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09 août 2019, 16:56
Le monde est étranger  Solo 
3 mai 2044 — 8 heures
Volière — Poudlard
3ème année


La nuit a été mauvaise.
Mon état détaché d’hier s’est évaporé lorsque j’ai invoqué Zikomo. Le Mngwi m’a écouté lui raconter ce qu’il s’était déroulé avec de grands yeux. Il est resté silencieux, mais j’ai bien vu à sa façon de baisser les oreilles que ce n’était pas un événement mineur. Ce qu’il s’est passé est grave. Il me l’a dit lorsqu’il a su que tous les directeurs des autres écoles de magie s’étaient pointés. Apparemment, c’est un fait unique. Et important. Mais je m’en fous des directeurs des écoles de magie, moi. Ce que je veux savoir, c’est ce que signifie tout ça.
Il m’a expliqué ce qu’était un coup d’état.
Il m’a dit que les temps futurs seraient sombres. Je déteste lorsqu’il parle ainsi. Je ne comprends jamais rien. Il ne m’a rien dit d’autre car il ne sait rien d’autre. Mais quand je lui ai soufflé que Maman n’était peut-être pas tant en sécurité que ça il m’a dit de faire confiance aux adultes.

*Faire confiance… Complètement idiot…*, songé-je, agacée malgré moi, en regardant Aodren rédiger la lettre pour nos parents.

Nous nous sommes retrouvés tôt ce matin après un passage éclair dans la Grande Salle. L’ambiance y était misérable. La salle était vide, silencieuse, pleine de pleurs et de cris. La peur était palpable dans les couloirs, mais pas la peur qui fige. Non, celle qui fait parler, qui oblige les gens à se rapprocher. Je l’aime moins que les autres, celle-là. 
Aodren n’a pas parlé, lui. Il est resté silencieux jusqu’au moment où il a bien fallu décider de ce qu’on dirait à Papa et Maman.

« On écrit quoi ? » qu’il a demandé avec sa voix terriblement éteinte.

J’ai attendu qu’il mette un peu plus de vie dans ses actions, j’ai attendu qu’il prenne d’office la plume qui traînait sur le sol devant nos corps assis et qu’il prenne les décisions. J’ai attendu qu’il me dise de me bouger, de parler, de ne pas faire ma gamine. J’ai attendu, mais il n’a rien dit du tout. Il n’a même pas levé la tête. Mais même ainsi, je pouvais encore voir les cernes dégueulasses qui lui bouffent le visage.

« On d’mande si ça va, ai-je dit à voix basse, car imaginer qu’ils n’allaient pas bien était tout simplement horrible pour que je dise ces mots d’une autre manière. Comment… Comment ça s’passe pour eux… »

« Ok, a murmuré mon frère en attrapant — enfin — la plume. Et on dit qu’on va bien. »

Puis il a commencé à rédiger la lettre et n’a plus ajouté un seul mot.

Je regarde par dessus son épaule pour m’impliquer, mais cette lettre n’a pas grande importance. Elle n’apaise pas mon coeur effrayé, elle n’éloigne pas l’ombre de la crainte. Vif mettra des jours à arriver jusqu’au Worcestershire ; la réponse sera plus longue encore à arriver. A moins que Papa et Maman ne nous aient envoyé une lettre, mais même cela ne changera rien à ce que je ressens.
Qu’est-ce que sont des mots face à l’étendu de mon ignorance ?
Qu’est-ce qu’est un courrier face à l’angoisse sourde qui prend mon coeur en tenaille ?
Je ne sais même pas pourquoi j’ai peur. C’est à cause des Autres. Les Autres sont complètement paniqués. Hier soir dans la Salle Commune c’était l’effervescence. Tout le monde croyait mieux savoir que son voisin. Pagowk *ce sale scroutt* a même paniqué en affirmant que c’était certain que son père — qui travaille au Ministère — était mort ; je sais qu’il ne rigolait pas puisqu’il pleurait : ses larmes sont pires que ses cris, je crois. Il y avait des paniqués, des racontars, des fiers qui arguaient qu’enfin on fait quelque chose contre la racaille moldue.
Et il y avait moi qui peinait à croire que le danger était bien réel.

13 août 2019, 16:54
Le monde est étranger  Solo 
Je peine toujours à le croire.
Mais les faits sont là : le Ministère est tombé, Sainte-Mangouste s’est barricadée, Poudlard se terre. Et de ce que j’en sais les personnes bien intentionnée *les gentils* n’obligent pas les gens à se cacher. Au contraire. Et les noms Parkinson et Beurk n’ont jamais été synonymes de feux de joie par le passé ; même si seuls les actes présents comptent, je ne peux pas croire que la prise soudaine et brutale du pouvoir par une femme portant ces deux noms soit une bonne chose. Même si je n’en suis pas sûre.

« J’leur ai dit qu’on allait bien et qu’on était en sécurité… »

Je me détourne du morceau de ciel que j'aperçois par les fenêtres sans vitre et regarde Aodren qui enfin a levé son regard sur moi. Je frémis en rencontrant ses prunelles tristes.

« Ok, » murmuré-je.

Je ne doute pas de la sécurité du château. Je n’ai pas peur de ça. Nous sommes bien trop défendu pour cela et j’ai une trop grande confiance en la magie pour la penser incapable de nous protéger — surtout lorsque tant de mages se sont liés pour nous offrir cette protection.

« Et pour eux ? continué-je d’une voix hésitante, tu leur a d’mandé s'ils allaient bien ? » Je baisse les yeux. « Et... pour les garçons ? » rajouté-je du bout des lèvres.

Que pense Narym de tout cela, lui qui vit davantage comme un moldu que comme un sorcier ?
Et Natanaël qui a toujours peur du danger ?
Et Zakary qui est bien trop hermétique ?
Et Aodren qui sourit toujours ?
Ce dernier est juste en face de moi et pourtant je ne sais rien de lui. Je sais juste qu’il affiche une tronche horrible depuis hier, avant même qu'on apprenne que le Ministère était tombé. Son regard vert se dérobe d’ailleurs à mon analyse curieuse. Il se triture les manches, la missive oubliée. A-t-il saisit mes pensées ?

« J’ai d’mandé c’qui allait s’passer et s’ils étaient pas en danger. J’ai… J’ai demandé si Maman n’allait p-pas avoir de problème avec l’hosto’... Et pareil pour Zak’ et les autres. »

Je fronce les sourcils. Depuis quand est-il si détaché ? Normalement, il aurait pleuré, il ne se serait pas contenté d’afficher cet air perdu. Il aurait écrit un mètre de parchemin pour poser toutes ses questions, pour savoir en détail comment chacun allait ; pas ces quelques lignes rédigées à la va-vite.

« Y s’est passé quoi, Aodren ? »

La question m’a échappé, mais je ne la regrette pas. Je ne me détourne pas quand le garçon lève de grands yeux vers moi.

« Rien du tout, » lâche-t-il. Lui-même se rend compte de son manque de sincérité fragrant. Il ajoute : « C’est cette… histoire qui m’travaille, c’est tout. »

Il me prend pour une idiote.

« ‘Me prend pas pour une conne. »

Regard noir de sa part.
Regard noir de la mienne.

« C’est rien, » qu’il insiste. Puis : « Je vais envoyer la lettre. »

Il se lève, plie le parchemin, regarde autour de lui.
Il me fuit. Il ne veut rien me dire. Personne ne veut rien me dire, même ses potes ne m’ont rien dit. Je me lève à mon tour et me place devant lui : « Je veux savoir. »

Il souffle, baisse les yeux sur moi. D’ici, ses cernes paraissent plus grandes encore. Sa colère est palpable, mais à mon plus grand étonnement elle disparaît pour laisser place à un petit sourire. Sourire qui en a seulement le nom : cette grimace désespérée ne ressemble à rien et elle me tord le coeur — en plus de m’agacer.

« Je veux pas en parler, » murmure-t-il. C’est la chose la plus sincère qu’il m’ait dite depuis hier.

Je le laisse me contourner et s’approcher de Vif, son hibou. Il accroche la lettre à sa patte.
Je décide instantanément de ne pas insister — j’irais directement voir Jace pour savoir. Il me dira tout, c’est certain. Sinon, j’irais voir le veracrasse d’Ao, sa petite-amie. Peut-être. Cette seule idée me fait grimacer.

19 août 2019, 10:25
Le monde est étranger  Solo 
D’un coup d’ailes, Vif prend son envol et s’enfuit par l’une des fenêtres. Je le regarde s’éloigner et disparaître dans l’horizon écossaise. Le monde fait n’importe quoi, mais certaines choses sont éternelles. Comme le ciel qui reste bleu et les hiboux qui restent des hiboux.

Nous repartons sans un mot, rejoignant les couloirs de Poudlard et ses pierres chargées de crainte. L’ambiance est lourde, ici. Elle est irrespirable. Je marche lentement à côté d’Aodren qui garde le silence. Et moi qui aurait aimé le voir parler, il fait toujours le contraire de ce que je souhaite. Je reste donc seule dans ma tête, à ressasser ses paroles, celles qui ont été échangées dans la Grande Salle hier et les mots qui se voulaient rassurant de Zik. Je ressasse tout cela sans savoir qu’en faire, qu’en penser.

Lorsqu’Aodren s’arrête soudainement, je m’éloigne de quelques mètres avant de remarquer qu’il ne me suit pas. Je me retourne et tombe dans son regard froncé. Ses yeux ne parlent pas de colère, ni de peur — seulement un gouffre infini qui me fait flipper. *Qu’est-c’que t’as, Ao ?* m’inquiété-je soudainement. Mais personne ne veut jamais répondre à mes questions.

« Ça va pour toi ? » demande mon frère.

S’il croit qu’avec sa voix détachée et sa fausse inquiétude je vais oublier le sujet de son désarrois, il peut se mettre le doigt dans l’oeil.

« Oui, oui, » maugréé-je néanmoins, effrayée de voir que sa question fait naître en moi une boule d’angoisse.

« T’es sûre ? »

Non.
Je ne comprends pas.
Je ne sais pas.
Je veux que l’on soit tous comme avant, que les Autres me regardent bizarrement, que tu m’oublies pour passer du temps avec d’autres, avant que tu aies cette tronche, avant que le monde devienne complètement dingue. Je veux que Zikomo joue avec moi, que mes études soient ma première inquiétude, que Chu-Jung ne soit jamais venu au château.

« Oui, j’te dis ! »

Ma gorge se serre. Encore une question et je lui balance tout. C’est une certitude. Une mélasse de mots grimpe déjà le long de ma gorge. Mais la question ne vient pas. Comme avant les vacances de Noël, comme trop souvent ; Aodren n’insiste pas.

« Ok… J’vais par là, moi… » dit-il en désignant les escaliers qui le mèneront à sa Salle Commune.

Cette fois, je ne suis pas en colère. Je suis juste triste.

« A plus tard, » je m’entends dire en le regardant partir.

Je voudrais seulement comprendre. Je voudrais seulement ne pas avoir peur. Seulement ne pas avoir cette impression persistante que le monde est en train de dégringoler.

Je rentre lentement à la Salle Commune. J’évite de croiser le regard des Autres. Je ne veux pas de leur angoisse, j’en ai assez de la mienne. En pénétrant dans le petit salon, je songe qu’il me faudrait faire des recherches sur les Parkinson et les Beurk.
A peine ai-je eu le temps de formuler cette pensée qu’une ombre s’abat sur moi.

Un instant plus tard, je me retrouve à suivre Varma dans le dédale des couloirs. Parait-il qu’Issa Sidiki, le directeur d’Uagadou, veut me voir. Sur le chemin, la perspective (et la fierté) de le rencontrer annihile presque toutes mes peurs.