15h 25. Alors que chacun s'est réfugié à l'intérieur des murs épais du château, une silhouette malmenée par le vent monte laborieusement les marches de la volière. Serrant dans sa main un bout de parchemin froissé, Saul affrontait les éléments que l'automne déversait sur lui. La pluie fine rendait glissante (et potentiellement dangereuse) l'escalade et il lui fallait s'appuyer au mur pour que les bourrasques ne l'éjecte pas de là. Bref, un temps parfait pour brouiller l'image qui s'attachait méchamment à sa mémoire.
Trouvant finalement la poignée de la porte, le jeune garçon se propulsa dans la volière et referma derrière lui. Calme. Silence. Acouphène éphémère. Seul le sifflement harmonieux des chouettes accompagnait les puissants battements de cœur du Gryffon. Et puis... l'image revenait. Saul alla s'appuyer contre un mur pour relire pour la vingt-quatrième fois la lettre que ses parents avaient envoyés. Les vœux de bonheur, les félicitations, les bonnes nouvelles... et cette phrase. "Sam ne rentrera pas pour Noël, il part avec son professeur étudier les Dirico, aux Îles Maurice."
Et pour la vingt-quatrième fois de la journée, Saul poussa un soupir. Qu'espérait-il? Hein? Que cette maudite inscription aurait disparue? Qu'il se serait peut-être trompé vingt-trois fois en lisant? Exaspéré, le garçon fourra le papier à l'écriture soignée dans la poche de son manteau et vint se pencher par une des grandes fenêtres par lesquelles les volatils entraient. Son super grand-frère ne rentrait donc pas. Saul ne pourra pas lui montrer l'évolution de son carnet à créatures. Sam ne lui contera pas ce qu'il avait appris sur les êtres fantastiques qu'il étudiait. Pour faire des courses de balais autour du manoir avec lui, il faudra attendre les vacances prochaines. Pas grand chose dirait-on? Non, pas grand chose. Mais Sam s'absentait de plus en plus et grandissait aussi... Très vite. En août, il avait même refusé une bataille de bombabouse.
Le jeune garçon tourna la tête. Un gros hibou s'était posé dans une des niches près de Saul et le regardait avec ses yeux jaunes.

- 'jour toi.

L'un après l'autre, les yeux clignèrent, cachant la lumière de son regard alternativement. Le Gryffon sourit et lentement leva sa main pour une caresse. Les animaux l'avaient toujours calmés. Surtout les oiseaux. Mais sa main ne rencontra que de l'air. D'un battement d'ailes, le rapace avait préféré changer de place. Alors, une légère moue sur le visage, Saul s'approcha d'un autre, une chouette toute blanche qui dormait, perchée sur une rambarde. Son doigt ne l'avait pas touché que le harfang ouvrit les yeux avant de pousser un cri strident et de s'envoler. Les joues du garçon s’enflammèrent. Quoi? Qu'avait-il fait là encore? On ne pouvait donc que leur jeter des lettres à ces oiseaux?! Il eût beau tenter encore d'autres approches, les rapaces ne semblaient pas vouloir d'attention ce jour là. Finalement, il s'avança vers une chouette toute petite, au plumes gonflées pour se réchauffer. En le voyant approcher, elle poussa un sifflement mais ne s'envola pas. Montrant un maximum de délicatesse, le garçon tendit à nouveau la main et laissa glisser doucement son doigt sur les plumes de l'oiseau. Un petit sourire lui échappa. La chouette avait l'air d'apprécier. Se calmant enfin, Saul continua à lisser les plumes du rapace. C'était doux et lisse. Tout chaud et- BAM! L'oiseau s'envola dans un froissement d'ailes. La main du Gryffon retomba sur la pierre et il ne bougea pas, fixant hébété le vide que le rapace avait laissé. Derrière, la porte venait d'être ouverte en grand. Sortant de sa torpeur, Saul sentit la chaleur lui monter dans les joues. Ce n'était pas possible... soit il se réveillait, soit il explosait! Soudain furieux, il se retourna pour voir la face de troll qui avait fait fuir la douce chouette.

- Espèce de...

Il s'arrêta. La jeune fille qui lui faisait face semblait elle aussi furieuse. Le pourquoi du comment fut aussitôt emporté par la frustration du garçon. La parole lui revint aussi vite.

- La discrétion tu connais pas, hein?! T'étais obligée de faire une entrée d'éruptif?

Tendu comme un arc, Saul serrait ses poings dans ses poches. D'ordinaire, il aurait sûrement rigolé de sa situation, repartant en quête d'une chouette câline. Mais Sam ne rentrait pas à Noël. Ça changeait tout..

Une ombre avançait à toute vitesse vers les escaliers de la volière. Sa démarche était colérique, abrupte et aigrie. La chevelure blonde vénitienne qui chapeautait la tête de l'ombre virevoltait face aux bourrasques de vent qui ne lui faisaient aucun cadeau. Son manteau bien sur ses épaules, on pouvait ainsi distinguer une jeune fille dont la rancoeur avait refait surface. Un certain Aiglon ne lui avait pas donné du baume au coeur, non, il l'avait rendue furax et les traits tirés de son visage enfantin ne pouvaient pas en dire le contraire. Comment pouvait-elle avoir été rabaissée si facilement alors qu'elle avait l'impression de s'être défendue plutôt correctement ? C'était injuste. Elle ne savait plus si elle était en colère contre ce prénommé Solal ou si elle était en colère contre elle-même pour avoir cru qu'elle pouvait s'attaquer à plus fort qu'elle. "J'avais le contrôle, qu'est-ce qu'il s'est passé ?", ne pouvait-elle s'empêcher de ressasser dans sa tête. Toute cette frustration avait amené quelques larmes à ses yeux bleus translucides et cela ne fit que la dépiter plus encore. Son pas était lourd sur les marches de la volière, elle avait d'ailleurs failli glisser plusieurs fois à cause non seulement des marches glissantes mais des gouttes salées qui floutaient sa vue. Impuissante et ridicule, voilà comment elle se sentait. Si elle le recroisait, ça n'allait pas se passer comme ça. Elle ne pouvait pas se montrer plus stupide qu'elle ne l'avait déjà fait. 

Elle ouvrit la porte de la volière à la volée. Aucune délicatesse, aucune politesse, l'énervement avait prit possession du corps de la petite Katlyn. Mais quelle surprise quand elle se retrouva face à un visage tordu par la colère lui aussi. Les oiseaux prirent tous peur, s'envolant, brusqués par le manque de grâce de la jeune Gryffondor. Le garçon face à elle portait les couleurs de sa maison. Toutefois, elle ne se souvenait pas l'avoir croisé quelque part, mais étant donné son état second, la blonde n'avait que faire de savoir si elle connaissait telle ou telle personne. Tout ce qu'elle voulait, c'était la paix. Et apparemment, le Gryffon n'était pas dans l'optique de la lui offrir. Sa main suspendue dans le vide, elle devina qu'il était en train de caresser un oiseau et que malgré elle, c'était de sa faute si le volatile avait pris son envol.

"- La discrétion tu connais pas, hein?! T'étais obligée de faire une entrée d'éruptif?"

Et c'était reparti. Le sang de Katlyn ne fit qu'un tour et elle crut presque un instant qu'un instinct animal allait prendre le dessus sur sa propre nature calme et douce. Elle le fusilla du regard, ses poings se serrant à l'entente des paroles du garçon. "Pour qui se prend-il ? Il va rapidement reprendre sa place, celui-là", pensa-t-elle.

"- Vu comment tu parles, je me demande si ce n'est pas toi l'éruptif, comme tu dis si bien, aboya-t-elle. Pauvre idiot, murmura-t-elle."

Tendue comme un I, elle toisa le garçon du regard. Décidément, ce jour n'était pas à marquer d'une pierre blanche. La jeune fille avait l'impression d'être mitraillée de tous les côtés et c'était loin de lui faire plaisir. Elle se refermait comme un huitre au fur et à mesure de cette journée. Un instant, elle crut que des larmes allaient ressurgir de par sa frustration et sa colère mais elle réussit à les contrôler. Ça n'allait sûrement pas être pour longtemps pour qu'elle explose telle une grenade mais avec un peu d'espoir, elle allait tenir le coup. 

"- Tu sais, les animaux ressentent les émotions et savent directement scanner une personne. Si elle s'est envolée, c'est peut-être à toi de te remettre en question, cracha-t-elle."

Sa défense était exaspérante. Il faut dire que sa querelle précédente l'avait épuisée et sa répartie aussi. Mais elle se sentait tellement attaquée, elle ne pouvait pas simplement rester là à s'excuser. Elle n'avait rien fait de mal, non, c'était juste sa maladresse naturelle qui lui causait tous ses ennuis. Heureusement, certaines personnes telles que ses amies Daisy et Maude savaient en faire l'impasse mais Katlyn avait compris aujourd'hui que ce n'était pas le cas pour tout le monde.

"- Non mais franchement, les gens se croient tout permis de nos jours. Quel égoïste, chuchota-t-elle bien assez fort pour que le garçon l'entende."

Son regard en disait assez long sur ses pensées sur le garçon mais lancer une petite pique dans son état d'esprit actuel ne pouvait pas lui causer plus de tords qu'elle n'en avait déjà.

Le regard que lui lança la fille le laissa un instant perplexe. Mais qu'est-ce qu'elle avait à la fin celle là!? Il ne l'avait insulté tant que ça. En tout cas, elle répondit avec autant de verve que s'il l'avait traitée de Troll des montagnes.

- Vu comment tu parles, je me demande si ce n'est pas toi l'éruptif, comme tu dis si bien!

Ici, Saul n'avait rien à redire.En fait, il avait vraiment l'air d'un éruptif avec son gros manteaux et sa face toute rouge. M'enfin ce n'était pas la chose à faire remarquer... En tout cas, avoir crié lui avait fait un bien fou. Encore, il déversait son trop plein de mauvaise humeur dans le regard qu'ils échangeaient. Le rouge de ses joues les quittaient pour se rallumer dans ses yeux. Ses épaules voûtées se relâchaient pour qu'il se redresse.

- Pauvre idiot

Les poils dans sa nuque se dressèrent. Elle l'avait traité d'idiot?! Son poing droit se serra sur la lettre. Bien, alors la guerre était déclarée. Déjà, une multitude d'arguments grenades naissaient dans la tête du Gryffon. Prêt à s'attaquer à la maison de la jeune fille, il jeta un coup d’œil à l'écharpe qu'elle portait... rouge et or. Ah. Une autre Gryffondor. Il l'avait peut-être déjà aperçue... sa chevelure lui disait quelque chose.

- Tu sais, les animaux ressentent les émotions et savent directement scanner une personne. Si elle s'est envolée, c'est peut-être à toi de te remettre en question. Non mais franchement, les gens se croient tout permis de nos jours. Quel égoïste.

Le garçon se retint de lui jeter un rire dédaigneux. Non mais elle se prenait pour qui celle là?! Un grommellement lui échappa.

- Elle est sotte ma parole... Tu viens de faire fuir la quasi-entièreté des oiseaux de la volière et tu me sors ça? Heureusement que le Choixpeau ne t'a pas envoyé à Serdaigle, le heurtoir t'aurais plutôt laissé dormir dehors!

Non... la voix d'enfant de Saul ne collait pas avec la colère. Une grande personne serait sûrement passée lui tapoter la tête avec un "mais oui, mais oui..." affectueux. D'ailleurs, le vent s'en chargea. Une bourrasque bien lancée, passant par la porte vint le faire chanceler sur ses jambes trop raides. Brisant avec une indifférence ponctuée le lien électrique qui unissait les deux regards, le Gryffondor s'avança vers celle-ci, tentant de garder sa dignité.

- Et en parlant des "gens qui se croient tout permis"... Quand on est un tantinet poli, on ferme les portes derrière soit quand on entre.

Et sur ce, il referma le battant avec une douceur exagérée.

- En tentant, bien entendu, de ne pas l'exploser contre le mur comme un bourrin.Si c'est aux mesures de tes maigres capacités.

Bah non, ce n'était pas fin. Mais c'était un pic et Saul en avait des tonnes dans l'estomac depuis la lettre... Il ne demandait qu'à les recracher. A l'autre bout de la volière, les oiseaux revenaient se nicher dans leur trous et les observaient avec des yeux ronds. Ah ça... La tempête au dehors était entrée à l'intérieur. Dans la tête de Saul, par contre, les choses s'éclaircissaient. Il avait toujours aimé lancer des moqueries plus ou moins acerbes aux gamins du village quand ils jouaient ensemble. Le côté joueur de l'enfant prenait le dessus et il affichait maintenant un sourire diabolique. Que la réplique vienne... La lionne qui avait fait fuir l'oiseau allait se faire plumer...

Bouillante. Agacée. Énervée. Plumée ? On pouvait qualifier la blonde vénitienne de bien des noms. Mais calme ? Oh, ça, non. Et sa bouche était en train de se recharger de venin à cracher au visage du Gryffon. Si on l'observait bien, on pouvait voir ses mains trembler tant son état la rendait sauvage. Si son éducation ne l'avait pas formée pour être humaine et un tant soit peu distinguée, il était sûr que la lionne lui aurait sauté à la gorge pour l'égorger avec la seule force de ses ongles. Mais non, elle n'était pas dans la savane mais dans la volière. Hors de question de paraitre faible et de perdre le contrôle. Pourtant, comment y parvenir quand un idiot s'énerve sur elle pour avoir simplement permis à des oiseaux de prendre leur envol ? Bon, il était clair que la blonde relativisait et qu'elle n'avait pas fait cela par sa seule bonne volonté, mais tout de même.

"- En tentant, bien entendu, de ne pas l'exploser contre le mur comme un bourrin. Si c'est aux mesures de tes maigres capacités."

"Non mais il se fout de moi, ma parole ?" Déjà, il se permettait de lui asséner de la méchanceté gratuite pour, elle se le répétait, des satanés oiseaux mais il ne comptait pas s'arrêter là ? Ses poings ne cessaient de se serrer. Il n'allait pas s'en sortir comme ça, ça, c'était certain. Se marcher une fois sur les pieds, d'accord, mais deux fois ? Ç'en était trop. Elle se retourna vers lui dans une lenteur presque insolente et le regarda avec un air hautain. Cet air qui donne l'impression de ne pas être assez bien, d'être presque trop stupide, trop immature pour se rendre compte de l'indifférence de ses actes. Et dans un souffle presque amical, trop amical ce qui rendait son hypocrisie encore plus acerbe, elle dit : 

"- Fais attention, tu risquerais de faire s'envoler les oiseaux..."

Elle pointa sa main sur sa porte en se moquant de son geste. Elle vint près de lui, les yeux sombres et le regard menaçant avant de doucement lui tapoter la tête. Peut-être que ce Solal venait de lui donner un coup de pouce, sur ce coup-là. Il l'avait humiliée en l'ignorant, et c'était exactement ce qu'elle allait faire. Lui montrer qu'être un serpent -plutôt un lion mais on pouvait tout de même le qualifier de serpent-, c'était bien, mais qu'on se sentait tellement petit quand on était ignoré. Pour une fois, la meilleure défense n'était pas l'attaque, mais l'indifférence, et le Gryffondor allait en payer les frais. 

"- Si j'ai bien compris, ce n'est pas ce que tu veux, si ? Ces pauvres petits cuicuis, ce serait trop bête, dit-elle avec une moue dédaigneuse."

Elle reprit un sourire doux qui sonnait pourtant si faux et se retourna, lui montrant son dos. Sa cape vola et l'effleura avec mépris tandis qu'elle s'éloignait et s'approcha d'un des volatiles. De sa main, elle vint doucement le caresser et, pour une raison inconnue, il ne broncha pas malgré les cris qui s'étaient échangés. Peut-être était-ce un coup de chance mais dans tout les cas, ça renforça l'adrénaline qui coulait dans ses veines.

"- Ça alors, on dirait qu'il faudrait vraiment te remettre en question, reprit-elle, un rictus étirant ses lèvres."

Désormais, elle était calme. Tellement calme que son calme pouvait enflammer quiconque ne ressentait pas cette même émotion. Elle tourna sa tête à moitié pour seulement laisser apparaitre son semi-sourire. Elle se moquait ouvertement de lui et, avec un peu d'espoir, ça allait le mettre encore plus en rogne. Plumé !

Je t'ai eu la lionne... Je te tiens.
La fillette se retourna lentement vers lui.
Je t'attends. Explose, que l'on rigole. Crie un peu, que l'on s'amuse.
Regard. Froid. Pas brulant non. Froid et dédaigneux. Les paroles sortirent dans un souffle qui n'avait rien à voir avec un cri. C'était plutôt comme une lame glacée qu'on lui passait lentement sous la gorge. Surpris, Saul regarda la Gryffonne s'approcher de lui, pleine de fierté et de dédain. Qu'attendait-elle pour bondir à sa gorge?!, tenter de le déchirer?! Sa main se leva avec une douceur calculée.
Lance tes griffes, lionne, je suis prêt!
Nouveau sourire. Oui voilà, elle allait bondir par surprise mais le Gryffon était prêt. Il lui rendrait la pareille, sa baguette déjà était prête au bord de sa manche. Il n'aurait qu'à - ... Tap tap, lente frappe sur sa tête. Saul fusilla la fille du regard et balança sa main pour l'éloigner d'un geste rageur, n'écoutant en rien ce qu'elle lui murmurait. Mais déjà, elle s'était retournée et la main du jeune garçon s'enfonça dans la cape ténébreuse de l'autre. Elle lui tournait le dos?!
Mauvaise idée de baisser ta garde lionne...
Seulement, le Gryffon ne bougea pas. La fière gamine se rapprochait des oiseaux, ses chers oiseaux. Qu'allait-elle donc leur faire?! Lâche fille, elle comptait s'attaquer aux chouettes plutôt qu'à lui?!
Lionne, tu leur fais le moindre mal, la moindre frayeur, je t'arrache le museaux!!
Saul ne s'attendait pas à ce qui arriva. En fait, son esprit trop naïf, sûrement, bloqua un instant devant la caresse que la fillette donna au harfang vers lequel elle était allée. Celui-là même qui s'était enfui tout à l'heure devant sa main. Sa main se resserra, piquant sa paume des ongles enfoncés profondément et Saul se rendit compte qu'il tremblait. Son sourire vicieux avait totalement disparu et il fixait maintenant la fille d'un regard meurtrier.

- Ça alors, on dirait qu'il faudrait vraiment te remettre en question.

Il fit un pas raide vers la Gryffonne mais n'avança pas plus. Elle l'avait coincée. Cette vicelarde l'avait bloqué entre deux murs qui le repoussaient l'un et l'autre. Il ne pouvait plus bouger, plus parler.
Saleté...
Et elle lui tournait toujours le dos. Oh mais quelle rage montait en lui! S'il n'y avait pas eu tous ces magnifiques rapaces, il lui aurait bien balancé une belle tape! Et puis tant pis si c'était une fille! Saul n'avait jamais tapé sur quelconque fille (question d'honneur)... Mais celle là, ce n'était pas une fillette mais un vil serpent. Enfin bref. De toute manière il ne pouvait pas.

-Tu m'cherches face de troll ?...

Question bête... Bien sûr que oui.
Mais cette remarque à peine articulée lui été sortie toute seule. Puisqu'il ne pouvait pas avancer, il resta là, bouillant sur place, à regarder la fille d'en face.
Bah tu m'as trouvé saleté!!
Il laissa soudainement glisser sa baguette dans sa main et la pointa sur la lionne.

- Crocus Malis !!

C'était Sam qui lui avait appris ça. Quand il était plus jeune, moins sérieux, plus présent. C'était bien un des seuls sortilèges que Saul connaissait et surtout, maitrisait... Son héro de frère lui avait appris un jour, lui disant que ça lui servirait s'il voulait se défendre. Et maniant la baguette de Sam, le gamin avait vite assimilé ce sortilège collant parfaitement à sa personnalité explosive.
Le sortilège atteint le dos de la Gryffonne de plein fouet et il agit aussitôt. En un rien de temps, elle se retrouvait l'arrière train dans la paille et les fientes.
Je t'ai eu face de troll...
Le harfang s'était envolé dans un cri mais les autres n'avaient pas bougés. Sourire sur les lèvres de Saul. Pas vraiment vil mais fière et surtout reconnaissant.
Merci Sam.
Non il ne lui en voulait plus. Sam n'aurait que plus de choses à lui raconter en revenant aux vacances prochaines... Il ne rentrait pas à Noël. Mais il rentrerait bien un jour. En attendant, Saul lançait des flammes vers la lionne à terre de ses yeux brûlants. Il ne craignait pas la suite.

Une étrange satisfaction s'éprit de la jeune fille. Il semblait que le lion face à elle venait de s'enflammer. Il la regardait de ses yeux braisés, des flammes dansant dans ses iris. 

"- Tu m'cherches face de troll ?..."

S'il savait. Elle ne répondit pas, son sourire ne faisant que le narguer un peu plus. Elle le trouvait amusant. Que pouvait-il lui faire, lui et sa voix bouillonnante de colère ? Pas grand chose, se dit-elle avec insolence. Elle faillit lâcher un rire audacieux. 

Un cri résonna dans la volière à la place. La touffe de cheveux blonds vénitiens étaient plongée dans la paille. Katlyn se releva, son sourire avait disparu. Que venait-il de se passer ? Une douleur surgit au bas de sa colonne vertébrale mais une fureur coulait dans ses veines. Elle tourna la tête vers le Gryffon, pas peu fier de lui et le fusilla du regard. Elle voulait lui sauter à la gorge. Tout son être tremblait de violence, son regard s'assombrit et elle se releva dans une lenteur impudente. Reste calme, reste calme, se criait-elle à elle-même. 

Non, il n'y avait plus de calme qui tenait. On l'avait déjà assez trainée dans la boue pour la journée. Un grondement sortit de sa gorge serrée. Ses émotions se bousculaient dans sa tête et dans son for intérieur. Pourquoi elle ? Pourquoi fallait-il que ça arrive à elle ? Ses poings se resserraient et se desserraient. Elle était fumante de colère. Elle ne savait plus quoi faire. Les yeux fermement clos, sa main se glissa dans sa cape où elle toucha sa chaussure de Cendrillon, sa moitié, sa baguette. Elle la serra si fort entre ses doigts qu'elle crut la casser. Elle souffla. Une chaleur s'étendit de sa main jusqu'à son coeur. Elle le savait, sa baguette lui demandait une maitrise d'elle-même exceptionnelle sinon elle pouvait avoir un pouvoir incroyablement mortel. Ses battements de coeur incessants se calmèrent petit à petit. Elle se concentra. Non, ça n'allait pas être un début de défaite qui allait lui faire perdre ses moyens. Elle lâcha sa baguette. La chaleur partit mais son calme resta. Elle releva les yeux vers le garçon. 

"- C'est amusant de faire ça, hein ? C'est vrai, donner un petit coup de baguette à quelqu'un qui a le dos tourné, quelle bravoure. Je pensais que tu étais à Gryffondor mais il faut croire qu'on aurait dû te laisser chez toi."

Sa voix était remplie de venin. Son regard le transperça de balles puis elle se retourna. Elle s'enroula de ses bras pour se trouver un peu de réconfort et des larmes montèrent au coin de ses yeux enfantins. Fatigue, épuisement, voilà tout ce que lui avait offert cette journée. Une goutte salée glissa le long de sa joue rosée tandis qu'elle resserrait son étreinte autour d'elle. Elle n'avait plus envie de croiser le regard de quiconque et à cet instant, le garçon derrière elle était la personne de trop. Son coeur se blottit au fond de sa poitrine comme pour essayer de se cacher des yeux du Gryffon. C'était idiot. Le seul moyen de fuir son regard de braise était de courir pour s'en échapper mais elle n'en avait plus la force. La seule chose qu'elle souhaitait, à cet instant, c'était sa mère. Ou son père. Même son grand-père aurait été d'un plus grand réconfort que le froid et les bourrasques de vent de la volière. Sa main frotta ses yeux brouillés de larmes et elle pivota, les yeux rivés vers le sol. À quoi bon continuer de lutter ? Son état d'esprit était bien différent, à présent, mais elle n'avait tout simplement plus envie de se battre. 

"- Si tu veux bien me laisser passer, s'il te plait..., lui dit-elle, la voix brisée."

Elle était postée devant lui, attendant qu'il se bouge. Elle paraissait plus faible que jamais, ç'en était certain mais chaque parcelle de son petit corps fatigué n'avait plus qu'une force, celle de s'en aller.

Un grondement sourd empli lentement la volière. Pas grand chose mais cela attira aussitôt l'attention du garçon. Voilà que la lionne grognait?
Super Saul!
La voix de son frère. Oui, il avait réussi. Il s'était défendu comme Sam l'aurait voulu. Sam. Baissant lentement sa baguette, Saul observait la jeune fille qui se relevait dans la paille, le regard brûlant. Toute son arrogance s'était envolée, emportée par le harfang.
Tu comprends maintenant, la lionne? Comprends-tu que je ne suis pas plus gamin que toi?
Le regard bleu nuit du jeune Gryffon fut attiré par un mouvement sur la paille. Ses poings. Les poings de la jeune fille, fermés, tremblaient. On aurait presque pu voir la lueur sanglante, haineuse qui émanait d'elle. À nouveau sa main bougea et Saul sourit aussitôt. Elle allait prendre sa baguette. Ils allaient rire tiens... Vu la tête de cette fille, il se retrouverait sûrement à l'infirmerie mais avant tout, ils allaient bien rire.
Je te préviens, je ne compte pas y aller seul...
Il raffermit sa prise sur le bois de tilleul argenté et un souffle électrique vint remuer ses épais cheveux contre sa nuque. Sa baguette lui répondait. Elle aussi avait hâte.
Une seconde s'écoula... puis une autre... Finalement, les épaules tendues de Saul s'affaissèrent et son sourire alors narquois se pinça en une moue dubitative. Qu'avait-elle à la fin celle-là?! La main de la Gryffonne se relâcha et retomba mollement tandis qu'elle ouvrait les yeux. C'est seulement à ce moment que Saul se rendit compte qu'elle les avait fermés. Il les fixait maintenant, surpris, ses yeux bleus. La couleur semblait changer continuellement, comme la surface d'un océan sans fond. Saul détourna aussitôt le regard. Mais la fille s'approchait.

- C'est amusant de faire ça, hein ? C'est vrai, donner un petit coup de baguette à quelqu'un qui a le dos tourné, quelle bravoure. Je pensais que tu étais à Gryffondor mais il faut croire qu'on aurait dû te laisser chez toi.

Saul, réponds!
Mais il ne pouvait pas. Il fallait la regarder dans les yeux. Il ne pouvait plus. Et puis, la voix était à nouveau glaciale. Peut-être pire encore, comme une claque qu'on lui assénait. Et il ne pouvait pas la regarder en face.
C'est quoi ces yeux...

-Si tu veux bien me laisser passer, s'il te plait...

-... Pardon, tes yeux me donnent la nausée.

Tous deux semblaient avoir parlé en même temps. Mais Saul fixait maintenant la jeune fille droit dans les yeux. Ils étaient comme brouillés, en pleine tempête, prêts à déborder, à laisser s'écouler les flots écumants.
Elle va pleurer?...
Saul se rendit soudain compte de ce qu'il venait de lui lâcher.

- Euh non! Enfin si, passes si tu veux mais... enfin tes yeux, c'est que...

Qu'avait-elle fait? La lionne, le diable, s'était soudain transformé en une jeune fille, frêle et fragile. Saul perdait ses moyens. Il souffla finalement, se perdant dans ses propos.

- J'ai le mal de mer c'est tout...

Sans doute avait-il baissé les yeux en parlant mais il se retrouva à fixer les chaussures de la fillette. Il releva vivement le regard et la regarda à nouveau, embêté.

- Je... je t'ai fais mal?

Derrière lui, il imaginait déjà Sam se prendre la tête entre les mains. Une sorte de toc qu'il avait pris depuis que le petit garçon causait aux oiseaux. Un oiseau. Celle qui se tenait devant lui ressemblait en effet plus à un oiseau qu'aux filles avec qui il jouait dans son village. Suffisait-il donc qu'il tende la main vers elle pour que, comme les autres, elle s'envole? Elle avait le chemin libre vers l'extérieur. Mais si Saul l'y aurait bien envoyé à coup de poing quelques minutes plus tôt, il avait maintenant peur de la voir dégringoler dans la tempête extérieure.