Si les lèvres de l'aîné restèrent scellées, il observa du coin de l’œil, perplexe, son frère frapper son front contre sa main. Lui aussi semblait beaucoup trop réfléchir, et Solal comprit que ce n'était pas une si mauvaise chose, s'ils évitaient l'un comme l'autre de s'épancher sur tous les sujets qui accaparaient leurs pensées, sans quoi ils n'auraient plus le temps de rien. Toujours est-il que la conversation le contrariait plus que nécessaire. Discuter avec son petit frère l'obligeait à penser à des choses qu'il aurait préféré balayer sous un tapis de la salle commune pour ne plus jamais les revoir. Blaze avait le don de mettre les deux pieds dans le plat, bien fermement et bruyamment, ce qui était difficile à ignorer. Sa nouvelle tirade insouciante donna un nouveau coup à Solal, avant de l'achever par une question à laquelle il ne s'attendait pas devoir répondre.

« Ben j'sais pas, tu dis ça parce que t'es encore qu'un gros bébé mais normalement quand on est adulte on vole de ses propres ailes. » Solal haussa les épaules avant de croiser ses jambes pour s'asseoir en tailleur. Il ne trouvait pas de position bien confortable —quelle idée de s'asseoir dans la volière— et il sentait ses joues et le bout de ses oreilles devenir cramoisis ce qui était assez inhabituel pour lui : c'était une chose de faire comprendre à Elian ce qu'il ressentait, mais c'était une autre d'en parler à quelqu'un d'autre. Il remonta ses épaules excessivement, comme s'il espérait rentrer sa tête dans le haut de son corps tel une tortue. Devait-il le dire ?

« Ben, j'ai pas besoin de copine, j'ai Elian. » il n'articulait pas, ses lèvres lui semblèrent plus lourde qu'habituellement mais il l'avait dit bien qu'il avait utilisé une tournure implicite qui pouvait semer le doute sur ce qu'il ressentait réellement pour le Poufsouffle. Blaze n'en avait d'ailleurs pas fini puisqu'il avait posé une autre question, juste avant que Solal n'eut le temps de répondre à cette question sur sa copine. Le garçon visa un point devant lui avec sa plume pour la lancer comme une fléchette. Elle tomba lourdement sur le sol après avoir plané uned demi-seconde, loin d'atteindre la cible.

« Bah, c'est pas que j'veux pas. Mais Papa parle toujours de Quidditch. Tu sais, il s'éclaircit la gorge, si je suis dans l'équipe c'est pour lui faire plaisir à lui. Il voulait absolument que je sois joueur de Quidditch vu que lui a pas pu le devenir, il me le demandait tout le temps avant Poudlard. Mais finalement j'suis naze, puis j'aime pas trop ça. Il a pas l'air de comprendre, après l'dernier match il m'a envoyé une lettre de huit pages juste pour m'donner des idées de stratégie ou des exercices à faire qui pourront m'aider soit disant à devenir plus fort. » Son explication achevée, il laissa échapper un gros soupire. L'exercice de se confier était délicat, mais s'il lui cachait encore un secret familial, il pouvait au moins être honnête sur ses propres états d'âme.

« J'suis pas un gros bébé moi, d'abord. J'suis grand ! C'est toi le gros bébé, d'ailleurs, tu sais même pas parler, j't'entends pas quand tu marmonnes dans ta barbe inexistante. T'articules même pas. PARLE PLUS FORT ! » s'exclama Blaze tout en tirant la langue et en pinçant ses joues dans une jolie grimace. Le « Benjépaboindcopijéliane » était tout sauf clair. Ou alors, Blaze n'avait pas vraiment envie de comprendre, ce qui était assez plausible. Peu importe le sujet de leur conversation, le nom d'Elian finissait toujours par ressortir. Le garçon était certain que s'il repartait dans un débat sur les meilleures confitures, son frère plaiderait en faveur de celle que préférait le Poufsouffle. S'il y avait un sondage parmi les élèves pour élire une confiture qui serait proposée tous les matins au petit-déjeuner, remplaçant toutes les autres, alors Solal voterait pour la préférée d'Elian. S'il devait choisir une seule personne au monde... Il était certain que ce serait encore... Elian. *J'aurais vraiment du le relâcher, ce vilain crapaud.* regretta-t-il. C'était comme une vive jalousie qui le picotait en permanence ; elle était toujours là, comme une ombre. Il enviait deux choses, même s'il refusait de l'admettre : le fait que Solal se rapproche d'Elian à son détriment, mais aussi que lui, il n'avait personne qui lui était aussi proche qu'Elian l'était pour Solal. Soupir.

Heureusement, il pouvait encore se changer les idées. Parler de la maison et des parents était beaucoup moins douloureux, même s'il ressentait toujours le manque qui le tiraillait à chaque fois que les visages de ses parents traversaient son esprit. Blaze ressentit un élan de compassion pour Solal. Il était vrai que leur père était très insistant concernant le Quidditch ; d'autant plus désormais alors qu'il avait perdu son travail. Parfois, Blaze avait l'impression que leur géniteur plaçait tous ses espoirs, suite à ses propres échecs, sur les épaules de ses fils. Le cadet avait rapidement été épargné : aux premiers cours de vol, il avait à son plus grand malheur constaté qu'il souffrait du même vertige qui empêchait son père de jouer au Quidditch. Un mètre, ça allait. Deux mètres, ça passait encore. Trois mètres... sa tête commençait à tourner, sa vision se troublait. Au delà, c'en devenait insurmontable et il avait l'impression qu'il pouvait chuter à tout moment. C'était bien pour cela, d'ailleurs, qu'il ne montait jamais très haut dans les arbres ; il était bon grimpeur mais ne visait jamais le sommet.

« Ouais, j'comprends, il est un peu lourd parfois, papa. Faut qu'tu lui dises que t'aimes pas le Quidditch si ça te saoule, va pas te forcer. Enfin, j'pense. On fait bien ce qu'on veut non ? Les parents sont pas là pour nous dire quoi faire. Moi je lis pas le Béchamel et toi, tu fais pas de Quidditch. » proposa-t-il tout en fronçant les sourcils. Il plia sa lettre et sortit un nouveau parchemin, sur lequel il commença à noter quelques mots à l'attention de Cosmo. A voix basse, il ajouta : « Tu vois que j'sais être grand. » Et tout au fond de lui, il pensa qu'il aurait aimé prendre la relève. Ne pas pouvoir jouer au Quidditch à cause de son vertige était une grande déception pour lui. Quelque part, il avait peur que cela le poursuive toute sa vie, exactement comme son père. 

Solal leva les yeux au ciel. Fort, un peu trop fort même. Il avait pris l'habitude du calme apparent de ses amis et avait réalisé, depuis qu'il était arrivé à Poudlard, que Blaze et lui avaient tendance à parler trop fort et à être bien trop expressifs pour pas grand chose. Son petit frère en était l'exemple parfait et pour le montrer, le grand frère boucha ses propres oreilles, les yeux rivés vers son cadet. Solal se rendait à présent compte qu'un fossé s'était crée entre les deux, et s'il était plus ou moins conscient que c'était de sa faute, il ne trouvait pas en lui la force ni l'envie de changer et d'être comme avant. Le garçon appréciait bien plus l'idée de devenir quelqu'un de plus calme, de plus réfléchi pour faire honneur à sa maison et pour ressembler à sa mère qu'il admirait de plus en plus. Mais Blaze ne ressemblait pas à leur père, il suffisait d'entendre la réponse du cadet - un brin naïve.

Solal resta silencieux un moment, jouant avec une petite brindille au sol qu'un oiseau avait du emmener après une escapade. Ce n'était pas si facile, et bien que le garçon jouait à l'indépendant, il avait en lui quelque chose qui le poussait à tenter de rendre fier ses parents. De plus, Ciaran avait passé tant de temps à lui parler du Quidditch qu'il s'était lancé dans une quête vaine en ayant l'impression de poursuivre son propre rêve, ce qui n'était pas le cas. Il avait aussi vu le regard de son père s'illuminer en parlant du sport sorcier, et c'était encore plus délicat de lui dire qu'il souhaitait arrêter le Quidditch pour de bon quand il voyait la situation actuelle de l'homme. Solal soupira grandement, un long soupir, comme s'il essayait de sortir tous ces états d'âme, et il haussa les épaules.

« T'es pas si grand, c'est pas si facile de décevoir papa. Ou même de laisser tomber l'équipe, d'ailleurs. 'Fin j'sais pas, depuis que j'suis petit j'ai toujours été dans une équipe. On a toujours attendu quelque chose de moi. De m'occuper de vous, d'écouter Amory et Oskar, de faire du Quidditch pour papa, d'être un bon joueur pour l'équipe, d'avoir des bonnes notes, tout ça. J'comprends bien que c'est normal, j'dis pas le contraire, mais justement j'ai pris l'habitude d'essayer de faire ce qu'on attend de moi, tu vois c'que j'veux dire ? C'est bizarre de briser cette habitude. » Derrière ses airs de garçon indépendant et autonome, Solal n'avait fait que suivre et jouer l'apparence de celui qui mène. Il eut une pensée pour Elian à ce moment, parce qu'il était le seul avec qui il n'avait l'impression ni de mener ni de suivre.
Il se redressa d'un coup, comme s'il sortait de sa bulle, et donna un coup de coude dans les côtes de son frère.
« M'enfin, allez finis ta lettre là, on va pas y passer trente ans moineau ! »

« Nan, j'comprends pas trop. J'sais pas moi, j'trouve ça plus marrant d'en faire qu'à sa tête. De pas spécialement se préoccuper de c'que les autres veulent. Même si j'aime bien faire plaisir quand même aux parents, j'aime pas quand ils sont pas contents à cause de moi mais c'tout, tu vois ? Ton cerveau il doit pas marcher comme le mien. Faudrait p't'être que tu changes ton alimentation pour réussir à te prendre moins la tête. » dit-il sans être réellement persuadé de la logique de ses propos. Blaze réfléchissait aussi peu avant de parler qu'il ne réfléchissait avant d'agir. « A commencer par la confiture de mirabelle, par exemple. J'veux dire, quand y'en a au petit-déj'. Mange-en. Fais confiance. »

Solal lui donna un coup de coude et l'enjoignit à terminer plus rapidement sa lettre. Blaze répliqua tout aussi rapidement avec un nouveau coup, aussi dans les côtes de son frère, avant que celui-ci ne se redresse. Il contempla sa deuxième lettre qui était à peine commencée. Heureusement, ils rentraient chez eux dans deux semaines, alors il pouvait se contenter d'une lettre assez brève et garder une partie de ce qu'il avait à raconter pour les vacances. C'était tout de même long, deux semaines. Les parents de Blaze lui manquaient beaucoup. Le jeune garçon avait très envie de serrer sa maman dans ses bras, et interroger son papa sur la nature de son nouveau travail. Il espérait que c'était quelque chose d'aussi classe que le précédent, même si à ses yeux il ne pouvait pas y avoir meilleur métier que fabricant de balais. 

« J'ai pas fini, attends, tête de blatte. Si j'me dépêche, je vais écrire plus vite et je vais moins réfléchir. Et si je fais ça, du coup, je vais faire plus de fautes d'orthographe. Tu sais ce qu'il se passe si j'fais encore plus de fautes ? Déjà, maman, si elle tombe sur la lettre elle va me renvoyer DEUX BÉCHAMELS ! Ensuite, Cosmo, il pensera que c'est la bonne orthographe et du coup il apprendra ça, et après au final, Cosmo sera aussi nul que moi en orthographe. Alors Solal si tu veux pas avoir les nazes capacités rédactionnelles de notre petit frère sur la conscience, tu m'laisses prendre ton temps et t'arrêtes de râler.  »

Et si Blaze écrivait aussi vite qu'il parlait, cela aurait fait longtemps que la lettre serait terminée. Il bougonna dans son coin et se dépêcha d'écrire quelques mots pour Cosmo. Quand il eut terminé, il plia les deux lettres et les attacha à la patte d'un hibou. Il lui indiqua la destination tout en lui donnant une friandise Miamhibou. Ceci fait, le garçon se tourna vers son frère, qui était déjà sur le départ. Les deux Serdaigle continuèrent à papoter un peu mais sitôt la volière quittée, leurs chemins se séparèrent. Comme d'habitude. 

Fin !