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10 mars 2019, 23:40
Les Douceurs
19 Avril 2043

Une ribambelle de fleurs emplit mon coeur, passion ardente ou fruit du malheur ? Lorsque je tends la main vers cette couronne de pétales, éclosion aguicheuse d'une croissance passionnante, mon geste en plein vol suspendu fut-il, effrayé par la supposée douceur du contact avec l'objet de mes contemplations. N'y touche pas, songeais-je. Tu vas te blesser ! Sous la beauté de ces attraits, une armure d'épines t'entailleront les phalanges. N'y touche pas, malheureux imprudent. Ce qui est beau n'est pas bon, et surtout pas les fleurs. Mes doigts sont toujours proches des couleurs de cette énigme. As-tu envie de t'y risquer ? À tes risques et périls et au péril de ta vie... La main s'approche petit à petit... Rien pour l’arrêter. Stop ! Tu vas te blesser ! Les fleurs ne sont belles que dans l’esprit que l’on chérit. Mais la main s'approche encore et encore... Qui s'y frotte, s'y pique. Soudain, la douceur de la soie sous mes doigts curieux soutire un sourire à mes lèvres carmin. Comme c'est beau, comme c'est doux, une si belle fleur. Et tu l'aimes et tu la veux, cueillie rien que pour toi. Tu l'enlaces de tes doigts car tu l’aimes à la folie. Elle te pique. Elle te blesse. Tu souffres et c’est fini.

Je retire ma main brusquement. Je me suis égratigné les phalanges en voulant cueillir cette fleur.

- Saleté..., craché-je, véhément.
Je me relève et essuie mes genoux de la terre qui les recouvre. Quelle temps perdu dans ces contemplations absurdes... Laissons les fleurs là où elles sont ! Elles n'ont rien de bon à apporter. Elle nous prennent du temps et du sang pour ensuite faner sous un soleil fade. Je regarde la rose avec dégout. Ses épines venaient de livrer un combat déloyal face à ma paume tendre. Traîtresse. Je ne t'aime pas ! Jamais je ne t'ai aimée ! Je voulais seulement te cueillir pour que tu disparaisses de ma vue, te jeter loin au fond d'un puits, arracher un à un tes pétales prétentieux ou te brûler dans l'âtre ! Fane, maintenant ! Fane jusqu'à disparaître toute seule ! Ça ne me fait plus rien de toute façon. Et je me tourne, poings serrés. Et je sers les dents, yeux fermés. En ce monde, celui qui souffre c'est celui qui est tombé en premier. Je n'avais pas touché la rose, mais la rose m'avait touché.

Accablé par la triste réalité des choses, je m’écroule à genoux parmi les coquelicots. Qu'ils sont doux eux aussi... Comme ils caressent ma peau sans la faire souffrir... C'est ce bouquet qui, dans mon coeur, devait fleurir. Pourtant, je n'oublie pas la rose. Son contact n'abandonne pas mon esprit. Son parfum frais et sucré, la soie de ses corolles, la force de ses épines. Elle est gravée en moi comme une malédiction divine. Traitresse... De toi et moi, c'est moi le plus faible. Tu en joues et me blesses, et me laisses sans cesse... Coquelicots qui me ramassent à la petite cuillère... Jamais mon coeur ne sera vôtre... Car il appartient à une autre... La rose qui, dans le jardin des voisins, restera pour toujours bien plus belle que dans le mien. Je soupir. En ce monde que j'admire, il ne fait vraiment pas bon d'aimer pour un rien.

Gloria è felicità