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02 juil. 2019, 14:59
L’Hymne du Démantèlement  SOLO 
08 MAI 2044
Volière, Poudlard


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Emily Smith, 16 ans
Serdaigle, 6ème année


La Rancœur est immense. Aujourd’hui, je découvre à quel point elle est plus intense et plus bouleversante que la Honte, la Peur, la Joie ou la Tristesse ; seul l’Amour la renverse peut-être, mais je n’ai pas le cœur à aimer. Je n’ai pas le cœur à ressentir autre chose que cette Rancœur qui me dévore toute entière. Hurlante, elle déchire mon cœur et mon âme. Me donne envie de vomir, mon estomac retourné dans tous les sens par ses cris. Piquant mes yeux, la Rancœur veut m’imposer des larmes ; mais elle est trop forte, trop imposante, trop écrasante, pour que quoi que ce soit d’autre puisse se créer. Jamais les larmes ne parviennent à mes yeux tant la pression est grande. S’échapper leur étant impossible, elles me martèlent le crâne. Je ne crois pas que je pense à quoi que ce soit : ma tête me lance tellement que mon cerveau n’arrive plus à réfléchir. À me demander si je ne me serais pas cognée le crâne contre le mur de pierre dans la violence de ma réaction tant la douleur me semble Physique et non plus seulement Interne. Au fond de moi, je ne crois pas que la Rancœur soit vraiment de la Rancœur. Plutôt une Haine dissimulée, transformée, puis hurlée. Tout mon Monde tourne autour de moi ; ou peut-être s’écroule-t-il. Non, je crois bien qu’il tourne. *« Mon cœur s’abandonne dans la valse emballée »*. Hein ? Cette phrase vient de s’échouer dans mon esprit comme un navire sur une plage au milieu d’une tempête : elle n’est pas à sa place, et je ne sais pas d’où elle vient. Sans doute d’un Conte, fragment d’histoire conté à travers le temps. Et mon Monde tourne, sans moi. Il me laisse ici, et se met à danser d’un pas endiablé, en m’abandonnant. *Je devrais être... AILLEURS !* hurlé-je. N’importe où ; à la bibliothèque, en salle commune, dans un couloir, en salle de cours, à la grande salle, à la salle sur demande, dans la tour d’astronomie, dans le parc, dans les toilettes, dans le dortoir, mais pas ICI. ICI est dangereux, parce que C’est ICI. ÇA est ICI et pas ailleurs, et c’est pour ça que je ne dois pas être ICI ; parce que je ne dois pas être avec ÇA. Ma hâte de recevoir des nouvelles des parents s’est envolée avec ÇA, parce que ÇA est une aberration, une erreur, une rature dans ce petit monde parfait. Et ICI, ÇA règne en roi — en reine ? Oui, ÇA est d’une stupidité absolue ; quelle idée, ÇA ne peut pas être vrai. On raconte, dans les couloirs, que le Nouveau Gouvernement — encore une belle stupidité — intercepte les hiboux et les censure. Je sais parfaitement ce qu’est la censure, et c’est d’une belle logique ; ils enlèvent ce qui ne leur plait pas. Mais la censure n’a pas sa place dans ce monde là, car ce monde là, c’est mon monde à moi ; et ici, on proclame la liberté à tout bout de champ. Or, la censure va à l’encontre de cette liberté, et doit donc être une rumeur. Pourtant, la censure va avec ce Nouveau Gouvernement, je le sais. Ce petit grain de sable dans les rouages parfaits de mon Monde ; mon Monde si problématique, si tourmenté, mais mon Monde calme et parfait, tout de même. Peut-être la censure explique-t-elle ÇA. Mais oui ! Bien sûr. Quelle idiote je suis ; la voilà mon explication, le coup de gomme sur la rature qui n’a pas sa place ici. La censure est l’unique cause de ÇA, car ÇA ne peut être expliqué autrement. *’Spèce d’Moldue*. Mes sourcils se froncent devant cette insulte mentale ; tout me ramène à ÇA. Depuis quand juré-je avec le mot moldu ? Depuis toujours. Cette réponse me frappe tant elle est vraie. Moldu, Cracmol, Sang-de-Bourbe, Non-Maj’ ; je les respecte tous mais je m’insulte avec leur nom. Putain d’éducation à la maison, hein ! Sales parents, pourquoi ils ont fait ça ? Je ne m’en étais pas rendue compte, hein ! Mais si je me traite moi-même de moldue comme si c’était le pire des sorts, sans doute que ÇA est vrai. Oui, ÇA est vrai. *Bien-sûr-qu’non-c’pas-possible*. Bien-sûr-qu’oui-c’possible. Ou pas ? Si, c’est possible ; sinon, la Rancœur ne sera pas là, et la Haine non plus. Sinon, je n’aurais pas si mal. Sinon, je me serais en aller avec un sourire moqueur aux lèvres pour leur censure si ridicule.

Mais la lettre est entièrement vraie, j’en suis sûre. ÇA pue l’odeur de mes parents à plein nez ; je sens leur trace, leur délectation quand ils ont écrit ces mots. ÇA ne peut qu’être réel. Et j’aimerais tant me persuader que ÇA n’est rien qu’une blague de mauvais goût. Mais Mam- *Mère !* ne fait jamais de blagues ; Pa- *Père !* a beaucoup trop de travail pour ça. *Surtout maint’nant hein ?*. Tais-toi ! Tais-toi ! J’ai mal, Merlin, j’ai mal ! Par Dumbledore, dis moi qu’je rêve, pince moi que j’me réveille dans l’dortoir, pour une journée comme les autres, à loucher vers Aby et à causer avec Thalia ! Une bile amère remonte dans ma bouche et me fait grimacer ; mon poing se resserre sur la lettre, cette chose abominable. Sous mes yeux, les mots hurlent et grimacent, se moquent de moi sans vergogne.

Ma fille,

*J’suis* mes mains tremblent *pas* mon cœur se serre *ta* mon crâne me lance *fille !*. Diantre, comment peut-il commencer ÇA ainsi ?

Je sais que tu passes bientôt tes examens, je ne te souhaite pas bonne chance car tu sais comme moi que la chance n’a rien à voir là-dedans ; si tu as travaillé, tu les réussiras et tu nous feras honneur ; si tu n’as pas assez travaillé, tu échoueras et tes vacances seront synonymes de travail acharné. Fais nous honneur comme les années précédentes, Emily.

*C’EST QUOI TON DÉLIRE ?*. À quoi riment ces phrases ? Son éternel sermon sur les cours et l’importance de la réussite, je le connais par cœur ; tout comme il sait parfaitement que je suis douée, surdouée même, et que je vais réussir ces examens à la noix parce que je vais travailler jusqu’à pas-d’heure pour faire travailler ma mémoire jusqu’à connaitre jusqu’au bout des doigts la moindre virgule de mes cours ! Les A.S.P.I.C.S. ne sont même pas pour cette année ; ça ne sert à rien. Alors pourquoi annonce-t-il la couleur ainsi, pourquoi commence-t-il ÇA par une banalité comme celle-ci ? Je n’en sais rien ; je ne le comprends pas. Et je n’aime pas ça, j’en grimace, j’ai toujours envie de chialer et je ne peux toujours pas. ÇA me fait flipper et je n’ai pas envie de relire la suite ; pourtant, je veux vérifier que j’ai bien lu, que je ne me suis pas trompée, que ce n’est pas un rêve.

Sans doute, Emily, as-tu entendu parler du Nouveau Gouvernement ?

Sans doute, Emily, as-tu entendu parler de ce qui est à la bouche de tout le monde ! Mais non, Père, bien sûr que non, je n’en ai pas entendu parler ! *Idiot, idiot* martèle mon esprit.

Tu es assez grande pour savoir en quoi consiste un renversement de pouvoir, et ce qu’implique un changement de Ministère. Aussi, je ne prendrais pas la peine de te l’expliquer. On a dû te dire qu’un parti politique aux idées dangereuses avait pris le pouvoir : je vais rectifier en déclarant que Miss Parkinson est une femme fort respectable qui, par un tour de force nécessaire, a décidé de reprendre les choses en main pour remettre notre monde dans le droit chemin. Tu vas rester à Poudlard jusqu’à la fin de ton année, car bien que ton école se soit mise dans une position fort délicate en résistant ainsi au nouveau pouvoir, Poudlard reste le lieu où tu perfectionneras le mieux tes connaissances ; nous verrons tout de même si tu y retournes ou non l’année prochaine, en fonction des positions de Poudlard vis-à-vis de Miss Parkinson à ce moment là. Je refuse de t’envoyer dans un établissement rebelle qui risque de te bourrer la tête avec des idioties sur une éventuelle rébellion, tu es déjà bien assez indisciplinée comme cela.

Père et ses phrases à rallonge ; Père et ses stupidités sans nom ; Père et ÇA ! Cette fois les larmes sont vraiment là, elles perlent au coin de mes yeux sans oser salir mes joues. Je ne pleure jamais ; pourquoi devrais-je le faire, là ? Pourquoi ? J’ai mal au cœur ; mal de Haine, mal de Rancœur.

Le Nouveau Gouvernement est une opportunité, Emily. Ne crois surtout pas ce que tes professeurs vont te raconter, ce sont des rebelles et des naïfs qui n’ont rien compris. Nous t’avons préservé du monde moldu en te faisant l’école à la maison, Merlin soit loué ; et tu as dû côtoyer des Nés-Moldus à Poudlard, leur niveau d’intelligence très inférieur au notre n’a pas dû t’échapper.

*Aby est une Née-Moldue, pauv’ mec*. La Rage au cœur. La Peur au ventre.

Ta mère et moi faisons désormais partie du Nouveau Gouvernement. Nous travaillons comme Manteaux Noirs ; certaines de mes rondes sont à Pré-au-Lard, tu pourras peut-être m’apercevoir en prenant le Poudlard Express. Le siège de Miss Parkinson se trouve à Godric’s Hollow, près de chez tes grands-parents ; tu le verras en allant chez eux cet été, il est impressionnant et je suis certain que l’étudier t’apprendra de nombreuses choses.

Comme si j’allais étudier le Nouveau Gouvernement, comme si je m’intéressais à ce que disent les collabos, comme si J’ALLAIS RENTRER CET ÉTÉ ! Les mots de Père sont parfaitement rédigés, de son écriture souple et serrée. Pas de tremblements, pas d’hésitations. Répugnant.

Cesse de fréquenter tout Né-Moldu ; les Sang-Mêlés sont une erreur certaine mais ont du sang respectable dans les veines, leur compagnie n’est donc pas à éviter totalement. Mais je sais que tu consacres peu de temps à tes camarades et que tu préfères travailler, ce dont je suis, si j’ose le dire, fier.

Dans mes veines, mon sang bout. Je brûle de Rage, de Rancœur, de Haine. D’Incompréhension ! Je ne comprends pas, je comprends toujours tout mais ici je ne comprends rien. ÇA n’a aucun sens.

Nous nous sommes inscrits au Registre des Sang-Purs, tu es la première Sang-Pur officielle de notre lignée. Souviens t’en et agis en conséquence, ma fille. Ne t’avise pas de sortir du droit chemin.

Bien sûr ; fais ce qu’on te dit, dis ce qu’on te dit, pense ce qu’on te dit, ne désobéis surtout pas. *J’ai plus six ans t’sais !*. Non, il ne sait pas. Non, il ne sait rien. Mère non plus. Personne ne sait. Je ne comprends pas ce qu’il veut me dire, je ne trouve pas de sens à cette page entière recouverte d’une écriture fine.

Travaille bien et à bientôt,
Respectueusement,

Père,
Adam Smith.

Ces formules de politesse ; ce vernis doux pour cacher les moisissures. C’est répugnant. C’est dégoutant. Et ÇA n’a toujours aucun sens.

PS, de Mère : bonjour à toi Emy, j’espère que tu vas bien. Nous sommes surmenés par notre nouveau travail, ton père t’a déjà tout dit, j’ajouterais juste que je suis certaine que tu nous feras honneur. Tu t’étonnes peut-être de notre position politique, mais vois-tu, nous ne t’avons pas explicitement dit que nous avions ses idées car nous savions que ce serait difficile pour toi de devoir cacher cette opinion devant tes camarades, mais nous t’avons toujours inculqué la dignité et la connaissance qui est propre aux Sang-Purs, et tu n’as plus à te cacher. Sois fière de ce que tu es, Emily.
À très bientôt ma chérie,
Ta mère, Sasha.

La déchirure qui coupe soudain le parchemin en deux est du seul fait de mes mains, sans l’approbation de mon cerveau embrouillé. Son bruit est horrible et résonne à mes oreilles ; déchirer des feuilles est une chose que je fais rarement, mon respect pour tout ce qui est inscrit est beaucoup trop grand pour cela. Tout est flou. Chaque minuscule son me déchire les tympans ; mon cœur bat trop fort et trop vite, comme s’il voulait s’enfuir de ma poitrine. ÇA occupe tout mon esprit. ÇA me remplit d’incompréhension. Aujourd’hui, je n’ai envie de rien. Les examens arrivent bientôt, je devrais être en train de réviser, plongée dans mes parchemins. Mais ÇA me répugne, me dégoute. Je ne sais plus ce que je suis ; je ne sais plus qui je suis. Une Sang-Pur hein ? *Et si j’ai pas envie d’être une Sang-Pur ?*. Et si j’aime une fichue Née-Moldue, hein, et si j’aime une Sang-de-Bourbe ? Comme si ça suffisait pas que ce soit une et pas un, et si j’aimais une Née-Moldue, vous en diriez quoi les parents ? Parce que être peut-que c’est vrai, après tout ! Peut-être que vous me prévenez trop tard qu’ils sont dangereux ; j’avais remarqué qu’Elle était dangereuse vous savez, bien sûr que je sais qu’Abigail est dangereuse ! Dangereuse pour moi, mais ça n’a rien à voir avec son statut de Née-Moldue non ? Nath est un Né-Sorcier, il me l’avait dit ; peut-être même un Sang-Pur maintenant, et ça l’a pas empêché d’être un beau con, ou peut-être que c’est moi qui ait fait n’importe quoi ? Et Thalia est une Sang-Mêlée, non ? Il est gentil Érik, non ? Il m’aime bien, et moi aussi je l’aime bien, je crois. J’ai plus le droit de le voir ? Ça veut dire quoi tout ça ? J’ai plus le droit d’être avec Thalia ? J’ai plus le droit de regarder Aby ? J’ai plus le droit d’aller chez Ash pour les vacances, avec sa mère Non-Maj’ ? J’ai plus le droit de m’asseoir à côté de la moitié de ma classe en cours ? J’ai plus le droit de répondre à certains de mes profs ? J’ai plus le droit de revenir à Poudlard l’an prochain ? J’ai plus le droit d’écouter les profs nous expliquer le Nouveau Gouvernement ? J’ai plus le droit de penser différemment que les parents ? J’ai plus le droit d’être libre ? Et qu’est-ce qu’il dirait Père si je lui criais que j’ai participé à la défense du Château comme tous les autres élèves, et que je suis fière de mon Protego Totalum, parce que c’est un sort pour les septièmes années et que je l’ai réussi parfaitement ? Il dirait que je suis une collabo ? Une résistante ? Une rebelle ? Mais je peux pas être du côté de la rébellion alors que c’est Parkinson et ses grands préjugés la rébellion ; c’est pas Poudlard qui a renversé un Ministère ! Suffit de regarder Poudlard, c’est n’importe quoi depuis quelques jours ; entre les premières années qui chialent tout le temps parce qu’ils ne comprennent rien du tout mais qu’ils ont peur pour leur famille, les secondes et les troisièmes années qui passent leur temps à s’inquiéter et à discuter de Parkinson à tort et à travers sans rien comprendre, les quatrièmes années qui commencent à comprendre les enjeux et qui se donnent des grands airs parce qu’ils pensent pouvoir utiliser des mots compliqués pour parler du nouveau pouvoir, les cinquièmes années qui flippent à mort parce que eux ils commencent vraiment à comprendre tout ce que ÇA implique et qu’ils savent que tout le monde est en danger, les sixièmes années qui tentent de faire comme si tout allait bien pour rassurer les petits mais qui ont peur et qui commencent à réviser leurs sorts de combat dans l’ombre pour ‘au-cas-où’, les septièmes années qui font les grands en parlant déjà de se rebeller et de réviser tous les sorts de protection et de combat pour aider les adultes parce qu’ils ont le niveau, et les profs qui font comme si de rien n’était mais qui s’inquiètent dès qu’on a le dos tourné ; comme si tout le monde n’avait pas assez à faire avec ces fichus examens qui approchent !

ÇA vient tout déranger, le petit équilibre de Poudlard est bouleversé. Et si tout le monde était contre ! Ce serait bien plus simple. Mais je les vois bien, dans les couloirs, les cinquièmes années qui s’insultent parce qu’ils n’ont pas le même avis sur la question, même les deuxièmes et les troisièmes années qui crachent sur les plus petits parce qu’ils n’ont pas le même Statut du Sang qu’eux ; entre les Sang-Purs et les Nés-Sorciers qui détestent les Nés-Moldus et les autres qui traitent les Nés-Sorciers de collabos, rien n’est plus comme avant. Personne ne semblait prêter d’attention aux Statuts du Sang, avant. Soudain, les préjugés se dévoilent. Poudlard n’est plus uni ; et si ce septième année aux airs arrogants qui insulte les Sang-de-Bourbe dans les couloirs était un espion ? Il a l’âge pour ; tous les élèves ont l’âge pour, qu’ils s’en rendent compte ou non. Les petits ne l’ont pas compris, nous, si. Entre chaque cours, dans les couloirs, tous les élèves de ma classe se scrutent du regard, comme pour chercher un éventuel traitre. Comme si tout était en danger ; et c’est vrai. ÇA nous menace tous, et moi, maintenant, je dois faire partie de ÇA. Ces derniers jours, j’ai songé à Parkinson en la maudissant intérieurement. À cause d’elle, Thalia est un fantôme qui flippe pour son père et sa belle-mère et réfléchit mille fois plus qu’avant à beaucoup trop de choses ; je ne suis pas sûre qu’elle comprenne tout ce que ça implique, mais elle sait qu’il y a du danger, pour toute sa famille. Pas encore de nouvelles des Gil’Sayan ; Shaina travaillait au Ministère, et elle venait d’avoir une promotion importante, je le sais. Peut-être est-elle à Azkaban, comme certains des hauts employés de Blackwave. Ou peut-être est-elle en fuite. Godric’s Hollow n’est qu’à quelques minutes du Domaine des Sylves, et la ‘Citadelle’ de Parkinson s’y dresse désormais. Jamais je ne me suis rendue compte avec autant de précision du danger qui guette mes rares proches à Poudlard. Aby vit à Oxford, je crois, et c’est une Née-Moldue ; Thalia, son p’tit frère et Sky-le-taiseux ont leur père Moldu tout près du siège du Gouvernement, et leur nouvelle mère peut-être recherchée. Moi, je suis tranquille, et même privilégiée. *Et si j’vomissais ma Pureté du Sang, i’ diraient quoi les parents ?*. Y’en a qui restent au Château cet été, je le sais ; je pourrais en faire partie. Rester ici, loin de la famille, loin de Parkinson, loin de ÇA.

J’aimerais bien ne pas avoir reçu cette lettre. L’île qu’est devenu Poudlard devrait pouvoir me protéger de tout cela. *Dis Thalia, tu veux bien v’nir me voir ?*. Dans quelques minutes, elle se demandera pourquoi je ne suis pas dans le parc, sous notre arbre, comme ces derniers jours. Peut-être qu’elle me cherchera. Peut-être qu’elle demandera à tout le monde où je suis allée ; il est certain que quelques élèves m’ont vu monter ici. Je ne sais pas si j’ai envie de lui parler, mais je suis sûre que j’aimerais bien qu’elle vienne me trouver. M’affalant un peu plus sur le sol dur, je contemple les vestiges de la lettre déchirée. Un murmure s’échappe hors de mes lèvres *Flambios* et j’observe une première flamme lécher le papier. En voyant l’écriture de mon père disparaitre dans le brasier, je me dis que ce serait bien que ÇA puisse aussi être dévoré par les flammes. Ce serait bien plus simple.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

11 juil. 2019, 17:46
L’Hymne du Démantèlement  SOLO 
AU MÊME INSTANT
Parc

Thalia, 12 ans
2ème année


Six jours que je n’ai pas eu de nouvelles de la famille. Parfois, nous n’échangeons pas de lettres pendant un mois ou deux ; je sais qu’Arthus et Éole s’écrivent toutes les semaines, mais je continue d’ignorer les lettres de Papa. Seulement six jours ; le premier mai, Éole m’a écrit en s’étalant sur les avantages d’avoir des cheveux courts mais en disant que les gosses de l’école se moquaient d’elle parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi elle avait tout changé, alors que ça fait longtemps que les bouleversements dans la chevelure de ma petite sœur ont eu lieu. Pour la première fois depuis le début de l’année, je lui ai répondu dans l’heure. Il y a des sujets qui me touchent plus que d’autres, sans doute parce que je partage la douleur qui y est liée. Seulement six jours ; ce n’est rien. Je ne devrais pas m’inquiéter ; alors pourquoi le fais-je ? Tous ces bouleversements dans le monde de la Magie ne me concernent pas : ce sont des affaires de grands. Emily m’a dit que les Nés-Moldus étaient en danger, et je ne suis pas l’une d’entre eux, alors rien ne me concerne. Pourtant j’ai peur. Dans les couloirs, hier, j’ai entendu un cinquième année de Serpentard murmurer à un de ses amis que des employés haut placés du Ministère de Blackwave avaient été envoyé à Azkaban. Je sais que Shaina venait d’obtenir un poste assez gradé ; peut-être qu’elle en fait partie. *Faut pas*. Que Shaina soit au Domaine, à la rue, au Nouveau Gouvernement ou à Azkaban m’importe bien peu — j’ai l’impression de mentir —, mais Papa serait triste si elle était emprisonnée, je crois. Si Papa redevient triste comme après que Maman soit partie, tout s’effondrera encore plus. Alors si cette pauvre garce a eu l’audace de se faire emprisonner, je la tue quand elle revient ; elle n’a pas le droit de rendre Papa triste.

Aujourd’hui, six jours ont passé depuis que Poudlard a été attaqué. Tout semble bouleversé et je ne comprends pas. Mon monde est devenu flou et le temps s’écoule au ralenti, alors que cela ne devrait rien changé. La beauté des magies si différentes qui ont été mêlées sous mes yeux devrait me ravir et m’émerveiller, mais je m’aperçois avec désappointement que je n’en ai plus rien à faire. Plus tard, je me dirais peut-être à quel point les deux arbres sont beaux, mais pour le moment je ne remarque que leur ombre qui plane sur Poudlard comme la représentation du danger invisible qui nous guette. Oui, plus tard, je serais peut-être éblouie par tant de différences oubliées le temps d’un instant, pour former une protection surpuissante. Mais pour le moment, je ne vois que l’évidence, celle qui dit que s’il y a besoin d’une protection surpuissante, c’est qu’il y a un danger surpuissant. Un voile opaque est tombé sur le monde, et il n’a rien à voir avec mon monde à moi, mon monde bouleversé d’émotions et d’incompréhension. Cette fois, c’est le vrai monde, celui qui est si beau et si effrayant. Celui que je déteste parfois, mais dans lequel je m’abandonne à la recherche de la Connaissance. Sans ce monde, je ne suis plus vraiment moi. Et j’ai l’impression qu’il commence à s’effondrer, morceau par morceau. *T’es stupide* me lance ma conscience. Un monde ne s’effondre pas, il ne fait que changer. Comme dirait Stella, les mondes ne s’effondrent pas, ils ne font que se reconstruire. Le nouveau monde n’est ni meilleur ni pire, il n’est que différent. Propice pour certains et dangereux pour d’autres. Le nouveau monde n’est pas bon pour moi, je crois. Dans Implosions en disharmonie, Gaël Newen fait répliquer à Ambre que tout monde se basant sur l’exclusion des différences est foncièrement mauvais, car même s’il profite à certains, il dresse une barrière devant la plus puissante des armes : l’amour. Or, tout ce qui empêche l’amour est une entrave à la liberté des hommes. Je crois qu’elle a raison ; je suis d’accord avec elle. Les mondes peuvent être mauvais. Sinon, Stella et Ambre se seraient retrouvées et l’histoire ne se serait pas terminée ainsi. Sinon, des gens ne seraient pas en danger à Poudlard et partout dans le pays. Parkinson a créé un monde mauvais alors que l’ancien l’était déjà bien assez. *J’veux pas qu’ça s’finisse comme dans Implosions mais dans l’sens inverse, pas pour moi !*. La fin d’Implosions est frustrante ; peut-être est-ce pour cela que ce livre m’est si cher, qu’aucun autre bouquin n’a jamais réussi à le détrôner. Parce qu’il n’est pas vraiment achevé. Qu’il a un goût d’incomplet. Je ne veux pas que ma vie et mon monde aient un goût d’incomplet. Qu’ils ne soient qu’une histoire parmi tant d’autres. *Bien sûr qu’c’est une histoire* ricane mon esprit. Je ne veux pas, car les histoires sont écrites par quelqu’un. Dans les histoires, c’est l’auteur qui décide, les personnages ne font pas ce qu’ils veulent. Je ne suis pas un personnage parmi des milliards d’autres, je ne suis pas un minuscule morceau d’une histoire. Je ne veux pas qu’il y ait un auteur, quelque part, qui me dicte ce que je dois faire. Comme je l’ai dit à PoirreFresh : je ne veux pas qu’il y ait un Dieu quelque part, car il serait foutrement injuste et que de toute manière personne n’a le droit de me dire quoi faire ! *Si c’est ton histoire, c’est toi qui l’écris* avance de nouveau mon esprit ; quel imbécile celui-là. Ou peut-être qu’il a raison ? Mon histoire ; à moi de l’écrire. Alors ce Nouveau Gouvernement, quelle place a-t-il dans mon histoire ? *Rien-du-tout* décidé-je immédiatement. Si c’est mon histoire, c’est moi qui décide, et je ne laisse pas Parkinson tout changer dans mon histoire. C’est de la logique.

Mais la logique ne change rien au fait que je n’ai pas de nouvelles de la famille. Rien ne peut changer cela. Même Sky, hier matin, quand il m’a croisé dans les couloirs en allant je-ne-sais-où et qu’il m’a dit « Eh Thalia, j’suis pressé mais j’ai lu un truc, parait qu’Newen va sortir un nouveau bouquin — t’sais, la meuf qu’t’ado... » et qu’entrainée par un élan de frustration, j’ai répliqué « J’sais ! À plus ! ». Je ne savais pas. Mais il n’avait pas une seconde pour venir me voir, alors que tout ça ferait qu’on devrait bien parler. Le monde est bouleversé, mais Sky ne vient pas me voir. Et Newen qui va sortir un nouveau bouquin, comme si ça allait tout changer. Je suis passionnée par cette femme mais je ne la comprend pas. Louna Gaëlle Newen ; c’est un nom comme les autres, qui sonne particulièrement bien. Pourquoi le changer en Gaël Newen ? Qui souhaiterait être un garçon ? Les gens en général sont bien compliqués, mais les garçons sont incompréhensibles. Gaël est un prénom d’adolescent compliqué, je ne sais pas pourquoi, mais c’est la seule chose que j’arrive à songer. Un adolescent au plein cœur de ses hormones, comme Sky quand il oublie presque qu’il est autiste et qu’il se lâche totalement avec ses nouveaux amis. Cette pensée là me fait mal au cœur, alors je la chasse très vite. Newen est donc une femme qui s’est fait passée par un homme en prenant un nom d’adolescent au plein milieu de ses hormones alors qu’elle était une belle jeune femme de vingt ans à la sortie d’Implosions en disharmonie, et aujourd’hui elle veut sortir un bouquin au plein cœur d’un monde tout chamboulé. C’est incompréhensible. Implosions est limpide et magnifique, mais les actions de Newen sont idiotes. Peut-être vaudrait-il mieux qu’elle soit morte ; je ne peux pas critiquer les écrivains morts. Seules leurs œuvres comptent. Mais Newen, quand je la vois en photo, me fait froncer les sourcils. Rien, dans son maintien, son expression ou son regard, ne permet d’entrevoir la justesse et la puissance qui émanent de ses bouquins. Sans doute est-ce pour cela que je ne cesse de chercher à étudier sa vie ; dans l’espoir de trouver une explication à sa banalité quand je l’observe, qui a pourtant donné lieu à des livres uniques. Et je suis en train de penser à Gaël *Louna Gaëlle !* Newen au lieu de chercher Emily. Emily qui devrait être là, sous cet arbre, depuis plusieurs minutes déjà. Emily qui est toujours bien organisée et bien ponctuelle, mais qui n’est pas là. Mais j’ai questionné les quelques sixièmes années que j’ai croisé ; ils ne savent rien. Lewis, sa black, a froncé les sourcils en répliquant : « Emily ? Smith ? J’l’ai vu monter vers la tour ouest, mais j’sais pas où elle est. » Sa tête quand j’ai dit le prénom de la fille aux yeux d’orages était étrange, comme si elle n’était pas sûre de qui c’était. Sûre qu’Emy va avoir du mal à se la faire, cette fille là. Même pas au courant de son existence ? Pourtant y’a des rumeurs, j’en suis sûre ; parait qu’elle a giflé un mec devant toute sa salle commune l’année dernière, un certain Nath, qui aurait voulu la trainer dans sa chambre. Ou qui s’était mal comporté. Ou... personne sait, même quand j’ai essayé de chercher pour apprendre plus de choses sur elle. Ils disaient juste que ce Nath était son mec, et je trouve ça stupide puisque avant même que je parte à Poudlard Emily avait déjà une photo de sa black sur sa table de nuit. Mais je m’en fiche. *Faut qu’j’demande à Arthus s’il a r’çu des nouvelles, lui*. Fugace pensée. Non ! mais je suis obligée. Peut-être que lui a communiqué avec eux, et qu’il ne me l’a pas dit : on ne se dit jamais rien. Pourtant j’ai vu sa face préoccupée quand il se la jouait devant ses potes, et je suis presque sûre qu’il n’a rien reçu non plus.

Les coïncidences sont rares mais elles sont parfois profitables. Si Emily est montée dans la tour ouest, elle est soit dans sa salle co’, soit dans la volière. Je ne peux pas aller dans sa salle co’, et j’ai besoin d’aller à la volière, pour voir une nouvelle fois s’il n’y a pas un des hiboux du voisinage ou Nephtys qui se serait pointé à Poudlard, avec une éventuelle lettre des parents. Alors je monte. Toutes ces marches sont dures à gravir, j’ai l’habitude mais la torpeur dans laquelle je suis plongée devant cette absence de nouvelles m’interdit d’être agile et endurante. Mes pieds et mes jambes sont en feu et ma tête me tourne quand j’arrive enfin tout en haut. La porte de la volière se dresse devant moi. Poussant le battant d’un coup sec, j’entre et regarde tout autour de moi. Deux pensées me traversent à la vitesse de l’éclair.
*’tain, toujours pas d’Nephtys*. La chouette de Shaina n’est pas ici, son plumage blanc et sa tête noire sont faciles à repérer. La frustration me gagne, jusqu’à ce que j’aperçoive la silhouette.
*Ma belle ?!*. Emily est là, affalée par terre. Jamais je ne l’ai vu ainsi, j’en suis sûre et certaine. À ses pieds, une dernière flamme lèche un morceau de papier puis s’évanouit : un tas de cendres est déposé à terre. La certitude que c’est une lettre m’envahit et je suis prise de colère. Comment peut-elle enfin recevoir des nouvelles et les brûler au lieu d’être heureuse ? C’est une abomination. Mes yeux brillent de fureur, quelques instants. J’ai envie de la frapper, de la relever et de la secouer de toutes mes forces. Mais cette Emily là n’est pas normale, on dirait presque qu’elle va chialer. Et c’est idiot ; elle ne pleure presque jamais. Pourquoi pleurerait-elle là ? Ses parents sont sorciers, c’est certain : quand je suis allée chez elle, ils m’ont impressionnée avec leurs grandes manières, malgré la douceur de sa mère. Seule la Magie est utilisée chez eux, ils ne font presque rien d’eux-mêmes. Pourquoi seraient-ils en danger ? J’ai envie de parler, de hurler, de réclamer des explications. Mon Emily n’a pas le droit de se trainer par terre ainsi. *Et toi t’as pas l’droit d’la r’garder sans rien faire, pauv’ fille* m’assène ma conscience. Quelque chose me dit que ce n’est pas une question de droit mais de capacité.

M’accroupissant à côté d’Emy, je pose en tremblant ma main droite sur son épaule et je murmure la première chose qui me passe par l’esprit :

« Lorsque le monde semble s’écrouler, il faut se dire qu’en brisant une huitre on découvre une perle. »

La grande fronce les sourcils mais je la sens se détendre. Ses yeux tout gris brillent encore. Emplis de larmes. Elle me regarde en secouant doucement la tête.

« C’est d’Newen ? »

Sourire. Elle connait ma passion pour cette auteure, elle continue sur le sujet futile que j’ai lancé. « Ouais. » j’acquiesce en la regardant affectueusement. Toujours ma main sur son épaule, tremblante. Même avec Emily, je ne suis pas habituée aux contacts. Mais avec elle, ça vient plus facilement, toujours. Son regard se perd dans le vide et je fronce les sourcils. *Reviens avec moi*.

« J’suis pas trop d’accord. Y’a des huitres sans perles. » affirme-t-elle doucement. Sa voix est emplie d’amertume, et elle regarde encore le papier qui se consume devant nous. Enlevant ma main de son épaule, je m’adosse au mur. Je ne sais pas faire avec les gens qui sont tristes. Je ne sais que rendre les gens tristes. À cette pensée, je songe au Serpentard, Stein, et je grimace. Celui là hante mes pensées depuis bientôt un mois, sans que je n’arrive à le chasser de mon esprit. Lui et ses larmes.

« Nepthys est toujours pas v’nue m’voir. » enchainé-je pour oublier le Serpentard qui persiste pourtant à s’imposer dans mon esprit. « Mais apparemment Bella’ est passée par là, hein ? »

Annabella, la chouette effraie des Smith, aime bien me donner des coups de becs. À la mention de son nom, elle me jette un regard supérieur depuis le coin de la volière où elle se tient. Emily se décale pour lui tourner le dos, et je tire la langue à Bella’ dans un geste enfantin. Je suis sûre que c’est elle qui a apporté la lettre qu’Emy a brûlé. C’est sa faute si la belle blonde est si mal, maintenant. Mes poings se serrent et j’attends la réponse d’Emily.

« Ouais. »

Son ton est empli de colère. Et elle s’arrête là. Moi, je brûle d’envie de la secouer et de lui demander ce qui se passe, mais elle ne me dit rien et j’ai peur qu’elle m’en veuille si je la brusque. *M’en fous* songé-je, mais c’est faux et je le sais parfaitement.

« Moi j’donnerai tout pour avoir des nouvelles d’Papa et d’Éole. Même juste d’Shaina ! Même des mauvaises nouvelles ! » m’exclamé-je d’un ton triste. Ça veut dire toi t’as des nouvelles et pas moi, alors que je veux trop en avoir, alors t’as pas le droit d’être triste, dis moi ce qui se passe ! et elle le comprend parfaitement. Son air désespéré ne fait que se renforcer et je me dis que ça doit vraiment être grave. Mais je ne vois pas ce qui pourrait être grave.

« Père et Mère, » commence-t-elle et je grimace. Jamais je ne me suis habituée à la voir appeler ses parents comme ça. Mais, indifférente, elle achève « Ont décidé de devenir Manteaux Noirs. »

*Et alors ?*. Je ne comprends pas. Qu’y a-t-il de si terrible ? Ils ont un nouveau métier, c’est tout. Que faisaient-ils, avant, d’ailleurs ? Aimait-elle tant que ça leur ancienne profession ? C’est incompréhensible. Jusqu’à ce que je tique sur le mot Manteaux Noirs. *C’quoi ça ?* me demandé-je. Avant de me rappeler des mots d’un Serdaigle de quatrième année, l’autre jour. « Et y’a des mecs qui font des rondes à Pré-au-Lard, j’les ai vu depuis la tour d’astronomie ! C’est les Manteaux Noirs askip’ ! » Et je ne comprends pas. Car ça ne veut rien dire. Pourquoi les parents d’Emily seraient-ils des Manteaux Noirs ? Les Manteaux Noirs, c’est les méchants. C’est Parkinson et le Nouveau Gouvernement. Adam et Sasha Smith sont bizarres, surtout Adam parce qu’il est vraiment très froid et tout le temps occupé, mais Sasha a été super gentille avec moi quand je suis venue chez eux, et ce ne sont pas des méchants. Même s’ils vont jamais chez les Moldus et tout ça, ce ne sont pas des méchants, j’en suis sûre. Parce qu’Emy n’est pas une méchante, alors ses parents ne peuvent pas l’être.
*C’est pour ça que tu pleures ? Parce que tes parents sont des méchants mais toi tu veux pas ?*.
Finalement, peut-être que je comprends. Emily n’a pas arrêté de dire du mal de Parkinson cette semaine, et ses parents sont du côté du Nouveau Gouvernement ? C’est pas possible, bien sûr que non.

« Ils lui donnaient du Miss Parkinson, ajoute Emily en grimaçant. Puis je suis Sang-Pur maint’nant. Puis j’ai pas le droit de parler aux Nés-Moldus. »

Sang-Pur ? Et alors, ça veut dire quoi ? Pourquoi ne pas parler aux Nés-Moldus ? « Aby est une Née-Moldue, » finit-elle et je grimace à mon tour. Submergée par une vague d’émotions, je ferme les yeux. Aby. Abigail. Est-ce que je dois lui dire que son Aby ne sait même pas vraiment qui elle est ? J’en meurs d’envie. Tout mon corps me hurle de lui dire que sa black n’en a rien à faire d’elle, et qu’elle devrait l’oublier, parce qu’elle m’a moi, et que moi je m’en fous pas d’elle, moi je l’aime. Dans le noir, je me rends compte que je ressens beaucoup trop de choses et que je n’arrive pas à tout comprendre. Peur devant cette fille qui risque de me voler Emily. Colère contre la Grande qui ne fait que penser à sa black alors que moi je suis là. Rancune contre ses parents qui veulent lui empêcher d’être comme elle est, alors qu’elle n’est bien que comme ça. Amour pour cette fille devant moi, affalée par terre, même si je ne comprends pas trop pourquoi c’est moi qui la console aujourd’hui. Parce que je l’aime cette fille, c’est tellement facile à dire quand je parle d’elle, c’est tellement dur à dire quand je parle des autres. Emily je l’aime, de tout mon cœur, et je ne m’en étais jamais rendue compte. Cette fille, c’est comme ma sœur. Ma grande sœur. Celle que je n’aurais jamais. Une sœur qui m’aime. Qui est là pour m’engueuler, me crier dessus et me faire la tête, mais qui est surtout là pour m’aider, m’apprendre des choses et qui sera toujours là pour moi. *Ma belle*. Alors j’ai envie de la secouer et de lui dire que la fille qu’elle regarde tout le temps n’est pas assez bien pour elle, mais je ne vais pas le faire. Parce que je sais que ça ne marche pas comme ça, qu’elle ne veut pas l’oublier — et ça je ne le comprends pas — et que même si elle voulait l’oublier, elle en serait incapable. Les larmes me montent aux yeux alors qu’elle ne pleure toujours pas. Pourtant c’était elle qui en avait envie au départ, pas moi. C’est elle qui est triste. Mais moi je l’aime comme la grande sœur que je n’ai pas, et j’ai l’impression que sa douleur m’est plus difficile à supporter que ma propre douleur. Là, je pense à septembre et à Aelle, et je me dis que c’est faux. Ma douleur sera toujours plus difficile à supporter. Mais celle d’Emily me fait plus mal, parce que j’ai l’impression que je ne peux rien faire pour l’aider — et que du coup, c’est de ma faute.
Quand je me mets à pleurer, Emy ne dit rien. Elle me fixe comme elle m’a toujours fixé : gentiment. C’est incroyable, totalement fou. Je n’ai jamais vu autant de gentillesse dans le regard de quelqu’un. Même quand elle me crie dessus, son regard déborde de gentillesse. Pas de pitié, pas de compassion, pas de dégout, rien d’autre que de la gentillesse. Et quand je m’écroule sur elle et que je la prends dans mes bras en chialant, elle ne dit rien. Je sens juste ses bras se serrer autour de mon corps, et je tremble. Parce que je n’aime pas les contacts, parce que je n’ai jamais été dans les bras d’Emily, parce que je ne pensais pas que je pourrais aimer ça. Mais ça n’est pas un contact comme celui de Papa ou de Maman, et pas non plus un contact douloureux et plein de trop d’émotions comme celui de septembre. C’est juste une étreinte qui est là pour me secourir et pour la secourir, un partage, un discours sans mots.

« Tu s’ras toujours là pour moi pas vrai ? » Mon visage est enfoui dans son épaule et ma voix est étouffée. Tremblante. Pleine de peur, presque suppliante. Un autre jour, j’en aurais honte, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui je me rappelle toutes mes erreurs. Aujourd’hui je me rappelle Stein, Arthus, et tous les autres. Aujourd’hui je me rappelle même Aelle. Et aujourd’hui je sais que je ne veux pas faire d’erreur avec Emily. Jamais. « Parc’que moi j’serai toujours là, promis. » Je chiale mes mots entre deux pleurs, c’est étrange. L’envie me prend d’ajouter j’te l’promets sur la tête de Merlin mais je me rappelle que Merlin est déjà mort et qu’il n’a pas à se ramener dans mes histoires avec Emily.
Son étreinte se resserre. Je la sens me bercer doucement, alors que c’est moi qui devrais la consoler. Et d’une voix qui trahit ses pleurs muets, elle scelle notre promesse :

« Toujours. J’serais là. Toujours. »

Toujours, et moi je souris. Ce mot là c’est septembre, c’est la salle-de-bains, et je ne sais pas trop ce que j’en pense. Mais c’est Emily qui le dit, et c’est un accord, une promesse. Un pacte. C’est tellement plus simple de faire des pactes, avec des règles et des choses à respecter : je suis sûre de ne pas faire de faux pas. *J’serais là, moi aussi. Toujours...*.

« J’ai plus vraiment d’famille... » laisse-t-elle échapper entre deux soupirs. Alors je me dégage, je desserre notre étreinte et je la fixe droit dans les yeux. Je me rends compte que ce contact m’a coupé le souffle mais que je l’ai aimé. Tout comme j’aime cette fille, ma sœur. Ma belle. La mienne. Elle n’appartient à personne d’autre, juste à moi.

« Tu sais quoi ma belle ? M’en fous que tes parents ce soient des méchants. Parce que toi t’es une gentille, puis t’es ma gentille à moi, je la regarde droit dans les yeux en parlant. Ils te forceront à rien ! C’est pas eux qui t’interdiront de regarder qui-tu-veux dans les couloirs ! J’te l’promets ! J’te défendrais ma belle ! » Ma voix est essoufflée, enrouée par mes précédents sanglots. Nos regards sont entremêlés, le sien est plus bleu que jamais. « Et si c’est plus ta famille j’m’en fiche aussi. Parce que moi je veux bien être ta famille. Ok ? » Sa tête part un peu en arrière et elle affiche un sourire bien trop immense. Je ne comprends pas, je ne parle jamais comme ça, c’est sérieux. Il faut qu’elle comprenne, que ça me coûte d’être aussi gentille, qu’elle doit pas rire. Mais elle fait oui de la tête, les yeux embués. *Pourquoi elle parle pas ?* me demandé-je. Elle se contente de dire oui avec la tête, elle ne répond pas à ma question. Et alors je me dis que peut-être que sa gorge est un peu trop nouée pour qu’elle puisse parler, et moi aussi je me mets à sourire comme une folle.

Parce que je serais toujours là pour elle, et qu’elle m’a promis qu’elle aussi elle serait toujours là pour moi. Je me souviens de la dernière fois que j’ai promis ça à quelqu’un et qu’on m’a répondu oui, et je songe à la salle-de-bains. Mais Emily est bien différente. Maintenant, Emily, c’est ma famille.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

29 août 2019, 13:32
L’Hymne du Démantèlement  SOLO 
Image

17 MAI 2044
[ 06:52 ]
Volière, Poudlard

Thalia, 13 ans
2ème année


Haletante, je gravis la dernière marche de la tour. Il n’est que six heures vingt huit du matin — ou du moins, il était cette heure ci quand j’ai eu fini de m’habiller et que je suis sortie de la salle commune. Maintenant, il doit bien être quarante. Voir cinquante. Et en fait, je m’en fous complètement. Plantée comme je suis devant la porte de la volière, immobile, je suis en train de chercher un prétexte pour ne pas y entrer. Et ne pas avoir la déception de n’y trouver aucun hibou que je connais. Je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas eu de nouvelles plus tôt : autour de moi, tout le monde a reçu des lettres après le deux mai. Ça fait déjà quinze jours. J’ai un peu peur, même si je ne l’admets pas devant les autres.

En poussant la porte de la volière, je gueule un « Nepthys ! » si fort que je me fais mal aux oreilles. Levant les yeux vers le plafond de la pièce, je m’attends déjà à ne recevoir aucune réponse. La chouette qui bloque mon champ de vision en fondant sur moi me surprend si fort que je laisse échapper un hoquet de frayeur, dont j’ai immédiatement honte. Foudroyant le harfang des neiges du regard, je la scrute sur toutes ses coutures. *Nepthys !*. C’est bien la chouette de Shaina. « C’est pas trop tôt le hibou, t’aurais pu voler plus vite. » grondé-je et elle me rend un regard si supérieur et emplit de pitié que j’ai l’impression de l’avoir insulté. Sale petite chouette qui se croit tout permis : elle a un caractère horrible, je ne comprends pas comment ma belle-mère peut l’apprécier. Mais je me détourne d’elle en voyant le rouleau de parchemin et le paquet qu’elle tient dans ses serres. Détachant le rouleau avec précipitation, je me rends compte que je n’ai jamais autant souhaité recevoir une lettre depuis bien longtemps. Une lettre de Shaina ! Ou de Papa, ce qui revient au même.

J’arrache le ruban qui entoure le rouleau et déroule le parchemin avec tant de vigueur que j’en déchire un coin. N’y prêtant aucune attention, je commence à dévorer le contenu de la lettre.

Bonjour Thalia,

C’est Shaina. Si j’ai bien calculé, tu recevras ceci aux alentours du 17 mai, et je te souhaite donc un joyeux anniversaire. Avec tous les derniers évènements, on pourrait penser que ça n’a pas d’importance, mais je trouve important d’y prêter tout de même attention. Une année de plus.
Ne penses-tu pas que cela prouve que le temps continue à s’écouler malgré tous les bouleversements qui se sont produits dans ce monde ?


Une grimace étire mon visage, tant je trouve ce début stupide. Pourtant, il me faut quelques secondes pour comprendre que la grimace en question est un sourire. Les mots de cette femme ont fait naitre un sourire sur ma face, et je ne sais pas ce que je dois en penser. Joyeux anniversaire, écrit-elle alors qu’il y a tant d’autres choses plus importantes. Comment va Papa ? Comment va Éole ? Comment ça se passe ? Pourquoi ? Jamais mon anniversaire n’a été très important pour moi, sauf il y a deux ans ; mais ce n’était pas l’anniversaire qui m’intéressait, plutôt l’âge que j’avais et mon refus de recevoir cette lettre. Il est étrange de voir cette femme, encore une inconnue il y a un an, me souhaiter mon anniversaire comme si elle me connaissait avec toujours. Dans sa lettre, pourtant, je vois des petites choses qui pourraient sembler inintéressantes et insignifiantes mais qui ont pour moi une certaine importance. Elle se contente de m’appeler par mon prénom, elle a renoncé aux surnoms affectueux qu’elle tentait au début. Elle est gentille et avenante, mais elle ne tente pas d’en faire trop, elle sait que je n’aime pas. Elle commence à poser des questions plus intéressantes, elle voit que je ne suis pas un bébé. Malgré tout, la voir commencer sa lettre ainsi m’insupporte. Quelle importance ! Mon anniversaire est la dernière de nos préoccupations. Ce matin, je me suis réveillée dans les fauteuils de la salle commune et cette pensée m’a frappée : *J’ai treize ans, par Merlin !*. Et puis je l’ai tout de suite oublié. Parce que je n’ai encore croisé personne, même pas Emily. Alors il n’y a aucune raison pour que je m’attarde là-dessus. Je n’ai pas envie de penser que je grandis encore, toujours. Mais à la dernière phrase de l’Horreur, j’acquiesce mentalement : c’est vrai. Tout continue. Cette phrase là me fait penser à Implosions en disharmonie, sans que je ne sache vraiment pourquoi.

Je m’excuse, sincèrement, de ne pas t’avoir contactée plus tôt. J’espère que tu ne t’es pas trop inquiétée.


*Bien sûr que j’me suis inquiétée !* ragé-je. J’ai eu peur, j’ai fait des cauchemars, je me suis inquiétée. Pourquoi prend-t-elle la peine de poser la question ?

Ces derniers jours ont été extrêmement chargés, comme tu t’en doutes. De nombreux évènements ont bouleversé nos existences. Sans doute sais-tu déjà que la Citadelle de Ursula Parkinson se dresse désormais à Godric’s Hollow, et que tous les Moldus ont été chassés du village. Même si vous ne vous parlez plus, ton père m’a demandée de te dire que Tristan et Mary vont bien, et qu’ils habitent désormais un petit village non loin de leurs précédentes demeures. N’habitant pas à Godric’s même, Merlin soit loué, nous pouvons toujours habiter le Domaine.

Je juge inutile de te faire part de notre avis quant au Nouveau Régime d’Ursula Parkinson. Tu connais mon ancien métier, mon opinion là-dessus, et ton père. De justesse, j’ai échappé au funeste sort de certains de mes collègues qui se sont retrouvés à Azkaban. Même après ma promotion, je n’étais pas assez proche de Dallan Blackwave pour être envoyée là-bas, mais j’ai eu beaucoup de chance de rester en liberté.
On m’a signalé que les Manteaux Noirs censuraient les lettres arrivant et repartant à Poudlard, d’accord ? En tous cas, tu devrais relire Les Aventuriers des Cieux, de Newen. Il me semble que tu en as emporté un exemplaire à Poudlard ? Je l’ai trouvé dans la bibliothèque du Domaine, je comprends pourquoi tu aimes tant cette femme. En tous cas, le neuvième chapitre du premier tome est le plus puissant, j’aimerais faire la même chose que Nel, je me renseignerai.


Aussitôt, je fronce les sourcils. Que viennent faire Les Aventuriers des Cieux au milieu d’une lettre sur Parkinson ? Si encore elle me parlait d’Implosions, je comprendrais : je connais le bouquin par cœur. Mais cette saga là, je l’aime sans la savoir sur le bout des doigts. *T’es d’venue folle, Shaina ?*. Pourquoi me parle-t-elle donc de Newen en plein cœur d’un paragraphe sur *la censure !* m’exclamé-je soudain. Mais si, bien sûr. Je juge inutile de te faire part de notre avis quant au Nouveau Régime d’Ursula Parkinson, parce que sinon tu te fais censurer. On m’a signalé que les Manteaux Noirs censuraient les lettres arrivant et repartant à Poudlard, d’accord ?, donc je fais bien attention à la suite. J’aimerais faire la même chose que Nel, je me renseignerai, c’est un code ? Mais c’est quoi, la clé du code ? Mon exemplaire des Aventuriers est dans mon sac dans le dortoir, je ne peux pas aller le chercher maintenant. L’envie de courir dans mon dortoir est puissante, mais cette lettre m’appelle. Il faudra que je le fasse après.

Éole va bien, nous l’avons changé d’école pour l’éloigner de Godric’s Hollow, sinon Érik n’aurait pas pu l’emmener à l’école tous les matins. Pour ma part, avec le Ministère tombé, je n’ai plus de travail. J’ai refusé d’aller travailler pour le Conseil des Sorciers, j’aurais pu le faire pour tous vous protéger mais je ne préfère pas pour le moment. Je vais me renseigner pour obtenir un nouveau travail rapidement.
Je ne sais pas ce que tu entendras à Poudlard, mais ne crois pas tout ce que tes camarades diront. Il y a beaucoup de rumeurs, et beaucoup d’avis divergents. Travaille toujours comme si rien ne se passait, tes dernières notes m’ont vraiment fait plaisir ! Ton père m’a dit que tu avais toujours beaucoup travaillé et qu’il ne comprenait pas trop cette baisse de notes en fin d’année dernière, je pense pour ma part qu’elle était parfaitement justifiée. Mais je suis heureuse de voir que tu es aussi curieuse, j’ose même dire que je suis fière de toi, même si je me doute que ça t’importe bien peu. J’espère pouvoir remonter légèrement dans ton estime, Thalia. Tu sais que je m’y efforce depuis le premier jour.


*Tu r’monteras jamais dans mon estime !* hurle une première pensée. Puis, aussitôt, elle se fait contredire par une autre : *Si t’es pas d’accord avec le Conseil des Sorciers, p’t’être bien qu’t’es pas aussi nulle que ça !*. Shaina, durant les dernières vacances, a passé plusieurs après-midis à lire avec moi dans la bibliothèque des Sylves. Je sais parfaitement qu’elle avait du travail pour le Ministère, mais elle s’est libérée le temps de passer quelques heures plongée dans des bouquins en ma compagnie. Qui n’est certainement pas la plus agréable. Pas un seul instant nous n’avons parlé, mais elle respectait le silence studieux du lieu, et j’ai aimé cela. Même si j’ai beaucoup de mal à l’admettre, la rousse n’est pas si terrible que ça.
Avide de ses mots, je me replonge dans la lecture.

Nous allons devoir décider beaucoup de choses, ces prochains jours. Je t’expliquerai presque tout par hibou. Mon prochain métier, mes tentatives pour faire comme Nel, des détails à propos de ton père, et beaucoup de choses par rapport à toi. Poudlard résiste contre le Conseil, et si c’est une position dangereuse, je pense l’école capable de résister. Tu y es en sécurité. Sans doute même plus qu’à la maison. Voici donc la question qui se pose : la direction de Poudlard a déclaré que les élèves qui voulaient rester au château cet été pouvaient le faire. En feras-tu partie, ou non ? Tu peux nous faire part de ton avis, mais il ne sera pas prioritaire. Ton père et moi réfléchissons activement à ce qui est le plus sûr pour toi, Arthus, et Sky. Si tu restes, tu ne seras pas seule. À ce propos, j’ai envoyé une lettre à tes frères, tu n’as donc pas besoin de leur partager le contenu de celle ci.


Bouche bée, je reste stupéfaite devant la lettre. *Je... QUOI ?!* compris-je soudainement. Rester à Poudlard cet été, est-ce bien ça que Shaina me dit ? Une éventualité ? C’est hors de question. J’apprendrai bien des choses dans la bibliothèque de Poudlard, mais je peux tout autant découvrir de nouvelles connaissances dans la bibliothèque du Domaine. Rester cloitrée au Château est impossible. Qui restera, d’abord ? Sûrement uniquement des Autres inintéressants et ennuyants. Ça n’a aucun intérêt.
Dès que j’ai fini de penser cela, je me rends compte que ce n’est pas uniquement pour le peu d’intérêt qu’il y a à rester au Château que je ne veux pas envisager cette possibilité. Je veux revoir Éole, la jolie Éole. Je veux même revoir Papa, que ce soit pour lui sourire ou pour lui faire la tête. Même Shaina, j’ai envie de la voir. Ici, je resterais loin d’eux jusqu’à décembre prochain : c’est impossible. Beaucoup trop long.

J’espère que tout ira bien, à Poudlard comme au Domaine,
Donne nous vite de tes nouvelles,

Shaina,
Qui t’aime malgré tout ce que tu peux penser d’elle.

PS : dans le paquet, tu trouveras nos cadeaux, ma ch Thalia.


À la fin, je tressaille. Il est évident qu’elle a commencé par écrire ma chérie au lieu de mon prénom, et qu’elle a fait exprès de le raturer de manière à ce que je vois ce qu’elle avait inscrit à l’origine. C’est intolérable. Voir cette femme me donner un surnom affectueux me fait mal au ventre ; mes yeux me grattent, je crois que j’ai envie de chialer. Elle n’a pas le droit. Elle n’a pas le droit de bien m’aimer, ce serait tellement plus simple si elle me détestait.
*Cadeaux* songé-je.
Je n’avais pas pensé que j’aurais des cadeaux. Pas avec tous ces bouleversements. En dévisageant le paquet d’un œil craintif, je me demande si j’ai envie d’avoir des cadeaux. Ce n’est vraiment pas du tout le moment, avec tout ça. Mais je reconnais bien Papa là-dedans. De toute façon, il ne doit pas vraiment comprendre. Ce n’est rien qu’un Moldu, ce n’est pas son monde, même si ça me fait mal de penser cela. Même moi, je ne comprends pas tout ce qu’il se passe : comment un étranger au monde sorcier pourrait-il en saisir ne serait-ce qu’une once ? Shaina, elle, comprend bien mieux. Ne comprend-t-elle pas que ce n’est pas le moment pour des cadeaux ?

Alors que je vais me saisir du paquet, je remarque une seconde feuille, plus fine, sous le premier parchemin. Un sourire étire mes lèvres quand je reconnais une feuille de papier moldu et une écriture familière.

Coucou ma belle,

Tu me manques terriblement. Pourtant, ça ne fait pas si longtemps que nous nous sommes quittés, n‘est-ce pas ? Mais la maison est presque vide sans toi, sans vous. Avoir un peu d’agitation, de bruit et de monde au Domaine pendant les vacances m’avait fait tant de bien, et voilà que vous vous absentez une nouvelle fois. J’espère que tu te plais à Poudlard, Thalia. Je sais que tu ne voulais pas y retourner cet été, tu me l’as dit et ça m’a tant surpris. Ta première année s’était si bien passée ! Mais à Noël, je t’ai retrouvée plus enthousiaste, et ça m’a fait beaucoup de bien. Peut-être le Château te plait-il de nouveau, ou alors t’es-tu fait quelques amis ?


*Ma belle* tiqué-je immédiatement. En secouant la tête, je me rappelle à quel point les surnoms m’étaient familiers, petite. Papa et Maman m’ont toujours nommée affectueusement, même après Ça, même quand j’étais violente, même quand je ne leur parlais plus, même quand je les détestais. Gamine, je nommais rapidement les inconnus ainsi. Dès que je tissais une relation, les ma belle et les chérie me venaient aussi rapidement à la bouche que les abrutis ou les tête de Veracrasse.
Pourtant, Papa a perdu cette habitude cet été. Voir de nouveau des surnoms affectueux pour parler de moi est étrange. Une douceur amère nait au creux de mon estomac, et ses tentacules se répandent dans mes veines, le long de mon dos. Lorsqu’ils saisissent ma nuque, je comprend que cette Douceur est brûlante, qu’elle me dévore. Douloureuse Douceur. Monstre d’amertume ! Les Ailes-du-Passé m’arrachent à ma Réalité pour m’emmener vers les Plaines-de-la-Réminiscence. Suffocante, je m’échappe de cette Douceur en enfonçant mes ongles dans ma chair. Profondément, toujours plus loin dans le Blanc Cristal de ma peau. Ce Blanc terrifiant, toujours plus pâle, toujours plus squelettique. Saleté de peau ! Elle recouvre chacun de mes os, chacun de mes organes, et son insupportable Blancheur me donne envie de l’arracher morceau par morceau.
Comme si j’avais besoin que Papa me dise que je lui manquais ! Je ne veux plus de mensonges. Pas un de plus, Papa, d’accord ? Me comprends-tu, Érik Gil’Sayan, espèce de faux-père menteur, SALE PAUVRE PETIT MOLDU INSIGNIFIANT ET DÉGUEULASSE ? La Haine et la Peur m’emportent. JE. NE. VEUX. PLUS. DE. TES. MENSONGES. Rien qu’un Menteur, ignoble Menteur, voilà ce que tu es. Le Mensonge orne tout ton corps, il dégouline sur ta chair, il suinte dans ton regard. Traitre Menteur. Je ne veux plus de tes mensonges, je ne veux même plus entendre un seul de tes mots ! Comment reconnaitre le Vrai dans cette mer de Faux ? Je ne serais pas aussi fausse, aussi ignoble, aussi pitoyable, si tu ne m’avais pas entourée de ton Mensonge. Enveloppée à l’intérieur, je fais une belle petite idiote, moi aussi, n’est-ce pas ? Maintenant, moi aussi je mens comme je respire, t’es content Papa ? Dis, t’es content ? J’en veux pas de tes mensonges, j’en veux pas de tes lettres, même les mots de ta meuf, cette Horreur, sont plus agréables que les tiens. Eux ne mentent pas ! C’est de ta faute, pauvre Moldu, pauvre Moldu pauvre Moldu pauvre Moldu tout est de ta faute t’entends de TA FAUTE ! Oui, septembre c’est de ta faute, Arthus c’est de ta faute, l’École c’est de ta faute, la Peur c’est de ta faute, Ça c’est de ta faute, tout est de ta faute. Et moi, pauvre gamine, je suis censée faire comment ? Je veux me détacher de toi, je veux t’oublier, espèce d’imbécile. Arracher de ma peau tout ce qui a été effleuré par ton Mensonge d’Amour, découper mon âme jusqu’à ce que chaque principe que tu m’as insufflé, chaque mot que tu m’as adressé, chaque savoir que tu m’as appris soit expulsé de mon être. Qui sait jusqu’où tu m’as menti ? Qui sait depuis quand tu es un traitre ? Je veux t’oublier, mais tu me refuses ce droit. Tu es partie intégrante de moi, parce que tu as toujours été là, et que je suis pitoyable. Faible et pitoyable. Incapable de me défaire d’une partie de moi-même. *Pourquoi tu m’mens, espèce de traitre ?*. Il sait que je le hais, pourquoi est-il décidé à me mentir ? À faire semblant ? Ça ne sert à rien de faire semblant, à rien du tout ! Les Faux-Semblants, ça ruine mon âme, ça ruine mon cœur ! T’es pas censé faire ça, espèce de Faux-Papa ! T’es pas censé ruiner ma vie, t’es censé m’aider à grandir ! *Mais t’as pas b’soin d’son aide* vomit ma conscience. C’est si dur de mentir. *T’es Mon Traitre*. Si dur... *Le Mien*. Ouais, c’est exactement ça. *Tu m’ruines, Mon Traitre*. Aussi dur que de décoller une sangsue de sa peau ; non, plus dur, parce que je me fous royalement d’arracher une partie de ma peau. Mon âme, elle, je ne veux pas la toucher. *Tu l’sais ça ?*. Papa est une sangsue qui bouffe ma vie avec son Mensonge. *Faudrait qu’t’apprennes à m’lâcher*. Il me fait mal. *À m’lâcher, Mon Traitre*. Je l’aime. * À M’LÂCHER !*. L’aimer me fait mal. * Lâche moi, lâche moi !*. En fait, c’est moi qui me fait mal. *LÂCHE MOI !*. Pour arrêter de souffrir, il suffirait d’arrêter de l’aimer. C’est comme cette Douleur qui rode au coin de ton esprit quand tu t’es éraflé le genou : si tu n’y penses pas, tu n’as pas mal, mais tu ne cesses pas d’y penser, alors tu souffres comme pas possible. Moi, je suis incapable de cesser de penser à Papa. C’est Mon Traitre, ma Sublime Douleur, mon Imperfection Persistante.
Sa lettre dégouline de Mensonge, et la fin de cette phrase est un coup en traitre. Une preuve de sa trahison totale. Que suis-je censée répondre ? Non, je n’aime toujours pas le Château. Non, je ne me suis pas fait d’amis. Non, si je voulais retourner à Poudlard à Noël, c’était parce que je voulais voir Aelle. Traitre. Je sais qu’il ment, ça me fait mal. Je sais que je ne lui manque pas. Les mots de Shaina sont tellement plus sincères. Ça me fait plus mal que tout : que cette femme soit plus sincère que mon père.

Éole se sent bien seule sans vous, comme je te l’ai déjà dit. Je crois que tu lui manques tout particulièrement, elle ne l’a jamais vraiment admis mais elle a toujours ressenti plus d’attention envers toi qu’envers Arthus, malgré ton tempérament parfois si désagréable avec elle. Il parait que tu lui a répondu très vite ces derniers temps, j’en suis ravi. Te revoir pleine de vie serait magnifique, ma chérie.


Roi méprisant, un rictus de méchanceté se dessine sur mes traits. Il ose parler d’Éole, et de moi. Il ose critiquer mon tempérament si désagréable, alors qu’il vient de me dire qu’il m’aimait. Derrière désagréable se cachent tous ensembles violente, méchante, sans-cœur, terrible, horrible, sans-pitié, impatiente et dure, je le sais parfaitement. Que des accusations muettes. Il parait que je manque à Éole, oui. Elle me l’a dit dans ses lettres : est-ce qu’elle ment, elle aussi ? Toujours, je l’ai considéré comme trop pure pour mentir. Papa l’aurait-il contaminé ? Je ne crois pas. Peut-être que cette gamine innocente s’est bel et bien attaché à moi, sans raison apparente. *Dommage* soupire ma conscience réaliste. Sa prise de parole laisse un silence en moi quelques instants. Un vide pendant que je me demande pourquoi Diable cette enfant de Pureté s’est-elle attachée à moi. Par tous les Mages, cet attachement va l’anéantir, je le sais parfaitement. Tout comme mes Liens m’ont toujours tuée, cette enfant — ma sœur — fait la terrible erreur de s’attacher à Moi. Moi ! Quelle idiotie, quelle erreur, quelle diablerie. Moi, je suis pire que tous les Autres, elle n’aurait pas dû. Je vais la détruire sans même le vouloir, j’en suis consciente, et ça me fait terriblement mal.

Même si je ne comprends pas trop l’actualité sorcière, Shaina m’a raconté le maximum de choses. J’ai dû me remettre à cuisiner pour trois le matin et le midi, alors qu’avant elle se levait à l’aube et passait sa journée au Ministère. Quoique ces derniers jours, elle passe beaucoup de temps en dehors de la maison, pour se trouver un nouvel emploi. Je te ferais tes plats préférés quand tu rentreras, ma belle. Comme j’ai hâte de te revoir !
Et pourtant, le temps ne nous le permet peut-être pas. Ne penses-tu pas que tout serait plus simple s’il n’y avait pas cette différence entre nous ? Après ses explications, Shaina m’a dit que les élèves étaient invités à rester à Poudlard. Au vu de son projet et de ma nature, elle pense que tu risquerais d’être en danger au Domaine. Pourtant, elle m’a dit qu’elle se sentait capable de protéger les Sylves. Mais j’ai peur, ta mère aussi aurait dû pouvoir se protéger. Je ne veux pas qu’il vous arrive quelque chose, à toi et à tes frères. Nous allons en discuter, mais je pense qu’il vaut mieux que tu restes à Poudlard cet été. Je te dirai notre décision finale dans nos prochaines lettres.


*C’EST TOI !*. J’explose. Oh ! je sens mon sang bouillonner, ma peau s’arracher, mes yeux jaillir. C’est LUI ! Pas Shaina, Lui. Jusqu’au moindre de mes pores, j’étais certaine que Shaina pensait plus sûr que je reste à Poudlard, et Lui me dit que non, elle se croit capable — du Haut de sa Fierté — de tous nous protéger, mais que Lui pense que nous serons mieux au Château. Le voilà qui se révèle, enfin. *Dis just’ qu’tu veux pas d’moi, ce s’ra plus clair !*. Enfin, je sens les larmes qui me montent aux yeux. Mais avant qu’elles ne percent, la Colère se fraye un chemin en moi et les éclipse totalement. Espèce de Traitre, Mon Traitre, Moldu sans saveur, sans intérêt !
Revenir à la lecture suffocante est aussi dur que replonger au cœur d’un cauchemar terrifiant.

N’est-il pas trop dur de supporter la présence des autres ? Je ne connais pas Poudlard, mais je suis allé dans de nombreux grands établissements et je me souviens bien du bruit intense qui y régnait. À l’époque, ça ne me dérangeait pas, mais je sais que tu supportes bien mal le bruit. Un collège comme Poudlard doit renfermer nombre d’élèves ! Tu as toujours préféré rester seule, ce changement ne te dérange pas trop ?
Je sais que tu dois te dire que toutes ces questions auraient pu être posées bien plus tôt, mais ton année précédente se déroulait si bien ! Et en ce début d’année, je t’avoue que j’avais un peu peur de me voir ignoré.
Alors, pour supporter tous ces brusques changements, as-tu des amis sur qui compter ? Nous n’avons pas beaucoup parlé aux dernières vacances, je suis curieux de savoir si tu apprécies particulièrement un lieu de Poudlard ? Il parait que la Bibliothèque est immense, tu dois y passer beaucoup de ton temps. La Tour-Bibliothèque des Sylves t’a toujours passionnée. Et le parc doit être fascinant, y a-t-il des créatures magiques ? M’enverrais-tu des photos ?


Grimaçante, je décolle mon regard de la lettre. Toutes ces questions sont inattendues. Cette avalanche d’interrogations me parait presque malsaine. Voilà le mot : malsaine. Comme pour se faire pardonner quelque chose, ou pour avancer un énième mensonge paternel. *Tsss*. Je connais son jeu, maintenant. Pourtant, dans ma bouche, un étrange goût vient de se présenter : l’amertume du manque. Comme ces interrogations préoccupées m’avaient manquée ! Je ne m’étais même pas rendue compte que l’affection de Papa me manquait autant. Mais ce n’est qu’un mensonge de plus, j’en suis certaine.

À bientôt ma douce,
Bises,

Papa


Devant cette signature, je laisse échapper un reniflement pitoyable. Papa a toujours eu cette habitude : il signe d’un grand coup, avec un élan soudain. Son nom est bien plus grand que les autres mots, il tranche, il est plein de choses que je ne sais pas décrire. Il me manque. C’est terriblement dur à énoncer, car je ne veux pas l’accepter. Je l’aime, Mon Traitre. J’aime ma propre Destruction ; j’ai toujours été ainsi. C’est terrible.
Alors je porte brusquement mon poing à mes lèvres et le crispe. Mordant dans ma chair avec brutalité, je me fais mal pour oublier ces pensées dévastatrices. *Laisse moi Papa, laisse moi*. Il faut que je poursuive : sur une enveloppe rose fermée avec de la cire se dessine l’écriture d’Éole. Elle aussi s’est laissée aller à m’écrire.

Thalia,

Tu ne peux même pas imaginer à quel point ça fait du bien de t’écrire ! Je sais bien qu’on a parlé y’a pas longtemps, même que je suis vraiment vraiment contente que tu m’aies répondu aussi rapidement. Désolée, mais moi je ne suis pas capable de répliquer, quand Catrina et Kevin et les autres se moquent, eh ben j’arrive seulement à les ignorer. Jamais j’ai d’idée pour leur répondre, et puis moi je suis pas capable de les frapper pour qu’ils me laissent tranquille. La violence ça me fait trop peur, j’aime pas. Même quand Eulaly elle m’a donnée un coup de pied dans la jambe, j’ai pas réussi à lui mettre une claque comme t’as dit, j’avais même pas envie. Je voulais juste disparaitre. Heureusement que y’a Eril et Jerry, ils m’ont défendue. D’ailleurs ils sont dans la même école que moi, toujours ! Mais Catrina aussi, et ça c’est nul. Par contre Kevin il est à Londres je crois. Eux ils ne savent pas que c’est les sorciers qui les ont chassé, on leur a juste dit que l’école allait fermer. Moi je comprend pas trop toutes ces histoires de Miss Parkinson, même si Shaina m’a expliqué. Et elle a dit qu’on pouvait pas parler de tout par hibou, ça non plus j’ai pas trop compris.
En tous cas j’ai vraiment peur parce que Catrina elle s’est trouvé un petit ami qui a deux ans de plus, Ayrton, et il est vraiment très grand. Lui aussi il se moque de moi. Tu crois qu’ils vont arrêter ? Ils disent que c’est nul les teintures, et aussi que je suis moche avec les cheveux courts. Tu crois qu’ils ont raison ? J’ai très peur d’eux Thalia.


La première larme de toute ma lecture surgit quand je déchiffre la lettre d’Éole. Haletante, je cesse de lire et je ferme les yeux. Ma petite sœur me donne envie de chialer, c’est horrible. Je hais cette sensation. Pourquoi me raconte-t-elle tout ça ? Je ne veux pas être au courant. *Faut pas t’en faire, ils vont arrêter*. J’ai envie de lui dire que tout va aller bien, mais je ne suis pas sûre que ce soit vrai. Je déteste mentir. Éole parle bien trop sincèrement, elle ne sait pas taire ses problèmes, elle ne sait pas faire semblant. Comme elle est petite ! C’en est terrifiant.

Papa a dit que vous allez peut-être rester à Poudlard pour les grandes vacances mais moi je veux pas. Je veux pas, ne pas vous voir jusqu’à décembre prochain c’est beaucoup trop long. Dis lui Thalia, dis lui. Moi je veux que Sky, ‘Thus et toi, vous rentriez. Surtout toi.
Il faut pas que tu restes à Poudlard, je me sens toute seule ici. Même si j’ai mes amis ils peuvent pas venir à la maison à cause de la Magie, alors c’est trop nul.

Dis moi que tout va bien à Poudlard, d’accord ? Je veux pas avoir encore plus peur, il parait que vous résistez comme Sainte Mangouste, mais moi j’ai trop peur que si Miss Parkinson gagne tu sois en danger vu que t’es à Poudlard. Je me trompe hein ?

Tu sais, le Domaine c’est vraiment plus du tout pareil sans vous. Surtout sans toi, parce que ‘Thus il est tout le temps avec ses amis et que Sky je le connais pas encore vraiment même si je crois qu’il est pas mal sympa. Hier je suis montée dans la Tour et je me suis assise sur ton fauteuil, tu sais, celui en cuir juste devant la verrière. J’ai terminé le livre que tu m’avais conseillée, Nos six nuances de noir, de Newen, et j’ai beaucoup aimé. C’est vrai que c’est le seul pour enfant qu’elle ait écrit ? Pourtant, toi t’en as lu plein d’elle, non ?
En tous cas, j’aurais beaucoup aimé que tu sois là pour pouvoir en parler avec toi. Je ne sais plus trop quoi lire maintenant, les livres de l’école ne sont vraiment pas du tout intéressants. Du coup je me promène au hasard dans les étagères de la Tour, mais je tombe sur plein de bouquins pour adultes. Tu n’aurais pas quelques choses à me proposer, dis ?

Même si c’est un peu beaucoup égoïste, j’espère que moi aussi je te manque au moins un tout petit peu.

Tu me manques vraiment vraiment beaucoup Thalia,
Gros bisous,

Éole.

PS : j’ai mis ma lettre en dernier, juste au moment où ils ont envoyé le hibou, et j’ai dit aux parents que je voulais pas qu’ils lisent parce que c’est privé. Après ils ont peut-être eu le temps donc j’ai mis de la cire magique, si ça a été ouvert y’a une grosse brûlure sur l’enveloppe. Mais je crois que Shaina le sait, elle n’a pas dû lire. Elle est cool, Shaina, même si j’aime pas trop qu’elle soit à la place de Maman. Donc je pense pas que Papa et Shaina ont lu mais dis moi si y’a une brûlure, ça veut peut-être dire que Shaina a raison quand elle dit que les gens en noir de Miss Parkinson ils ouvrent nos lettres. D’accord ?

PPS : mon cadeau c’est moi qui l’ait fait, juste pour toi ! Parce que je voulais t’offrir le nouveau livre de Newen normalement, mais il est pas encore sorti. Ce sera le 15 juin normalement. On te l’enverra.


Douceur. Je n’arrive pas à retenir d’autre mot de cette lecture. Une douceur infinie. Elle me fait flipper. C’est beaucoup trop sincère, beaucoup trop vrai. Et elle attend une réponse tout aussi sincère, alors que je suis incapable de lui en fournir une.
Je grimace en lisant son PS, parce que je ne suis pas sûre d’apprécier ce qu’elle dit sur l’Horreur. Et parce que sur l’enveloppe rose, il y a une grande brûlure rougeâtre, à laquelle je n’avais même pas fait attention. Je porte le papier près de mon visage et je grimace ; l’odeur est âcre et répugnante. C’est cramé, et c’est récent. Nephtys n’aurait pas volé assez vite du Domaine jusqu’ici pour que l’odeur se sente à ce point, et d’ailleurs elle a les plumes toutes ébouriffées, maintenant que je regarde vraiment. Son aile gauche est même tordue, et je fronce les sourcils parce que même si je n’aime pas le harfang des neiges, les animaux sont bien mieux que les Autres. Tellement plus faciles à comprendre, et tellement moins destructeurs ! Les Manteaux Noirs de Parkinson n’ont pas à abimer les hiboux. Tout à l’heure, j’emmènerai Nephtys à l’infirmerie, parce que je ne suis pas sûre qu’une attelle marche sur les hiboux et que je ne connais aucun autre sort que Ferula pour soigner ; Episkey est pour les plus grands.
Essoufflée et énervée, je reporte mon attention sur le gros paquet. En l’attrapant, je le soupèse ; il est assez lourd, Nephtys a dû avoir du mal pour voler jusqu’ici, surtout avec son aile. Fronçant le nez, je me demande si j’ai vraiment envie de l’ouvrir. Là-dedans, il y a un cadeau de l’Horreur et de Mon-Suprême-Traitre-Papa. Mais aussi un cadeau d’Éole. *Par Dumbledore !*. Je grimace puis je commence à ouvrir la boite — juste pour savoir ce que la douce Éole a pu me trouver. Le reste m’importe bien peu.

Comme je pouvais m’y attendre, il y a là-dedans trois paquets. Celui tout enveloppé d’un papier cadeau fait maison n’a pas besoin de signature pour que je sache qu’il vient d’Éole. Sans doute a-t-elle pris une simple feuille de papier moldu qu’elle a colorié pour obtenir ce résultat ; des têtes de créatures magiques diverses — je reconnais un sombral, un calmar et un oiseau-tonnerre — ornent ce paquet. Seule ma sœur peut avoir eu une telle idée. Laissant échapper un doux sourire involontaire, je renifle un peu et attrape un premier paquet.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

29 août 2019, 14:13
L’Hymne du Démantèlement  SOLO 
J’attrape un paquet enveloppé dans un papier noir, tout simple, signé d’une petite étiquette indiquant de la part de Shaina. Déchirant doucement le papier, je découvre un épais ouvrage relié, à la couverture ancienne et aux pages à moitié détachées par le temps. Les yeux écarquillés, un sourire aux lèvres, je passe le doigt sur la tranche du bouquin et y découvre le titre, inscrit en grandes lettres d’or : Recueil des pratiques et rituels magiques uniques dans le monde, d’un auteur au nom aux trois quarts effacé. L’ouvrant précipitamment, je tombe sur le sommaire indiquant différents noms de rituels, de sites magiques, de sacrifices et de catalyseurs de pouvoir. Mes pupilles brillent et mon sourire grandit ; Shaina sait ce que j’aime. Une petite note s’échappe d’entre deux pages et je la saisis :

Joyeux anniversaire, en espérant que tu trouveras là différents savoirs sur les magies du monde. Cet exemplaire est un des rares existants, il vient de la grande bibliothèque du manoir de mon enfance, je l’avais emporté en partant. J’espère qu’il te plaira, puisses-tu découvrir des possibles qui te sont encore inconnus.

S.


Je replace précautionneusement la note dans le livre, le pose sur une table dans un coin de la volière. Le visage toujours fendu d’un grand sourire à l’idée de découvrir de nouvelles connaissances, je me dis que Shaina est peut-être une des rares pouvant comprendre ma passion de la Recherche. En attrapant le paquet de Papa, une boite en carton, je plisse les yeux. L’Horreur-pas-si-horrible a fait un effort suprême et a sut me ravir par son cadeau ; Papa ne pourra pas faire la même chose, j’en suis certaine. Comment pourrait-il ? J’ôte le couvercle, prête à être déçue — pas par le cadeau mais par mon père.

Un cadre en bois s’échappe de l’enveloppe. Je le saisis et découvre un cadre photo — et une photo. Une foutue photo magique, représentant Maman qui rie aux éclats, et moi dans ses bras. Moi ? Je ne me reconnais que parce que j’ai déjà vu des photos de moi petite, et parce que mon regard n’a jamais changé ; la gamine de trois ans sur la photo affiche un grand sourire et fait un clin d’œil à la caméra. Ma bouche reste grande ouverte devant la note que Papa a écrit à l’arrière :

Je l’ai retrouvé en fouillant dans le grenier. C’est fou comme tu as changé en dix ans. Je t’offre ceci dans l’espoir que tu captures des instants magiques de Poudlard, et que tu immortalises d’autres moments comme celui-ci. Ta mère aurait voulu qu’il te revienne.

Papa.


Je ne comprends pas. Mes sourcils se froncent, jusqu’à ce que je plonge de nouveau la main dans la boite pour en sortir une housse noire. Bouche ouverte, j’attrape l’ancien appareil photo de Maman, un vieux appareil sorcier, et je l’examine sous toutes ses coutures. Je l’avais presque oublié, presque. Maman passait des journées à nous prendre en photo. Je ne suis pas sûre de savoir que penser de ce cadeau. Glissant la sangle autour de mon cou, je le laisse pendre en reportant mon attention sur le paquet d’Éole. Je déchire soigneusement le papier pour découvrir son présent.

« Merlin ! » dégueulé-je soudainement. *Mince alors* assène ma conscience. Qu’est-ce qui lui a pris ? Pourquoi ? *C’est magnifique !*. Je ne peux pas empêcher cette dernière pensée de m’envahir, car elle est parfaitement juste. Le cadeau d’Éole est magnifique.
Sous le papier aux têtes de créatures magiques, un carnet en cuir se dessine. Il fait la taille de mon Carnet, mais il est plus épais, j’en suis certaine. De ce que je vois, l’intérieur est composé de papier moldu épais et blanc. Le dos est relié et laisse voir les feuillets. Une émeraude est incrustée dans la couverture. Une émeraude. *Mon émeraude !* ragé-je. Oui, c’est la mienne, celle que Maman m’avait offert. Elle est magnifique, je l’avais laissé à ma tête de lit, dans ma chambre. Éole est rentrée dans ma chambre. Pire que l’émeraude, il y a ce petit post-it moldu tout jaune qui crie, collé sur la couverture :

J’espère que tu ne m’en veux pas trop d’être entrée dans ta chambre. J’ai touché à rien d’autre, promis. J’ai fait le carnet moi-même, Papa a un ami qui est relieur, il m’a appris.

Peut-être que ce sera ton prochain Carnet ? Je crois que le tien est bientôt fini.

Éole.


*Oui, peut-être que ce sera mon prochain Carnet*. Celui actuel ne possède plus que trois ou quatre pages blanches, et le finir prématurément ne me dérange pas. Je m’en veux de ces pensées, car Éole est entrée dans mon intimité et qu’elle a pris le droit de prendre mon émeraude. Mais elle en a fait quelque chose de magnifique, c’est indéniable. J’attrape doucement le carnet et caresse le cuir. L’ouvrant, je découvre qu’il comporte encore plus de pages que je ne pensais. Et c’est Éo’ qui a fait tout ça. Un grand sourire aux lèvres, je porte le carnet à mon cœur et le serre un instant. *T’es vraiment stupide*. Je le repose et glisse toutes mes affaires dans mon sac à dos.

En dégringolant les escaliers, je n’ai pas honte de mon sourire, car j’ai enfin reçu des nouvelles de ma famille — et qu’ils vont bien.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]