Dès les premiers rayon de soleil, son ventre l'avait réveillée, chatouillé par la clarté, et semblait lui dire « Zéfaim, zveumanzer ! ». Et Lumah, jamais, oh non jamais, ne désobéissait à son ventre. Alors ni une ni deux - ni trois ni quatre, ça met longtemps de se réveiller - elle avait ôté son pyjama, enfilé sa chemise, sauté dans sa jupe, glissé dans ses chaussettes, prit ses chaussures au passage et était sortie - presque - en faisant une galipette de sa chambre, trop heureuse d'avoir une nouvelle de son estomac.

Sire Estomac avait faim de pain, de confiture, de jus de citrouille, voire de céréales. En fait, il pouvait tout ingurgiter ce matin, quitte à ne rien pouvoir avaler après.

Bref, tout allait bien pour la petite pouffy ce matin. Bon, elle dû reprendre son sac, auquel elle avait pensé à un pied de la porte, mais un petit sprint laissait cette erreur invisible.

Alors elle sautillait, prête à donner à Sire Estomac ce dont il avait besoin, quand zouip !

Zouip !, elle connaissait ce bruit, la petite. Zouip !, elle le connaissait même bien parce qu'elle le faisait souvent, ce bruit. Dans les escaliers, ça faisait zouip !, dans le bibliothèque, zouip !, partout, zouip !. Un savon, un sol bien lavé, une feuille, un rien lui suffisait pour glisser aussi efficacement que sur une piste noire.

Et atterrir les quatre fers en l'air. Mais ça, il ne faut pas le mentionner.

Alors Lumah, en cette matinée si bien démarrée pourtant -même si un zouip ! n'allait pas la gâcher - fit zouip !

En un éclair, elle posa les pieds dans quelque chose, dont elle n'avait pas déterminé la nature, ses pieds volèrent vers l'avant, sa tête vers l'arrière, son sac suivant comme il pouvait le mouvement, et BOUM !, voilà que Lumah était au sol.

La mine déprimée, et la tête sonnée, Lumah se contenta de regarder le plafond. C'est que ça faisait mal, les zouip !.

Lumah regardait, peinée, l'autre Poufsouffle. Sa maladresse ne la dérangeait presque plus, elle n'y faisait à vrai dire plus réellement attention, comme une voisine ; mais elle venait tout de même de gâcher un dur travail. La petite, pour avoir si souvent peiné à réaliser un devoir, savait combien on espérait qu'il ne lui arrive pas de malheur. On y passait tellement de temps parfois que la fatigue venait avec. Alors bien qu'elle connaisse Emma, de vue, et qu'elle ne la pense pas comme étant apte à hurler sur la première personne, la fatigue l'emportait parfois.


Ses yeux fatigués la regardaient, implorants, espérant de tout coeur qu'elle ne lui en veuille pas.

Heureusement pour elle, Emma lui laissa sa chance, ce qui décrocha un soupir de soulagement de la part de Lumah. Elle assura même être capable de le refaire, mais la petiote ne voulait surtout pas lui imposer cela ; son moral aurait sûrement baissé, sa motivation aussi. Reparo.En réalité, elle était plutôt confiante par rapport à ce sortilège. Elle l'avait plutôt réussi en cours, et même en dehors ; elle espérait que ça serait de même avec ce papier, elle le regretterai vraiment sinon.

Se munissant de sa baguette, Lumah repassait dans son esprit - esprit meurtri, mais ayant miraculeusement décidé de conserver son savoir - chacune des étapes, puis, quand elle fut tout à fait sûre d'elle même, elle agita sa baguette en un triangle isocèle renversé, pointant le parchemin, et murmura :

« Reparo. »

Voix faible, à la limite du muet, mais sûre ; sûre comme elle ne l'était plus que rarement, elle et ses milliers de questions, ses milliers de douleurs.

Le parchemin se ressouda très vite, bien plus vite que son coeur. En le regardant reprendre,dre son aspect original, celui d'avant la chute, Lumah en envia presque ce simple devoir.


Lorsque Lumah releva sur la réalité, Emma l'invitait à s'asseoir à côté d'elle. Avec un sourire, un peu plus faux, elle accepta son invitation. Bien qu'elle n'avait plus trop faim, ses pensées l'ayant à nouveau détruite, un peu plus.

« Tiens ! », dit-elle simplement, en lui rendant sa copie. « Merci pour tout à l'heure, et encore désolée. J'suis vraiment maladroite. »

Lumah, joyeuse prouesse, avait réussi à repérer le devoir d'Emma, et celle-ci ne semblait pas lui en vouloir le moins du monde - du moins, elle ne le montrait pas -. Elle la remercia même, alors que çelaa semblait être un acte naturel pour Lumah de réparer son devoir après ce qu'elle avait fait.

Les deux filles s'installèrent ensuite à table, mais Lumah ne savait pas, plus. Elle qui avait soi faim avant de tomber comme elle l'avait fait, voilà que différents souvenirs faisaient à nouveau surface dans son esprit, comme pour l'empêcher de profiter du seul instant où elle aurait pu se régaler. La bacon, le pain, le jus de citrouille, tout cela aurait donné un appétit d'ogre à n'importe qui, et Lumah la première. Enfin la Lumah d'avant, celle qui n'avait pas croisé les Autres, pas entendu leurs sifflements et leurs injures, celle qui n'avait pas eu son visage explosé contre le miroir. La meilleure de Lumah, dans un monde meilleur. Lumah regrettait ce monde, en particulier parce qu'elle ne l'avait pas quitté de son plein gré.

La petite devait paraitre bizarre, à regarder ainsi la nourriture, à en baver presque, alors que tous mangeaient déjà avec envie dans le repas qui leur était présenté. Elle devait paraitre bizarre à attendre que son ventre émette un gargouillement, à attendre enfin un quelconque signal. Cela l'inquiétait qu'il ne réponde pas, par ailleurs. La nourriture la dégoutait déjà, elle avait ce même haut le coeur qu'elle était sûre d'avoir ôté ce matin. Déprimée.

Emma sembla s'inquiéter ; là non plus, rien de bien étonnant. Avec ses cernes, ses bleus et ses rouges sur le corps, Lumah avait tout pour faire pitié - plus que d'habitude, je veux dire -. Et c'était empiré par son attitude des plus étranges.


Lumah leva les yeux vers Emma. De yeux fatigués.


Elle esquissa une sourire réconfortant, ses mains serrées comme pourqu'elles arrêtent de trembler, ou pour ôter tout son inquiétude, simplement.


Lumah se saisit du couteau, d'un toast et le beurra, y ajoutant ensuite du bacon et un oeuf. Elle mordit dedans à pleines dents.


La nausée.

« Oui, ça va ! », assura-t-elle avec le même sourire - masque, faux -.

Elle reposa brusquement sa tartine. Le goût avait disparu. Non, au contraire, sa tartine était mauvaise, elle le sentait. Elle trembla un instant, et se releva. En s'appuyant sur le rebord de la table, une secousse la prit et elle manqua de tomber ; mais elle fit comme si de rien n'était et dit simplement à la première année, tentant de cacher sa panique au mieux :

« J'suis désolée, je vais... Y aller. J'ai pas trop faim. Passe un bonne journée ! »

Vomir.

Lumah quitta la Grande Salle en courant, ne tentant même plus de cacher ses tremblements. Elle avait plaqué sa main contre sa bouche, de peur de vomir brusquement. Les toilettes. Elle devait les trouver au plus vite. La fillette paniquait, elle pouvait sentir des sueurs froides sur sa peau, elle savait pertinemment que son visage devait être blanc linge.
Vite. Lumah tourna précipitamment vers la droite, dès qu'elle eut franchi le seuil menant au couloir.