Ces derniers temps, la plupart des étudiants de deuxième année ressortait avec le sourire - la faute à leur leçon du moment : le sortilège d'Allégresse. Même si Elian n'en avait reçu aucun durant l'entraînement du jour, on aurait pourtant dit qu'il avait été pris pour cible pendant au moins plusieurs mois d'affilés. Sa bonne humeur était devenue presque invasive pour certains de ses camarades, mais comment garder son calme lorsque l'on sortait avec Solal Rosenberg ? Hélas, non seulement les cours devenaient encore bien moins intéressants dès qu'ils se retrouvaient tous les deux dans la même salle de classe, mais Elian commençait à négliger les amitiés qui s'étaient créées en deux ans au château de Poudlard et, pour finir, s'il ne ressentait plus le besoin de tout raconter à son père, l'ombre de ce dernier continuait tout de même de planer au-dessus du tableau presque idyllique. Bien entendu, le jeune sorcier ne pouvait pas voir tout cela tant il tirait de son lien unique avec Solal des bienfaits qu'il n'avait encore jamais connus car, en vérité, Elian se découvrait aux côtés du garçon, comme s'il avait retrouvé une partie de lui-même qui disparaissait dès qu'il revenait vivre auprès de son père... Le départ pour les vacances de Pâques, fixé au lendemain, était arrivé bien trop vite.

Depuis qu'ils s'étaient avoués leurs sentiments l'un à l'autre, Elian n'avait cessé de voir Solal comme son prince charmant venu le sauver d'un terrible dragon - son père. A ses yeux il n'était plus seulement ce petit sorcier un peu dissimulé avec qui il pouvait plaisanter, inventer et trouver une épaule confidente. A présent leur harmonie résonnait en lui comme ces vérités que l'on ne peut jamais briser, c'était une stabilité agréable que l'on pouvait garder en mémoire le temps d'une vie et au-delà de la séparation. Solal, son meilleur ami, son allié, son copain, sa première romance.
A priori, peu d'élèves avaient constaté la subtilité qui unissait à présent les deux garçons, ayant toujours été maîtres dans l'art d'être co-dépendants l'un de l'autre. Elian prenait peut-être plus souvent la main de Solal dans la sienne lorsqu'ils se promenaient dans le parc, leurs regards à la volée étaient plus nombreux et flamboyants qu'à l'accoutumée, et Elian ne cessait d'entourer ses bras autour du cou de Solal comme s'il refusait qu'il s'envole loin de lui, tels les oiseaux que son copain admirait tant.

L'apparition d'un petit Rosenberg sauvage au bout du couloir n'aida pas l'esprit d'Elian à modifier sa litanie. Le gallois se précipitait déjà pour le rejoindre sans aucune réflexion ni but précis, sinon de lui adresser la parole. Pour lui, les frères de Solal tenaient davantage de l'entité fantasmagorique qu'autre chose, c'était à croire que son copain voulait le tenir éloigné d'eux pour une raison qu'il ignorait - même si cela avait peut-être à voir avec le fait qu'il avait failli être assailli par les deux plus jeunes Rosenberg, Blaze et Cosmo, l'été dernier dans leur maison familiale. Mais même si Elian n'avait pas de petit frère ou de petite sœur - considérer le petit-fils de Sigmund comme tel était inimaginable -, il avait tout de même ce potentiel de grand frère naturel : c'était un sorcier altruiste de façon générale et il avait une personnalité qui plaisait aux plus jeunes bien malgré lui. Rien qui ne pouvait lui faire regretter d'initier un contact vers Blaze, donc. Très confiant, il passa un bras autour des épaules du garçon, le salua d'un "Coucou toi !" sonore et l'emmena sans mot dire dans une salle inoccupée, avant de lui adresser un sourire bienveillant. « Ça se passe bien la vie ? Trop mignon comment tu ressembles à Solal en uniforme, c'est pas trop éprouvant d'étudier dans la même maison que lui ? Tu peux tout me dire ça restera notre secret. » On aurait dit un père qui récupérait son enfant après les cours - et qui venait de boire son café. Elian s'en rendit peut-être compte en ayant une sorte de regard affolé pendant un millième de seconde. Heureusement, il n'avait pas ajouté une phrase du type "Je me suis dit que ça pourrait être bien de bavarder ensemble de temps en temps", la ressemblance aurait été encore plus frappante. Elian avait tout simplement négligé la pression que l'on ressentait lorsque l'on désirait - inconsciemment - se faire accepter par les proches de son copain. Et s'il vivait cette angoisse avec l'un des petits frères de Solal, il n'osait pas imaginer ce que cela pourrait donner avec les grands frères Rosenberg ou bien même leur parents.

Blaze était de bonne humeur ce jour-là. Comme quoi, ce petit connaissait d'autres émotions que "grognon", "pas content" ou encore "je veux tout casser." La raison de sa bonne humeur se trouvait dans le fait qu'il sortait tout juste de son dernier cours de la journée, et qu'il était donc officiellement en vacances. Le lendemain, il prendrait le Poudlard Express et retournerait à Chipping Campden, où il passerait une semaine auprès de sa famille. Cela lui laissait le temps de questionner son papa sur son nouveau travail, mais aussi Cosmo sur l'ambiance à la maison, et profiter pleinement de ces quelques-jours auprès de son cadet si souvent seul. Blaze aurait aussi Solal pour lui tout seul pendant plusieurs jours. Aucun de ses amis envahissants ne franchirait la porte de leur maison. Pas même ce Kernac'h qui traînait un peu trop autour de lui. Le petit sorcier fut parcouru d'un frisson. Lundi, il avait aperçu les deux garçons se tenir la main dans le parc. Plus tard, il était tellement en colère qu'il avait passé sa rage sur une armure de chevalier qui traînait dans un couloir. Désormais, le petit garçon regardait ses aînés avec un air suspicieux, guettant le moindre signe trahissant un élément de leur relation qu'il n'aurait pas encore tout à fait compris -ou qu'il ne voulait tout simplement pas comprendre. 

Néanmoins, malgré toute la colère qu'il ressentait envers Kernac'h, rien ne pouvait entacher sa bonne humeur. 

Si ce n'était Kernac'h lui-même.

Le première année quittait la salle de classe et prenait la direction de son dortoir pour faire ses valises. Il avait au passage semé ses deux amis, Eliott et Herschel, qui discutaient probablement encore en salle de classe en rangeant leurs affaires. Un bras encercla son épaule, accompagné d'un "Coucou toi !" qui fit grésiller ses oreilles. Horreur, malheur, que se passait-il ! Sous le choc, il ne réagit même pas. Les yeux écarquillés, il se contenta de suivre le mouvement et se retrouva dans la salle des trophées. Face à lui, Kernac'h, souriant comme un idiot. Instinctivement, Blaze recula d'un pas et épousseta son épaule, comme pour effacer le contact avec le Poufsouffle. Il le regarda avec un air ahuri. L'autre lui parlait comme s'ils étaient copains. Pire ! Il parlait comme ses grands-frères. Pour qui se prenait-il, cet idiot de Poufsouffle ? Blaze allait mettre les choses au clair rapidement. Ils.n'étaient.pas.copains.

« T'es encore plus moche de près. » commenta-t-il tranquillement en toisant le deuxième année. « Alors non, la vie, figure-toi que ça s'passe pas bien, parce que j'ai de mauvaises notes alors qu'on m'a toujours dit que j'étais intelligent, et surtout, le pire du pire, c'est que Solal n'a plus le temps de jouer avec moi. » Il avança vers le Poufsouffle, le forçant à reculer. Lorsque celui-ci fut adossé au mur, Blaze abattit violemment sa main près de sa tête, sur le mur. « Et tu sais pourquoi Solal n'a plus le temps de jouer avec moi ?! Parce qu'il est toujours occupé à travailler ou à jouer avec d'autres. Principalement, à jouer avec toi. » cracha-t-il tout en insistant sur le "toi". Il fixait le Poufsouffle avec un mélange de haine et de rancœur. 

Elian n'était pas blessé par la remarque de Blaze, parce que tout le monde était plus moche de près, c'était un fait. Peut-être que le garçon avait remarqué ses boutons un peu dissimulés sous la grosse mèche qui traversait son front, ou bien l'écart entre ses dents de devant qui venaient apparemment de déclarer leur divorce. Tout de même un peu sous le choc des premières paroles que Blaze lui adressait, Elian produisit un genre de rire bref qui fit monter le malaise ambiant dans la pièce, mais referma la bouche presque immédiatement comme s'il venait tout juste de développer un complexe sur ses dents. Et ce n'était pas son genre d'être complexé par quelque chose.

Le sorcier n'était pas au bout de ses surprises puisque Blaze lui confiait un mal-être qu'il n'aurait jamais pu soupçonner chez un Rosenberg - c'était assumer que chacun des frères étaient destinés à réussir leurs études brillamment. Elian voulait le rassurer sur ce point, lui-même était au mieux moyen dans certaines matières et au pire désastreux dans d'autres et personne ne l'avait encore radié de l'école. Sur le fait que Blaze passait beaucoup moins de temps avec Solal, en revanche, il ne pouvait se prononcer, mais commençait à comprendre la direction que la discussion prenait. « Je... Attend... » Il était coupé et ne savait de toute façon pas comment se défendre face à cette accusation si légitime. L'air menaçant de Blaze le força à prendre des distances car ces yeux noirs lui étaient bien familiers : ils exprimaient un flot de sentiments furieux, identiques à ceux que Lucy Wood lui avait adressés juste avant qu'elle ne lui assène une gifle mémorable. Alors il progressa en arrière jusqu'à ne plus pouvoir, sursautant une fois qu'il eut atteint un pan de mur, coincé entre deux présentoirs en verre. A l'instant où la main de Blaze s’aplatit bruyamment juste à côté de sa tête, il sursauta de nouveau en s'accompagnant cette fois-ci d'un cri incontrôlé.

Parmi les pensées incompréhensibles qui se déversèrent dans sa tête, la plus bruyante fut "Heureusement que ma tête n'était pas à l'endroit où sa main se trouve". Elian jeta d'ailleurs un regard en coin à cette dernière pour bien s'assurer qu'elle resterait là, puis cligna des yeux. Il ne savait tout simplement pas comment réagir face à cette fureur, alors son instinct décida à sa place et ce n'était jamais une bonne chose. La proximité ne l'avait jamais dérangé avec personne - si ce n'était Solal puisque, avec lui, elle évoquait bien d'autre chose qu'un simple rapprochement -, ce qui pouvait dérouter en revanche les autres. Il posa ses deux mains sur les joues parsemées de tâches de rousseur de Blaze comme si son visage était un sandwich et le fixa droit dans les yeux. « Tu ressembles à Solal quand tu t'énerves, tu le sais ça ? » Puis il se concentra de nouveau sur ce que le petit sorcier avait dit.

Ainsi donc Solal dérogeait à son rôle de grand frère, se pourrait-il réellement que lui, Elian Kernac'h, en soit bien la cause ? C'était vrai qu'ils passaient le plus clair de leur temps ensemble, mais il y avait bien des moments où leurs chemins devaient se séparer. Un peu plus confus, Elian s'essaya à calmer la colère de Blaze : « On peut négocier. Je veux 70% des parts de Solal, puisque les sentiments amoureux sont plus forts que les sentiments fraternels. Toi tu obtiens 30%, ajouté au fait que vous vivez ensemble depuis une dizaine d'années déjà et que je n'ai pu profiter que de temps partiels pendant deux années, dont une vécue dans le mensonge que je l'appréciais comme un simple ami. » Son pragmatisme dictait ses paroles, mais il y avait toujours cette voix derrière sa tête qui lui rappelait la façon dont Blaze avait pris le dessus sur son frère aîné l'été dernier, lorsqu'ils se bagarraient. Mais Blaze était un Rosenberg, et tous les Rosenberg étaient gentils. Il ne lui ferait pas de mal, surtout maintenant qu'il avait trouvé la solution parfaite à son problème.

Sa main posée sur le mur, son regard menaçant toisant sa cible, Blaze dominait totalement le Poufsouffle. Même si celui-ci était plus grand que lui, tant en âge qu’en taille. Il ne voulait pas vraiment faire peur à cet imbécile, et encore moins le frapper. L’envie était là, mais une petite partie de lui craignait les représailles. Solal ne laisserait pas un tel geste impuni, tout comme ses frères aînés. Enfin, son jeune aîné ne lui faisait pas tellement peur –il n’était pas beaucoup plus costaud que lui, mais Amory et Oskar, c’était une autre histoire. Pourtant, lorsque cet odieux petit personnage osa poser ses immondes mains –probablement recouvertes de jus de plantes et herbes de sa maison, sur ses joues, Blaze eut très envie de franchir la limite qu’il s’était lui-même posée. Son nez se fronçait frénétiquement, comme un tic qu’il n’avait pourtant pas d’ordinaire.

Son corps se tendit immédiatement. Ses muscles se crispèrent. Son regard se fit plus froid, plus dur. La voix agaçante du Poufsouffle s’éleva dans les airs. Blaze écarquilla les yeux. Il... ressemblait à Solal ? Bien sûr qu’il lui ressemblait, c’était SON frère ! Le même sang coulait dans leurs veines. Et lui, quel lien avait-il avec Solal Rosenberg ? Blaze sentait un tourbillon d’émotions s’emparer de lui. Cet Elian, il n’était même pas méchant. Le Serdaigle ne comprenait pas pourquoi son regard était aussi doux et ses propos, aussi bienveillants. Il n’était probablement pas assez intelligent pour faire preuve de ruse et essayer de se mettre le cadet Rosenberg dans la poche à l’aide de douces paroles. Alors, il était probablement sincère, et ce fait perturbait profondément Blaze qui était persuadé qu’Elian le détestait tout autant que lui ne l’aimait pas. Il se trompait peut-être à son sujet depuis le début... Et ses mains sur ses joues étaient si chaudes ! Elles ressemblaient à celles de sa maman.

... Mais son regard se durcit aussitôt lorsque le Poufsouffle acheva son discours mielleux. Bien sûr que c’était une ruse, il avait été stupide. 70%, et puis quoi encore ? Hé mais... qu’avait-il dit ?!  « puisque les sentiments amoureux sont plus forts que les sentiments fraternels. »

Puisque les sentiments amoureux sont plus forts que les sentiments fraternels.

Puisque les sentiments amoureux sont plus forts que les sentiments fraternels.



Le cœur de Blaze manqua un battement. Qu..que... QUOI ? Des sentiments amoureux... Mais alors... Ils se tenaient la main... Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose. Kernac’h et Solal se faisaient aussi des... des bisous sur la bouche ! L’autre, il posait ses immondes petites lèvres sur... sur... ah ! C’était pas possible ! Un garçon, ça pouvait pas embrasser un autre garçon. Si ? Blaze était persuadé que ce n’était pas normal, puisque après tout, il voyait surtout des garçons et des filles qui s’embrassaient. Pas des filles et des filles ou des garçons avec des garçons. Il n’avait pas bien entendu. Ce n’était pas vrai ; ça ne pouvait pas l’être ! Et puis, Solal lui aurait dit, non ? Avant, il lui disait toujours tout. Mais il était plus secret, ces derniers temps. Il se confiait moins. C’était au point de ne pas lui dire quand il tombait amoureux ? Et ce Kernac’h qui subtilisait son frère... oh, s’ils se faisaient des bisous, allaient-ils se marier, plus tard ? Est-ce qu’il deviendrait Elian Rosenberg ? Devraient-ils vivre sous le même toit, laissant Blaze les observer, tous les jours, se promener main dans la main dans le jardin ? Pourquoi se faisaient-ils des bisous, déjà ? Traîner tous les jours ensemble ne leur suffisait pas ?!

Et c’était quoi, être amoureux ? Comment ça fonctionnait ? Comment on savait quand on était amoureux d’un garçon ? Blaze avait déjà tenu la main de Herschel. Il avait dormi avec Eliott dans son lit,  enlacés, alors que Herschel faisait la larve sur eux. Lui aussi, il était amoureux de l’un de ses meilleurs amis ? Lequel ? Les deux ? Aucun ?

Et Kernac’h, il allait être toute la vie avec Solal ? Et pourquoi... argh, pourquoi tenait-il encore ses joues entre ses mains ! Il était proche, beaucoup trop proche de lui, il le regardait bizarrement et il avait établi un contact physique dérangeant avec lui. Et il aimait les garçons ! Solal aussi aimait les garçons ! Le cœur de Blaze battait à tout rompre tandis que mille autres pensées parcouraient son cerveau. Il tremblait, il en était sûr. Le marché peu avantageux que proposait le Poufsouffle avait sombré dans les abîmes de l’oubli, ne laissant à la surface que cette vérité douloureuse. Il mordit violemment la main droite du deuxième année. Pas suffisamment pour le blesser, mais au moins pour lui faire assez mal pour qu’il le lâche. Des larmes coulaient sur ses joues. Faiblement, il se laissa glisser sur le sol et cacha son visage dans ses mains. L’autre ne devait pas voir ses larmes. Même s’il était évident qu’il pleurait. Il ne pouvait leurrer personne, pas même un imbécile comme Kernac’h.

« Pourquoi tu dis que vous êtes amoureux ? Vous vous faites des bisous sur la bouche ? » lâcha-t-il d’une voix faible et entrecoupée de sanglots. Il leva un regard suppliant vers l’autre garçon.

On aurait dit que Blaze s'était soudain transformé en une marmite prête à exploser. Les joues du garçon chauffait sous le contact des mains d'Elian, ou bien était-ce autre chose qui faisait monter la tension... Aidé par tout le crédit qu'il accordait à sa proposition, Elian avait bien évidemment manqué les faibles signaux avant-coureurs d'un drame tel que celui qui se produisit. Sur le coup de la surprise et de la sensation piquante, Elian lança un juron, et ce n'était pas quelque chose qu'il faisait aisément - pour ainsi dire c'était la première fois. Une douleur saisissante s'était propagée dans sa main, qui s'était rapidement retirée dans un réflexe de survie. Quand le sorcier y jeta un œil en la rapprochant de son visage, il trouva qu'elle ressemblait à un fossile avec l'emprunte des dents de Blaze. En frottant sa main contre sa chemise la trace s'effaça presque totalement, mais Elian n'y faisait pas vraiment attention. Ses yeux remplis d'un sentiment d'incompréhension s'étaient redressés vers le petit frère de Solal.

"Il m'a... mordu." On ne mordait pas la main des gens que l'on aimait bien, ou alors il avait encore raté quelque chose. Elian essaya de jauger un instant ce qui était le plus douloureux, une gifle, une morsure, le sentiment d'être trahi par quelqu'un que l'on considérait comme un allié. Les trois l'étaient de façon équivalente mais d'une manière différente. Blaze pleurait et c'était contagieux, mais Elian se retenait pour une raison mystérieuse. Recroquevillé sur lui-même, le petit frère de Solal avait des airs d'animal blessé... Blessé par lui ? Qu'avait-il dit, qu'avait-il fait pour provoquer cette réaction ? Ses questionnements ne tardèrent pas à obtenir une réponse et Elian sembla tomber des nues pendant un moment, littéralement puisqu'il descendit d'un étage en s'accroupissant devant Blaze, sa robe de sorcier traînant derrière lui. A sa hauteur, il n'osa pourtant toujours pas un regard vers lui. Elian n'affichait plus d'expression perdue, ou d'incompréhension juste un air grave et songeur, comme si toute sa vigueur d'enfant l'avait quittée soudainement. « Je t'ai fait du mal en te disant que j'aime ton frère ? » C'était une question rhétorique, il prenait conscience de sa stupidité en même temps qu'il parlait. Son ton était détaché, mais soucieux. « Tu sais, je n'aurais pas dû comparer l'amour d'un frère avec celui de Solal et moi. C'est pas comparable. C'est... » Il manquait de mots, pourquoi était-il si stupide, sa honte pouvait sûrement se lire sur son visage. « C'est pas comparable. » répéta-t-il.

Elian était fâché contre Blaze, mais essayait de taire sa colère justement parce que c'était Blaze, le petit frère de Solal. Pourquoi était-il obligé de lui expliquer l'inexplicable ? Elian Kernac'h, celui qui ne savait pas transcrire ses pensées en mots, devait expliquer à Blaze. Il essaya quand même devant la détresse du garçon, mais c'était comme un plongeon sans filet. « Je n'aime pas trop les bisous sur la bouche, pour tout te dire, mais je crois bien qu'on est des amoureux oui. Tu penses que je te l'ai volé, non ? » Sa question était venue naturellement, et même si elle était encore rhétorique parce qu'il connaissait la réponse, il était fier d'avoir réussi à tomber sur la bonne conclusion pour une fois. C'était si difficile. Et il ne voulait pas tout gâcher. Pourquoi le petit Blaze l'avait mordu ? Ce n'était pas seulement un acte de défense, Blaze le détestait. « Je ne savais pas Blaze. On pourrait en parler tous les trois. » Aurait-il dû s'excuser ? Cela aurait sonné comme un aveu, alors qu'il n'était pas coupable. Solal délaissait son petit frère mais ce n'était pas de sa faute non plus. Elian aussi avait eu une grande soeur qui s'était vite désintéressée de lui. Mais leur lien fraternel subsistait malgré tout. Elian caressa sa main sonnée, distraitement. L'ordre des choses, l'évolution, la dure réalité à affronter.

La honte. Si quelques jours plus tôt, quelqu'un avait dit à Blaze que celui-ci allait pleurer face à Elian Kernac'h, il lui aurait collé son poing dans la figure. Pourtant, cette situation était bien réelle. Le petit Serdaigle était recroquevillé par terre et pleurait à chaudes larmes. Il s'était préparé à combattre le meilleur ami de Solal, pas son amoureux. Ce mot sonnait étrangement à ses oreilles et lui laissait une impression d'amertume. Au fond, Blaze savait que deux garçons pouvaient s'aimer. Il en avait déjà vu se tenir la main dans la rue. Il s'en fichait, parce que les gens faisaient bien ce qu'ils voulaient. Quelle importance ça avait, le genre de la personne qu'on aimait. Mais tout semblait différent maintenant qu'il était confronté à cette situation qui comprenait son frère préféré et le type qu'il détestait le plus. Mais si Solal était bien amoureux d'Elian, alors il n'était peut-être pas si étrange que les deux garçons passent tant de temps ensemble. 

Mais c'était dur, très dur. Blaze était peut-être un poil possessif -après tout, il ressentait aussi de la jalousie quand ses meilleurs amis déclaraient qu'ils aillaient jouer avec d'autres personnes que lui. Mais il considérait qu'il était tout à fait normal de vouloir ses proches pour soi seul. Il ne comprenait pas pourquoi les autres enfants ne voulaient pas faire ce que lui, il désirait. Et pourquoi Solal, autrefois si proche de lui, préférait désormais ce blond au teint aussi pâle qu'un linceul. C'était peut-être parce qu'entre frères, ils ne pouvaient ni être amoureux ni se faire des bisous sur la bouche. Cette idée dégoûtait Blaze.

Elian s'était accroupi à sa hauteur. Qu'est-ce qu'il lui voulait, ce naze ! Blaze ne leva pas le regard vers lui. Le Poufsouffle ne devait pas voir ses larmes. Il cacha piteusement son visage dans ses mains. En plus, il savait comment remuer le couteau dans la plaie. Elian Kernac'h était vraiment détestable. Pourtant, il ne semblait non pas désolé, mais plutôt prêt à discuter. *Oui, tu m'as volé Solal et oui, ça me fait mal que tu dises que tu l'aimes* pensa-t-il avec force. Mais pas un mot ne franchit ses lèvres. Il sanglotait et peinait tant bien que mal à retrouver son souffle, sa respiration se faisait un peu trop rapide tandis qu'il se sentait la panique s'emparer de lui. Étrangement, ses mains tremblaient. Blaze commençait à perdre totalement le contrôle de ses pensées. Il n'y avait que le désespoir, la peur, et l'image de Solal et Elian se tenant la main à son esprit.

« Maman... Je veux ma maman ! » parvint-il à dire entre deux sanglots. Il avait l'impression d'étouffer. De l'air ! Il avait besoin d'air mais il n'arrivait pas à respirer. Sa poitrine lui faisait si mal. Qu'est-ce qu'il lui arrivait ? Il avait besoin de sa maman. Violet Rosenberg saurait probablement le calmer en seulement quelques gestes. Une main dans les cheveux, un baiser sur le front, une étreinte. Maman, où était maman ? Pourquoi elle n'était pas là ! Pourquoi fallait-il qu'il soit si loin d'elle... Demain, demain c'était les vacances et il pourrait serrer sa maman dans ses bras ! Mais là, elle était si loin. « Un câlin...  vite... » murmura-t-il faiblement en essuyant son nez plein de morve d'une main tremblante. Oui, il avait vraiment besoin que sa maman le serre tout fort contre elle, le plus rapidement possible. 

Avec l'air d'un parent débordé par les événements, Elian ne demandait que la présence de Solal tandis que Blaze réclamait sa mère. Ses yeux s'arrêtèrent un peu partout dans la pièce comme si la solution se trouvait gravée sur les socles des trophées depuis toujours. Mrs Rosenberg se cachait peut-être derrière une étagère depuis le début de leur conversation, après tout. C'était une situation tout à fait inédite pour lui, et il essayait de comprendre ce qu'il avait encore fait de mal pour l'empirer ainsi. Comment arrêtait-on un enfant de pleurer ? Il serait malavisé de ne pas mentionner le fait qu'Elian avait bien eu l'idée de lui lancer un sortilège pour le figer. Mais il avait préféré tendre l'oreille, à l'affût de la moindre chose que lui donnait Blaze et qui n'était pas des sanglots. Et ce dernier réclamait à présent un câlin, du moins c'est ce qu'Elian avait traduit, il n'était pas expert de la langue vivante pleurée. « Tu ne veux pas plutôt un mouchoir ? » demanda Elian avec son pragmatisme naturel. Dans un regain d'espoir, et dans l'optique de tout arranger entre eux, le sorcier se redressa sur ses deux jambes et annonça fièrement : « Ne bouge surtout pas, je vais te chercher un mouchoir. »

Et il partit dans un mouvement de cape comme l'un des super-héros que son parrain appréciait tant. Dans le couloir, il croisa une ribambelle d'étudiants qui avaient quartiers libres à cette heure-ci. Son objectif était simple, il devait trouver un mouchoir et Elian en faisait son affaire personnelle, agressant un peu n'importe qui en répétant la même phrase "Salut, tu n'as pas un mouchoir s'il te plaît ?". C'était impressionnant le nombre de sorciers qui ne s'encombraient pas de ce genre de chose - lui-même en faisait partie, mais utiliser de la magie sur un petit sorcier qui ne lui faisait pas confiance était une idée à oublier. Un groupe d'étudiants de Serdaigle descendait les marches, et le cœur d'Elian bondit. « SOLAL. SOLAL ! » Il le prit à partie, lui colla un bisou sur sa joue et enchaîna très rapidement : « C'est ton petit frère ! Je crois que je lui ai fait mal, il a besoin d'un mouchoir tout de suite ! » Résumée ainsi, la situation était encore plus alarmante que ce qu'elle n'était à la base. « Il est dans la salle des trophées, nom d'une compresse Solal dis-moi que tu as un mouchoir sur toi ! »

Avant de se mettre en chemin, Elian jugea bon de rajouter une information, toujours avec cet air un peu déboussolé, en triturant la cravate bleue et bronze de Solal machinalement : « Il me semble qu'il voulait aussi un câlin de votre mère... Tu n'es pas sa mère mais presque, alors c'est parfait ! » Puisqu'il n'était pas sûr des raisons qui avaient menées Blaze à se trouver dans cet état, Elian ne pouvait pas fournir d'informations plus précises à Solal et paraissait au bord de l'implosion à force de garder ses inquiétudes pour lui-même, souriant exagérément ou paraissant très soucieux en alternance.