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04 déc. 2019, 11:46
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
Totalement libre ! Pas de nombre de mots imposé. Que vous écriviez 300 mots ou 1000, peu m'importe.
Ah, et ça se passe chez les Poufsouffle, mais les autres tables ne sont pas bien loin.


Vendredi 2 septembre 2044 - entre 7 heures et 8 heures
Grande Salle, table de Poufsouffle — Poudlard
4ème année


Elle parle beaucoup. Le flot de ses paroles m'enfouit dans une langueur étrange. La Grande Salle semble s'effacer sous mes yeux et à mon plus grand désespoir les discussions de tous les Autres également ; ne reste plus qu'elle et ses mots, ses mots qui m'alpaguent. Le regard que je pose sur cette gamine est transparent. Je vois au travers elle, j'imagine ce qu'elle me raconte, j'essaie de ne pas avoir mal au coeur, de ne pas réagir. Mais mon corps me refuse cela. En un mouvement rapide et angoissant, ma main tremble contre ma cuisse ; en fait, elle frappe si rapidement qu'elle semble trembler, mais c'est moi qui la fait bouger. Ou quelque chose à l'intérieur de moi qui a hâte de s'en aller d'ici pour aller rejoindre Thalia que je vois au bout de la table. 

« ... et il a dit que ce n'était pas si important que ça, finalement. Alors ce paquet pour toi, ce paquet pour toi et bien sûr, il y a les lettres qui vont avec. Vot' père m'a dit que surtout il fallait faire attention à tout ça, parce que vous ne pourrez pas en avoir avant Noël bien sûr, et finalement pt-être même qu'à Noël ce s'ra pas possible, vous savez, parce que bon, bah on sait pas trop comment ce s'ra à c'moment-là. Papa m'a dit que c'était inutile de s'inquiéter, qu'on verrait bien au moment venu, mais moi je pense que... »

Je balaye Aodren de mon regard sans m'attarder sur lui. Il est pâle. J'en ai assez de le voir se tourner à droite à gauche, comme s'il était paniqué, à regarder autour de lui et à lancer son regard dans le vide. Quoi qu'il tire moins la tronche, aujourd'hui. Mais il a l'air aussi hermétique que moi au blablatement de cette insupportable Grewger. 

Krissel a grandi. C'est la seule chose qui m'a marqué quand je l'ai aperçu. Elle est toujours aussi petite, évidement, mais elle semble plus allongée, plus mince peut-être. Ses joues moins rondes, ses cheveux blonds plus longs autour de son visage, ses yeux moins bleus. Quelque chose dans ce goût-là. Mais de toute façon, je me fous d'elle. 
Je me sens bouillir de l'intérieur. 
Si elle ne se tait pas rapidement, je vais crier ou pleurer, au choix. J'en ai assez de l'entendre tout me dire sur mon Papa qu'elle a vu alors que cela m'est interdit depuis avril dernier. J'en ai assez de l'entendre raconter combien son propre père lui manque alors qu'elle a vu Lounis la veille. Et Merlin, Merlin cela m'est si douloureux de savoir qu'elle a vu Zakary hier seulement (il l'a accompagné à la gare avec Lounis, elle me l'a dit ; je ne l'ai jamais autant haïs), alors que j'ai la sensation que plus jamais je ne le verrais. 

« Enfin voilà, c'est pour vous ! » 

Tiens, il semble qu'elle ait terminé. 
Je baisse les yeux sur les paquets qu'elle pousse vers nous entre les carafes de jus de citrouille, les brioches et les pavés de beurre. Enveloppés dans du papier kraft se trouvent toutes nos fournitures ; livres, plumes, parchemins, uniformes à notre taille, encres, etc. Tout ce que l'on n'a pas pu aller chercher sur le Chemin de Traverse parce que le Monde nous a interdit de rentrer à la maison. 
La gorge serrée, j'approche mon paquet de moi. Sur un parchemin joliment plié se trouve mon prénom écrit en petites lettres serrées. L'écriture de Maman. Près de moi, Aodren fait de même, il regarde son paquet. Il est étrangement silencieux, mais finit par réagir : 

« Merci, Kriss'. C'est super de ta part. » A ma grande horreur, je le vois se pencher pour planter un baiser sur la tête de l'enfant. 

Moi, je la déteste. Je ne lui dit rien du tout. A raison : un instant plus tard, après avoir cherché en vain à croiser mon regard, elle nous lance un sourire et : 

« J'dois aller rejoindre Anaëlle ! J'vous laisse à vos affaires, les Bristyle ! »

Et la voilà qui fend la Grande Salle pour aller rejoindre son idiote d'amie. Je soupire, mes affaires en mains, debout près de la table des Poufsouffles. J'ai perdu tout appétit. J'ai tout perdu. En fait, je ne sais pas très bien si je me sens triste ou en colère. 

07 déc. 2019, 11:55
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
RUBY, 11 ans
2 septembre 2044 Tôt dans la matinée
Table des Gryffondor, Grande Salle, Poudlard


•••

Et maintenant, il me fallait réaliser. Que j'étais à Poudlard, désormais, que je commençais ma vie d'élève ici, de jeune sorcière. Qu'un nouveau monde s'ouvrait à moi. *Moi*. Ce mot était si doux dans ma bouche. Je prenais mon temps pour le savourer, tout comme les délicats aliments qui avaient constitué mon petit-déjeuner. J'intégrais doucement ce que ma qualité de sorcière représentait, ce que j'allais pouvoir en faire. Enfin.
Certes, j'avais découvert la magie dès mon plus jeune âge — mais à quatre ans, comment comprendre ce qui nous attend ? Comment avoir la moindre ambition pour son destin ? Au fond, je prenais lentement conscience de mon avenir ici. Il m'attendait, tapi dans l'ombre. Était-ce de l'excitation, du haut de mes onze ans ? De la fierté, mêlée à de l'appréhension ? Je ne savais pas, *ah*, sacrée confusion dans mon esprit embrouillé.
Une vague de nostalgie me submergea. Immense, et je ne pouvais en discerner la crête. Je revis ma petite enfance défiler, ces jours enchantés, où rien ni personne ne pouvait gâcher mon plaisir d'enfant. La veille, j'avais retrouvé des étoiles dans les yeux. Aujourd'hui, j'étais perdue.
Deux jours s'étaient écoulés depuis mon arrivée au château, mais j'avais bel et bien sept ans devant moi.

Toutes ces idées qui me tombaient ainsi dessus... *C'est trop*.

Et mon cœur se mit à battre. *Plus fort*.

Je fus prise d'un vertige, que je n'avais pas vu s'approcher à pas feutrés. Mue par un réflexe instinctif, j'accrochai mes doigts fins au bord de la table, comme si celle-ci représentait ma seule chance de survie dans ce monde démesuré. Ils glissaient, glissaient...

Longue inspiration.

Je tente de m'ancrer dans la réalité. Lutte pour ne pas avoir peur de mon futur. Merlin, pourquoi ai-je donc vu aussi grand ? Je veux fixer ma concentration. Un détail, un rien. Je balaye du regard les quatre tablées, où se réunissent petits et grands d'ici. *Un jour, j'en ferai partie, moi aussi...*. Argh. J'ai mal à la tête.
Un regard m'arrête. Vague, impossible à interpréter, qui appartient à une jeune fille. Une Poufsouffle, si j'en crois sa robe. Devant sa personne sont posées des fournitures scolaires en vrac.

Je sais que parler me fera du bien. Aspirer l'oxygène, expirer mes pensées. Alors je me lève. La Grande Salle tangue doucement devant mes yeux, mais je ne cède pas à l'appel du sol. Je marche, un pas après l'autre. On m'aurait crue en convalescence, mais je suis simplement dépassée par mon ambition. Le bruit de mes chaussures sur le marbre froid, moi seule l'entend.

Je viens m'affaler sur le bois du banc. Il est tout ridé, sûrement à cause du poids des années. *J'veux pas finir comme lui !*. Ma main court sur les rainures vernies, puis remonte au niveau de mes tempes, que je masse. Et je trouve enfin la force de lever les yeux vers cette intrigante jeune fille. Debout devant moi se tient la Poufsouffle.

Elle paraît perdue.
Je suis désorientée.
Elle ne dit rien.
Moi non plus.
Elle a juste besoin.
On dirait bien que *Moi* aussi.
Dernière modification par Ruby Everheart le 06 juin 2020, 17:32, modifié 1 fois.

these violent delights have violent ends

11 déc. 2019, 08:53
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
Mon coeur bat au ralenti. Je ne le sens presque pas dans ma poitrine. Je ne sens pas grand chose. Je suis tellement habituée au tsunami de mes émotions que ressentir ce Rien m’effraie légèrement. C’est comme si c’était plus fort alors que je ressens moins, c’est comme si c’était plus douloureux alors que j’ai moins mal. A l’intérieur de mon coeur, c’est le néant. Je me sens vide. Il n’y a qu’une partie de moi qui soit cohérente : ma gorge ; elle est nouée et douloureuse. Elle m’empêche presque de respirer. Presque.

Au milieu de toute cette mélasse, de ce silence étrangement doux que je partage avec Aodren qui n’a pas bougé, plongée au coeur de cette foule d’Autres qui voit sans comprendre, je me sens soudainement si seule (et je suis persuadée, pour la première fois, qu’Aodren ressent tout comme moi) qu’un sentiment d’irréalité enveloppe mon esprit. Tout à coup, c’est comme si je n’étais plus là. Comme si j’étais hors du monde, hors de moi. Et je peux me voir de l’extérieur ; ma peine est visible sur mon visage pour toute personne me connaissant un minimum. Elle me fait si mal cette peine. Je me secoue pour revenir à l’intérieur de moi, pour ouvrir les yeux sur le monde.

Un banc racle sur le sol. Tout près de nous.
Je sursaute et lève la tête.
Là, devant moi. Elle n’y était pas auparavant. Une fille pâle aux cheveux clairs et au visage parfait. Ses yeux bleus me regardent. Non, elle me Voit. Je déteste ça. Dégage ! vais-je lui dire. Sa robe est rouge, elle n’a rien à faire là, je ne veux pas la voir. Vas-t’en ! vais-je gueuler. Parce que je ne veux pas parler, pas penser.
Mais je n’en fais rien. Aodren parle :

« Je vais… J’vais aller ranger ça au dortoir. »

Cela m’aurait étonné qu’il ait remarqué que cette fille n’a pas sa place ici, ni près de moi ni à la table des jaunes. Haussant les épaules, le regard toujours plongé dans les perles de l’Indésirable, je marmonne :

« Ouais, moi aussi. »

Il me faut toute ma force pour m’arracher à ce regard-là et tourner mes yeux vers Aodren. Ce dernier ne me regarde même pas, il a la tête penchée sur ses affaires. Une nouvelle fois, sa peine me frappe ; c’est la même que la mienne. Quand il lève ses yeux vers moi, le sourire qu’il affiche sur ses lèvres est le plus gros mensonge qu’il m’ait été donné à voir.

« On les verra à Noël, » chuchote-t-il, comme si lui aussi ressentait ma peine. 

*La ferme !*
Ne parle pas d’eux. Ma gorge enfle et mon coeur ralenti lorsque je pense à eux. J’ai mal d’avoir peur d’être interdit, encore, de rentrer à la maison en décembre. Je serre les mâchoires, fronce les sourcils pour enterrer la peine. Mais je n’ai pas la force de détruire l’espoir d’Aodren. Pas aujourd’hui. Pas alors que pour la première fois depuis longtemps il semble faire un peu attention à ce que je ressens. Alors je hausse les épaule, encore, et je lui lance d’une voix rauque :

« Ouais, à Noël. »

Je grimace un sourire, un mensonge plutôt, qui m’est plus douloureux qu’agréable. Alors, pour apaiser mon coeur, je tourne la tête vers le bout de la table pour apercevoir Thalia. Thalia qui est si Thalia. Sa présence, bien que lointaine, me réchauffe un peu le coeur.

« On s’voit plus tard ? » demande Aodren, forçant mon regard à se détourner.

Il prend ses affaires dans ses bras. J’attrape la lettre de Maman qui a glissé sur la table et la dépose dans le tas informe qu’il serre contre son coeur. Je hoche la tête pour dire oui, mais je sais qu’il ne viendra pas me voir. Il ne vient presque plus me voir depuis mai. Quétrilla a dit, je m’en souviens : sois patiente, ça lui passera. Mais ça ne passe pas et je crois que je lui en veux.
Je le regarde contourner les tables pour sortir de la Grande Salle, seul. Moi aussi je me retrouve seule à ma table. Je rassemble mes affaires et attrape la lettre de Maman. Je m’apprête à l’ouvrir, mais au dernier moment je la fourre dans ma poche. Je viens de me souvenir de l’autre Indésirable qui me harasse de son regard.

Je lève la tête, plonge mes billes sombres dans les siennes. Je fronce les sourcils comme pour dire : qu’est-c’tu veux ?

17 déc. 2019, 13:34
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
Mais que m'était donc passé par la tête ? Cette idée de venir s'écrouler à la table des Poufsouffle, c'était totalement insensé. Je ne suis pourtant pas timide, mais mon cerveau devait être particulièrement embrumé pour me faire agir ainsi. Marionnette mécanique, esclave de mon corps endolori. Inerte, je n'arrive pas à bouger le moindre membre. Trop chamboulé, mon corps ne répond plus.

*Au moins*, j'ai de nouveau les idées claires.
Ce voile qui me recouvrait l'esprit ? *Dissipé*.
Ma nébulosité mentale ? *Disparue*.

Mais je prends conscience de l'invraisemblance de mon acte, plus stupéfaite et tourmentée à chaque instant.
Et maintenant, la fille devant moi me fixe étrangement, d'un air presque menaçant. Ce regard, c'est celui qui m'a ramenée à la réalité. Brutalement, oui. La réaction de la Poufsouffle est parfaitement compréhensible : qui est donc cette Étrangère, qui vient s'imposer ainsi dans le cours de sa vie ? *J'aurais même réagi pareil*.

Je me trouve maintenant ridicule. Et je hais ce sentiment, qui ne se prive pas de s'insinuer au plus profond de mon être. Transporté au cœur de mes veines, où afflue mon sang. Et mon pouls que je sens battre. Mon bras gauche, qui me procure une sensation désagréable supplémentaire. Dégoût. Je m'exècre. À l'idée seule d'être en position d'infériorité, mes poils se hérissent. Ne s'offre plus qu'à moi l'impuissance. Observer, *juste*, et prendre un air digne, *au moins*.
Je relève le menton, ce qui n'empêche pas mes idées sombres de ressurgir. Et je m'y replonge.

M'imposer comme je l'avais fait relevait du dérangeant. Et je sentais clairement que j'avais dérangé l'Autre. Moi qui me sentais si avide de déverser mon mal-être quelques instants auparavant, je n'arrivais plus à décoincer mes mâchoires, à les ouvrir et à émettre le moindre son. Non, rien, pas même le filet d'une voix cassée.

Les battements de mon cœur recommencent leur folle course, et je me crispe. Mes muscles raidis subissent à nouveau une vague de tension déferlante. Toujours assise sur le banc usé depuis des siècles, mon corps encaisse, supporte, attend.

« Excuse... -moi. »

Je m'arrête là, ne pouvant continuer. Comment avais-je trouvé la force de balbutier ces quelques mots, moi qui suis si faible alors ? J'espère que la Poufsouffle sentira ma détresse. Me parlera, peut-être, bien mieux que ce que je venais d'articuler avec peine.
*Mais au fond...* Qu'est-ce que cela peut bien lui faire, à cette fille ? Je ne la connais même pas. L'Autre s'en fiche assurément, oui. Lasse, j'attrape un verre d'eau, et en bois lentement le contenu, comme si la fraîcheur pouvait laver de ma mémoire l'incident.
Dernière modification par Ruby Everheart le 06 juin 2020, 17:34, modifié 1 fois.

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27 déc. 2019, 16:43
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
Ma langueur ne disparaît pas lorsque je rencontre le regard de l'Autre. Au contraire, elle s'épaissit. Elle devient si compacte dans ma tête que pendant un instant je crains de ne plus être capable de m'en sortir ; elle finira par m'avaler toute entière et plus jamais je ne serais moi. Mais finalement, elle ne fait pas grand chose. Elle se contente d'être Là et de m'emprisonner dans la lourde tristesse que je ressens dans mon coeur. Et l'Autre, en face de moi, ne peut rien contre cela ; ni m'apaiser, ni accentuer ce sentiment. Elle aussi se contente d'être Là, d'être sans moi. 

Je soupire indistinctement, triturant dans le secret de ma poche la lettre de Maman. J'ai envie de découvrir ses mots. Peut-être même plus que d'aller rejoindre Thalia au bout de la table. J'ai l'impression que si pendant quelques minutes je me penche sur l'écriture désordonnée de Maman, je disparaîtrais un peu d'ici pour être Là-bas ; à la Maison. Peut-être pourrais-je sentir l'odeur des brioches que l'on mange le matin, l'odeur du soleil qui pénètre par les grandes baies vitrées de la véranda, ou encore la douce essence des arbres qui vogue jusqu'au jardin. Et si je ferme les yeux, je suis certaine que je pourrais m'y croire ; alors je pourrais oublier, un peu, qu'Ils me manquent tous si fort. 

« Excuse-moi. »

La voix me surprend. Je cligne des yeux. Une fois, deux fois. La fille est encore là. Elle me regarde. Elle a parlé. Je la détaille, de la tête au bas de son buste ; le reste se cache sous la table. Cette observation ne m'apporte rien, mais elle me permet de me détacher de ma Langueur. Mon coeur s'accélère légèrement dans ma poitrine : je n'aime pas oublier que les Autres m'entourent ; je n'aime pas m'oublier quand des Autres sont présents. Mais les gestes de la fille me permettent de revenir complètement à la réalité. Ma bouche se tord quand elle attrape le verre. 
Elle arrive là. 
Elle s'installe. 
Elle me regarde. 
Me parle. 
Pioche dans les verres des autres. 
Je crois que je l'aime pas. Mais plus fort encore : je crois que je m'en contrefiche. Cette fille n'est pas plus intéressante que tous les autres Autres-fantômes qui m'entourent. Elle se contente d'être là et moi je subis seulement sa présence brumeuse. 

Ses mots, d'ailleurs, me laissent perplexe. Je n'ai aucune idée du pourquoi est-ce qu'elle s'excuse. D'être venue là ? De m'avoir regardé ? D'être, tout simplement ? Non, je n'en sais rien. Cela n'a peut-être pas grande importance. 

Je soupire profondément, d'un soupir qui plonge jusqu'au fond de mes poumons pour ressortir violemment par ma bouche et par mon nez ; un soupir bruyant qui hurle de fatigue et de tristesse. Je sors ma main de ma poche et la fait rejoindre la première, entourant mon petit tas de fournitures et le ramenant contre mon ventre pour le stabiliser. J'aligne les livres, je cale les parchemins, je coince les plumes pour éviter de les voir rouler. Et enfin, je lève les yeux pour les plonger dans ceux de la fille. 

« J'm'en fous, » marmonné-je d'une voix basse, sans ne faire aucun effort d'articulation. 

J'm'en fous de ce que tu fais.
J'm'en fous de ce que tu veux. 
J'm'en fous de tes excuses qui ne veulent rien dire. 
En clair, que tu sois là ou non, cela ne change rien. 
Mais c'est un mensonge, car je ne me fous pas de sa présence puisqu'elle me dérange, puisqu'elle m'intrigue. Mais je me fous de ce que je ressens. Alors par extension, je me fous de l'Autre. 

Je me penche pour récupérer mes affaires. Le tas est lourd. Je le cale contre moi, passant mes avant-bras dessous le dernier livre pour stabiliser la colonne de mes affaires ; la colonne de ma vie qui, comme celle que je tiens dans mes mains, est effroyablement instable. Autour de moi, tout semble bouger bien trop vite ; les Autres qui me frôlent, les paroles qui fusent, les corps qui se lèvent ou s’assoient.
Je me demande comment je serais si j’avais passé l’été à la maison, si je revenais au château après avoir passé deux long mois auprès des miens, à m’éloigner un peu de la vie pesante du château. Je crois que si c’était le cas, ce matin je sourirais. Après ma première nuit passée dans le même dortoir que Thalia, avec Zikomo *et même Peers !*, je crois que je sourirais si fort que mes lèvres en souffriraient. Oui, j’aurais été heureuse d’être là.
Mais non, j’ai passé l’été ici et aujourd’hui ne sera guère différent d’hier, pas plus que demain sera plus palpitant que cette journée qui est si longue à démarrer.

Un dernier regard à la fille avec son foutu verre qui ne lui appartient pas. C’est sûrement une première année. Elle aurait mieux fait de rester là où elle était au lieu de venir ici.

12 janv. 2020, 14:56
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
Stupide fille. Je suis une Intruse.

Je ne suis même pas une Poufsouffle. Je n'ai pas ma place ici. Quelle horrible sensation que de s'en rendre compte. Tout votre être voudrait partir, quitter cet endroit où vous n'êtes pas la bienvenue, mais vous restez clouée là, sans volonté.
Pourtant, le regard de l'Autre m'avait tant intriguée. Comment ? Je n'aurais su le dire, mais j'étais venue, avec l'impression que j'allais être bien Accueillie. Cueillie, même, et Recueillie pour finir. J'y avais cru, et puis la désillusion.
Au début, j'avais eu besoin. Et maintenant ? *Partir ?*. Plus la force. J'ai reposé mon verre, mais je ne sais si mes pensées s'en trouvent éclaircies. Le brouillard incertain qui provient de la Fille me trouble les idées.
Et puis je ne bouge plus. Inerte, sauf pour supplicier de mes dents ma lèvre inférieure.

Voilà l'Autre qui soupire. Entre mes yeux mi-clos, je perçois un déferlement de torpeur, provenant de la Fille. *Qu'elle est égoïste !* N'a-t-elle pas vu ma propre faiblesse, enfin ?

« J'm'en fous. »

Ça y est. Comme moi, l'Autre a parlé. Mais je tique. Alors c'est aussi simple que ça ? La Poufsouffle s'en fout, que *moi* l'Inconnue vienne, et s'installe naturellement ? *Je ne dérange pas ?*. La Fille s'en fout, de ma présence ?

Ce n'est pas l'impression que donne l'Autre. Et je n'arrive pas à la comprendre. En fait, je n'ai jamais rencontré un être aussi difficile à cerner, jusque là.
Cette Autre était trouble et imprécise. Elle était Opaque. Je ne pouvais pas la sonder, explorer son âme comme j'aimais tant le faire avec les Autres. Rien que ça pouvait paraître intrusif, mais il n'en était rien : je cherchais simplement à mieux distinguer leur nature.
Pour cela, j'aurais dû connaître la Fille depuis des années déjà, c'était évident. Qu'avais-je cru ? Que toutes deux allions repartir en riant, en pleine forme, en nous tenant par les épaules ? Je n'en avais même plus envie — car l'idée d'un soutien m'avait caressé l'esprit, oui.
Alors qu'à l'inverse, l'Autre m'a dévisagée, examinée sans retenue. Elle ne s'est pas gênée, et c'est injuste ; *je n'aime pas qu'on puisse lire en moi*. Mais si la Fille a visité mon âme, pourquoi n'a-t-elle pas reçu mon message de détresse ?

Seulement, moi la Première Année veux rester avec elle, car l'imprécis me fascine tout autant qu'il m'ennuie.

Stupide fille. Je n'ai rien compris.

Et la Poufsouffle rassemble ses affaires. Nos regards se croisent, mais je suis lasse, je ne ressens rien. Je fatigue, à vouloir interpréter chacun des faits et gestes de la Poufsouffle. Je guette, épie, et c'en est gênant, alors j'arrête.
L'Autre s'apprête à partir, là. *Que faire ?*. Dois-je la retenir, ou me lever ? Je n'ose plus, intimidée. Je n'aime plus cette Fille, mais comment l'oublier ? C'est impossible, il me faut l'identifier clairement. Puisqu'elle va s'en aller, autant avoir son Nom en souvenir, si j'arrive à le lui arracher. Et alors sa trace sera gravée dans ma mémoire.
Seules deux syllabes me viennent à l'esprit. Dans un souffle fade, je lâche :

« T'es qui ? »

Stupide fille. Je suis sans doute allée trop loin, mais mon abattement est bien plus profond encore.
Dernière modification par Ruby Everheart le 06 juin 2020, 17:35, modifié 1 fois.

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22 janv. 2020, 17:13
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
Elle, elle doit être si heureuse là où elle est. Elle doit resplendir de bonheur. Qu’il est bon de découvrir le château, qu’il est bon de voir autre chose que sa maison, qu’il est bon de sentir la magie tout autour de moi, de connaître afin cet endroit dont papa et maman parlent tout le temps, bla bla bla. *Pff*.
Un dernier regard vers la fille.
Ouais, c’est sûrement le genre à écouter béatement dans sa tête ce genre de pensées béates. Elle doit s’extasier, assez pour quitter sa table le premier jour de cours pour venir squatter celle de la maison voisine. S’il y a bien une chose que j’aime moins encore que les Autres, ce sont les Autres qui se croient tout permis. Eux, je les déteste. Ils me font pitié, car ils se croient importants alors qu’ils ne sont rien du tout.

Je respire profondément.
Je ne sais pas d’où me vient cette colère qui rend mes pensées venimeuses. Et je sais encore moins pourquoi, nom de Merlin, pourquoi je me prends la tête avec cette gamine dont je me fous de l’existence alors qu’elle n’est rien pour moi ! C’est tellement idiot. Je ferais mieux d’aller rejoindre Thalia. Je n’ai pas beaucoup de temps devant moi. Je dois encore aller déposer mes affaires au dortoir, puis partir en cours. Avant de faire tout cela, de me faire avaler par le Monde, je veux m’assoir en face de Thalia et la regarder. Au moins, elle n’a pas changé. Elle est la même qu'hier. Elle n’est pas comme tous les Autres qui sont soudainement arrivés de tous les côtés avec leurs cris et leur présence. Non, elle était là hier, elle était là cet été, elle était avec moi. Elle fait partie du paysage. Les autres sont des intrus.
Moi qui pensais être heureuse de retrouver enfin un peu d’agitation. Il semble que je me sois trompée.

J’ai tout juste le temps de faire un pas en direction de Thalia.
La voix de la fille m’interrompt.
J’avais oublié que j’avais parlé.
Elle dit :

« T’es qui ? »

T’es qui ?
Ce n’est pas sa voix qui me stoppe brutalement, ni même sa question, ni même son affront. Non, ce n’est rien de tout cela. C’est le souvenir. Le souvenir puissant, dérangeant, présent, Imposant. Il envahi ma tête, il fait sursauter mon coeur. Tout à coup, je ne sais plus comment respirer. J’ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort. Et tout au bout de la colonne de mes affaires, mes mains se mettent à trembler.
Quand était-ce ? Ce « t’es qui ? » ? Quand était-ce que le foutu gamin-roi *Lingtomn* m’a dit exactement les mêmes mots ? Il y a des mois, des années ?
Non, seulement un an. Une foutue année.

Mon corps bouge sans que je ne lui en donne l’autorisation. Il se tourne vers la fille et jette mes yeux sur elle. Elle ne ressemble pas au garçon, elle n’a rien de Lingtomn ; ni sa prétention, ni même sa sincérité.
Elle n’est pas lui.
Et pourtant… Pourtant mon coeur bat un peu plus vite.
Il s’emballe et moi, je ne sais que dire. L’an dernier, j’avais trouvé les mots. Je n’aime pas repenser à ces instants, par Merlin je déteste cela.

Je fronce les sourcils. Mon esprit patauge dans une mélasse de souvenirs. Il n’arrive pas à s’en extirper. Des mots passent pourtant dans ma tête. Des idées de réponse, peut-être, ou tout simplement des mots.
Et toi, qui t’es ?
Pas la partenaire du Chinois, en tout cas… *NON !*. Ça, c’était l’an dernier.
Va te faire foutre.
J’aime bien ces derniers mots. Ils sont clairs, ils sont précis. Et surtout, surtout ils me permettront de faire s’exprimer mon coeur qui bat trop vite de mes souvenirs. Cela me ferait du bien de les prononcer. Mais je ne dis rien, j’en suis incapable. Les secondes s’écoulent, quelque chose se passe. Une chose qui passe de la fille à moi et de moi à la fille ; nos yeux se regardent, s’affrontent. Et moi, je ne sais que dire. Ma bouche est sèche et mon coeur bat trop vite.

« T’sais pas qui elle est ? »

Merlin !
Je quitte la fille des yeux *enfin* pour braquer mon regard sur un garçon assis tout près de l’Autre. Brun, yeux bruns, tête ronde, troisième année ; terriblement banal. Je me souviens de sa tête, mais pas de son nom. Mais je me rappelle que sa tronche ne me revient pas et que je ne suis pas censé l’apprécier.
Je vrille mon regard dans le sien. Ose seulement l’ouvrir, enfoiré, pensé-je avec force. Mais sans doute ne dois-je pas penser assez fort, puisqu'il se met à parler : 

« C’est la célèbre Aelle Bristyle ! S’tu veux, j’te raconterais tout c’qui a à savoir sur elle. »

Et le voilà à se gausser, envoyant son coude dans les côtes de son ami pour le faire participer à son hilarité. Ledit ami me regarde, puis jette un oeil à l’Etrangère et hausse les épaules avant d’en retourner à son déjeuner.
Au moins un d’intelligent.
Ma bouche se tord en une grimace de colère.

« Ferme ta gueule, toi, » feulé-je en direction du premier garçon.

Je ne mets pas dans mes mots toute la hargne que je voudrais. Le fait est que je suis surprise. Je ne pensais pas, nom de Merlin, je ne pensais pas qu’il y en aurait encore pour me fatiguer avec ces histoires de Chinois. Comme par hasard, il fallait que cela arrive au moment précis où le souvenir du Chinois me revient — souvenir lié à Lingtomn, malheureusement. Il se passe toujours de sales choses lorsque je songe à Chu-Jung.

Je ramène mon regard sur la fille, sans parvenir à me départir de la grimace qui me déforme les traits. Un soupire traverse la barrière de mes lèvres. Doux Merlin, il serait si simple de disparaître.

« Célèbre, p’t-être, mais qu’a pas besoin d’être emmerdée par les premières années, c’est clair ? »

Mon souffle s’expulse de ma gorge pour lancer ces mots pâteux dans le monde. Au moins, si j’effraie cette gamine elle ne reviendra pas me voir en croyant que je suis son amie. Heureusement, elle ne m’a pas l’air d’être aussi insupportable que Krissel. Elle doit savoir se tenir, elle.

30 janv. 2020, 22:41
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
Les voiles brumeux du Vertige tentent à nouveau de m'envelopper toute entière. Délice tentant de la facilité : ce serait tellement plus simple de m'évanouir, là, et de disparaître dans un flou aux Contours incertains. Pendant ce temps, mon enveloppe extérieure croule sous le regard réprobateur de la tablée Jaune. La faiblesse veut prendre mon petit être sous son aile. Mais je ne veux pas me laisser engourdir, et que tout devienne noir. Il me faut résister. Je veux rester encore un peu avec cette Fille qui m'intrigue.

Une simple question posée, peut-être plus abrupte que nécessaire — mais l'Autre a bien exhalé de la Dissuasion à l'état pur. Et une réponse me parvient, seulement c'est un Autre qui l'articule.

« T’sais pas qui elle est ? »

Je gronde en silence.

*Non, j'sais pas, imbécile ! Et j'sais pas non plus qui t'es, alors ne viens pas m'parler !*.

Aussitôt, mes lèvres se pincent avec horreur, comme si je venais de proférer une énormité. C'en est une pour moi, sage fillette. La vulgarité de la Jaune déteint sur moi, me contamine. Il me faut me reprendre. Et l'Autre continue sur sa belle lancée, voilà qu'il... la nomme, cette Poufsouffle ?

*Aelle. Bristyle. On dirait un nom de papillon*.

Voilà la première pensée qui me traverse, tandis que le Papillon fixe de ses yeux noirs les deux Autres compères. L'un rit fort, le bruit me dérange. Un point lancinant fait son apparition au sommet de mon crâne. Soupir.

La Poufsouffle vient de parler, et quelles paroles ! Mes yeux manquent de s'arrondir sous l'effet de la vulgarité. Les Mots de la Fille sont bruts, nets, et surtout voulus. Ce n'est pas par hasard que ces Mots sont sortis. *Peut-être est-ce dans la nature de la Poufsouffle, de paraître aussi indifférente ?* je me demande.
Et enfin, je comprends, grâce à l'Indifférence. L'Autre se fout de mon existence, et... *elle a p’t-être raison, après tout*. Qu'est-ce qu'une pauvre Première Année peut bien apporter à sa vie de Presque-Grande ?

Le Papillon menace, mais je la vois d'un œil nettement différent, désormais. C'est fou comme de simples paroles peuvent changer vos a priori. Et mes sentiments changent eux-aussi, passant de l'intérêt au dégoût profond. Ce sera sûrement plus difficile de masquer mon jugement à l'Autre, qui lit bien mieux en moi que l'inverse. Je ressens déjà ses yeux sombres posés sur mon corps, ceux qui m'avaient tant attirée au Commencement. Une gêne infinie s'empare de mon âme, me dévore et se joue de moi comme l'Autre m'a bernée. Alors mon propre regard se fait fuyant, et voilà que je veux aussi fuir l'endroit, et cette Fille qui me dérange à son tour. Je me lève. Chancelle à peine, alors je tente d'avancer. Mais mon pas reste en suspens l'espace d'une seconde ; une idée me vient. Elle ne prendra qu'un instant, et ensuite je pourrai partir, aussi simplement que cela.

Une lueur de défi s'allume dans mon regard, tourné vers le Garçon. Elle brille, et un sourire tente de se frayer un chemin sur mon visage. Le danger du Vertige est écarté, pour le moment. Ma voix se fait pressante, car mon avis a complètement changé. Inconscience.

« Vas-y. Raconte-moi. »

Puis, plus fort, à la tablée que j'englobe du regard. Parce que Lui n'a pas l'air d'intégrer ma demande.

« Qui c'est, elle ? »

*C'est Aelle* me souffle mon esprit.
Dernière modification par Ruby Everheart le 06 juin 2020, 17:35, modifié 1 fois.

these violent delights have violent ends

31 janv. 2020, 13:24
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
2 Septembre 2044 au matin
Grande Salle, Poudlard
3ème année


Je ne suis pas jalouse.

Dans mon assiette, ma brioche est déchirée en trois. Depuis le temps que je suis là, je ne l’ai pas encore porté à mes lèvres. Tout comme le verre rempli de jus de citrouille qui est posé devant moi. Je n’ai ni faim, ni soif. Pourtant, ma bouche est sèche et sableuse.

Je ne suis pas jalouse.

Ceux qui m’observe doivent penser mon regard perdu dans le vide. Mais personne ne m’observe, je suis comme invisible. Invisible, et mon regard ne se perd pas dans le vide. Il fixe une fille, loin de ma place. Il dérive sur le garçon à ses côtés — *Aodren* —, et la gamine qui parle trop vite. Même sans l’entendre, je vois ses lèvres agitées déverser des paroles sur les deux autres.

Je ne suis pas jalouse.

Sombres, mes yeux ne quittent pas la brune un instant. Mes doigts trouvent le chemin de mon assiette, et je ne m’en rends compte qu’au moment où je découvre ma brioche écartelée et éparpillée en mille morceaux. Immangeable. Je n’avais, de toute manière, pas l’intention de la manger.

Je ne suis pas jalouse.

À peine la gamine trop bavarde partie, je soupire de soulagement. Celle que j’observe va bientôt venir me rejoindre, n’est-ce pas ? Je vois sa tête qui se tourne vers moi, mais nos regards ne se croisent pas. Pourtant, elle ne bouge pas. Et je vois l’autre enfant immédiatement.

Je ne suis pas jalouse.

Blonde, elle se tient à côté. Et si je l’ignore, j’observe le Serpentard s’en aller avec un espoir naissant au fond des yeux. Mais elle ne bouge toujours pas. *Qu’est c’tu... ?*. La gamine lui a donné quelque chose, je sais ; une lettre, vraisemblablement.

Je ne suis pas jalouse.

*Mais pourquoi j’me répète ça ?*
Brusquement, mes sourcils se froncent. Non, je ne suis pas jalouse. Bien sûr que je ne suis pas jalouse. De qui pourrais-je être jalouse ? Ni de la gamine qui lui a parlé trop longtemps, ni de l’enfant paumée aux couleurs rouges qui se tient à côté d’elle, ni de rien du tout.
Peut-être d’elle, tout simplement. Dérivant vers la table des verts, mon attention se concentre sur le garçon aux cheveux noirs qui est assis en bout de table, en face d’une fille, muet. Puis vers la table des rouges, le gamin entouré de tous ses amis, qui se tait pour une fois, le regard brun dans le vide. Puis vers la table des bleus, la grande fille blonde assise d’une manière étrangement astucieuse pour avoir un parfait angle de vue sur une fille à la peau sombre et aux cheveux crépus. Je n’ai pas de nouvelles de mes parents, moi. Emily n’a pas pu les voir — ne t’approche pas d’une traitre à son sang et d’un moldu, lui a ordonné Sasha qui était avant si gentille avec moi. Voir cette lettre, certainement de la part de ses parents, me retourne le ventre. Je n’ai pas cette chance.
Mais je n’ai pas le droit d’être jalouse.

*Je n’le suis pas*
Aucune jalousie ne dévore mes entrailles, n’est-ce pas ? Il n’y a que cette amertume horrible dans le noir de mon regard, et cette acidité au fond de ma gorge. Je suis triste, pas jalouse. Triste, parce que maintenant qu’elle a cette lettre, qu’elle doit être si contente, elle ne me rejoint toujours pas. Triste. Ma tristesse amère.
Amère comme la mer, la mer des larmes invisibles qui envahissent mes yeux tandis que je contemple Aelle.

« C’est la célèbre Aelle Bristyle ! »

Je pourrais être à l’autre bout du monde, perdue dans mes pensées les plus profondes, que j’aurais entendu aussi distinctement que maintenant les paroles du garçon. *‘Y s’passe quoi ?!*. Laissant mon assiette et mon sac à ma place, je me lève pour m’avancer vers l’Autre con dont les paroles sont parvenues jusqu’à moi.
Je vois le regard de défi de la petite blonde quand elle répond, et la face d’Aelle pleine de colère. Je vois aussi qu’elle est debout, et qu’elle se dirigeait vers moi. *Elle m’a pas oubliée !* s’exclamant mes pensées folles.

« C’est Aelle Bristyle, oui, t’as quelqu’chose à dire sur elle ? » dégueulé-je alors en direction du garçon.

Je m’aperçois seulement alors que mes doigts sont serrés autour de ma baguette, et que la pointe de celle-ci est dirigée vers l’Autre. Crispées, mes lèvres se referment après avoir laissé passer mon agressivité, et j’attends le garçon.
Non, je ne suis pas jalouse. Je suis triste, et la tristesse peut se transformer bien vite en colère.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

01 févr. 2020, 19:58
Ni quoi ni qu'est-ce  LIBRE 
Elle ne sait pas se tenir. Elle se lève sous mes yeux ébahis, mais je sais qu’elle n’a aucune intention de s’en aller. Cela se voit sur son visage, se lit dans ses yeux. Elle se lève et elle me défie. Peut-être me connaît-elle, finalement. Peut-être m’a-t-elle reconnu et va-t-elle se rire de moi en joyeuse compagnie du garçon qui la regarde avec un grand sourire.
Peut-être.
Dans tous les cas, le résultat sera le même : mon coeur continuera à mourir comme il meurt actuellement de son rythme fou. Et moi, je sentirais toujours mes mains devenir de plus en plus moites et mon esprit se faire de plus en plus fou. Il cherche une réponse, le fou, il cherche le moyen d’arranger la situation sans choisir la plus simple des solutions : sortir ma baguette pour faire comprendre à l’idiot de garçon qu’il n’est qu’un gros con — et pour remettre cette Rouge à sa place si elle ose ne serait-ce qu’ouvrir sa bouche. Mais je ne trouve pas de solution. Il n’y a rien qui se dessine dans ma tête. Je suis la meilleure pour répondre aux questions des profs, pour faire les devoirs, résoudre les mystères, travailler sans relâche des heures durant ; mais survivre à un conflit sans montrer aux Autres qu’ils n’ont pas intérêt à me chercher, ça je ne sais pas faire. Mais je dois réussir, je ne dois pas réagir avec la fougue de la colère parce qu’au bout des quatre tables se trouve celle des professeurs. Loewy n’est évidemment pas là — elle n’est jamais là — mais elle a des yeux, elle saura. Et sans réellement savoir pourquoi, je ne veux pas qu’elle sache. Si l’histoire avait eu lieu dans les couloirs, je ne serais pas resté bêtement figé. Oh, non.

« Vas-y. Raconte-moi. »

Mon coeur rate un battement. Je cligne des paupières et ramène mon regard sur la fille. Voilà, elle a joué. Elle a parlé, elle a osé. Mes poings se serrent, mais je ne dis rien. Je la laisse me défier, je la laisse s’adresser à la table. Les regards se tournent vers moi, ils me décortiquent, ils me malmènent, ils me font mal. Ils sont intimidant et pendant un instant j’ai l’impression de revenir des mois en arrière, à la rentrée de la Troisième Année, quand tout le monde ne pensait qu’à moi, qu’aux Chinois. Merlin, je ne veux pas revivre cela.
Mon coeur bat bien trop rapidement.
Je n’arrive pas à penser.
Le sourire du garçon se fait plus grand ; il est ravi, c’est certain. Il va intervenir. Oh Merlin. Comment puis-je l’arrêter ? Repulso. Incendio. Immobilus. Tant de solutions, mais aucune possibilité. Je ne suis pas folle pour lancer un sortilège au beau milieu de la Grand Sa—

« C’est Aelle Bristyle, oui, t’as quelqu’chose à dire sur elle ? »

Mon cou se dévisse quand je tourne la tête. Mais yeux s’arrondissent, j’en oublie de respirer. *Thalia !*. Que fait-elle donc, nom de Merlin ? *Et sa baguette !*. Pendant quelques secondes, ma surprise est telle que je crois rêver. Mais peu à peu, je comprends. Je comprends qu’elle a entendu ce qu’a dit l’abruti et qu’elle a décidé d’intervenir. Et quand, sans que je ne puisse contrôler quoi que ce soit, un sourire vient s’échouer sur mes lèvres et dévoiler mes dents, je comprends que cela me fait plaisir ; mon coeur gonfle de bonheur dans son carcan.
C’est elle, Thalia.
Elle est avec moi, toujours.
Avec moi, près de moi ; contre les Autres.
Tout à coup, je me sens invincible. Avec Thalia, je peux tout faire, je peux être ce que je veux. Et tout à coup la petite Autre qui me rendait si misérable n’est plus rien du tout, pas plus que l’abruti heureux.

Je me tourne vers les deux concernés avec dans le regard un éclat ressemblant fort à de la fierté. Je ne peux me départir de mon sourire, je n’y arrive pas. Mais quand l’Autre garçon se lève, je suis bien obligé de le laisser dégringoler le long de mon visage.

« Ouais, j’ai un truc à dire. »

Quel abruti ! N’a-t-il donc pas vu la baguette de Thalia ? Pourquoi n’est-il pas effrayé ? S’il ne la croit pas capable de lancer un sortilège au beau milieu de la Grande Salle, il ne sait rien du tout — Thalia est plus forte que moi, elle, elle n’a pas peur d’agir. Le garçon enjambe le banc. Il a un air qui me plait guère. Il s’approche de l’inconnue Rouge et passe naturellement un bras autour de son cou.

« T’as tout c’qu’il faut savoir sous les yeux, sourit l’abruti en parlant d’une voix bien trop forte. La Honte de Poufsouffle et… Sa p’tite amie, la timbrée. »