Le soleil filtrait à travers les immenses baies de verre, propageant sa lumière douce et dorée à l'intérieur de la serre numéro un. Les plantes se délectaient de cette caresse, semblant même étendre leurs branches vers les rayons scintillants. C'était sans aucun doute la meilleure heure de la journée pour profiter pleinement des serres : le soleil bas propageait une lumière chaude, sans être éblouissante, diffusant sa couleur mordorée sous la structure de verre. Jodie prenait appui du bas de son dos contre l'une des tables en bois soutenant les plantes. L'odeur de la menthe poivrée qui embaumait la serre lui chatouillait les narines, sans lui déplaire pour autant. Ce parfum et le soleil qui lui tapait sur la tête produisaient un étrange mélange, comme si elle était sur le point de s'endormir. Ses paupières lui semblaient lourdes et son esprit engourdi. Ses yeux restaient fixés sur la plante à pipaillon plantée en face d'elle, sans qu'elle ne soit pour autant intéressée par le petit panneau à son pied indiquant ses propriétés. À cet instant précis, elle avait perdu la notion du temps et avait complètement décroché de la réalité.

Jodie était assez perturbée depuis le début des vacances, sans arriver pour autant à identifier ce qu'elle ressentait. Beaucoup de choses la mettaient profondément mal à l'aise depuis que le monde des sorciers avait été découvert par celui des moldus. Le sentiment général était à l'insécurité, que le confinement à Poudlard pour les vacances d'avril n'avait absolument pas apaisé, et elle se sentait complètement désemparée. Ce n'était pas tant ne pas pouvoir rentrer chez elle et voir sa famille qui la dérangeait, plutôt que tout ce qu'impliquait ce bouleversement. Elle ne savait pas ce qu'il adviendrait des sorciers, elle ne savait pas ce qu'il adviendrait du futur, et elle ne savait pas ce qu'il adviendrait de son amitié avec Jelena et Walter. Jamais elle ne leur avait dit qu'elle était une sorcière, ayant peur de leur réaction et ayant conscience que ce n'était pas un secret à avouer à la légère, mais depuis que l'existence des sorciers avait été révélée et la façon dont ils étaient perçus par les moldus, elle ne savait même plus comment agir en leur présence. Aux vacances de Noël, elle avait tout fait pour ne pas les voir, n'ayant pas du tout envie qu'ils abordent cette conversation avec elle. Il lui était plus simple de se montrer distante, se sentant bien trop mal à l'aise autrement. En ce sens, rester à Poudlard l'arrangeait : elle n'avait pas à trouver de fausse excuse pour les éviter.

L'esprit assez confus, Jodie s'était ainsi dirigée vers les serres de Poudlard. C'était le seul lieu auquel elle avait pensé pour se retirer. Si elle avait bien un endroit préféré, c'était la maison de ses grands-parents paternels à côté du tout petit village de Rublivka en Ukraine, perdue dans la campagne. Cette maison respirait la magie : tout y était ensorcelé et répondait à son joug. Et dans cette maison se trouvait notamment une très grande verrière abritant diverses sortes de plantes magiques et non magiques entretenues avec soin par sa grand-mère. Jodie avait ainsi pensé trouver dans les serres un échappatoire, qui lui rappellerait cet endroit et l'apaiserait.

Le regard toujours perdu sur la plante à pipaillon, elle sentait ses paupières faiblir face à la puissance léthargique du soleil. La menthe poivrée s’immisçait dans ses sens. Sereine, l'esprit libéré de toute pensée, elle laissa son cou faillir sous l'engourdissement qui s'emparait petit à petit de son corps. Sa tête penchée vers la droite, elle s'abandonna au charme ensorcelant de la serre numéro un.

En cette belle journée, Elfie avait décidé de faire une pause à l'extérieur entre deux séances de révisions. Son niveau ayant considérablement chuté le mois dernier, la rouquine savait nécessaire de reprendre là où elle avait décroché. Avant de s'aventurer sous les rayons solaires printaniers, la jeune fille avait troqué la traditionnelle robe de sorcier pour une robe-chemise bleue bien plus agréable à porter. Par mesure de précaution, Elfie avait pensé à emmener un tablier de protection et sa paire de gants de botanique. Lorsqu'elle franchit l'entrée du château pour se diriger vers les serres, le soleil lui brûla les yeux. Deux semaines qu'elle n'avait pas mis le nez dehors, après tout.

Les plantes la passionnaient, et ce depuis le premier cours de miss Bergstrum. Le moral dans les chaussettes, la rouquine avait préféré les lamentations à l'étude de la botanique depuis mi-février -une chose qu'elle n'arrivait pas à se pardonner.
Ses premières angoisses avaient alors resurgi, la noyant sous l'incertitude de ses débuts à Poudlard. Elle pensait ne jamais plus vivre comme avant, que ses parents la détesteraient pour avoir fait preuve de faiblesse. Il lui avait fallu deux mois pour comprendre que ses peurs étaient infondées. Elle avait volontairement baissé les bras pour choisir la facilité. Début mars, la jeune fille avait même fait un crochet par la Volière afin d'écrire un hibou à Irene Field. Obsédée par le fait de connaître son avenir, Elfie avait osé lui envoyer une lettre. La réponse qu'elle avait reçu en disait long, et sans le savoir, la rouquine avait compris qu'elle était son propre frein. Elle reniait sa vie d'avant, sous prétexte que sa famille l'avait abandonné -ce qui était faux. Au fond, l'abandon venait d'elle. Elfie avait refusé de d'accepter la nouvelle. Désormais, Elfie se sentait mieux. Elle n'avait plus peur de décevoir qui que ce soit; personne n'était là pour se préoccuper de sa scolarité. Personne n'avait besoin de se préoccuper d'elle non plus. Ses parents l'aimaient, et c'était tout ce qui comptait.

Au bout de cinq minutes de marche rapide, Elfie se retrouva devant la première serre. Le soleil les plantes de lumières, faisant scintiller les quelques gouttes d'eau de l'arrosage matinale. Doucement, elle entra en inspirant le doux parfum de la menthe poivrée. L'allée de la serre s'étendait devant elle, son chemin tracé grâce aux fleurs qui la longeaient. La rouquine se laissa un instant enivrer par les effluves des parfums qui embaumaient l'air, avant de continuer vers le fond de la serre.

Jodie s'était presque assoupie, ou avait du moins laissé son esprit glisser dans un état de conscience autre, quand le bruit d'une porte s'ouvrant puis se fermant la fit revenir à la réalité. Elle tourna sa tête à gauche et aperçut une silhouette loin au début de l'allée. Elle soupira aussi lentement que longuement, importunée par cette présence qu'elle ne désirait pas. Elle savait que les serres étaient ouvertes à tous, d'autant plus la serre numéro un, mais qui, à part elle, pouvait sciemment se rendre ici sur son temps libre ? Qui avait vraiment quelque chose à faire dans les serres pendant les vacances ? Elle croisa ses bras et réorienta sa tête vers la plante à pipaillon, ignorant la silhouette. L'ambiance particulière dans laquelle elle s'était sentie jusqu'à présent venait de voler en éclat. Le soleil avait beau lui réchauffer la peau et la menthe imprégner ses narines, l'atmosphère n'y était plus.

Elle tenta de faire fi des pas qui s'approchaient petit à petit d'elle, ne s'intéressant pas à ce que cette personne faisait, mais savait pourtant que chaque centimètre qu'elle parcourait la reprochait inexorablement de sa position : et c'était la dernière chose que Jodie désirait. Elle baissa légèrement sa tête vers le sol, cherchant volontairement à ne pas se montrer ouverte, mais ne put s'empêcher de jeter un bref coup d’œil à la personne qui troublait sa sérénité. C'était une fille, qu'elle ne connaissait pas. Jodie laissa alors un deuxième soupir s'échapper cette fois de ses narines et leva les yeux au ciel, faisant suivre à son visage la même trajectoire. Les cours de botanique n'étaient-ils pas suffisants à cette fille pour assouvir sa soif de connaissances dans la matière ? Avait-elle vraiment besoin de venir passer plus de temps dans les serres ?

Lui jetant un dernier regard silencieux, Jodie finit par poser résolument ses yeux sur la plante à pipaillon. Non, elle n'avait pas envie de lui parler, et si elle pouvait poursuivre son chemin en passant simplement devant elle sans l'interpeller, ça lui aurait parfaitement convenu.

La serre numéro 1, bien qu'ouverte une bonne partie de la journée, avait été délaissée durant l'hiver. Elle-même avait décidé de ne plus s'y rendre à partir de début janvier, afin de concentrer ses efforts sur les matières qu'elle appréciait moins, ou qui lui donnaient du fil à retordre. Un bel échec.

Elfie se sentait coupable de revenir parmi ses fleurs adorées, qu'elle avait méchamment laissé de côté. Les cours de botanique, avec ceux de miss Holloway, l'avaient pourtant aidé à remonter lentement la pente. Chaque fois que miss Bergstrum expliquait une nouvelle chose, Elfie s'y raccrochait et se promettait de travailler encore et encore. Elle avait eu besoin de toucher la terre, d'effleurer jolies feuilles de la plante à pipaillon, d'inspirer le doux parfum de la menthe poivrée qui imprégnait les murs de la serre, juste pour se prouver qu'elle valait mieux que l'idée qu'elle avait sur son compte. Mais les cours ne lui suffisaient plus. La jeune fille avait besoin désormais, de plus, toujours plus. Si les Défenses contre les Forces du Mal était un but, la botanique était une passion dévorante. Ses pas l'avaient guidée jusqu'ici, et Elfie voulait utiliser le temps dont elle disposait pour s'évader parmi les plantes.

Enfin, elle s'arrêta près des champifleurs. Délicatement, la jeune fille noua son tablier autour de sa taille et de sa nuque. Dans la poche de celui-ci, se trouvait un petit rouleau de parchemin ainsi qu'un stylo Bic moldu, rapporté de sa maison. Elfie posa ses gants là où elle vit de la place, et déroula le papier. Ce matin, au réveil, la rouquine avait en effet décidé, pour se consacrer en profondeur à la botanique, d'observer les plantes de la serre auquelle elle avait accès. Puis, elle avait pour projet d'étudier leur histoire grâce aux livres de la Bibliothèque qu'elle détestait tant. Un nouveau programme donc.

Lorsqu'elle voulut se mettre au travail, Elfie remarqua enfin un soulier. Et un second. Elle releva la tête, surprise de n'avoir rien vu plus tôt, et découvrit une autre jeune fille au teint pâle, aux yeux plongés sur la plante à pipaillon.

-Oh. Excuse-moi, désolée, je ne t'avais pas vue. Tu veux que j'aille plus loin ? interrogea Elfie, habituée à tomber sur des élèves survoltés et méchants, qui préféraient la solitude. Aucun risque ne devait être pris.

RP en pause.

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