sa main dans la masse de ses cheveux pour les arracher et fit monter, encore et encore, l'élan de feu qui irradiait de son être. Une danse bien étrange, se dit le soleil.

« Je veux pas ! disait-elle en s'étouffant dans ses mots. Je veux pas rentrer, je veux pas vous voir ! J'aurai du l'dire : j'veux pas vous voir bande de cons, c'est plus simple à comprendre comme ça ? »

Elle finit par chuter sur le sol, s'enfouissant dans la neige comme les gouttes de pluie savaient si bien le faire. En s'approchant d'elle, pas trop pour ne pas se laisser atteindre par ce ridicule éclat, le soleil entendit une musique qui était aussi belle que celle du vent ou des vagues. Curieux, il s'approcha plus encore, flânant sur la créature avec paresse. Puis enfin, il l'entendit : la fraîcheur de la créature coulait sur ses joues avec puissance et du trou dans son visage sortait une flopée de sons profonds qui n'étaient pas sans lui rappeler le cri des étoiles à l'agonie. Voilà une merveilleuse mélodie ! Elle tournait autour de lui, l'alpaguait dans sa danse et s'infiltrait dans ses rayons pour aller frapper son noyau incandescent.

Le soleil se retira lentement, laissant la place aux nuages. Il allait raconter à l'Univers comment il avait compris que les humains savaient chanter et que leur mélodie était aussi belle que celle du vent. Mais alors qu'il quittait le ciel terrestre, l'astre oublia ce qu'il venait d'apprendre, tout comme il oublia des millions d'autres savoirs, et se retira dans la profondeur Obscure pour aller éblouir d'autres cieux.



Dans le creux de la terre, je me relevai timidement. Les nuages avaient pris possession du ciel et je tremblais de la perte du soleil. Ma précédente colère ne me laissait que froideur. Je serrai mes bras autour de moi, baissant la tête pour ne pas apercevoir le ciel se reflétant sur la surface du lac. Aujourd'hui, cette vision ne pouvait pas me faire permuter, ni même me permettre de penser. Elle me rendait triste, et c'était là sa plus grande trahison.
Mon esprit ne voulait pas se détourner des mots de Papa et de Maman. Si la colère m'avait chamboulée, maintenant je n'avais plus la force de ne serait-ce que la ressentir. Était gravé dans ma peau un savoir incandescent qui me faisait trembler d'une peur que j'avais du mal à accepter : dans moins d'un mois, dans seize jours précisément, je retournerais Là-bas. Je pouvais sentir ma peur tirer sur mes épaules dans une douleur que j'avais appris à reconnaître et à craindre. Et si je fermais les yeux pour m'en éloigner, elle venait me chercher en m'imposant des images que je ne voulais pas voir. Alors je regardais obstinément mes pieds, cherchant à retrouver mon souffle qui se faisait court, cherchant à éloigner les larmes de mes yeux.

Je me baissai en tremblant pour attraper le parchemin humidifié par la neige et je me dirigeai vers le château. Le manteau blanc plongeait le parc dans une torpeur que je ne partageais pas. Je froissai la lettre et enfouie mes mains au fond de mes poches, grinçant des dents en sentant la peau de mes doigts hurler sous le tiraillement du froid qui la rendait craquante. Le froid se faisait plus ardu ces derniers temps et rien ne semblait pouvoir m'en protéger. Ni ma grosse écharpe de laine sombre, ni mon épaisse cape, ni même mes bottes, rien ne m'apportait un quelconque réconfort. Je passai en courant les grandes portes du château sans prendre la peine de m'arrêter pour enlever une couche ou deux : le château était aussi réconfortant que l'extérieur. Au dernier moment, je bifurquai pour me jeter dans les escaliers, m'éloignant avec facilité de ma salle commune.

Les couloirs étaient remplis d'élèves, des petits et des grands, des rouges, des jaunes, des bleus et des verts ; ils marchaient, ci-ou-là, certains me regardaient et d'autres ne me remarquaient pas. J'avais appris à passer autour d'eux, à les frôler sans les toucher, à baisser la tête pour mieux les dépasser, à jouer des épaules pour me frayer un chemin dans leur masse dégueulasse. Parfois je reconnaissais une tête sans pouvoir mettre un nom dessus. Je passais à côté d'elle comme je passais près de bien d'autres : sans la regarder, sans faire attention à elle, sans exister. Je ne me faisais jamais arrêter dans les couloirs : je ne courrais pas assez vite et n'étais pas assez bruyante pour les professeurs, je n'avais personne qui me cherchait ou qui voulait me parler, je ne connaissais personne à qui je voulais parler. Alors je filais à la vitesse de l'ombre, arpentant les couloirs comme s'ils étaient miens.

La seule personne qu'il me tardait de voir, aujourd'hui encore, m'était invisible, toujours invisible. J'avais finis par détester son absence et désirer ardemment sa présence, dans chaque parcelle de mon foutu corps. Ce désir rendait douloureuse ma peau et fades mes nuits ; je la voyais partout, dans les couloirs noirs de gens et dans mes rêves pleins de peurs. Je la voyais au détour d'une salle de classe, dans la Grande Salle au repas et même en cours, là où jamais elle n'avait été. Et lorsque je m'approchais d'elle, elle disparaissait et je crachais alors ma colère de toutes mes forces, sentant une douleur plus grande que celle des épaules dans mon cœur, tout au fond de mon cœur. Son absence me donnait envie de pleurer et de frapper. Alors je pleurais et je frappais. Contre les murs, contre les tables, contre moi. Je tapais de toutes mes forces pour ne pas avoir mal, pour ne pas la vouloir. Merlin, pour ne pas la vouloir. Et plus je frappais, plus je pleurais ; mais je n'aimais pas pleurer, alors plus je pleurais, plus je frappais.

Aujourd'hui elle était là.
Juste devant moi, dans ce couloir du deuxième étage que je traversais pour aller plus vite. Il y avait des grands de Gryffondor et de Poufsouffle qui se marraient dans leur coin, des touts petits de première année qui parlaient bruyamment et même cette fille qui me disait vaguement quelque chose. Comme d'habitude, je passai près d'elle en la frôlant, sans exister. Mes yeux étaient braqués sur cette touffe noire qui me disait quelque chose et que j'avais appris à associer à Charlie. C'était idiot, car je n'étais même pas sur qu'elle ait une coupe comme celle-ci. Mais cette vision ne voulait pas se détacher de l’image de Charlie à laquelle je l'avais attribuée, que ce soit dans mes rêves ou dans mes illusions. Je m'approchai de mon pas rapide, sans ralentir car je savais pertinemment que ce n'était pas elle. Qu'au pire j'allais l'appeler et qu'un Autre tout moche allait se retourner sur moi pour me frapper de sa froideur horripilante.
Je fermai les yeux lorsque j'arrivais près d'elle.
Elle se tenait dos à moi, marchait lentement, la tignasse baissée sur le sol de pierre, un livre épais dans ses petites mains. Je fermai les yeux parce que mon corps me faisait mal. Mon cœur s'était mis à battre rapidement et ma peau à me piquer. Je sentais la chaleur monter et mes joues s’inonder du rouge de la passion. Mes ongles se plantaient dans la chair de ma paume, avides de garder consistance avec la réalité. Un gémissement s'échappa de mes lèvres pourtant scellées et tournoya autour de moi, augmentant plus encore ma chaleur et ma gêne. La peur était si grande que je comptais trois longues secondes dans la sécurité de mon esprit avant d'ouvrir les yeux, espérant de tout mon cœur que la vision soit partie.

*Sois là, sois là...*.

Elle avait disparu. Il ne restait dans le couloir que ces idiots de grands dadais qui se gaussaient encore. Il se pouvait qu'elle soit derrière moi, que je l'avais seulement dépassé et qu'elle était toujours plongée dans la lecture de son livre sans faire attention à moi. Il se pouvait également qu'elle m'ait vu et qu'elle se soit enfuie. Ou qu'elle ne m'ait pas vu tout simplement car elle m'avait oublié.

*Non !*
Je la sentis avant même qu'elle n'arrive. La colère m'enflamma les sens et m'inonda les yeux. Je m'élançai dans le couloir à toute vitesse, usant de tout mon pouvoir pour frôler les Autres sans les toucher. Il fallait que je m'éloigne, que je quitte sa présence horrible qui m'épiait dans mon dos, que je résiste à l'envie de me retourner. Dans le creux de mon estomac, colère et peur se battaient avec tant de force qu'un haut le cœur me secoua toute entière. Je tanguai, clignant des yeux pour éclaircir ma vision. Je m'arrêtai de courir seulement quand j'arrivais à la volée d'escaliers qui me mènerait à la volière. Là, je pris appuie contre le mur, le front contre la pierre et les mains autour d'elle. Ma respiration était laborieuse, ma colère, douloureuse. Tous les pores de ma peau me brûlaient et des frissons incontrôlables me faisaient trembler.

« Han, han, respirai-je difficilement en déglutissant. J'y arriverai, j'y arriverai, j'y arriverai... »

Mon mantra. *J'y arriverai*. Le cordon qui me reliait à la réalité. *J'y arriverai*.
C'était la seule chose qui me permettait de me lever le matin et d'aller en cours, d'arrêter de trouver inutiles les devoirs des professeurs et si bon de leur envoyer de la merde pour qu'ils me regardent de leurs yeux colériques. C'était la seule chose qui me faisait oublier mes cauchemars et ces nuits sans sommeil passées dans la sueur de mon propre corps. La seule chose qui me donnait la force d'oublier que la Maison-à-Poudlard était justement à Poudlard et qu'elle me surveillait à chaque fois que je foutais les pieds dans la salle commune. La seule chose qui éloignait la douleur de mes épaules, la Pression de la Maison. La seule chose qui me permettait de croire encore que ma clé était Charlie et que je ne devais pas retourner à la maison avant d'avoir pu la ramener.

Ma respiration s'apaisa jusqu'à ce que je ne puisse plus l'entendre. Derrière mes paupières closes, des stries lumineuses créaient des dessins apaisants et incompréhensifs ; je les laissais faire, il était agréable de les observer et de leur imaginer des formes. J'attendais patiemment que cela arrive, que cela monte et m'emmène dans sa quiétude. Dans un éclat de lait plus fort que les autres, je vis un sombral, là un nuage tout rond.

« Cette Stalbeck... Comme il dit déjà ? Ah oui. Cette connasse de Stalbeck aurait dit que je broie du noir, » rigolai-je à voix haute.

Stalbeck était une pourriture dans la pourriture.

Il était temps. J'ouvrai les yeux et je regardai le mur qui me faisait face. Mon souffle le frappait et me revenait sur le nez avec sa chaleur humide ; sous mes paumes, la pierre transpirait. Ma rage avait reflué tout au fond de moi, je l'imaginais recroquevillée sur elle-même en une boule de colère, toute rouge et toute chaude.
Soudainement, elle explosa. Ma peau trembla violemment et mon poing se referma. La bouche tordue dans une grimace de haine, je m'éloignai du mur tout en gardant une main contre lui puis j'ouvris la bouche pour laisser passer le cri qui voulait s'en échapper.
Il m'arracha la gorge. Me fracassa la langue. Me déchira les dents. Et frappa le mur en même temps que mon poing serré. Une fois. La douleur explosa dans mon bras. Deux fois. Ma peau hurla son déchirement. Trois fois.

La troisième fois, rien ne rugissait jamais. La troisième fois, je me laissais tomber contre le mur.
Cette troisième fois était semblable à toutes les autres. Ma main valide glissa en même temps que moi et me permit de me tenir accroupis contre le mur froid. Ma respiration laborieuse m'empêchait de me calmer. La douleur frappait mon bras tout entier et je sentai couler sur mes phalanges une goutte de sang chaud. Cette fois-ci était moins douloureuse que les précédentes mais cela suffirait. Mon cœur battait à une vitesse vertigineuse, je le sentais dans mon bras et dans mon poing toujours serré. Je me sentais mieux. J'avais mal comme jamais et je me sentais bien. Ma peur avait disparue et les tremblements étaient seulement dus à la colère : j'avais même éloigné de moi la vision de Charlie. Elle ne devrait plus venir me hanter aujourd'hui, peut-être que je pourrais penser plus sereinement à la suite : je ne pouvais retourner à la Maison sans l'avoir vu elle.

Je me relevai lentement, gardant contre mon ventre mon bras blessé. Je laisserai la douleur me calmer plusieurs heures, bien au chaud dans mon corps, puis avant le dîner j'irais enduire du baume que m'avait donné Narym mes plaies pour les apaiser, sans les faire disparaître. J'aimais voir les traces de mes colères sur mon corps. Lorsque je les regardais, cela me rappelait que désormais, j'avais le contrôle de tout ce que je voulais. Cela me faisait sourire. Je n'avais pas peur que l'on me demande la raison de leur existence. Personne ne me demandait jamais rien.

En quittant le couloir, je regardai derrière moi pour m'assurer que personne ne m'avait entendu. Je sursautai en remarquant la bande de grands qui m'avaient, semble-t-il, suivit. Ils étaient loin et ne semblaient pas me remarquer, mais il fallait être aveugle pour ne pas les voir se retourner sur moi régulièrement. J'haussai les épaules et me détournai d'eux ; je ne les connaissais pas, ils ne me connaissaient pas. Les choses étaient simples.
Je m'élançai dans les escaliers d'un pas plus modéré que précédemment. J'avais désormais le temps et l'envie de prendre mon temps. Étonnement, je ne croisai personne sur le chemin qui me mena à la volière et cela me rendit de bonne humeur. Mon bras pulsait doucement, le silence était une douce brise qui me berçait et mes pensées s'écoulaient lentement autour de moi. J'avais encore la douloureuse crainte de voir arriver l'instant fatidique de mon retour à la Maison, mais pour le moment la douleur qui faisait trembler mon bras était assez forte pour ne pas me faire ressentir la peur.

Dans la volière, piaillaient des corbeaux, des chouettes et des hiboux de toutes couleurs. L'odeur était nauséabonde et la tour laissait entrer les courants d'air de toutes provenances. Je me dirigeai sans hésiter vers le rebord de fenêtre qui laissait voir un paysage sensationnel. L’endroit me rappela Tyr et Tyr me rappela que je n’avais pas avancé dans ma quête et que cela était de sa faute.

« Foutu débile, » crachai-je en sortant de ma poche le parchemin froissé sur lequel Papa et Maman avaient rédigés leur lettre.

Il m'avait tellement déçu. Tous ses discours sur le courage et l'entraide, il avait joué tout ce temps. Il avait joué pour rire avec ses amis, il avait joué pour se foutre de moi, il avait joué pour me ridiculiser. Depuis, lorsque je le voyais, je l'évitais. Et je le voyais souvent : dans la Grande Salle, dans les couloirs, dans le parc. Lui et son cache-oeil, lui et sa sale tronche cramoisie. Je le voyais et je l'observais de loin. Parfois, je le suivais pour qu'il me mène à Charlie, pour qu'il me donne une piste. Mais je n'avais rien, absolument rien, même quand je l'écoutais parler avec ses idiots d'amis. Je le voyais et je résistais à l'envie d'aller vers lui pour le secouer ou juste pour lui parler. Il n'avait rien à m'apporter.

J'étalai le parchemin sur le rebord de la fenêtre. Mon regard se perdit un instant durant dans les nuages qui brillaient sous le soleil qu'ils cachaient. Je pensais retourner dehors, une fois cela mené à bien. Le froid et la douleur était un bon mélange, n'est-ce pas ? Je griffonnai rapidement de mon écriture brouillonne puis me retournai à la recherche d'un hibou. Si je levais la tête, j'étais persuadée que je saurais trouver Hibou-aux-yeux-jaunes ; il se reposait toujours sur la plus haute poutre, à l'abri des gros calibres qui lui faisaient peur. Je ne l'avais que peu sollicité depuis la rentrée. Quelques hiboux par-ci par-là, quelques lettres que m'avaient arrachées mes parents. Le moins possible. Celle-ci serait la dernière que je leur enverrai cette année, et c'était la plus douloureuse. J'avais pris soin de mal écrire et de ne pas user d'un nouveau parchemin. C'est comme si je leur jetais à la gueule que je n'avais pas de temps pour eux et moins encore l'envie de leur accorder leur demande idiote. Je leur faisais presque une faveur.

Je ricanai en m'approchant d'une grande chouette ébouriffée. Celle-ci ferait l'affaire pour une tâche ingrate. Après cela, je ne la verrais plus jamais ; elle allait puer la Maison et je ne voulais pas la sentir, pas maintenant. Je pliai le parchemin en quatre et le tendit à la créature, lui accordant une caresse sur la tête :

« Tiens, emmène ça au Domaine Bristyle. S'tu veux, tu peux chier sur le carrelage de la cuisine. »

J'imaginai sans mal les sourcils froncés de Papa lorsqu'il mettrait son gros pied dans la fiente de l'oiseau.

La chouette pris son envol et plongea dans le ciel sali par les nuages. Dans mon dos, un piaillement que je connaissais bien retentit mais je ne me retournai pas. Je me contentai de m'asseoir sur le bord de la fenêtre en soupirant ; je posai ma tête contre le mur, plongeai mon regard dans le ciel et ramenai mon bras tout contre moi.

Cinq jours. Cent vent heures. Minimum trente-cinq heures de sommeil qui me mettraient à l'abri. Il resterai quatre-vingt cinq heures à supporter leurs yeux, leurs paroles et leur présence.
Quatre-vingt cinq heures à supporter la voix du Grand Con me faire des remarques.
Quatre-vingt cinq heures à les entendre rire et vivre.
Quatre-vingt cinq heures pour mourir.
Quatre-vingt cinq heures pour foutre sous leur gros nez ma Clé.

« J'y arriverai, j'y arriverai, j'y arriverai,... » chuchotai-je dans la quiétude de ma douleur.

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Papa, Maman,

OK pour le 22 décembre à 18h.