Voilà bientôt deux mois qu'Arya avait de plus en plus de mal à communiquer. Elle ne savait pas ce qui lui arrivait exactement, elle savait juste qu'elle parvenait sans problème à parler quelques fois, mais que, dans certaines situations, lorsque quelqu'un attendait absolument une réponse précise, une réponse claire, même si elle la connaissait, les mots ne sortaient pas de sa bouche. Savoir que quelqu'un attendait qu'elle ouvrît la bouche la paralysait. Sentir son attente, sa présence, et même entendre ses pensées qu'elle imaginait tellement fort qu'elles lui paraissaient réelles.

Lili était la seule réellement au courant pour le moment. La seule à qui elle avait pu faire comprendre qu'elle ne parvenait pas à parler. C'était une action si simple, que chacun usait quotidiennement. Ce n'était qu'à présent que la rouge et or se rendait compte d'à quel point elle était primordiale. D'autant plus qu'elle se sentait si seule, à Poudlard. Si cela lui était arrivé à la maison, alors qu'elle était encore en primaire, sa famille aurait compris et elle n'aurait pas eu à se confronter chaque jour face à son blocage. À Poudlard, elle était obligée de s'éloigner encore plus de ses camardes pour ne pas à avoir à subir ce genre de situation qu'elle haïssait.

Bien sûr, elle s'était posé la question. D'où ce blocage venait-il ? Serait-ce de la timidité ? La fillette avait rapidement rejeté cette éventualité, elle se connaissait réservée et solitaire mais pas timide. Par contre, le sentiment qui lui verrouillait la voix ne lui était pas inconnu. Elle l'avait déjà ressenti avant, dans des endroits avec pleins de gens qui demandait du contact social. Cependant, elle avait toujours réussi à passer outre et à se forcer à parler. À présent c'était comme si ce sentiment était devenu dix fois plus fort sans qu'elle ne s'en rende compte.

Elle avait l'affreux sentiment que son corps contenait quelque chose, quelque chose qui pressait sa poitrine quand il en avait envie, un monstre habitant son sein.

Depuis qu'elle en avait parlé à Lili – ou plutôt qu'elle lui avait exposé la situation par écrit – elle avait décidé de toujours transporter son carnet sur elle, avec son stylo moldu. Elle avait même trouvé un moyen de l'accrocher à sa hanche, entre sa chemise et sa jupe, grâce à une ceinture de cuir sombre auquel elle pouvait clipser le coin de son carnet à sa guise. Le stylo était attaché à ce dernier, et à présent, si elle se voyait obligée de communiquer avec quelqu'un, en deux trois mouvements elle écrivait dessus et lui montrait. On la prendrait peut-être pour une folle, tant pis. Au moins, elle pouvait exprimer ce qu'elle avait à dire.

Cette après-midi-là, elle s'était rendue dans la Grande Salle, quasiment déserte en dehors des repas. À part quelques élèves par-ci par-là, la pièce était vide, ce qui la rendait d'autant plus immense, et une fois de plus, Arya se sentit minuscule. Elle s'assit au bout de la table des Gryffondors, dos à la table, et leva la tête pour admirer le ciel. Elle avait quitté la salle commune car il y avait trop de monde à son goût, et retrouvait maintenant la sérénité que la solitude lui apportait avec délice.

Si les choses s'arrangeaient pour elle, Elfie n'en restait pas moins affreusement en colère. La lettre qu'elle avait envoyé hier soir, avant le couvre-feu, n'avait toujours pas reçu de réponse. Sans vraiment être certaine que celle-ci arrive à bon port, la rouquine espérait tout de même qu'on l'éclaire dans la marche à suivre. En vain. Ses parents, sauf depuis leur hibou mi-février, restaient muets. Ils ne se préoccupaient pas d'elle, des ses peurs et de ses questionnements. Ils l'imaginaient plus forte et plus compréhensive qu'elle ne l'était en ce moment, et ça la rongeait. Elfie dormait mal, sans réussir à pleurer pour se soulager du poids qui opprimait sa poitrine. Elle errait dans les couloirs quand elle n'avait pas cours, se refusait à manger, trop occuper à broyer du noir. Personne ne la consolait; on la regardait avec le dédain habituel.

Lorsqu'elle pénétra dans la Grande Salle pour y grignoter quelque chose, Elfie fut surprise par le vide qui l'entourait. La jeune fille ne fréquentait l'endroit qu'aux heures des repas -quand il était rempli d'élèves affamés, en somme.
Prête à s'asseoir chez les Vert et Argent, la rouquine remarqua un éclat rouge autour de la table des Gryffondor. Une élève y était seule; la tête penchée sur un carnet dans lequel elle griffonnait à l'aide d'un stylo. Elfie se stoppa net dans son élan. Elle allait l'interpeller mais après réflexion, peut-être cette élève recherchait la tranquillité. En tant qu'ancienne amatrice de l'endroit, la jeune fille savait combien le calme qu'offrait la Grande Salle était incomparable avec celui, étouffant, de la Bibliothèque. N'ayant plus le cœur à travailler, Elfie avait interrompu ses excursions quotidiennes dans la Salle récemment. Ses notes avaient considérablement baissé -ce qui l'encourageait à se relâcher toujours plus- depuis que plus personne n'était là pour la féliciter, ou être fier d'elle.

-Tu as besoin d'aide ? croassa Elfie, sans que les mots n'aillent plus loin que sa bouche.

Inspire, expire, s'admonesta-t-elle en s'humectant la lèvre inférieure. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas abordé un autre élève, qu'elle n'avait pas utilisé sa voix cassée par ses longues nuits à tenter d'expulser des sanglots qui ne venaient jamais. Elfie s'approcha.

-Tu as besoin d'aide ?

Le ciel était magnifique ce jour-là. Arya était d'avis qu'en hiver, on ne regardait pas assez le ciel. On ne levait pas assez les yeux. Les gens restaient constamment baissés vers leurs pieds, comme si le monde n'était rien. Mais le monde était tellement plus grand. Tellement plus vaste. Il offrait tant de beauté que trop peu de gens ignoraient. Et que trop peu prenaient le temps d'observer. Que trop peu comprenaient. Quel gâchis.

La Gryffondor sursauta en entendant quelqu'un parler, près d'elle. Elle baissa la tête, regarda autour d'elle. C'était une Serpentard rousse, peut-être plus jeune qu'elle, mais plus grande physiquement. Ou tout du moins, de ce qu'elle pouvait voir de là où elle était. Était-ce à elle qu'elle parlait ? Arya se retourna, mais il n'y avait personne autour d'elle. Le temps de comprendre que c'était bien à elle qu'on s'adressait, elle avait déjà oublié ce qu'elle avait dit. Zut, je suis censée réagir comment là ?

La panique allait monter en elle lorsque, comme si elle avait entendu ses pensées les plus profondes, la Serpentard se répéta. De l'aide ? Arya fronça imperceptiblement les sourcils. Avait-elle vraiment l'air d'avoir besoin d'aide ? Faisait-elle pitié, seule à la table des rouges ?

Elle fixa la rouquine de longues secondes, les yeux grands écarquillés, alors qu'une véritable bataille se déroulait dans son esprit. Que devait-elle répondre ? Était-elle capable de répondre ? Elle ne la connaissait pas, elle ne savait comment elle devait réagir. Peut-être qu'un simple « non » suffisait ?

Elle prit une inspiration pour parler, mais, comme elle s'y attendait, elle ne put même pas ouvrir la bouche. Quant à utiliser ses cordes vocales, c'était peine perdue. Aujourd'hui n'était pas différent, elle ne réussirait pas à parler non plus. Découragée, elle se contenta donc de secouer la tête de droite à gauche en espérant que la Serpentard comprenne. Sinon, dans le cas contraire, elle pourrait toujours utiliser son carnet... Elle tenait celui-ci entre ses mains, posé sur ses jambes, et jouait avec le stylo en le retournant continuellement.

Pourquoi n'arrivait-elle pas à parler ? À communiquer ? Ce n'était pourtant pas bien compliqué. Mais ce n'était pas le simple fait de ne pas réussir à parler qui effrayait le plus Arya ; c'était la crainte que les Autres ne comprennent pas. Que les Autres s'éloignent encore plus d'elle, et qu'elle se retrouve de nouveau seule dans le noir, livrée à elle-même. Certes, elle n'appréciait pas énormément la compagnie, mais la peur de se retrouver seule était tout de même présente, aussi paradoxal cela paraisse-t-il. Quel genre d'enfant n'a pas peur d'être seul, à 12 ans ?

Pourquoi. Pourquoi avait-elle proposé son aide ? Pourquoi lui avait-elle parlé, elle, qui s'était juré de ne plus parler à personne ? Était-ce trop difficile d'honorer ses propres promesses ? Elfie ferma les yeux très fort, jusqu'à en avoir mal à la tête. Les lèvres pincées, les poings serrés, elle essaya de contrôler toutes les pensées contradictoires qui lui passaient par l'esprit. Où était donc passée la jeune fille pleine de vie du début d'année ? Serait-elle devenue timide ? Ou était-ce les nombreux échecs que la rouquine avait accumulé qui la transformaient ?

Elfie inspira, puis expira. Une entorse à la règle n'était pas un règlement bafoué. Elle relâcha la tension qui emprisonnait ses muscles. La brune avec le carnet était seule. Elfie était seule. Deux âmes solitaires n'auraient-elles pas le droit de briser leur déréliction ? La jeune fille, perdue, ne savait pas comment continuer la conversation. La panique se lisait sur le visage de l'autre fille, mais impossible de lire en elle. Avait-elle peur ? Ne savait-elle pas comment réagir ? Ou bien Elfie avait provoqué ce qu'elle savait faire le mieux : la colère ? Non. En bonne connaisseuse, Elfie l'aurait remarqué au premier coup d'œil.

-Tu as un très joli carnet, finit-elle par murmurer en désignant le calepin que tenait la brune.

Voilà. C'était simple. Elfie ne s'exposait à rien. On pouvait très bien ne pas lui répondre; elle serait ainsi fixée. Pour la première fois en deux semaines, la rouquine s'accorda un sourire. Pas très à l'aise, mais pas tout à fait fausse. Son sourire se voulait rassurant, doux. Sincère. Elle avait peur de paraître laide, la bouche tordue par une horrible grimace. Toutes ces années à profiter de la vie, à sourire, à rire, n'auraient pas pu disparaître d'un coup. Ses souvenirs n'auraient pas pu disparaître, même si elle avait baissé les bras.

L'Inconnue finit par lui murmurer qu'elle avait un très beau carnet. Arya ouvrit la bouche, la referma, regarda son carnet, puis regarda l'Inconnue. Elle savait qu'elle devrait utiliser son carnet pour communiquer, mais elle savait aussi qu'écrire à l'intérieur ce qu'elle voulait dire rendrait son mutisme étrange réel. Utiliser son carnet signifiait qu'elle ne pourrait pas revenir en arrière, que sa capacité à parler avait complètement disparue, et qu'il serait vain de tenter de la récupérer. Écrire officialiserait tout cela, en quelque sorte. Était-elle prête ? Était-elle prête à renoncer à cela ? Ce n'était pas comme si elle avait vraiment le choix, de toute façon.

Elle inspira puis expira, avant d'appuyer sur le bouton de son stylo tout en ouvrant son carnet. Elle ne pouvait pas parler, très bien. Alors elle écrirait. Elle écrirait ce qu'elle ne réussissait pas à dire oralement. On ne la priverait pas de cela. Elle posa donc la pointe de son stylo, son pauvre stylo moldu qui n'avait rien à faire à Poudlard, et écrivit.

Merci, c'est ma sœur qui me l'a offert.

Elle hésita une seconde avant de le montrer l'Inconnue, mais finit par prendre son courage à deux mains et lui plaça son carnet ouvert juste en face d'elle. Elle resta sans cette position plusieurs secondes, le temps qu'elle lise ses mots, avant de directement reprendre son carnet pour écrire à nouveau.

Désolée, je peux pas parler.

Elle se sentait obligée de se justifier, obligée de trouver une excuse. Pouvait-elle vraiment ne pas parler ? Ou bien, au fond, son blocage n'était-il que dans sa tête ? Un simple blocage qu'elle aurait inconsciemment inventé de toute pièce... Comme un mensonge silencieux et venimeux.

Elle montra de nouveau son carnet à l'inconnue, tout en se mordant les lèvres. Elle espérait simplement que l'Inconnue serait aussi compréhensive que Lili, et ne lui demanderait pas précisément pourquoi. Car elle ne saurait répondre à la question, elle en était incapable. Elle aurait voulu le savoir, elle aurait voulu que quelqu'un soit capable de lui donner la réponse. Mais elle semblait condamnée à la chercher elle-même, perdue dans ce vaste océan d'incompréhension.

Elfie pencha la tête d'un côté, puis de l'autre. Arrête, on dirait un caniche, se dit-elle, épuisée d'elle-même. Les yeux plissés, elle se concentra pour lire au mieux les lignes que l'Inconnue venait de lui écrire. Il était clair qu'elle avait de plus en plus de difficulté à voir clairement.

« C'est ma sœur qui me l'a offert. » Oh. La jeune fille avait donc une sœur. Comme Elfie. Peut-être la voyait-elle cependant plus souvent que la rouquine ne rencontrait la sienne. Peut-être même que les deux sœurs s'écrivaient, par hiboux, malgré le contexte actuel qui ne se prêtait pas vraiment aux interactions sociales longues distances.

-J'ai une sœur, lâcha Elfie, avant de regretter. Elle savait qu'en dire trop n'apportait que des ennuis. Mais son Esprit continuait de lui dicter de le faire.

L'Inconnue écrivit autre chose sur une page de son carnet, puis le montra à Elfie.

« Désolée, je ne peux pas parler. » Était-elle muette ? Non. La rouquine en était persuadée. Les yeux verts perdus, de l'autre fille semblaient affolés. Paniqués. Tout en restant muets et calmes. Son regard était une clé. La fille était le coffre aux secrets.

Elle en avait observé les élèves durant les repas : ceux qui étaient déçus par une mauvaise note, ceux qui avait une peine de cœur, ou encore ceux qui tenaient en main une Beuglante de leur mère. Mais elle ne cernait guère l'état intérieur de la brune, autre que la faille de ses yeux. Experte en la matière, Elfie aimait analyser les élèves pour s'occuper, faute d'amis avec qui déjeuner. Et elle savait, à cet instant, mieux que quiconque, que quelque chose clochait.

-Tout va bien ?

C'était simple, clair et concis. Elle pourrait lui mentir, mais Elfie le saurait. Quand on ment, ce qu'on cache au creux de nous est bien trop lourd, et complexe à extérioriser pour une enfant de onze ans.

Arya appréciait l'Inconnue. Elle n'avait pas l'air de lui en vouloir de ne pas lui répondre à haute voix. Elle semblait plutôt intriguée en vérité, mais la fillette se sentit tout de même soulagée, comme si un poids l'avait quitté. Elle se sentait déjà plus légère. Elle sourit même lorsque l'Autre lui dit qu'elle avait une sœur, elle aussi. Une seule, ça lui paraissait tellement peu. Elle avait toujours vécu dans une famille pleine à craquer, et lorsqu'elle était seule avec sa mère, avant Poudlard, lorsque toutes ses sœurs étaient à l'école et que son père était à sa boutique, la maison lui paraissait bien vide.

C'est donc avec un sourire en coin qu'elle écrivit de nouveau :

J'en ai 5 moi, de sœurs.

La présence de l'Autre ne l'embêtait plus. En fait, elle lui semblait plutôt sympathique, à présent. Juste par le fait qu'elle lui ait répondu qu'elle avait une sœur, elle avait en quelque sorte accepté le handicape de la Gryffondor sans en tenir compte, et elle l'en remerciait.

Elle lui demanda si elle allait bien, et, par automatisme, Arya hocha énergiquement la tête. Les centaines de fois qu'Alison lui avait posé cette question, après la mort de leur père, lui avait insufflé un réflexe pour y répondre. Le réflexe qu'elle n'avait pas, c'était plutôt d'admettre que tout n'allait pas si bien. Elle aurait aimé savoir pourquoi elle était dans l'impossibilité de parler. Pourquoi elle était ainsi bloquée. Pourquoi ses lèvres refusaient de s'ouvrir. Pourquoi elle avait la sensation d'être enchaînée.

Finalement, elle se décida à donner une meilleure explication à l'Inconnue. Elle la trouvait gentille, et voulait, en quelque sorte, ainsi la remercier de son indulgence.

Je sais pas vraiment pourquoi, par moment, je suis incapable de parler. Je sais pas d'où ça vient, c'est juste que ça bloque. Alors que quand j'essaie de parler dans une pièce vide, par exemple, j'arrive à parler sans problème.

Tout en écrivant, Arya sentait son regard posé sur elle. L'écriture mit un certain temps cette fois-ci. D'habitude, elle faisait en sorte que ce qu'elle avait à dire soit concis, pour que ça ne prenne pas trop longtemps, afin que le malaise ne puisse pas s'installer. Seulement, quand elle devait expliquer le pourquoi du comment, elle ne pouvait pas tout résumer en une seule phrase.

Elle haussa ensuite les épaules en montrant son carnet, signe que cela ne la dérangeait pas plus que cela, du moment que les Autres n'y faisaient pas trop attention. Certes, au début, c'était toujours un peu embêtant, mais à force, ça devenait une chose comme une autre. La preuve, avec Lili, elle parvenait à communiquer par écrit sans problème.

Au début de l'année scolaire, Elfie avait retrouvé un jeune garçon de Serdaigle, endormi près du Lac et consumé par la fièvre. Elle avait appelé de l'aide pour qu'il soit transporté à l'infirmerie et soigné comme il se doit. Jamais il ne lui avait dit un mot. Jamais. Il se contentait de lui écrire sur de misérables bouts de papier. Elfie avait réfléchi à cela, et d'après ce qu'elle avait vu, rien ne l'empêchait de lui parler. Il possédait ses deux cordes vocales et était tout à fait apte à s'en servir. La rouquine n'avait guère apprécié cette attitude.

Elle, c'était différent. Ses beaux yeux verts cachaient un traumatisme plus profond, sans qu'Elfie parvienne à savoir quoi. Ce n'était pas ses affaires, évidemment. Mais comment Elfie pourrait la laisser là, seule, sans tenter de l'aider à se libérer du poids qui la rend malheureuse ?

« -Cinq c'est beaucoup. S'il y avait eu un mur à côté d'elle, Elfie aurait foncé dedans. Pourquoi. Pourquoi avait-elle dit une chose ridicule. Mais, euh, c'est bien parfois, quand on ne sait pas à qui demander conseil. Déjà mieux. »

L'inconnue griffonna à nouveau. Et là, la rouquine comprit. On ne pouvait l'aider. Du moins, pas pour l'instant. La seule chose qu'elle était en mesure de faire, c'était lui donner un conseil pour qu'elle se guérisse elle-même. Qu'elle panse ses blessures pour devenir plus forte.

« -As-tu parlé aux étoiles ? C'est un bon début. Elles sont là, sans être là. Elles t'observent mais ne te jugent pas. Mais avec le couvre-feu, ça ne va pas être évident... »

L'idée avait fusé. Elfie n'était pas du genre à épiloguer, ou à faire dans la philosophie, mais parfois son imagination dépassait les limites de sa conscience raisonnable. Elle se tordit les mains, soudainement nerveuse.

« -Tu as besoin d'aide ? Je peux toujours essayer de t'aider à aller mieux. »

Arya s'amusa de la réaction de l'Inconnue quant à son nombre de sœurs. Elle esquissa même en semblant de sourire. Ou tout du moins, ce qui y ressemblait le plus. Elle n'avait jamais connu rien d'autre que sa famille nombreuse, puisqu'elle était la petite dernière. Mais la maison était rarement au complet, puisque ses sœurs les plus âgées avaient déjà basculé dans la vie d'adulte et vaquaient à leurs occupations à travers le Royaume-Uni.

Mais malgré toutes ses sœurs, elle ne s'était jamais sentie aussi seule que chez elle. Même quand elle était véritablement seule, elle se sentait moins solitaire que lorsqu'elle était en compagnie de sa famille. Comme s'il y avait eu un problème dans sa fabrication et qu'elle ne parvenait pas à s'emboîter avec les autres. Ainsi, à part avec Alison, elle n'avait jamais entretenu de véritables échanges avec ses autres sœurs.

Elle haussa donc les épaules lorsque l'Inconnue déclara que ça pouvait être pratique pour leur demander conseil. Elle avait comme perdu le lien qu'elle possédait auparavant avec Alison, elle ne se voyait plus du tout lui confier quoi que ce soit. Madison, peut-être, avec qui elle avait réussi à se réconcilier pendant les dernières vacances, en quelques sortes ? Mais elle se doutait qu'il lui faudrait du temps pour pardonner à Madison toutes les remarques blessantes qu'elle avait l'habitude de lui lancer.

C'est alors que l'Inconnue lui parla des étoiles. Arya la fixa un instant, surprise. Le conseil était parfait. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Même si elle voyait les étoiles depuis la fenêtre des dortoirs, toutes ses colocataires étaient là, elles aussi. Elle ne pouvait parler en leur présence. Peut-être pourrait-elle s’éclipser, un soir... Elle se promit d'y réfléchir plus en profondeur.

Elle sourit de nouveau, et répondit sur son carnet :

Tu m'as déjà beaucoup aidé. Merci beaucoup.

Mais elle ne s'arrêta pas là et continua d'écrire après avoir sauté une ligne :

Au fait, je m'appelle Ary. Enfin, c'est mon surnom. Et toi ?

Elle espérait que se présenter constituerait un remerciement à la hauteur pour lui avoir offert ce conseil. Et pour être venue la voir. C'était ce genre de rencontre qu'elle n'avait pas demandé mais dont elle avait terriblement besoin.

La ville de Glasgow était l'une des villes les plus bruyante et peuplée d'Écosse. Elfie y avait grandi. Elle y était née. Du haut de la fenêtre de sa chambre, au quatrième étage d'un immeuble décrépi, la fillette observait chaque jour les ballets incessants de véhicules pressés. La pollution et ses micro-particules s'insinuaient dans ses poumons, et obscurcissaient le ciel nuageux. Les jours de pluie, elle laissait la fenêtre fermée et collait son nez contre la vitre pour suivre les gouttes du regard. Laquelle allait arriver en première ? Roselyne ? Valentine ? Phillipa ? C'était son petit monde à elle, sa petite bulle qui l'entourait d'un sentiment réconfortant et protecteur. Pourtant, aveuglée, elle n'a jamais su voir l'essentiel. Le ciel.

Une fois, juste une fois, sa mère l'avait autorisé à grimper sur le toit de l'immeuble en empruntant l'escalier de service. C'était l'été de ses six ans. La mousson se dissipait, et chaque petit organisme de vie en profitait. On entendait les grillons striduler dans la campagne environnante et les chauve-souris couiner dans la nuit. Et là, Elfie avait vu les étoiles. Ces boules de gaz se consumaient, déjà éteintes depuis des milliards d'années. Mais ça, elle ne le savait pas.

La rouquine reporta son attention sur la dénommée Arya.

« -Je m'appelle Elfie, dit-elle avec un grand sourire candide. »