Parler de la salle commune de Gryffondor fit se demander à Nausicaä à quoi pouvait bien ressembler les trois autres. Elle savait qu'elle n'était pas passée loin de Poufsouffle, ni de Serpentard. Cependant, aujourd'hui, la perspective de ne pas aller s'écrouler dans les fauteuils rouges déchirés au coin du feu, dans le brouhaha des élèves, en rentrant des cours, lui paraissait étrange. Elle se demandait si les murs de la salle commune de Serpentard étaient verts. Et ceux de Poufsouffle jaunes. Solenn laissa échapper un rire minuscule, comme si elle entendait les pensées de Nausicaä, et qu'elle s'en moquait.
Elle la foudroya du regard, bien qu'elle sache tout ça impossible.
A la question de la Gryffonne, la Serpentard leva les yeux au ciel. En face d'elle, Nausicaä avait l'impression que tout ce qu'elle disait paraissait stupide à son interlocutrice.
- Quelle question... commença-t-elle, sans retenir ses mots. Si j'te parle, c'est p't-être que j'en ai besoin.
Intéressée, la jeune Gryffondor leva à nouveau les yeux vers Solenn. Elle avait l'impression d'y déceler une ouverture, une possibilité de rebondir, et d'enfin commencer une conversation. Elle aurait voulu être seule, mais son but premier était maintenant devenu de comprendre cette fille.
- Bah non. Tu te forçais peut-être, répondit Nausicaä, très légèrement sur la défensive. Bon en tout cas si tu as besoin de parler bah je suis là.
Elle sentait que si la conversation devait s'engager, elle ne devait pas la forcer. Et puis elle connaissait la sensation de vouloir être seule. Elle savait que parfois, on ne voulait pas forcément parler. Alors elle s'accouda en arrière sur les remparts de la tour, et décida de faire face à Solenn. Si elle parlait, la Gryffondor l'écouterait. Si non, elles regarderaient toutes deux le ciel en silence.

Le regard de la Gryffondor était revenu sur le visage de Solenn. Les paroles trop vite sorties l'intéressaient visiblement, et Solenn en éprouva un mélange de contentement et d'exaspération. La blanche répliqua quelque peu sur la défensive, montrant à Solenn qu'elle n'était pas la seule de mauvaise humeur. Bizarrement, la Serpentard était contente de ne pas être la seule triste. Elle le sentait, Nausicaä n'allait pas non plus très bien.

-Bah non. Tu te forçais peut-être. Bon en tout cas si tu as besoin de parler bah je suis là.

Un moment de réflexion. Solenn en avait besoin. Son cerveau fonctionnait déjà au ralenti, et cette question l'avait quelque peu chambouler. Pourrait-elle en parler à une inconnue, comme cela ? C'était pratiquement impossible. Primo, elle avait beaucoup trop de problèmes, la mort de son père, la folle, ses cauchemars,... Deuxio, en parler à sa mère était déjà très dur mentalement, elle ne pensait pas avoir la force. Mais peut-être que Nausicaä pourrait comprendre. Peut-être qu'elle était un peu comme elle. Non, personne n'était aussi cassée qu'elle. Elle était une fille en porcelaine aux côtés de femmes et hommes en métal. 
Solenn glissa alors d'une petite voix, comme si elle n'osait parler trop fort, de peur d'embêter la douceur de la nuit :

-Tu as déjà perdu quelqu'un ?

Tout cela lui donnait envie d'en dire plus, mais Solenn s'était toujours promis de garder ce secret pour la bonne personne. Elle ne connaissait pas Nausicaä, et la peur de l'inconnu refroidissait quelque peu ce sentiment.

- Tu as déjà perdu quelqu'un ?
Cette question frappa Nausicaä comme on aurait frappé la cloche d'une église. Son estomac de noua. Son coeur aussi. Sa gorge. Tous ses muscles semblaient se tendre et menacer de la lâcher à la fois. Il y avait deux raisons à ça. Tout d'abord, le raisonnement de ce souvenir, qui bien qu'il soit lointain, n'en sera jamais moins douloureux pour la jeune fille de onze ans. Mais par-dessus tout, elle ne savait pas quoi répondre. Elle aurait voulu le hurler, comme pour que l'univers entier l'entende. Mais en même temps, jamais il ne lui avait paru si difficile d'aligner quelques mots. Elle n'avait même pas le souvenir d'en avoir déjà parlé avec son père.
Elle aurait voulu demander à sa mère s'il était de bonne augure d'en parler avec une jeune inconnue.
Puis un sentiment nouveau prit le dessus. Et si Solenn était venue se réfugier ici pour - tout comme Nausicaä - penser à quelqu'un qu'elle avait perdu? Dans ce cas, elle saurait ce qu'une perte représente, ce qu'elle fait ressentir, et quel vide elle forme à l'intérieur d'un être.
Il fallut à la jeune Gryffondor un effort surhumain pour répondre à ces mots. Tout comme il avait sûrement fallu beaucoup de courage à la Serpentard pour poser une telle question.
- Oui.
Elle déglutit. Ses poings étaient fermés, mais c'était seulement pour concentrer sa force, et pour rester calme.
Tout comme dans un film, elle s'attendait à se retrouver face au souvenir du visage inanimé de sa mère, et pourtant, la vision de la petite rousse face à elle était très claire, et lui paraissait plus que réelle.
- C'est pour ça que tu es là? demanda-t-elle, impassible. Parce que toi aussi, tu as perdu quelqu'un?
Elle s'attendait à toutes les réactions de la part de sa camarade. Elle pouvait tout aussi bien exploser de colère, que de tristesse. D'un fou rire aussi, qui sait. Nausicaä savait à quel point les sentiments étaient imprévisibles. Elle avait elle-même traversé de nombreuses phases depuis cet incident, et elle en avait appris qu'on ne pouvait toujours contrôler son corps, ou ce que l'on ressent.

La question de Solenn ne laissa pas Nausicaä de marbre. Même avant sa réponse, la jeune française savait ce qu'elle allait répondre. Sa respiration s'était intensifié, son corps s'était tendu. Tout concordait. Et cela soulageait Solenn. Elle n'était pas complètement seule. Enfin, elle avait d'autres problèmes que la Gryffondor n'avait sûrement pas. Rah, ces pensées la faisaient juste se sentir solitaire dans sa douleur, et ne l'aidait pas. Il fallait qu'elle arrête d'y penser. Arrêter de se morfondre. Mais c'était si facile d'accepter la facilité, et Solenn était trop fatiguée pour monter à l'arbre de la complexité, même si, au bout, se trouvait le bonheur.

-C'est pour ça que tu es là ? Parce que toi aussi, tu as perdu quelqu'un?

Le visage de Solenn se durcit. Oui. Elle ne trouvait plus d'endroit où ses larmes ne montaient plus dès que quelqu'un commençait à lui poser des questions. Alors, elle avait pensé qu'être seule serait préférable. Avait-elle eu raison ? Elle ne le saurait pas.

-Facile à deviner.

Son regard se tourna vers l'immensité de la nuit. Tout cela était très cliché, il ne manquait plus qu'un violon avec une mélodie à fendre l'âme, et on était bon. Solenn ne put s'empêcher de dire :

-Quelquefois, j'envie tellement les autres...

Les autres. Avec leurs sourires. Leurs bonnes notes. Leurs amis. Leurs familles. Leur père. Leur vie parfaite. Solenn a eu une vie parfaite, il fut un temps, mais une bête horrible la réduite en poussière d'un seul coup de griffe. Pouf. Du jour au lendemain, elle se retrouvait à moitié orpheline. Et ça faisait mal. Très mal. Les filles commencèrent à vouloir sortir, mais Solenn ne voulait pas pleurer. Pas devant une inconnue.

Sous les mots de Nausicaä, le visage de Solenn se durcit. Tout ce qu'elle espérait était qu'elle ne paraissait pas insistante. Après tout, elle n'avait pas très envie que sa camarade la balance par-dessus la haute Tour d'astronomie. Ça ne devait pas être très agréable, comme mort. Et plutôt long.
- Facile à deviner.
Ça l'était, en effet. Mais la jeune Gryffondor préférait confronter la Serpentard. Peut-être était-ce le seul moyen de faire parler la petite rousse. Elle en avait besoin, ça, Nausicaä en était sûre. Peut-être était-elle convaincue du contraire, mais dans ce cas, elle se voilait très certainement la face.
- Quelquefois, j'envie tellement les autres...
Pour la première fois à Poudlard, Nausicaä ne se sentait pas seule.
- Moi aussi, ça m'arrive. répondit-elle.
Ça lui était arrivé, en effet. Elle avait envié les autres petites filles d'avoir pu recevoir des conseils de leurs mères. Solenn regardait le ciel noir, certainement pour ne pas faire face aux sentiments qu'elle éprouvait, et dont elle avait peut-être honte.
- Mais tu sais ce que je me dis? Je me dis qu'on a pas à envier les autres. Nos vies sont pas parfaites, mais celles des autres elles le sont pas non plus. Et puis si t'es triste maintenant tu seras heureuse demain.
Elle ne voulait pas pleurer, mais elle ressentit ses souvenirs remonter le long de sa gorge. Sa mère lui disait souvent que si une mauvaise chose nous arrivait un jour, c'était parce qu'une surprise nous attendait autre part. Elle aurait voulu le dire à Solenn, mais étrangement, elle préférait le garder pour elle. C'était comme si sa mère lui avait fait un cadeau, et qu'elle n'avait pas voulu le partager.
A son tour, elle leva les yeux, et compta les étoiles visibles dans le ciel. C'était apaisant, et elle se souvint une seconde de ce pourquoi elle était venue ici.

Une sorte de connexion s'était établie entre les deux filles. Pas d'amitié, non, elles n'en étaient pas encore là, mais plutôt une connexion grâce à leurs points communs. Les deux filles avaient perdus quelqu'un et, d'après ce que disait Nausicaä, elles enviaient toutes les deux les autres. Cela faisait du bien à la jeune française. Elle n'était pas folle alors. Pas folle de ne pas pouvoir rester avec les autres qui riaient trop fort. Ouf. Même si elle les regardait de loin, chaque jour, se demandant pourquoi elle n'était pas amie avec eux. A cause de sa timidité ? Ou alors, d'elle ? Oh, une nouvelle chose à rajouter à la liste.

-Mais tu sais ce que je me dis? Je me dis qu'on a pas à envier les autres. Nos vies sont pas parfaites, mais celles des autres elles le sont pas non plus. Et puis si t'es triste maintenant tu seras heureuse demain.

Un ricanement. Moche et dur. Ce fut tout ce qui sortit de Solenn. Impossible. Son coeur était brisé, et chaque nuit, à chaque vue de la folle, il se rebrisait. On pouvait bien essayer de le réparer, ça ne servait à rien. 

-Ça marche pas pour moi. Je suis... un cas désespéré. Ouais.

Ouais. Le bonheur n'était pas assez fort pour enlever ses cauchemars. Pas assez fort pour détruire cette horrible liste que la Serpentard ne pouvait s'empêcher de faire. "Pourquoi Solenn Cooper ne va pas bien ?" Bah oui, tiens pourquoi. Cette liste ne cessait de s'agrandir, presque chaque jour. Car Solenn était devenue une petite fille de porcelaine.
Après ce qu'avait dit la Gryffondor, l'envie de Solenn de parler de son problème avait disparu. Pouf. Elle ne la comprenait pas. Elle n'était pas comme Solenn. Pas aussi cassé qu'elle.