Adulith entra dans la Volière en courant et s’approcha d'un des hiboux, elle s'agenouilla à même le sol, sortit une plume de son sac, la trempa dans de l'encre et retourna la lettre qu'elle tenait serrée dans sa main. Elle s'arrêta alors, la plume en suspend, et regarda l'encre goutter et tâcher le papier d'un air absent.

Que dire ? Lorsqu'elle avait reçu la lettre, son premier réflexe avait été de courir à la Volière pour répondre, partager avec ses parents le chagrin qui l'avait envahie. Mais maintenant qu'elle était là, elle se sentait bête. A quoi est-ce qu'elle pensait ? Qu'est-ce qu'on pouvait répondre à ce genre de lettre ? Et puis, même si elle trouvait des choses à dire, elle n'aurait pas de réponse, ses parents n'étaient pas là, elle ne les entendrait pas. Elle regretta d'avoir quitté la Grande Salle précipitamment mais ne savait pas où aller. La Salle Commune serait trop remplie, même dans le dortoir il y aurait trop de monde. Elle avait besoin d'être seule. Elle laissa la plume et la lettre par terre et se redressa, fit quelques pas en direction de la sortie, puis se ravisa et se posta devant la fenêtre, un hibou s'approcha d'elle, compatissant, mais elle n'y prêta pas attention.

Que pouvait ressentir Alvy ? Comment avait-elle réagi en apprenant la mort de sa mère ? Elle tenta d'imaginer sa meilleure amie et sa famille en deuil, l'image lui fit un effet bizarre. Elle se sentait perdue et ne savait pas quoi faire. Elle finit par s'asseoir par terre et resta là, à observer les hiboux qui continuaient à vivre leur vie comme si de rien n'était. Elle n'avait qu'à attendre que ça passe, elle finirait bien par avoir une idée. Pour le moment elle ne connaissait pas la marche à suivre.

Elle ne l'avait pas entendu approcher et ce n'est que quand elle sentit une présence à ses côtés qu'elle tourna la tête et vit Alexei. Il avait un air interrogateur et ne semblait pas très à l'aise, mais elle ne s'en aperçut pas et ne répondit pas immédiatement à la question qu'elle n'avait de toute façon pas entendue. Quelques secondes passèrent et il était toujours là. Il lui vint alors à l'esprit qu'il lui avait peut-être adressé la parole et prit conscience qu'elle était assise là depuis plusieurs minutes, à même le sol, ce qui avait dû l'inquiéter.

A cette pensée, Adulith voulut rassurer le garçon, mais elle ne savait pas par quoi commencer. Elle pouvait dire qu'elle allait bien, mais on ne reste pas assis sans bouger seule dans la Volière quand on va bien et il devait le savoir. Elle connaissait un peu Alexei et elle savait qu'elle pouvait lui parler honnêtement, mais elle ignorait comment exprimer ce qui s'était passé, à la fois les événements et ses sentiments.

Elle regarda un instant Alexei, puis se détourna et fixa un point devant elle, comme pour rassembler ses idées, mais alors que les pensées s'entrechoquaient dans sa tête, elle finit par lâcher :
"La mère de ma meilleure amie est morte."
Voilà, elle aurait pu enrober un peu mais seuls les faits sortirent, il n'y avait pas d'autres manières de le dire. Prononcer cette phrase à voix haute sembla amener dans le réel des faits qui, jusqu'à présent, étaient flous, inimaginables. Mais voilà, c'était bien ça, Sara était morte. C'est à cet instant qu'elle se rendit compte de ses larmes.

Adulith accepta avec reconnaissance le mouchoir qu'Alexei lui tendait et tenta d'arrêter ses larmes en essuyant ses yeux. Elle s'en voulait de ne pas se montrer plus forte, et ne pouvait imaginer ce qu'Alvy devait ressentir. De plus, si elle trouvait la présence d'Alexei réconfortante, elle était en même temps gênée de l'impliquer ainsi dans ses problèmes et craignait que le garçon se soit senti obligé de rester par pitié. Elle ne voyait pas trop ce qu'il pouvait faire pour l'aider, et puis en y pensant, ce n'était pas vraiment elle qui avait besoin d'aide, c'était la famille d'Alvy. Et elle, elle était là à pleurer. La culpabilité vint alors s'ajouter à toutes les émotions qui tourbillonnaient déjà en elle et elle serra son mouchoir dans son poing fermé en inspirant un grand coup pour reprendre ses esprits.

Il fallait qu'elle se calme et qu'elle réfléchisse, après tout, ça elle savait faire. Mais c'était trop dur, elle n'avait jamais été préparée à ces sentiments (fort heureusement), et avait grandi dans un cocon protégé où les événements tristes ne semblent jamais pénétrer. Ou en tout cas elle était trop jeune pour avoir été marquée par eux, son grand-père était mort avant sa naissance, et il y avait bien sa tante, la sœur de son père, qui était décédée assez jeune, mais elle ne l'avait pas connue non plus...

Une pensée alors lui traversa l'esprit : qu'est-ce qu'elle allait dire à Alvy ? Est-ce qu'elle pouvait lui écrire ? Mais pour lui dire quoi ? Elle se tourna alors vers Alexei, peut-être qu'il aurait les réponses lui... : "Qu'est-ce que je vais dire à Alvy ?" En prononçant ces mots elle se sentit un peu bête de lui poser la question ainsi,en plus il ne connaissait même pas Alvy, elle aurait dû lui dire qu'elle n'avait pas besoin d'aide pour qu'il puisse partir, elle ajouta donc : "Ça va aller tu sais, tu n'es pas obligé de rester... Je peux me débrouiller toute seule."

Même si Alexei était visiblement surpris par sa question, il essaya quand même de lui répondre, et Adulith lui en fut reconnaissante. Surtout, il lui assura que cela ne le dérangeait pas de rester avec elle, et au soulagement qu'elle ressentit, Adulith comprit que finalement elle n'avait pas envie de rester toute seule. La présence d'Alexei était réconfortante, même si elle ne savait pas vraiment quoi lui dire. Les idées continuaient de s'entrechoquer dans sa tête.

Elle réfléchit à la proposition de son camarade. Oui, cette réponse était la plus simple mais peut-être la plus efficace. Pourtant elle lui semblait justement trop simple. Comment un tel message pourrait-il réconforter son amie ? Peut-être qu'en effet savoir qu'elle pense à elle lui ferait déjà du bien. Elle essaya d'imaginer Alvy en train de lire sa lettre. Elle n'y arriva pas. La fille qu'elle connaissait ne vivait jamais de drame, ne pleurait jamais et rien ne pouvait l'atteindre. Elle n'aimait pas les sensibleries, elle était tout sauf sentimentale. Et les mots qui venaient à l'esprit d'Adulith étaient soit trop plats, soit trop sentimentaux. Elle n'arrivait pas à les faire coller avec l'image qu'elle avait de son amie.

Elle craignait aussi qu'Alvy lui reproche encore plus amèrement son absence si elle la lui faisait remarquer. Déjà ces derniers temps elles avaient eu du mal à garder leur amitié intacte, depuis qu'Adulith était partie à Poudlard, elles s'étaient éloignées. Mais maintenant ce serait sûrement pire. Comment Alvy pourrait-elle lui pardonner d'avoir été absente lorsque le pire était arrivée pour elle ? Et elle la voyait bien la regarder d'un air moqueur et cynique et lui dire "Tu vois, ta magie elle sert à rien, elle peut sauver personne"... Elle ne pourrait pas le supporter.

Elle aurait aimé partager tout cela avec Alexei mais il aurait fallu qu'elle lui explique la relation qu'elle entretenait avec son amie, et les sentiments qui en découlaient. Mais elle n'avait pas le courage de tout expliquer sur le moment et elle n'était pas certaine que le garçon ait envie qu'elle lui raconte sa vie. Elle résuma donc sa pensée sommairement, consciente qu'elle ne serait sûrement pas très claire pour Alexei, qui ne la connaissait pas encore très bien :
"Ton idée de lettre est bien mais ça me semble tellement... simple, insuffisant. Je sais que dans tous les cas je ne peux rien faire pour arranger les choses, du coup ça me semble inutile d'écrire... J'arrive pas à imaginer Alvy triste. Et elle va m'en vouloir de pas être là. Elle m'en veut déjà". Elle ajouta cependant, pour s'expliquer : "Alvy c'est une cracmolle, elle a mal vécu que je vienne à Poudlard. Elle m'en veut de l'avoir laissée. Et là je la laisse encore. Je peux rien écrire pour changer tout ça."

En l'écoutant, Adulith savait qu'il avait raison. Finalement, heureusement qu'il était là, il faisait preuve du bon sens qui lui manquait à présent. Elle replia ses genoux contre elle, les enserra de ses bras. Il fallait qu'elle lui écrive. Maintenant que la résolution était prise, elle n'avait plus qu'à trouver les mots. Mais ils finiraient bien par venir d'eux-mêmes. Du moins, elle l'espérait. Au moins elle savait ce qu'elle devait faire.

"Tu as raison. Je vais lui écrire." Elle se tourna vers Alexei avec un léger sourire malgré ses larmes "C'est gentil d'être resté, je suis contente que tu sois là. Je n'ai jamais vécu ce genre de situation, je pense que si tu n'étais pas venu je serai restée là encore longtemps..." Elle se tut un instant, suivant du regard un hibou qui devait sûrement rentrer de porter un message. Elle se demanda quelle nouvelle il avait portée, une bonne nouvelle ? Une triste annonce ?

Ses pensées se reportèrent sur Alexei, elle se demanda s'il avait déjà vécu une situation comme la sienne, ou comme celle d'Alvy. Elle ne savait pas grand-chose du garçon, elle hésita à lui poser la question c'était sûrement un peu trop personnel. D'un autre côté il n'était pas obligé de lui répondre. Elle tourna un instant les mots dans sa tête mais ne trouva pas de manière de formuler sa pensée autrement donc elle lui demanda timidement : "Tu as déjà heu... perdu quelqu'un toi ?" Elle reporta à nouveau son regard sur lui en espérant qu'il ne la trouve pas trop indiscrète.