Aussi étrange que cela puisse paraître ; Solal ne passait jamais beaucoup de temps avec ses frères lorsqu'ils étaient à Poudlard. Avec trois de ses frères dans le château magique, il y avait pourtant matière à passer des heures à discuter tous ensemble. Or, Amory et Oskar avaient toujours laissé Solal vivre sa vie et, suivant les traces de ses grands-frères, Solal avait fait de même avec Blaze. Non content de pouvoir vivre une vie tout à fait différente à Poudlard et à Chipping Campden, Solal se satisfaisait tout particulièrement de cette situation. Il avait déjà bien assez à faire avec ses amis Serdaigle et Elian qui prenaient tout son temps, et c'était sans compter les entraînements de Quidditch, les séances avec le club de théâtre et les enquêtes pour le cabinet de détectives en herbe qu'il tenait avec Elian. Somme-toute, son temps était bien assez occupé comme ça.

Il sentait pourtant chez Blaze une sorte d'insistance muette, le cadet était toujours celui qui prenait l'initiative de passer du temps avec son aîné qui arrivait toujours à trouver une excuse pour éviter ce qu'ils avaient organisés à la dernière minute. Si Solal aimait son petit frère tout autant qu'il aimait le reste de sa famille, il parvenait difficilement à se séparer de ses anciennes habitudes et il n'était pas tout à fait content de la venue d'un nouveau Rosenberg dans sa maison : il ne savait plus s'il devait tourner la tête lorsqu'il entendait le nom de Rosenberg prononcé par un professeur ou par leurs camarades. Ils se voyaient d'ailleurs quasi quotidiennement dans la salle commune, ce qui était bien assez aux yeux de l'aîné.

Ce jour-là, il n'avait pas pu échafauder un plan. Blaze l'avait abordé dans le parc après leur petit déjeuner à la grande salle, lui proposant d'écrire ensemble une lettre à leurs parents. Solal avait alors réfléchi à toute vitesse, mais il n'avait rien de prévu et il était encore si tôt qu'il n'osa pas embêter Ivy, dont l'expression aurait fait fuir même le plus gaillard des Gryffondor. De plus, il n'avait pas non plus envoyé de hibou à ses parents depuis un moment, et il était certain que Blaze était assez sournois pour amplifier l'histoire et dire à leurs parents que Solal avait empêché son petit frère d'écrire à Chipping Campden.
L'analyse de la situation ne lui avait laissé qu'un choix : accepter la proposition.
La bonne nouvelle dans cette histoire, c'est que le soleil était au rendez-vous et les deux frères avaient pu profiter pleinement de la verdure printanière avant de rejoindre la volière. Le printemps rimait avec l'éclosion des bourgeons, mais aux yeux de Solal il rimait surtout avec l'abondance des oiseaux qui avaient disparu le temps de l'hiver. Aussi, plutôt que de discuter avec son frère, Solal s'était empressé de s'aplatir dramatiquement dans l'herbe pour observer une mésange charbonnière sur une branche à une dizaine de mètres d'eux.
« Chut, regarde la mésange ! » Elle s'était envolée aussitôt et l'aîné s'était alors relevé en grommelant. Ils purent finalement se mettre en march vers la volière, au sommet de la tour d'astronomie, au rythme d'un monologue de Blaze qui s'était décidé pour un sujet de choix : les confitures proposées lors du petit-déjeuner. Solal se perdit dans la contemplation des pierres du mur alors qu'ils avançaient sans vraiment s'embêter à donner une quelconque réponse. Il était de toute façon certain que la meilleure confiture était celles aux figues.

« Tu sais ce que tu vas mettre, dans ton hibou, tête de moineau ? » Arrivés à la volière, Solal ne tarda pas à interroger son cadet. Il espérait qu'ils finiraient rapidement. Si les hiboux à ses parents avaient été quelque chose d'important à ses yeux l'année dernière —il se rappelait encore de cette fois où il avait failli ne pas réussir à fermer l'enveloppe tant il avait écrit de parchemins—, cette année il était un scribe beaucoup moins zélé : il était à présent trop grand pour ressentir le besoin de tout raconter à ses parents ! Et son pas traînant le laissait facilement sous-entendre.

S’il y avait bien une chose qui avait rendu particulièrement heureux le jeune Blaze lorsqu’il avait rejoint la maison Serdaigle, c’était la perspective de pouvoir passer beaucoup de temps avec Solal. Avant leur scolarité, les deux frères étaient très proches et jouaient beaucoup ensemble. Un certain éloignement s’était fait ressentir lorsque Solal avait rejoint Poudlard avant lui, et pendant toute l’année que Blaze avait passé sans son aîné, il s’était promis une chose : se rattraper lorsqu’ils pourraient enfin être ensemble. Pourtant, alors que la première année du jeune aiglon touchait à sa fin, il avait fait deux constats : déjà, il ne se sentait pas à sa place à Serdaigle. Contrairement à ses camarades, il ne vouait pas un culte aux livres, ne passait pas son temps à gratter sur des parchemins ni à analyser chaque rayonnage de la bibliothèque, et enfin, ses notes étaient loin d’être à la hauteur. Deuxième constat : intégrer la même maison que Solal n’avait pas permis aux deux garçons de se rapprocher à nouveau. Blaze était pourtant plein de volonté, il ne ratait jamais une occasion de tirer sur la manche de Solal quand il le voyait et de lui faire des yeux doux pour qu’il accepte de jouer au Chat perché avec lui. Mais son frère avait toujours mieux à faire et trouvait toujours des excuses pour refuser.

Son excuse préférée portait par ailleurs le nom d’Elian. Même s’il ne le connaissait pas spécialement, le cadet détestait ce Poufsouffle qui lui volait son frère. Cependant, il avait décidé de changer de stratégie. Quelques jours auparavant, il avait kidnappé le crapaud de Solal et avait eu une longue discussion avec lui près du lac. Cette conversation avait beaucoup apporté au garçon qui avait décidé que désormais, il insisterait davantage auprès de Solal pour qu’ils passent du temps ensemble, jusqu’à devenir le parfait petit-frère agaçant si c’était nécessaire. Il deviendrait fourbe, sournois et trouverait les excuses parfaites pour que Solal ne puisse pas refuser. Après, son grand-frère réaliserait à quel point Blaze lui avait manqué et leur relation redeviendrait fusionnelle. Ce plan ne présentait aucune faille.

Ce n’était pas son activité préférée mais aujourd’hui, le garçon ressentait le besoin d’écrire aux parents. Cela faisait presque dix jours qu’il ne leur avait pas rédigé une lettre et même s’il n’avait pas grand chose à leur raconter, il prenait toujours plaisir à leur faire part des faits même les plus anodins. C’était aussi l’occasion parfaite de passer un peu de temps avec Solal, même s’il aurait préféré une activité physique comme un jeu ensemble dans les arbres. Il lui proposa après l’avoir aperçu dans le parc, et sautilla tout en poussant une exclamation de joie après avoir reçu une réponse favorable. Sur le chemin, le garçon avait l’impression de se traîner un boulet. Solal marchait si lentement que Blaze se demanda s’il n’avait pas du plomb dans ses chaussures pour qu’il traîne autant des pieds. Il décida donc de se déplacer à cloche-pied pour s’adapter au rythme de son frère, mais abandonna dès qu’ils parvinrent aux escaliers de la tour.

« La confiture de mirabelle ! Moi c’est ma préférée mais elle est pas là tous les matins. Pourtant j’en ai aperçu sur la table des Poufsouffle. Pourquoi eux ils en ont et pas nous. C’est pas normal. Sinon j’aime bien celle à la fraise aussi mais elle disparaît toujours trop vite, tout le monde en veut. Au final ce matin comme j’suis arrivé tard y avait plus que celle au sureau, beurk. » Le garçon parlait en continu. Il avait beaucoup à dire à son frère mais totalement indigné par cette histoire de confiture, il n’y avait plus que cela qui trottait dans sa tête depuis la fin du petit-déjeuner. Après un très long monologue sur les diverses confitures proposées à Poudlard, Blaze finit par se taire. La question de Solal l’amena à réfléchir au contenu de sa lettre. Il n’y avait pas vraiment pensé. De toute façon, quand il commençait à rédiger, c’était comme quand il parlait : il devenait inarretâble, sauf bien-sûr lorsqu’il s’agissait de rédiger des devoirs. Il savait plutôt ce qu’il n’allait pas dire aux parents : son Désolant obtenu en Histoire de la magie, le fait qu’il avait déjà cassé ses chaussures neuves obtenues à Noël et aussi, évidemment, qu’il avait failli se débarrasser du crapaud de Solal.

« Oh ben, un peu de ci et de ça je suppose, tête de blatte. J’vais probablement dire un truc sur la confiture. Et faut que je leur dise que j’ai eu un Effort Exceptionnel en défense contre les forces du mal. Et demander des nouvelles de Cosmo aussi, comme il se sent seul. J’vais faire une lettre juste pour lui. Et toi, t’as des trucs à dire ? » Le garçon sortit sa plume et un parchemin et commença à rédiger en haut de la lettre « Papa, Maman. J’espère que vous aller bien. Moi ça va même si il n’y avais plus de confiture de mirabele au petit-déjeuner. ». Il se tourna vers Solal. « On en écrit une chacun ou tu veux écrire des trucs directement sur mon parchemin ? »

Son frère l'affubla d'un « tête de blatte » qui lui fit lever les yeux au ciel. C'était autrement plus péjoratif que tête de moineau. Les moineaux étaient, après tout, des oiseaux plutôt agréables à regarder et leur bec court et robuste leur donnait un air presque menaçant. Les blattes, elles, ne donnaient qu'une envie : partir en courant. Il fallait les voir, avec leurs antennes qui bougent dans tous les sens. Solal réprima un frisson de dégoût alors qu'il écouta d'une oreille distraite la réponse de son petit frère. Lui, n'avait pas grand chose à dire. Depuis la défaite des Ailes d'Airain contre les Serpentard il avait minimisé ses hiboux, son père lui avait envoyé un hibou plein d'espoir ; Solal deviendrait un meilleur joueur, tout n'était pas encore perdu. La lecture de la lettre lui avait valu une bosse, il avait collé son front contre son bureau si brusquement, comme pour en faire sortir toutes ses pensées angoissées. Il suffisait qu'il parle d'un match ou d'un entraînement pour que son père se remette ses idées en tête.

Solal plissa le nez. Il attrapa le parchemin et la plume de son cadet avant de s'asseoir brusquement à terre, en priant dans le même temps pour ne pas s'être assis sur une fiente. Il griffonna quelque chose sur le parchemin.
« Là, il y a deux l à mirabelle, et un t à avait. Ah, et avec "vous" c'est toujours ez à la fin. Maman va encore envoyer un Béchamel. » Le Béchamel était un ouvrage moldu particulièrement populaire à Chipping Campden ; on y trouvait toutes les règles de grammaire et d'orthographe. Elle en avait envoyé un à Solal, l'an passé, simplement parce qu'il n'avait pas conjugué correctement quelques verbes dans un de ses hiboux. Le garçon ne l'avait jamais ouvert. Si Blaze et lui avaient un point commun, c'était bien leur réticence à mettre le nez dans un livre plus de dix minutes —Solal aimait pourtant beaucoup les bandes dessinées. Il aimait aussi lire les livres avec Elian, mais c'était une toute autre histoire. S'il hésita un instant à proposer d'écrire lui-même la lettre, il tira un trait sur l'idée et tendit de nouveau le parchemin et la plume à Blaze.
« Vas-y, dis leur pour ton E. C'était sur quoi le devoir, d'ailleurs ? T'as qu'à le préciser, comme ça Cosmo pourra réviser en avance s'il se sent seul. Il te l'a dit ? » Solal n'était pas si surpris de savoir que leur petit frère se sentait seul. Ils avaient tous pris l'habitude de passer leur temps ensemble, et Cosmo était probablement le plus introverti. Un peu comme Amory, bien que leur introversion était quelque peu différente. Leur cadet était d'ailleurs le seul à se retrouver complètement seul pendant que le reste de la fratrie était à Poudlard ; habituellement ils étaient toujours au moins deux. Peut-être qu'à sa place, Solal aussi aurait déploré l'absence de ses frères.

Blaze fronçait les sourcils. Il tenait sa plume fermement serrée dans sa main et écrivait avec lenteur. Maman disait toujours que son écriture ressemblait à des pattes de mouche ; l’idée plaisait beaucoup au garçon qui adorait les insectes plus que de raison, mais depuis qu'il avait commencé à retrouver les mêmes commentaires sur ses copies et qu’à défaut d’essayer de le comprendre, les professeurs enlevaient directement des points, le jeune garçon redoublait d’efforts. Il se heurtait néanmoins à d’autres problèmes : les fautes d’orthographe, ce que ne manqua pas de faire remarquer Solal après s’être assis à côté de lui. Blaze laissa échapper un long soupir qui trahissait un agacement certain. Il y avait tellement de règles à apprendre pour l’orthographe et la conjugaison ! Que maman envoie donc un Béchamel, il s’en servirait pour rehausser son oreiller qui commençait à s’affaisser. D’ailleurs, ça s’appelait vraiment un « Béchamel » ? Ce mot n’évoquait chez lui que gratins et plats de nouilles en sauce. Il haussa les épaules. *Tu penses trop à la nourriture, on dirait un Poufsouffle. Fais gaffe ou tu ressembleras bientôt à Elian* pensa-t-il en grimaçant au souvenir du visage du blond. *Quoi que, peut-être que Solal t’aimerait plus comme ça.* Nouveau soupir. Quelques ratures plus tard, Solal lui rendit son parchemin sans plus aucune faute d'orthographe.

« Merci » grommela-t-il. Solal le questionna ensuite sur son devoir. En fait, le garçon avait obtenu cette bonne note à un exercice basé sur la pratique qui portait sur le maléfice de gonflage. Il était assez doué pour lancer des sortilèges, ainsi, il n’avait pas éprouvé de difficulté particulière pour celui-ci, même s’il aurait pu avoir un Optimal s’il ne se laissait pas aussi facilement distraire. Pour les exercices portés sur l’écriture, c’était autre chose. Pendant les cours, les notes prises par le garçon étaient peu lisibles mais surtout, souvent incomplètes. Après, il faisait rarement des recherches supplémentaires à la bibliothèque. En bref, même à son frère à qui il confiait pourtant tant de choses auparavant, il adressa une réponse assez vague. « C’était sur le maléfice de gonflage. Pas trop compliqué. Pas comme l’histoire de la magie que j’aime pas du tout. » Il griffonna une nouvelle phrase sur sa lettre « J’aime toujours pas l’histoire de la magie mais j’ai eu une bonne note en défence contre les forces du mal, un effort exceptionnelle ! »

Concernant Cosmo, cela tombait sous le sens. Même pour un gamin pas toujours très malin comme Blaze, c’était évident. C’était le seul de la fratrie qui avait été amené à se retrouver entièrement seul avec les parents. Blaze, l’année précédente, était encore là pour jouer avec lui. Désormais, et surtout parce que les frères Rosenberg n’avaient pas été à l’école moldue avant d’entrer à Poudlard, Cosmo devait affronter cette solitude mais aussi l’étrange tension qui flottait entre les parents. Si Blaze fermait volontiers les yeux sur ce dernier point, il n’avait pas manqué le masque de tristesse qu’affichait Cosmo pendant les dernières vacances. « Bien sûr qu’il se sent seul. » bougonna-t-il. « J’sais pas comment tu fais pour pas le remarquer. Pendant les vacances de Noël, il n’arrêtait pas de pleurer. Il a même pas mangé du gâteau au nouvel an alors qu’il est pire que moi avec la nourriture d’habitude. Si t’as pas remarqué c’est peut-être parce qu’encore une fois t’arrêtais pas de penser à Elian. » Il y avait beaucoup d’amertume dans ces derniers mots et il les regretta aussitôt. « On dit aussi aux parents qu’on a vu Amory avec une fille ? » demanda-t-il dans une vaine tentative de changer de sujet.

Encore un nouveau point commun ; les deux Rosenberg préféraient les cours pratiques, plutôt que les cours théoriques comme ceux d'Histoire de la Magie. Ce n'était pas le cas d'Amory, qui avait une prédisposition pour tout ce qui nécessitait d'écrire beaucoup, contrairement à son faible débit de paroles.
Solal se pencha légèrement par dessus l'épaule de Blaze pour voir ce qu'il était en train d'écrire. Les fautes et l'écriture en pattes de mouche du garçon juraient fortement avec le joli grain du parchemin. Si l'aîné n'était pas un grand adepte ni de la lecture ni de l'écriture, il ne pouvait pas ignorer le charme du papier qui bruisse quand on le sort d'un sac de cours, ni le grattage de la plume contre le parchemin. C'était d'autant plus agréable qu'autour d'eux, battements d'aile et autres bruits d'oiseaux achevaient d'apaiser le garçon. Ce n'était peut-être pas une si mauvaise idée, d'écrire une lettre ensemble, après tout. Il laissa d'ailleurs tomber l'idée de corriger les fautes de son cadet, sans quoi le parchemin serait rempli de ratures et il savait que leur mère appréciait les lettres bien propres.

La sensation agréable fut bientôt balayée par les remarques de Blaze. Non seulement il semblait prendre Solal de haut —devait-il lui rappeler qui était l'aîné ?— mais la remarque à propos d'Elian l'agaça davantage. Il ouvrit la bouche pour rétorquer avant de la refermer aussitôt, à court d'argument. Blaze n'avait peut-être pas tout à fait tort, Solal s'était enfermé dans une bulle depuis qu'il avait fait sa rentrée à Poudlard. Pas seulement à cause d'Elian, mais son indépendance au sein de l'école de magie avait grandement influencé à Chipping Campden aussi. Le garçon fronça les sourcils, sentant la culpabilité monter en lui, et attrapa un bâton au sol qui avait peut-être été emmené par un des oiseaux de la volière. Il joua avec quelques instants, semblant perdu dans ses pensées avant de lever les yeux vers son petit frère insolent, qui avait d'ores et déjà changé de sujet, comme s'il ne souhaitait pas s'épancher sur le sujet. Solal soupira excessivement, comme pour faire à comprendre à son cadet qu'il n'avait pas apprécié la remarque.
« En même temps, l'ambiance est naze à la maison depuis un an. Les mots étaient avec une spontanéité telle qu'ils surprirent Solal, comme s'il découvrait lui-même ses pensées à cet instant. Il haussa les épaules. Ouais, pourquoi pas, T'as qu'à faire un dessin de sa tête, à la fille. En plus il avait l'air giga amoureux, ça s'trouve dans dix ans tu feras la demoiselle d'honneur habillé en robe pour eux. Vaut mieux qu'ils se préparent à voir ça. » L'aîné tira la langue avec un air de dégoût suite à sa petite blague, mais ne put s'empêcher ensuite de pouffer de rire, content d'avoir une occasion de taquiner Blaze pour se venger de sa remarque précédente. Il est vrai qu'ils avaient remarqué Amory avec une fille, sans malheureusement pouvoir voir le blason de sa maison. Si Solal avait du parier quant au premier de la fratrie qui aurait une copine, il aurait misé sur Oskar, le Gryffondor sociable, doux et généreux, pas sur Amory, le Serpentard solitaire et énigmatique. Mais c'était encore là tout le mystère d'Amory : il était toujours au tournant auquel on ne l'attendait pas.

Le changement de sujet fut efficace, Blaze ne récolta pour sa remarque désobligeante qu'un soupir de son frère. C'était un soulagement, les deux garçons se parlaient suffisamment peu ces derniers temps, ils n'avaient pas besoin d'une nouvelle querelle. Cela dit, le cadet aurait bien aimé comprendre ce qui intéressait tant Solal chez le Poufsouffle. Blaze trempa la pointe de sa plume dans l'encrier qu'il avait posé à même le sol et reprit la rédaction de sa lettre, évoquant sa récente partie de Chat perché avec Adaline et Siam, ses aventures avec Fiss et nota même quelques mots sur les dessins d'Alaska. Le garçon écoutait son frère d'une oreille distraite. Solal aussi trouvait que l'ambiance à la maison était naze, au moins ils étaient du même avis sur ce sujet. Leur petit frère était toujours un peu dans la lune et la dernière fois qu'il l'avait vu, Blaze l'avait trouvé encore plus renfermé sur lui-même. Lui qui avait toujours été dans sa petite bulle, cela était accentué depuis l'absence de ses quatre frères. 

Les taquineries de Solal le ressortirent de ses pensées. Outré à l'idée qu'il puisse enfiler une robe -pire, que Solal l'imaginait en robe, il lâcha sa plume de surprise. Son coude vint s'écraser dans les côtes de son grand-frère avant qu'il n'ait pu réfléchir à formuler une réponse verbale. Ce dernier réagit aussitôt en le poussant légèrement et en se décalant. 

« Les robes c'est pour les filles ! T'es vraiment trop bête. » N'ayant rien d'autre à rétorquer, et trouvant lui-même que sa répartie était vraiment trop naze, il soupira bruyamment et pour ne pas faire croire à Solal qu'il avait gagné, il lui offrit un nouveau coup de coude bien placé, ce qui lui valut une tape sur la tête. Avant que cela ne parte en bagarre, Blaze répondit avec un peu plus de sérieux, non sans avoir lancé un regard noir et une grimace à son frère juste avant. « J'pense que l'ambiance elle était naze parce que papa travaillait plus. Maman devait être très fatiguée de travailler toute seule peut-être, elle faisait de plus grosses horaires et c'était papa qui nous faisait cours du coup. Mais maintenant que papa a trouvé un nouveau travail, ils devraient à nouveau se faire plein de bisous maintenant, comme ils doivent être moins fatigués. On verra bien, c'est bientôt les vacances ! » Le garçon attendait son retour à Chipping Campden avec impatience. Les dernières vacances remontaient à trop longtemps et en hiver, il n'y avait plus beaucoup d'insectes et avec le froid, les garçons ne jouaient jamais très longtemps dehors. Au printemps, ses petits amis seraient de retour, et il ferait beau et bon, un temps idéal pour crapahuter dehors. Il pourrait aussi poser des questions à son père sur son nouveau travail, et jouer avec Cosmo. « J'vais la décrire l'amoureuse d'Amory, j'suis pas doué en dessin alors elle sera moche si j'essaie. » Il ramassa sa plume, l'épousseta un peu -elle était tombée pile dans une fiente, et écrivit. « Amory a une copine, je l'ai vu lui faire un bisou (presque) sur la bouche. Elle est pas jolie mais elle à l'air jantille. Elle est un peu plus petite que lui mais je croie qu'elle a le même âge. » Il se tourna vers Solal, alors qu'il frottait ses doigts entre eux pour enlever les traces de fiente. « On est bêtes, ou aurait pu écrire dans le parc et venir juste à la volière pour déposer la lettre. »

Solal ne s'était pas attendu à une réponse très pertinente : Blaze était bien plus douée pour répondre avec ses bras qu'avec des mots. S'il se contenta de se décaler un peu suite au premier coup, le deuxième coup de coude valu à Blaze une réponse immédiate, c'est-à-dire une tape sur la tête.

« C'est bon, c'est qu'une robe. On verra juste tes poils aux pattes, ewww. » Le garçon accompagna ses mots de quelques dandinements disgracieux, pour embêter encore plus son frère mais ce dernier avait déjà changé de sujet. L'aîné remonta ses genoux contre son torse et posa son menton sur un de ses genoux, les yeux posés sur un tout petit hibou un peu plus loin. Blaze et lui étaient différents. Solal fuyait les conflits qui l'embêtaient trop et préférait faire comme s'ils n'existaient pas, ce qui expliquait en partie qu'il s'enferme dans une bulle d'insouciance même à Chipping Campden. Blaze, quant à lui, semblait réfléchir un peu trop longtemps et trop souvent à la question. C'était assez inattendu de la part du cérébral et du cancre de la famille, bien que cancre était peut-être un hyperbole.

Solal se tut.
Il se contenta d'écouter son frère parler avant de relever les yeux pour le regarder écrire. À l'intérieur de lui, la culpabilité fit rage. Il se rendait à présent compte qu'il laissait ses deux petits frères dans leurs pensées et dans leurs soucis sans leur offrir quelconque aide. Mais s'il jouait toujours aux grands, il était bien trop insignifiant pour pouvoir prétendre aider à quoi que ce soit. Les soucis familiaux et les états d'âmes qui en découlaient semblaient être un puissant dragon, et lui se sentait comme un tout petit moineau. C'était sans compter sur l'optimisme de Blaze qui acheva la bonne humeur de Solal ; s'il fuyait probablement plus, c'est aussi qu'il n'avait pas la même vision optimiste du couple de leurs parents. Il avait après tout appris de ses frères que leur père était alcoolique, et bien qu'il ne saisissait pas tout à fait l'ampleur d'un tel fait, il savait que c'était vu comme rédhibitoire. L'espace d'un instant, il hésita à tout avouer à Blaze mais il scella ses lèvres le temps de ravaler ses mots.

« N'empêche que j'comprends pourquoi tu fais autant de fautes, si c'est papa qui t'a appris l'orthographe. » Il résista à l'envie d'attraper la plume pour corriger les fautes et tourna la tête à nouveau pour observer les murs de la volière.
« D'ailleurs, Oskar va finir sa scolarité l'année prochaine et je l'ai jamais vu avec quelqu'un, 'fin à part ses potes quoi. Puis Amory va finir cette année. Il sera peut-être plus là pour les vacances ensuite, il va prendre son envol tout ça, ça va faire bizarre. Remarque s'il trouve vite un bon boulot et qu'il devient riche, il pourra nous emmener faire plein de trucs cool. » C'était mieux comme ça pour Solal; se concentrer sur ce qu'il y a de positif afin de ne pas s'éterniser sur le sujet délicat et complexe de la relation de leurs parents. Il se risqua à un nouveau coup d’œil sur le parchemin parsemé de fautes.
« J'pense que maman va vraiment te le faire manger, ton Béchamel. Ou elle va te le faire rentrer par les oreilles pour que ça rentre dans ton cerveau. »

Après avoir réussi à enlever les quelques résidus de fientes sur ses doigts, Blaze posa sa plume le temps de réfléchir à sa lettre. Même s'il donnait de ses nouvelles à ses parents, il avait l'impression de n'écrire que des banalités. Il avait envie de la terminer rapidement pour s'occuper de celle destinée à Cosmo. A côté de lui, Solal commentait encore ses fautes d'orthographe. Le visage du cadet finit par tourner  au rouge -par colère et non par honte, et agacé qu'on lui fasse ainsi remarquer ses erreurs, il cacha le parchemin avec ses mains pour que son frère ne puisse pas lire. De quoi se moquait-il ! On ne pouvait pas tous être très doués en orthographe, surtout à onze ans et après avoir réalisé relativement peu d'exercices d'écriture au cours de sa vie. Déjà, le garçon trouvait qu'il s'était considérablement amélioré depuis ses débuts à Poudlard, à force de rédiger malgré lui plusieurs devoirs. Les premières semaines, sa mère lui renvoyait souvent ses propres lettres avec les fautes corrigées. Il était certain que si une matière apprenant l'orthographe et les règles de grammaires était créée à Poudlard, elle serait la première à postuler pour l'enseigner, puis prendrait plaisir à lui mettre des Trolls ou des Désolants.

« Papa sait bien écrire. Sinon, maman l'aurait pas épousé j'pense. Alors ça tient pas ton argument, j'ai fait des progrès avec lui ! » bougonna-t-il en écartant légèrement ses doigts, cherchant de ses propres yeux les mots fautifs qui agressaient les rétines de son frère. Il ne vit rien ; tout semblait parfait. Ce n'était probablement que des taquineries et comme toujours, Blaze tombait dans le panneau.

Il soupira. Heureusement, Solal avait changé de sujet. L'idée de partager d'agréables activités avec un frère riche et majeur, qui pouvait les emmener dans bien des endroits différents plaisait beaucoup à Blaze et il s'imaginait déjà visiter des élevages de dragons dans d'autres pays ou encore assister à des matchs de Quidditch internationaux. Quant à Oskar, sa solitude était assez étonnante considérant son tempérament doux et sociable. Il avait bien sûr de nombreux amis mais Blaze tout comme Solal apparemment ne l'avait jamais vu traîner avec une fille. Ses frères avaient bientôt fini leur scolarité à Poudlard et ce qu'il adviendrait par la suite effrayait un peu le jeune garçon. Il avait peur qu'un fossé plus grand encore se creuse entre ses grands frères et lui. La différence d'âge n'aidait pas au rapprochement, même si Solal prenait parfois le rôle de "relais" entre les plus jeunes frères et les aînés.

« J'sais pas, moi j'aime bien quand on est tous les cinq à la maison, avec les parents. J'ai pas trop envie qu'Amory et Oskar partent. J'espère qu'ils habiteront à la maison pour toute la vie, comme moi. Toi tu partiras pas hein ? Tu m'abandonneras pas ? » Il leva un regard presque suppliant vers son frère. Cette conversation devenait un peu gênante, le garçon n'avait pas l'habitude de dévoiler ainsi ce qui le tracassait -du moins, pas quand cela le mettait dans une position de faiblesse. Il ne mâchait jamais ses mots mais n'était pas non plus du genre à s'épancher sur ses sentiments. Il préférait la colère à la tristesse, qui lui était moins inconnue. La témérité à la peur. Même si la peur le chatouillait parfois. Blaze secoua la tête pour chasser ses pensées et lorsqu'il se tourna à nouveau vers son frère, il lui tira formidablement la langue tout en louchant. Sa propre grimace le fit rire. « M'man pourra utiliser son sortilège de ratatinage comme elle veut, le Béchamel il rentrera pas dans mes oreilles ! Elles sont trop petites ! »

Solal reconnaissait bien Blaze : il s'était empressé de cacher le parchemin, comme si l'action allait balayer le souvenir affreux des fautes d'orthographe qui parcouraient l'écrit. C'était pourtant déjà trop tard, le cerveau du garçon ne serait plus le même, à jamais entaché par ses immondicités.
L'aîné tut le mélodrame qui se déroulait dans ses pensées, un grand sourire amusé aux lèvres alors qu'il se penchait excessivement pour feindre de chercher à lire le parchemin. S'en suivit un argument très bancal du cadet. À ces mots, Solal eut l'étrange impression que malgré l'unique année entre eux, un gouffre considérable les séparait. Comme si connaître la pression vis-à-vis de leur père et ses secrets d'alcoolisme avaient changé Solal un peu trop rapidement. Le garçon envia Blaze l'espace d'un instant, c'était bien plus facile quand on ne se rendait pas compte de tout, mais son curieux naturel lui rappela qu'il valait mieux toujours savoir.

« Bah dans c'cas ta copine écrira mal, si l'orthographe ça réunit. » Ne parler que de copine le contraria plus que nécessaire. Il plissa le nez, étonné de sa propre contrariété, de son envie de rajouter "ou ton copain". L'image d'Elian apparut dans ses pensées et il attrapa une plume, l'agitant de droite à gauche comme pour balayer le visage du Poufsouffle. Et le moineau le rappela sur terre, comme un moineau qui ouvre le bec en piaillant à l'arrivée de sa mère : mais Solal n'était pas la mère de Blaze et il posa ses yeux noirs sur son petit frère. Que pouvait-il promettre ? Fallait-il avouer qu'il espérait déjà trouver un nid entre deux branches, là où personne ne viendrait l'embêter, là où on ne lui demanderait pas d'être ce qu'il ne veut pas être ? Le Serdaigle n'aimait pas mentir, pas comme ça, mais la détresse qu'exprimait le visage de son petit frère lui tordit le cœur. Pour une raison ou une autre il se rappela de la dépendance d'Elian envers son père.

« Tout l'monde a besoin de quelqu'un d'autre. » murmura-t-il, presque énigmatique, avant d'imiter la grimace de son petit frère. C'était aussi une façon d'esquiver la promesse, de ne pas mentir mais de ne pas décevoir. La technique du lâche.

« Ben peut-être qu'elle en fera de la bouillis et elle te le fera avaler par le nez. T'as déjà essayé de boire par le nez ? Tu devrais franchement, c'est une expérience u-ni-que, j't'assure. » Plume dans une main, il traça au sol des symboles, des abstractions qui n'avaient aucun sens, pas même pour lui, comme s'il était trop difficile de rester en place et de ne rien faire.
« Parce que toi quand t'auras fini l'école, tu penses qu'tu vas faire quoi ? Tu vas rester chez papa et maman ? » Il souhaita lui rappeler qu'ils ne seraient peut-être plus ensemble d'ici là, mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge. La question était difficile, autant pour l'un que pour l'autre, ils avaient encore de nombreuses années avant de savoir ce qu'ils feraient. Pourtant, il la posait comme pour l'entraîner à se préparer psychologiquement, l'encourager à prendre son envol pour éviter un retour dans un nid vide et morose.

Blaze aimait beaucoup son grand-frère mais celui-ci avait un don tout particulier pour l'agacer. Plus jeune, il réagissait souvent aux taquineries de son frère par les poings, puis par les pleurs, des portes claquées et des hurlements de colère. Heureusement, il avait perdu toute susceptibilité avec l'âge et il ne demeurait désormais plus qu'un tempérament fougueux et colérique, ce qui n'était déjà pas trop mal. Aux dernières taquineries de son frère, ses joues virèrent au rouge. Solal racontait des bêtises, comme toujours. Blaze avait envie de lui tirer les oreilles. Littéralement. Peut-être que de petits morceaux de parchemin de Béchamel s'en échapperaient s'il le faisait. Le première année était trop jeune pour avoir une amoureuse -et si Solal disait vrai, alors, il attendrait d'être bon en orthographe pour commencer à s'intéresser aux filles. D'ailleurs, est-ce qu'Eliana Hastings faisait des fautes d'orthographe ? C'était une autre première année, pas trop désagréable à regarder. La prochaine fois qu'il la verrait faire ses devoirs dans la salle commune, il se pencherait peut-être par dessus son épaule pour évaluer ses capacités rédactionnelles. Le garçon frappa son front avec sa main. A quoi pensait-il, enfin ! 

Il s'apprêtait à rétorquer par de nouvelles taquineries quand il surprit un petit air de contrariété sur le visage de son frère. C'était dans ces moments-là que le garçon aurait aimé être Legilimens, comme Alice Sangblanc -elle avait beau prétendre le contraire, il était persuadé qu'elle savait lire dans ses pensées ! pour être capable de déchiffrer ce qui tracassait Solal. Le cadet eut du mal à comprendre le lien entre sa question et la réponse fournie par son aîné. De qui Solal avait-il besoin ? Pour Blaze, la réponse était claire : il avait toujours vécu avec sa famille, il ne s'imaginait même pas une seconde faire sa vie sans eux. Sans Solal, qui était auparavant si proche de lui. *Moi, j'ai besoin de toi* pensa-t-il. Cette pensée ne franchit pas ses lèvres. Il était trop fier pour l'avouer. Il ne voulait pas avoir l'air faible, surtout pas devant son frère.

« Bien sûr que je vais rester avec papa et maman, qui mangera leurs bons petits plats sinon ? Ils cuisinent toujours trop pour deux personnes, faut bien qu'on reste pour les aider à tout manger ! Et puis, et puis bah, c'est quand même pratique car papa fait une bonne partie du ménage, y a juste à jouer, on est tous ensemble et tout, c'est trop cool, on peut se raconter des histoires, faire des trucs habituels quoi. Ce serait trop naze de vivre loin de vous. Faut qu'on reste ensemble pour toujours ! On agrandira la maison si vous voulez ramener vos copines. Tu sais déjà qui tu voudrais emmener à Chipping Campden toi ? » 

Tout en parlant, le garçon avait ramassé sa plume. Il épousseta son parchemin. L'encre avait séché, heureusement, sinon il l'aurait étalé et la lettre n'en aurait été que plus déplaisante au regard. Il rédigea quelques lignes supplémentaires -probablement truffées de fautes d'orthographe, puis l'acheva avec un "Vous me manqué. Blaze."

Enfin, il interrogea à nouveau Solal.

« Pourquoi t'écris pas aux parents ? »