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07 févr. 2017, 10:37
L'ébène et le cristal
1

LA FAISEUSE DE CAUCHEMARS


Aude Luneau trouva refuge à Poudlard à la fin du mois de janvier de l’année 2042. Révoquée de son poste de directrice de Beauxbâtons par le ministère de la Magie français, elle reçut la protection exceptionnelle du ministère de la Magie britannique. Cette décision entraina la rupture de tous les liens diplomatiques entre les instances dirigeantes des deux nations. Quelques jours plus tard, le ministre de la Magie français acta la sortie de son pays des accords de la Confédération internationale des sorciers. Cet acte inconsidéré plongea les communautés magiques d’Europe dans la peur d’une nouvelle guerre sorcière.

*

Kristen était venue nous retrouver dans cette mystérieuse Salle sur Demande près de trois quarts d’heure après nous y avoir fait entrer ma fille et moi. Je vis sur son visage l’ombre d’une vive inquiétude. Mon coeur se serra aussitôt dans ma poitrine à l’idée que quelque chose ait mal tourné. Mais fidèle à elle-même, Kristen n’exprima rien de tout ça. Elle m’informa le plus simplement du monde que le « problème » avait été écarté — je me demandais comment — et que je pouvais demeurer à Poudlard en attendant — mais en attendant quoi ? Le ton employé était si formel que je peinais à croire ce que je venais d’entendre. Tout dans l’attitude de Kristen laissait pourtant poindre la part de vérité qui résidait dans ce qu’elle venait de m’annoncer.

Avant de se retirer — je m’interrogeais sur le fait qu’elle se sentait peut-être de trop entre moi et ma fille à cet instant — Kristen m’informa que je pouvais reprendre les appartements que j’avais occupés l’an passé durant le Tournoi des Trois Sorciers. Je la remerciais d’un hochement de tête entendu mais ne pouvais me résoudre à la voir partir sans lui témoigner davantage. Même si j’avais du mal à croire tout ce qui c’était produit ce soir, je lui étais redevable. Après les évènements survenus au cours de la troisième tâche du Tournoi, la dette que j’avais contractée auprès d’elle était déjà colossale ; voilà qu’elle dépassait l’entendement désormais.

« Kristen, l’appelais-je en me levant de ma chaise. Si vous n’y voyez aucun inconvénient, j’aimerais vous retrouver dans la Grande Salle dans un instant. »

Le regard qu’elle me lança suffit à me faire croire qu’elle m’y attendrait.

J’abaissais ensuite mon regard sur ma fille. Sybille me souriait, les yeux encore bouffis par les larmes qu’elle avait laissé couler en me retrouvant. Je percevais sa fatigue et en éprouvais du remord. Le remord d’une mère qui n’avait que trop rarement épargner le pire à son enfant. Le remord d’une mère qui n’avait pas réussi à se montrer aussi présente que toutes les autres. Le remord de ne pas avoir été à la hauteur, d’avoir laisser s’écouler le temps, et d’être désormais plantée devant une jeune femme faite.

« Il est tard, dis-je en caressant délicatement son menton du bout de mes doigts — ce simple contact avec sa peau faisait bondir mon coeur d’une joie toute maternelle. Nous continuerons notre petite discussion demain, si tu le veux bien. »

Je vis à son regard brûlant qu’elle aurait pu tenir toute la nuit éveillée rien que pour m’entendre parler, mais je balayais son ardeur d’un sourire protecteur. Sybille se leva de sa chaise et bras dessus bras dessous nous quittâmes les étages supérieurs du château pour le rez-de-chaussée où se trouvait l’entrée de sa salle commune. Je l’embrassais sur le front et la laissais disparaître derrière le couvercle d’un tonneau géant — Poudlard était décidément un trésor de trouvailles magiques.

Mes pas me ramenèrent dans la Grande Salle, vidée de tout occupant à l’exception de Kristen. Je m’arrêtais un instant pour la regarder et lui sourire, envahie que j'étais par une honte enfantine de l’avoir encore une fois placée dans une situation délicate…

«  »

Je retrouvais l’usage de mes jambes et dévorais les quelques mètres qui nous séparaient en faisant tournoyer ma baguette magique au-dessus de ma tête avec pour résultat de faire tomber une cape en poils d’hermine sur mes épaules et de relever mes cheveux en un chignon improvisé. Arrivée près de Kristen, je rangeais ma baguette et m’arrêtais pour la saisir par les mains sans me soucier le moins du monde par l’aura de magie noire qui se dégageait de l’une d’elle.

« Pardonnez-moi pour tout ça, implorais-je en plantant mon regard dans le sien. »
07 févr. 2017, 21:51
L'ébène et le cristal
« Vous tenez enfin votre Hélène de Troie… »
Heureusement qu’il faisait nuit, à ce moment-là, car Kristen avait senti ses joues devenir un peu trop chaudes pour l’hiver. Ses épaules s’étaient légèrement haussées et elle s’était mordu la lèvre. Elle avait trouvé ces manifestations physiques de son embarras assez malvenues et déconcertantes. Elle n’y était vraiment pas habituée et ne comprenait que très moyennement leur réelle signification. En remontant vers le château, elle avait ruminé les paroles du Ministre comme si elles avaient pu vouloir dire plus que ce qu’elles voulaient simplement dire – ce qui n’était pas le cas, mais Kristen était présentement trop troublée pour ne pas se poser de questions inutiles – et finalement, elle avait tâché de penser davantage au conflit qui éclaterait entre la France et son pays. Ce sujet lui semblait raisonnablement plus grave et plus digne d’être ruminé que ses incompréhensibles mouvements de cœur.

Arrivée dans le couloir de la Salle sur Demande, Kristen fit apparaître la porte qui devait la mener à Aude et sa fille. Elle toqua doucement, inspira longuement, soupira, et ouvrit. Elle affichait une expression tout à fait neutre, comme si elle avait été vidée de toute émotion, et plus étrangement, comme si rien de particulièrement grave ne s’était passé ce soir. L’impassibilité de son visage tranchait radicalement avec la réalité de la situation, de même que le ton qu’elle employa.

« Mes excuses, j’espère ne pas vous déranger. Le problème a été écarté. Vous pourrez rester à Poudlard en attendant. Vous logerez dans les mêmes appartements que l’an dernier. »

Elle avait cette voix de gare qui dit : « à cette station, descente à gauche », mais en pire, en plus morne. Elle s’apprêta à refermer la porte et s’en aller sans donner plus d’explications, laissant à la mère et la fille le temps de se séparer tranquillement avant la nuit. Mais alors, Aude l’appela, et elle arrêta son geste. Elle écouta sa requête et, fixant Aude dans le fond de ses yeux, hocha très légèrement la tête.

Elle descendit alors dans la Grande Salle en respirant si fort qu’elle crut avoir été en apnée tout le temps où elle avait été à la porte de la Salle sur Demande. La Grande Salle était vide et l’on pouvait mieux contempler les bougies flottantes sous le ciel étoilé. Les couverts et tout le reste avaient déjà été débarrassés, car pendant que l’avenir diplomatique de deux pays se jouait devant un grand portail, les elfes des cuisines continuaient à être des elfes des cuisines. Kristen s’avança jusqu’au milieu de la pièce et de là, observa la grande table. Elle mit les mains dans les poches de sa cape et regarda le siège dans lequel la coutume voulait qu’elle prenne place, en tant que directrice. Elle entendit alors des pas. Elle se retourna et vit Aude, à l’entrée de la salle. Pendant une demi-seconde, Kristen regretta de s’être placée ainsi, car la scène lui semblait trop proche d’un certain comique, mais cette pensée lui passa vite. Aude lui sourit, et Kristen répondit aussi bien qu’elle le put par un autre sourire – c’est-à-dire qu’on le distinguait à peine. Elle arborait plutôt un air assez soucieux qu’elle avait du mal à dissimuler.

Elle ôta les mains de ses poches et ne se trouva aucune contenance tandis qu’Aude Luneau s’avançait vers elle, faisant apparaître de sa baguette magique une cape qui tomba sur ses épaules, et se coiffa d'un chignon – ce qui était d’ailleurs très seyant, mais ce n’était pas l’occasion de le remarquer. Aude prit alors les mains de Kristen, et celle-ci ressentit à peine une douleur dans sa main droite. Kristen prit une très longue seconde pour constater le geste et faire remonter l’information de ce contact à son cerveau, puis leva les yeux vers ceux de la française.

Les yeux bleus d'Aude Luneau transperçaient ceux de Kristen, comme ils l’avaient fait plus tôt dans la soirée, et Kristen pensa qu’avec ce regard-là, décidément, cette femme pourrait obtenir tout ce qu’elle voudrait. Kristen soupira en fermant les yeux, et ses sourcils se froncèrent un peu plus dans un spasme.

« De toute façon, je n’ai pas été raisonnable, ce soir. »

Ce qui signifiait une nouvelle folie : bien sûr qu’elle lui pardonnait pour « tout ça » : tout ça, la guerre et tout ça, tout le reste. Déclencher un si grand conflit pour sauver une femme coupable du meurtre d’un chef de gouvernement : Kristen avait effectivement fait, dans sa vie, des choix plus judicieux. Elle ne comprenait d’ailleurs toujours pas l’attitude qu’Arseni avait adoptée. Certes, Ricoter était apparemment coupable de beaucoup de choses, mais généralement, on faisait tout pour éviter une guerre. Se jeter dedans était assez mal vu.

« Ricoter a visiblement été contrarié par nombre de choses, et dernièrement, il a été vexé de ne pouvoir vous ramener. On parle de guerre. »

Kristen sautait à pieds joints dans le plat, mais à quoi bon faire durer un quelconque suspense ? Le visage de Kristen était toujours tendu, marqué par une expression soucieuse, mais ses yeux ne semblaient rien reprocher à Aude Luneau. Il semblait, en vérité, que cela leur était physiquement impossible : comme Kristen pardonnait à Aude, ses yeux offraient malgré eux la confirmation de ce pardon total, incontrôlable et déraisonnable.

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09 févr. 2017, 22:58
L'ébène et le cristal
2

L'OUVERTURE


De l’âge de dix-huit ans à ses vingt-deux ans, Aude Luneau régna en maîtresse absolue sur le monde des duels de sorcier. Quadruple championne de France et d’Europe, elle fut la seule duelliste de l’histoire à n’être jamais défaite, ayant remis ses titres en jeu sans concourir l’année de ses vingt-deux ans. Considérée comme la plus plus grande illusionniste de son temps, Aude Luneau tirait son incroyable capacité à vaincre ses opposants d’un don si rare qu’il en était jusque-là classé dans les mythes et légendes d’autrefois. Ce don, Aude Luneau l’appelait le don d’ouverture. Il consistait à percevoir clairement l’aura magique d’un sorcier, sa nature, ses fluctuations, et jusqu’à une certaine mesure sa couleur, pour parvenir à comprendre l’individu qui se cachait derrière. Grâce à ses données uniques, Aude Luneau parvenait à tisser des illusions si encrées dans la réalité pour ses adversaires qu’il leur était impossible de l’affronter à armes égales.

*

La réponse que me fit Kristen me glaça le sang. Je me reculais en libérant ses mains et laissais tout le poids de mon corps s’écraser sur le premier banc venu. Ricoter voulait la guerre. Il l’avait obtenu par ma faute. Le poids de cette culpabilité était si grand que je plaquais instinctivement ma main contre mon ventre pour en calmer les remous. La nouvelle était d’une telle gravité que je ne réalisais pas tout de suite ce qu’elle supposait. Ce n’est qu’après un temps de réflexion ponctué par le silence que j’en venais à me demander comment Ricoter avait pu être « écarter » comme on écarte un moustique trop insistant. Je levais mes yeux vers Kristen et l’interrogeais.

« Comment avez-vous fait pour le repousser ? »

Ma question pouvait paraître naïve, semblable à celle d’une enfant qui s’étonne de voir quelqu’un réussir là où elle n’avait fait qu’essuyer échec sur échec. Elle m’était pourtant nécessaire. Je savais par expérience que Ricoter n’était pas le genre de personnage qui se laissait repousser aisément, encore moins en pareille position de force. A cette pensée me venait l’image nette de son entrée dans Beauxbâtons, au devant de son armée d’Aurors… la terreur dans le regard des professeurs Lemevelle et Pontenaud… la stupéfaction des élèves qui entraient tout juste dans le salon pour dîner… ma propre stupéfaction tranchée par la peur, dès lors que mon don d’ouverture c’était attaché à tâter l’aura magique de mon bourreau. J’en frissonnais et cadenassais tous ces souvenirs malheureux dans un coin de mon esprit, mon regard toujours posé sur Kristen.

Etonnement, je la trouvais changer, différente de la femme que j’avais connu au cours du Tournoi des Trois Sorciers. J’avais toujours devant moi la femme admirable qui avait donné un second souffle à ma vie, mais il me semblait, à son regard, qu’elle était encore plus forte qu’autrefois et aussi plus sombre en un sens. Intriguée, je tendais mon don d’ouverture et l’enveloppais tendrement autour de Kristen comme une couverture.

Son aura magique, extrêmement puissante mais dissipée, m’arrachait un demi-sourire tant il m’était évident que si Kristen apprenait à la contenir, plus rien ne pourrait l’arrêter. Je ne m’arrêtais cependant pas à cette observation générale et poussais mon analyse un peu plus loin, déplaçant mon contact avec lenteur pour éviter que Kristen éprouve une gêne — c’était en général une gêne inexplicable que le sorcier attribuait soit à la présence d’une personne dans la pièce soit à une indisposition quelconque sans réaliser qu’il était en réalité analyser à la loupe par mon don. Je trouvais alors des veines d’incertitudes en quelques endroits, petites mais nombreuses. Je les savais néfastes en trop grande quantité — ce n’était heureusement pas le cas chez Kristen, tout du moins pas encore — et capables de brider ses capacités magiques. Quelque chose tourmentait Kristen déjà bien avant mon arrivée — de telles veines ne poussaient pas en une heure de temps ni en une journée — et j’en éprouvais d’autant plus de peine que mon arrivée soudaine ne contribuerait, à terme, qu’à aggraver le phénomène.

Je refermais mon contact et revenais à moi en baissant mes yeux, incapable de cacher ma culpabilité.

« Il me semble que je ne vous apporte que malheurs alors que je voudrais tant faire votre bonheur. Nulle autre que vous ne le mériterait davantage et pourtant… pourtant les évènements me ramènent toujours à vous comme un corbeau de tempête… »

Mes yeux s’étrécirent alors qu’un pli soucieux se dessinait sur mon front. Constance disait de ce pli qu’il était annonciateur de cataclysmes. J’en riais pour moi-même et me passais une main sur le visage.

« Vous me trouverez peut-être mal avisée de tenir de tels propos en pareille situation, mais nous autres françaises n’avons pas toujours la langue dans notre poche, annonçais-je avant de soupirer. … Malgré tout ce qui m’arrive, je trouve un réconfort inépuisable d’être près de vous ce soir. Je croyais que ce ne serait plus chose possible avant de trop longues années. Il semblerait que Ricoter ait exaucé au moins un de mes voeux… »
10 févr. 2017, 11:54
L'ébène et le cristal
Aude s’écarta et se laissa tomber sur le banc juste derrière elle, qui était de la table des Serdaigle, et, troublée, mit sa main sur son ventre. Les joues de Kristen se creusèrent de voir Aude dans cet état. Elle mit ses mains dans ses poches, leva le menton et voulut avoir l’air stoïque. La question d’Aude concernant la manière dont Kristen s’y était prise pour repousser Ricoter ne l’embarrassa pas, mais la désola plutôt. Elle était reconnaissante à Arseni d’être intervenu, évidemment, mais elle aurait voulu pouvoir s’en sortir seule. Or, elle savait très bien que cela aurait été impossible – ou presque. Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais elle fut transpercée par le regard de la française au même moment, et dût réfléchir un peu plus longtemps pour répondre. Elle avait une drôle d’impression, comme si elle n’était pas autorisée à interrompre une certaine chose, mais elle n’aurait su dire quoi.

Lorsque Kristen sentit que le silence devenait moins pesant, qu’elle pouvait enfin répondre sans déranger quoi que ce soit, Aude reprit la parole. Cette fois, ce fut bien de l’embarras que Kristen ressentit, car sans pouvoir faire autrement, elle détourna le regard et fixa un point précis du sol, entre deux pierres. Non seulement, elle était loin de penser qu’elle méritait le bonheur qu’Aude voulait lui offrir - au contraire -, mais en plus, la française ne pouvait certainement pas s’imaginer à quel point ce qu’elle disait touchait à sa sensibilité. Quelques minutes plus tôt, en effet, elle-même s’en était voulu de penser plutôt à Aude et les chavirements qu’elle provoquait en elle-même plutôt qu’aux grands enjeux de la soirée.

Si elle avait été quelqu’un d’autre – un de ces stupides romantiques dont on aime à se moquer dans certains livres -, Kristen se serait précipitée à ses pieds et aurait dit, d’une voix pétillante et avec un regard illuminé : « Je pense comme vous ! ». Mais Kristen était qui elle était, et elle n’était pas comme cela. Aussi ne bougea-t-elle point, et finit par relever les yeux vers Aude, espérant que l’expression de son visage ne trahirait pas les émotions idiotes qui étaient cachées derrière.

Prenant une voix beaucoup trop neutre et très peu naturelle, elle dit :

« Il est vrai que vous êtes la cause de quelques troubles qui m’accablent, mais peu importe, à vrai dire. J’aurais certes préféré ne pas vous voir, mais vous savoir en paix, plutôt que de vous voir dans ces conditions... Néanmoins, si j’assume le côté égoïste que nous avons tous au fond de nous… Je dois avouer que je me languissais de vous. »

Elle se tenait toujours très droite, les mains dans ses poches, et au moment de finir sa phrase, elle tourna le regard vers une des fenêtres qui donnait sur la nuit. Elle entreprit d’embrayer tout de suite sur un sujet plus sérieux. Sur ce terrain qu'elle maîtrisait mieux, celui du concret, sa voix reprit des intonations plus normales.

« En ce qui concerne Ricoter, c’est un… »

Elle se retint juste à temps et inspira longuement, gonflant ses poumons comme pour mieux retenir les mots qui lui picotaient le bout de la langue. Elle avait commencé sa phrase en français, et allait la poursuivre en anglais, ce qui n’augurait rien de bon pour la suite et le qualificatif qu’elle allait lui attribuer.

« C’est un lâche de la pire espèce. Je n’aurais rien pu faire seule contre son armée d'Aurors. Il était prêt à pénétrer le château, et je n’avais plus qu’à espérer que votre cachette suffirait. »

Kristen soupira et ne put empêcher ses épaules de s'affaisser légèrement, désolée de ne pas avoir été assez forte pour protéger Aude elle-même. Elle osa regarder la française, mais ses yeux, cette fois, étaient vraiment navrés et déçus.

« Le Ministère britannique est intervenu pour l'empêcher d'aller plus loin. »

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12 févr. 2017, 16:03
L'ébène et le cristal
3

LA DETTE


Comparer Beauxbâtons à Poudlard était une entreprise vaine et inutile. Les fondations magiques des deux écoles étaient si différentes, si puissantes, qu’il était impossible de les soumettre au même examen critique. Une intrigante similitude les rapprochait pourtant. De la même façon que le château de Poudlard semblait doté de sa propre âme et de sa propre sensibilité, le château de Beauxbâtons était douée de réactions tout aussi « humaines. » Aussi, quand les agents du ministère envahirent l’académie pour y dénicher Aude Luneau, le château entreprit de réagir à ce qu’il prit pour une violation de ses murs. Le bilan des pertes ne fut jamais rendu public mais on dénombra pas moins de cinq disparitions dans les rangs du ministère français. A cela s’ajouta la porte close du bureau de la directrice en fuite. Le ministère eut beau envoyer ses meilleurs enchanteurs et briseurs de sorts, la porte demeura close et le bureau d’Aude Luneau inviolé. De fait, l’impossibilité d’ouvrir ce bureau empêcha le ministère d’imposer une nouvelle direction à la tête de l’académie, comprenant que le château la réduirait en bouillie d’une façon ou d’une autre. Beauxbâtons ne devait plus compter que sur les professeurs qu’Aude Luneau avait recruté dans les mois qui suivirent.

*

J’éprouvais une chaleur réconfortante au creux de l’estomac quand Kristen m’assurait s’être languis de ma personne. Cette seule phrase suffit à me faire oublier momentanément toute cette maudite soirée. Ne comptait plus que l’instant présent et la présence de Kristen à côté de moi. Je la regardais à la dérobée et l’écoutais attentivement, réalisant qu’il n’était pas vraiment dans son habitude — pour ce que j’avais gardé en mémoire de mon précédent séjour à Poudlard — de me fuir ainsi du regard. Kristen était plutôt le genre de personne qui vous affrontait droit dans les yeux à tout instant et vous insufflait une impression de domination persistante. La Kristen que j’observais désormais avec curiosité n’était pas tout à fait la même. Je la sentais préoccupée et plus songeuse que jamais. D’une certaine façon, elle me semblait même hésitante. Une nouveauté.

Je baissais les yeux et étudiais toutes mes possibilités. D’un côté, je m’interrogeais sur la nécessité de m’en aller en refusant, tout compte fait, son hospitalité. Mais pour aller où ? J’effleurais l’éventualité de retrouver ma chère Constance, mais la chassais aussitôt d’un coup de balai. Retourner à Beauxbâtons ? Impensable. J’y étais très certainement attendue. D’un autre côté, je réalisais qu’il m’était impossible de quitter Poudlard, et Kristen bien plus encore, maintenant qu’ils étaient impliqués dans cette histoire. Kristen ne me le pardonnerait jamais. Sybille non plus. J’en fermais les yeux de résignation et me laissais ainsi surprendre par les annonces successives de mon hôte.

Quand je les rouvrais, Kristen me fixait d’un regard inattendu. Un regard triste et déçu. J’en ouvrais mécaniquement la bouche mais aucun mot n’en sortait alors. J’étais comme pétrifiée par ce regard, sa signification. Mon cerveau n’assimilait l’information qu’elle venait de me livrer qu’après plusieurs dizaines de seconde de silence. Le ministère britannique était intervenu ? J’en tremblais d’étonnement. Les pièces du puzzle trouvaient peu à peu leur place et j’éprouvais une véritable tétanie à l’idée d’avoir engendrer un conflit d’une telle ampleur. Pour me rassurer, je cherchais à me raccrocher à quelque chose et tâtonnais ma cape pour y sentir ma baguette magique laissée dans une poche.

« C’est impensable, marmonnais-je, à peine consciente de ce qui sortait de ma bouche à ce moment-là. »

J’avais en revanche conscience que le ministre de la Magie britannique était l’ancien directeur de Poudlard, un ami proche de Kristen. Dans la foulée me venait immédiatement l’idée qu’il était peut-être beaucoup plus que ça, car quel homme sensé se serait risqué à ouvrir un conflit d’une telle gravité pour une femme dont il ne savait rien — je supposais à cet instant que si je ne savais pas grand chose de plus sur son compte, il n’en savait pas plus sur le mien ; une grave erreur de jugement dont je devais me rendre coupable bien des mois plus tard — si ce n’était un homme amoureux ? J’avais moi-même entretenu une relation avec un homme de pouvoir, ma supposition ne me semblait donc pas complètement délurée.

« Pardonnez mon indiscrétion, mais êtes-vous une intime de cet homme ? demandais-je, la voix mal assurée. De cet Arseni Stoyanov ? »

Le souvenir que j’avais gardé de lui me laissait perplexe. Tout d’un coup, ma question paressait ridicule à une partie de moi-même tandis que l’autre continuait à s’en inquiéter. Mais pour quelle raison devais-je m’en inquiéter ? Je ne le savais pas et ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’en fuyais le regard de Kristen comme je l’avais si souvent fait par le passé.

« Pardonnez-moi… j’avoue ne plus rien comprendre à ce qui m’arrive. J’ai peine à croire que ce matin je me réveillais en souhaitant vivre une journée différente des autres, vous retrouver, et que ce soir je me coucherai sans doute avec le désir de vivre une journée comme toutes les autres, où vous n’auriez pas à subir cette présence malvenue. »

La question me brûlait la gorge, mais je ressentais le besoin vital de la poser.

« Pensez-vous que j’aurais du affronter mon sort et me laisser arrêter ? »
12 févr. 2017, 17:23
L'ébène et le cristal
Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Kristen Loewy, un sourire qui n’était certainement pas en adéquation avec la situation, mais un sourire amusé malgré tout. Définir sa relation avec Arseni Stoyanov n’était pas chose aisée : ils étaient un peu comme chien et chat, comme deux camarades qui n’en faisaient qu’à leur tête, mais qui n’en faisaient qu’à leur tête l’un pour l’autre. S’ils avaient été plus jeunes, sans doute auraient-ils été du genre à se chamailler de temps et temps, mais à se rester fidèles malgré tout.

Kristen se plaça de trois quarts par rapport à Aude et la regarda en plissant les yeux. Cette fois, c’était elle qui fuyait le regard de Kristen, et non plus l’inverse. Kristen répondit simplement :

« Arseni Stoyanov est un ami. Je lui dois beaucoup. »

Elle attendit quelques instants, et se décida finalement à s'asseoir à côté d’Aude, croisant les jambes et se tenant droite contre la table, qui lui servait de dossier.

« Je crois que cette histoire est de circonstance…, soupira-t-elle plus pour elle-même. »

Son sourire disparaissait peu à peu dans une expression de fatigue. Elle regretta de ne plus fumer, et à la place, fit apparaitre un verre d’eau dans sa main : elle aurait au moins besoin de cela. Elle en fit apparaître un autre qu’elle tendit à Aude, s’imaginant que la sorcière française pourrait bien remplacer l’eau par ce dont elle avait envie. Kristen but tout de suite une gorgée dans son verre et soupira, cherchant les bons mots pour commencer.

« L’année où je suis devenue professeur à Poudlard, l’école a été attaquée par plusieurs Aurors du Ministère. Ayez à l’esprit qu’à ce moment, j’étais… bien différente de celle que vous connaissez aujourd’hui. »

Sa mémoire avait changé, et donc, elle aussi.

« Un collègue et moi-même avons dû affronter un de ces Aurors, et j’en suis venue à utiliser un sortilège impardonnable. Le sortilège Doloris. »

Elle soupira et regarda son verre d’eau comme s'il pouvait l'encourager à poursuivre son récit.

« Plus tard, des agents du Ministère débarquaient à Poudlard, m’accusant, à juste titre, d’avoir fait usage de ce sort. Ils voulaient m’envoyer en prison. »

Elle but une gorgée dans son verre, car elle avait la bouche pâteuse. Repasser tous ces événements dans sa tête faisaient remonter une inexprimable culpabilité, et elle eut l’impression qu’une grande partie des malheurs que Poudlard avait vécu ces dernières années étaient plus ou moins de sa faute, motivés par une sorte d'intolérable effet papillon.

« Je savais que la loi était la loi, et j’étais prête à affronter mon sort et me laisser arrêter. Pourtant, Arseni ne m’a pas laissé faire. »

Kristen caressa les bords de son verre.

« S’il vous venait l’idée de vous livrer à la… justice de Ricoter, je crois que je vous enfermerais moi-même pour vous en empêcher. »

Elle releva la tête et regarda Aude, cherchant le fond de ses yeux. Kristen avait un regard sévère mais profond. Ses sourcils étaient froncés, son sourire éteint pour de bon. Sa phrase avait eu l'air d'une blague, mais son visage montrait qu'elle était relativement sérieuse.

« Sybille m’a montré ce que son père lui a fait. Je ne pense pas qu'à votre place, j'aurais mieux réagi. »

Lorsqu'elle avait appris qu'elle avait fait du mal à Owen, elle avait sérieusement pensé à mettre fin à ses jours, dans l'idée de punir la personne ayant osé faire du mal à son fils, fut-ce elle même.

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12 févr. 2017, 23:12
L'ébène et le cristal
4

RESISTANCE


Ingrid Lemevelle enseignait la métamorphose avancée depuis huit ans. Huit longues années passées au service des soeurs Luneau, puis de la seule Aude depuis que sa véritable nature avait été révélée par l’épreuve du Dominion. Ingrid était mariée à un ancien joueur de Quidditch. Leur mariage était heureux, exemplaire sous bien des aspects, et il en était né deux enfants, des jumeaux à l’énergie inépuisable. Depuis le Tournoi des Trois Sorciers, Ingrid et Aude avaient développé une relation de confiance amicale dont le résultat avait été la nomination d’Ingrid au poste de sous-directrice de l’académie au mois d’octobre dernier. Désireuse de la préservée, Aude ne lui avait pas confié son secret le plus lourd, celui pour lequel elle devait être chassée de Beauxbâtons quelques mois plus tard. Ingrid fut entendu par le ministère après la fuite d’Aude en Ecosse. Elle fut même contrainte d’avaler quelques goutes de Veritaserum. C’est ainsi que Simon Ricoter mit la main sur une information clé, celle qui le conduisit devant le portail de Poudlard.

*

La réponse de Kristen me surprit et me réconforta quant à la nature de la relation qu’elle entretenait avec le ministre de la Magie de Grande-Bretagne. J’en ressentais de la culpabilité. Une culpabilité qui devait se renforcer en écoutant le récit de ce qui cimentait depuis quelques temps déjà leur relation. J’acceptais machinalement le verre d’eau qu’elle me tendait, la remerciant d’un hochement de tête, et prenais ma baguette magique pour en changer le contenu d’un tour de poignet. L’arôme de thé citronné me fit frémir et la première gorgée que j’en avalais me réchauffait le corps et l’esprit.

Le récit de Kristen me laissait cependant sans voix. Imaginer tour à tour que Poudlard avait pu être attaqué par des Aurors du ministère — lire si peu les journaux ne me servait guère, c’était une évidence — et que Kristen avait été contrainte de jeter un sortilège impardonnable à l’un d’entre eux — contrainte oui, car je ne pouvais résolument pas l’imaginer s’en servir en ayant la main mise sur la situation — m’était à ce point déroutant que je tournais ma tête vers elle pour la regarder avec des yeux stupéfaits. Plus stupéfiante encore était la fin de cette histoire. L’intervention d’Arseni Stoyanov pour épargner la prison des sorciers à Kristen faisait naître en moi un élan de sympathie pour cet homme que je ne connaissais que trop peu, si ce n’était à travers quelques souvenirs de ce qu’il avait été, il y a très longtemps, le jour où je lui avais imposé la défaite la plus cinglante de sa carrière de duelliste.

Je m’apprêtais à livrer mes propres souvenirs, consciente de devoir alimenter notre discussion à son sujet quand la conclusion de Kristen me heurta avec une telle violence que j’en ressentais un étourdissement certain — par chance nous étions assises. Je lui souriais tendrement et je savais que mes yeux lui communiquaient davantage à cet instant. Une profonde reconnaissance que je n’avais aucun désir de cacher.

« Merci, dis-je à demi-mot. Il n’y a, je crois, pas de plus grand réconfort que de constater que vous me comprenez. Vous avez le don de faire voler en éclats ma culpabilité. »

J’avalais une nouvelle gorgée de thé et reportais mon attention devant moi, dans ce vide qui me convenait si bien.

« Vous ne le savez peut-être pas, mais j’ai affronté Arseni Stoyanov quand j’étais plus jeune, dis-je en raclant ma mémoire pour ne manquer aucun détail. J’ai, il me semble, effleuré comme de la souffrance en lui. Quelque chose que j’ai utilisé contre lui pour le battre en duel. Je n’en suis pas très fière, mais ça n’a plus aucune importance aujourd’hui. Je me demande juste s’il a réussi à trouver un peu de bonheur depuis tout ce temps. Si seulement il reste encore de la place pour ça dans son coeur. Car c’était de loin le coeur le plus triste que j’ai eu à affronter au cours de ma carrière de duelliste… »

J’interrogeais Kristen du regard mais un élément inattendu devait bien trop vite m’en détourner…

Un patronus en forme de panthère remonta l’allée de sa démarche féline. Il s’arrêta à notre hauteur et s’assit sur ses pattes arrière en ouvrant sa gueule, révélant des dents acérés comme des couteaux.

« Pardonnez-moi mon amie ! Ils m’y ont obligé ! Ils m’ont forcé ! Je vous jure que je ne le voulais pas ! Jamais je ne vous aurais trahis ! Le Veritaserum qu’ils m’ont obligé à boire vous a trahis… je leur ai dit que s’il y avait un endroit où vous deviez vous cacher, ce serait auprès du professeur Loewy ! Pard… »

Le verre de thé m’échappa des doigts et se brisa au sol, répandant son liquide encore chaud sur mes pieds. Mais mon cerveau ne s’en émut guère, focalisé qu’il était sur le message d’Ingrid et son patronus. Un frisson parcourut mon échine tandis que j’analysais ce que je venais d’entendre. Il n’y avait aucune place en moi pour une quelconque colère à l’égard de mon amie, seulement de la pitié et une immense peur qu’il lui soit fait plus de mal encore. Je réalisais pour la première fois de la soirée tout ce que j’avais abandonné dans ma fuite désespérée. Les larmes me montèrent aux yeux et je les laissais ruisseler sur mon visage sans même essayer de les retenir. Je me sentais traitre à mes engagements, à cette responsabilité qui me gardait liée à tous mes professeurs et à tous mes élèves.

Guidée par une explosion de rage envers les méthodes abominables de Ricoter, ma main se cramponnait à ma baguette magique tandis que je me levais et faisais disparaître le patronus de ma sous-directrice.

« Je jure de le tuer s’il ose encore faire le moindre mal aux miens ! m’exclamais-je, défigurée par ma colère noire. »

Je donnais un tour de poignet à ma baguette magique en visant le sol et fendais mon courroux par le souvenir de la naissance de ma Sybille.

« Spero Patronum ! »

Un paon vaporeux mais plein de majesté se matérialisa devant moi, le plumage de sa queue ouvert comme un éventail presque aussi large que l’allée.

« Assure-toi de trouver le professeur Lemevelle seule et sauve avant de lui transmettre ce message… »

Je me figeais, la poitrine soulevée par ma respiration saccadée, ne sachant même pas par où commencer…
12 févr. 2017, 23:59
L'ébène et le cristal
Le regard tendre et reconnaissant d’Aude sembla traverser le cerveau de Kristen comme une flèche, très fine mais très pointue, qui vise avec une extrême précision. Kristen regarda successivement les deux yeux de la française. Le contact visuel fut cependant interrompu, et Aude reporta son attention vers un point invisible devant elle. Kristen l’imita, même si elle avait envie de la regarder encore. Elle ne voulait pas être gênante, ou même avoir la vague impression de pouvoir l’être. Un infime sourire naquit sur ses lèvres lorsque la Faiseuse de Rêves rappela son duel l’opposant à Arseni, disant que Kristen « ne le savait peut-être pas. » En vérité, c’était par Arseni qu’elle avait pour la première fois entendu parler d’Aude, et justement par le récit de ce duel. C’était aussi en raison de ce récit que Kristen s’était instinctivement méfiée d’Aude, bien que très vite, elle avait changé son opinion la concernant. Ce qui n’avait probablement pas changé, en revanche, c’était la tristesse d’Arseni. Aujourd’hui, ayant vu ses souvenirs, Kristen pouvait bien comprendre d’où venait le désespoir de son ami.

Kristen sentit le regard d’Aude se poser à nouveau sur elle, et elle profita de cette occasion pour se replonger dans ses yeux. Elle s’apprêtait à répondre à la française, mais Kristen vit que le regard d’Aude avait tout à coup tourné vers un point qui se situait derrière elle. La directrice de Poudlard se tourna donc dans cette direction, et elle vit un patronus qui avait l’apparence d’une panthère entrer. Instinctivement, elle se redressa et plissa les yeux avec méfiance. Depuis Gardner, la panthère n’était pas un animal qu’elle appréciait particulièrement.

Quand l’animal fait de magie fit entendre le son de sa voix – ou plutôt, de la voix de son propriétaire -, Kristen comprit qu’en théorie, ce patronus n’était pas ennemi, ou du moins, n’avait pas vocation à l’être. Il s’agissait d’une amie d’Aude, visiblement, qui avait trahi le lieu de sa cachette à cause du sérum de vérité qu’on lui avait fait boire. Kristen serra les dents et ses joues se creusèrent, tandis qu’Aude faisait tomber son verre, qui se brisa au sol et répandit sur le sol et sur leurs pieds le liquide qu’il contenait. Kristen décrocha son regard du patronus et, inquiète, se tourna vers Aude, qui ne sembla pas la voir. Ses yeux étaient pleins de larmes, qui commençaient à couler sur ses joues – et sur sa joue lacérée. Kristen en eut un pincement au cœur et sans y réfléchir, leva sa main vers le visage de la française, mais celle-ci était déjà debout, laissant Kristen seule face au geste qu’elle s’apprêtait à faire.

Pendant quelques secondes, voyant Aude saisir sa baguette, Kristen crut qu’elle allait faire un grand mouvement de rage et vouloir détruire une table ou fendre un mur. Mais elle n’en fit rien, et Kristen ne fut pas tellement soulagée, mais plutôt étonnée. Aude fit alors disparaître le patronus de panthère et exprima sa colère, ce qui eut pour effet de se faire lever Kristen du banc sur lequel elle était assise. Aude fit alors apparaître son propre patronus, qui était un paon. Même dans cet état de colère, Aude parvenait à exécuter ce sortilège, là où Kristen, même en étant calme, n’y parvenait pas.

Et il ne se passa rien de plus. Aude semblait bloquée, comme si sa détermination avait été mise sur pause très soudainement. Kristen, ne sachant pas quoi faire d’elle, resta debout derrière son amie, attendant qu’Aude se décide à faire ce qu’elle voulait faire, regardant successivement son patronus et ce qu’elle pouvait apercevoir, d’ici, de son visage.

Comme Aude ne bougeait pas, Kristen s’avança de quelques pas et avança sa main gauche vers l’épaule droite de l’illusionniste. Elle l’arrêta quelques centimètres au-dessus de son épaule et lentement, la descendit, osant finalement ce contact de main à épaule. Kristen sentait l’épaule de la française se soulever au rythme de sa respiration. Elle regardait le patronus d’Aude avec une mine soucieuse, et ne trouva rien à dire.

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
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13 févr. 2017, 21:49
L'ébène et le cristal
5

UN PEU DE CHALEUR


Après l’élection de Simon Ricoter, le Bureau de désinformation prit une place prépondérante dans la vie du ministère français. Ses membres reçurent des accréditations exceptionnelles qui leur permirent d’étendre leur influence bien au-delà de leur champ de compétences habituelles. Dès lors, il n’y eut plus rien d’étonnant à voir des agents du Bureau de désinformation rôder dans les services de presse magique, dans les postes, dans les relais à hiboux, dans les banques, ou tout autre organisme qui pouvait avoir une influence sur les informations qui parvenaient aux oreilles des sorciers français. Le fait que Ricoter en ait été le directeur durant cinq années pouvait apporter quelques éléments de réponse quant à l’étonnante montée en puissance d’un bureau de second plan, mais guère tromper les plus fins observateurs. Le contrôle de l’information était une arme que Ricoter comptait bien utiliser à son avantage.

*

J’étais paralysée, incapable de prononcer le moindre mot. Mon cerveau tournait à plein régime mais mon corps refusait de bouger tandis que mon regard se perdait dans celui de mon patronus. Je réalisais avec souffrance qu’il m’était impossible d’entrer en contact avec Ingrid sans la mettre consciemment en danger. Les agents de Ricoter surveillaient désormais très probablement chaque communication entre la Grande-Bretagne et la France dans l’espoir que je me trahisse pour de bon. Je le maudissais lui. Je les maudissais lui et tous ceux qui avaient décidé de le suivre aveuglément sur le chemin de la décadence. Peste soit de ces rats qui s’insinuaient dans toutes les couches de la société telles des gouttes de poison distillées dans les veines d’un organisme à l’agonie !

Je séchais mes larmes d’un revers de manche et ne percevais même pas sur le coup la main que Kristen venait de poser sur mon épaule. Aussi surprenant que ce geste soit, j’étais bien trop en colère et bien trop anéantie à l’idée de laisser mes collègues et amis dans un brouillard de silence pour réaliser ce qu’il venait de se produire. J’imaginais seulement la détresse des miens ; celle de n’avoir aucune certitude quant à ce qu’il m’était arrivée en dehors des murs de Beauxbâtons, celle de ne pas pouvoir s’assurer de ma survie… presque malgré moi, je faisais disparaître mon patronus d’un coup de baguette magique en laissant mes épaules s’affaisser. Je me savais vaincue par mon ennemi.

Le silence revenu à mes oreilles, je prenais enfin conscience de la main posée sur mon épaule. Presque instantanément, j’en ressentais l’emprise électrique sur mon corps et plus encore la tiédeur de la présence qu’elle faisait peser sur moi. Je me figeais — cette réaction ne devait pas échapper à Kristen — puis cherchais à savoir pourquoi je ne l’avais pas sentit plus tôt. Une immense fatigue m’accabla, comme si le seul contact de cette main était parvenu à me libérer de mes démons, tout du moins pour un instant. Je fermais les yeux et cherchais à réguler le rythme de ma respiration, tête baissée.

Encore aujourd’hui, je ne parviens pas à expliquer pourquoi. Pourquoi je pivotais puis me glissais contre Kristen pour l’enlacer. Peut-être était-ce un besoin primaire de réconfort, un besoin physique inassouvi depuis des décennies ? Oui peut-être bien. Ou peut-être était-ce un caprice ? L’idée me déplaisait tant elle me faisait me sentir comme une pauvre adolescente écervelée. Quoi qu’il en soit vraiment, je me retrouvais collée contre mon amie. Je pouvais entendre son coeur battre de manière irréfléchie, probablement aussi troublée que l’était le mien. Je refermais mon emprise en glissant ma main droite dans son dos cependant que mon regard se portait sur les portes de la Grande Salle avec une étonnante froideur qui ne leur était pas destinée.

« Nous ne serons pas trop de deux pour combattre un tel adversaire, murmurais-je à l’oreille de Kristen. »

Je laissais mon esprit voguer vers d’autres cieux, embrumée par le parfum de Kristen. Ma tête basculait vers l’avant et ma bouche flirtait avec son épaule tandis que je m’interrogeais sur la façon dont je pourrai triompher d’un mal si grand. Mes angoisses reprenaient pied. Je les sentais s’emparer de moi, érodant mon coeur, dévorant le peu de bonheur que j’étais parvenue à y stocker tant Ricoter me semblait intouchable.

« Puis-je compter sur vous même s'il n'y a aucun espoir de victoire ? soufflais-je, épuisée. »
14 févr. 2017, 00:06
L'ébène et le cristal
Kristen ne s’attendait pas à quoi que ce soit, et avait posé sa main sur l’épaule d’Aude parce que de ce qu’elle avait appris de ses rares contacts avec les êtres humains, c’était quelque chose à faire lorsqu’on voulait inspirer du réconfort. C’était une manière de dire : « Ne t’inquiète pas, je suis là, je suis derrière toi, et je te soutiens, quoi que tu entreprennes ». Alors que la main de Kristen se soulevait et s’abaissait au rythme saccadé de la respiration d’Aude, soudain, il y eut un mouvement qui fit descendre sa main plus bas : Aude semblait ravagée, comme si les grosses mains sales de Ricoter s’étaient appuyées sur elle pour la faire descendre plus bas que terre. Puis, la main de Kristen sur l’épaule d’Aude ne bougea plus. Aude avait coupé son souffle pour quelques instants. Kristen avança légèrement sa tête pour vérifier que tout allait bien – elle ne faisait pas un arrêt cardiaque, tout de même ?

Elle se demanda si elle devait retirer sa main, si c’était gênant, et si c’était ce contact qui avait figé Aude dans une sorte de stupeur bizarre. Son malaise se dissipa néanmoins quand la respiration de la française reprit et se fit de plus en plus calme, comme si Aude réapprenait progressivement à respirer. Kristen avait vaguement l’impression d’être rassurante pour son amie, et conserva dans son esprit la fameuse astuce de la main sur l’épaule, dont l'efficacité ne serait plus à démontrer. Elle était un peu comme un enfant qui apprend par l'expérience.

Ce qu'elle n'avait pas retenu de ses expériences, cependant, et de ces fameuses « réactions typiquement Luneau » que Kristen avait pourtant pu observer à plusieurs reprises, c'était la normalité apparente des contacts physiques de type "câlin" chez les Luneau. À la fin de la troisième tâche, Aude l'avait déjà enlacée, aussi aurait-on pu penser que la surprise de Kristen passerait les fois suivantes. Pourtant, comme si c’était la première fois qu’Aude décidait de la serrer dans ses bras, elle ouvrit de grands yeux ahuris. Elle n’avait toujours pas l’air de comprendre ce qui lui arrivait, et était comme un être un peu apeuré devant une situation complètement nouvelle, cherchant dans son esprit des choses concrètes et connues auxquelles se raccrocher. Elle avait figé ses bras un peu loin de son corps et s’était raidie d’un coup.

En contradiction avec son corps complètement immobile, elle sentait son cœur s’affoler dangereusement. Elle se demandait même si on ne pouvait pas l’entendre battre jusque dans la tour des Gryffondor, et en fut gênée : est-ce que cela pouvait paraître bizarre ? Aude était son amie, il n’y avait aucune raison pour que son cœur s’emballe à ce point.

Elle voulut ne pas penser au miroir du Riséd, donc elle y pensa.

Lorsque Kristen sentit la main d’Aude dans son dos, elle se cambra un peu, comme si elle avait soudainement été piquée par une aiguille, ou comme si on lui avait pincé un nerf situé au beau milieu de son dos. Elle crut entrer en apnée : elle inspira fortement avant de tout à fait couper sa respiration. Ses yeux toujours grands ouverts allaient de gauche à droite, cherchant désespérément un soutien parmi les chandelles volantes ou les sculptures sur les murs.

Occupée qu’elle était à essayer de calmer son cœur et à chercher une solution du regard, Kristen n’écouta pas ce qu’Aude lui murmura à l’oreille. Sentir son souffle si près d’elle ne l’aidait pas non plus à prendre pleinement conscience de la situation. Elle regretta de n’avoir pu se concentrer sur les mots de la française : et si elle avait loupé quelque chose de vraiment important ?

Alors qu’elle croyait que les choses ne pouvaient pas être pires, Kristen sentit un peu plus de chaleur contre son épaule, et, tournant les yeux vers Aude, elle vit que sa tête cherchait à se reposer sur elle. Kristen, qui n'avait pas pu rester en apnée éternellement, avait conscience qu'elle respirait beaucoup trop fort (un instant, elle fut dérangée de pouvoir passer pour un buffle auprès d'Aude), et sentait dans son ventre d'étranges sensations, comme s'il était plein de rubans de gymnastes la chatouillant de l'intérieur. D’ici, elle pouvait voir la nuque d’Aude et ses petits cheveux blonds, duveteux, plus courts et plus fins, juste en haut de sa nuque, là où la masse de ses cheveux commençait. Tout, chez Aude Luneau, semblait savamment pensé pour séduire. C'en était presque insolent.

Kristen aurait pu rester coincée à vie dans cette position tant son corps était contracté, mais elle s’avoua vaincue d’abord par ces drôles de petits cheveux sur lesquels elle aurait pu disserter durant des heures, puis par la voix d’Aude et le souffle qui s’échappa de sa bouche en même temps que ses paroles et qui frôla sournoisement le cou de Kristen. Alors, le corps de la terrible et insensible Kristen Loewy se décontracta et ses épaules se relâchèrent, tandis que ses avant-bras, qui étaient toujours figés en l’air dans une position improbable, retombèrent le long de son corps. Elle soupira, constatant sa faiblesse.

Vous connaissez sans doute cette phrase : « Et s’il te dit de sauter du haut d’un pont, tu le fais ? » (parfois suivi de : « sombre abruti ! »), où la réponse attendue est : « non, évidemment… » ? Le fait était que si Aude avait demandé à Kristen de sauter du haut d’un pont, elle l’aurait probablement fait. Sans bien savoir pourquoi. Juste comme ça, parce que c'était elle.

« Osez-vous réellement me poser la question... soupira-t-elle, presque lasse d’elle-même. »

Elle se détacha d'Aude en l'attrapant par les bras, et la regarda droit dans les yeux, avec un air très sérieux, mais presque triste. Elle réfléchit, car elle voulait dire quelque chose, mais quelque chose de sensé, de fort, et elle avait peur de sortir n'importe quoi, une phrase bateau qui n'avait plus de sens tant elle avait été répétée dans l'histoire de l'humanité. Elle n'eut pas l'idée d'être plus rassurante et de dire qu'avec elle, de toute façon, la victoire serait assurée. Elle ouvrit la bouche, inspira comme si elle s'apprêtait à parler, et la referma, ne trouvant rien de suffisamment intelligent à dire.

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
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