Le temps qu'elle te réponde, tu t'es arrêté de vaporiser les Asphodèles, pour bien intégrer les informations qu'elle te donne. Il suffit donc de ne pas approcher les jonquilles klaxonnantes, ou alors de le faire en présence de leur propriétaire pour que ça se passe calmement ? Tant mieux. Peut-être que d'ici qu'il te faille y entrer, elles auront reconnu Miss Bergsturm comme étant leur propriétaire, et seront calmes en sa présence. Ce n'est pas comme si tu avais l'intention d'y aller par toi-même de toute manière, les plantes sont vraiment trop peu intéressantes à tes yeux pour que tu t'amuses à une telle chose. Tu hoches donc légèrement la tête tout en reprenant ton travail.

T'as le temps de réfléchir à pourquoi tu en es arrivé là. Ce n'est que ta première retenue, et t'as déjà l'impression que tu es dans cette serre depuis une éternité. T'as vraiment déconné en venant tout détruire ici. C'était gratuit, un simple exutoire comme tu en as tellement besoin. Faudrait que tu trouves autre chose pour te défouler, tu ne peux pas te permettre de continuer comme ça. Si Miss Bergsturm a été suffisamment sympa pour ne pas essayer de te renvoyer, d'autres professeurs n'auraient sûrement pas hésité une seule seconde. Et même si tu ne te sens pas à ta place dans ce château, il y a Panthéa, et le Perché. Alors ça reste mieux que chez toi, parce que t'es pas tout seul.

Bientôt, le vaporisateur est totalement vide, et les filins argentés des Asphodèles cessent de venir s'enrouler autour de toi. Tu n'as pas dit le moindre mot durant de longues minutes, te contentant de penser avec la musique en fond dans ta tête. Tu te tournes alors vers la professeure, sans pour autant la regarder, préférant amplement observer le sol que d'affronter un quelconque regard.

- Merci de pas m'avoir renvoyé, Miss.

Parce qu'elle aurait pu. Peut-être même qu'elle aurait dû, t'en sais trop rien. Est-ce que les autres professeurs sont au courant de ton comportement ? Tu espères que non. Il va falloir que tu fasses en sorte d'arrêter tes bêtises. Même si ça fait du bien, de se sentir exister aux yeux des autres de temps en temps.

- J'ai fini.

Comme pour changer de sujet.

Le temps se mit alors à passer très rapidement. Au fur et à mesure que les musiques changeaient, Naomi prenait des notes sur les comportements changeants des plantes. La menthe poivrée par exemple, semblait frémir à l'écoute de la voie de David Bowie. Il faut dire qu'à ce moment-là la professeure avait ostensiblement monté le son. Elle se promit de réessayer une prochaine fois avec un volume moins conséquent.

L'élève interrompit le cours de ses pensées en la remerciant de ne pas l'avoir renvoyé. Naomi était étonnée d'une réaction aussi douce, elle l'aurait pensé rancunier pour avoir écopé de tant de retenues. Après-tout ce qu'il avait fait était grave, mais on pouvait considérer son mal-être personnel comme une circonstance atténuante. Elle se contenta donc d'affirmer : "On ne renvoie pas un élève qui à bon fond."

Ensuite il annonça avoir fini son travail. Il avait été plutôt efficace. Naomi se déplaça pour vérifier que les asphodèles semblaient contentes de leur traitement. Elle-même n'avait pas forcément le temps de les nourrir manuellement et le faisait donc par magie pendant qu'elle s'occupait d'autre chose. Mais il semblait qu'elle avait apprécié qu'un humain s'occupe d'elles puisqu'elles se tortillaient avec plus d'entrain que d'habitude. Voir ses plantes aussi heureuses lui arracha un sourire. Très contente de l'élève, la professeure le relâcha : "Oh, très bien ! Merci pour ton aide et à la semaine prochaine."

Tu ne t'attendais pas vraiment à une telle réponse de la part de ta professeure. Tu relèves un instant les yeux vers elle, surpris qu'elle puisse penser une telle chose de toi. T'es pas sûr d'avoir bon fond. Il n'y a pas grand monde qui pense une telle chose de toi, à part peut-être Panthéa, et ton oncle Dagon. Tes parents ne voient en toi qu'une épine qu'ils aimeraient s'ôter du pied. La plupart de tes camarades a peur de toi, ou te déteste, ou t'évite, tout simplement. Non pas que ça te dérange, tu préfères amplement qu'on te laisse tranquille. Mais ce n'est pas toujours évident de regarder les gens dans les yeux quand on ne voit dedans que dégoût, haine et rejet. Tu te demandes ce qui la fait penser ainsi à ton égard. T'as retourné sa serre, t'as tout cassé, et tu ne fais des efforts que pour qu'elle ne mette pas tes parents au courant.

Alors tu te contentes d'un haussement d'épaules, comme si tu n'étais pas vraiment convaincu. Et tu regardes un des plans de travail, uniquement pour ne pas la regarder elle. Toi-même, t'es pas bien sûr d'avoir bon fond. Mais ses mots te font plaisir, plus que tu ne l'admettrais jamais. C'est que t'as pas l'habitude des compliments, t'as du mal à les recevoir. Mais il faut bien dire ce qui est, ça réchauffe un peu de l'intérieur. Plus qu'une infusion au citron. T'as même presque envie de sourire, mais tu te retiens. T'as peur que ça passe pour de la fierté mal placée. Au fond, t'es juste content. Content d'être encore à Poudlard, avec tes deux amis, loin de tes parents. Et content que Miss Bergsturm ne t'en veuille pas plus que ça. Oui, ça vaut bien quelques retenues, même si ça t'embête.

Elle te remercie alors. Apparemment, elle est contente de ton travail, et ses plantes aussi. Et ça aussi, ça te fait du bien. De voir que, même si t'aimes pas la botanique, tu peux quand même faire les choses correctement. T'es pas un gros raté, même si tu as eu un Effort Exceptionnel la dernière fois en potions, t'es encore capable de faire les choses bien. Cette fois-ci, tu ne retiens pas ton sourire. Tu attrapes ton sac, visiblement bien plus heureux que lorsque tu es arrivé ici.

- Bonne soirée Miss !

T'es enfin en week-end, et cette série de retenues, bien que peu intéressante, ne s'annonce pas si déplaisante que prévue. Et puis, t'aimes bien Miss Bergsturm. Elle est bizarre, un peu. Mais elle est gentille.