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26 janv. 2020, 14:00
L’Ombre d’un Cauchemar  SOLO 
Novembre 2043
Salle de DCFM, Poudlard

Thalia, 12 ans
2ème année



C’était moi. Enfin, pas tout à fait. Ça avait des cheveux un peu trop sombres, plus noirs que bruns foncés. Ça avait une peau un peu trop pâle, plus couleur de neige que beige clair. Ça avait des yeux un peu trop obscurs, plus couleur de ténèbres que couleur d’émeraude. Ça avait des lèvres un peu trop rouges, plus écarlate que rose pâle. C’étaient surtout ses lèvres qui me dérangeaient. On aurait dit que ça avait tartiné sa bouche de sang. Ou de maquillage un peu trop foncé, pour adulte, comme les femmes moldues à moitié nues sur certaines publicités qu’on trouve dans les grandes villes. Ce rouge était trop sanguin sur une petite fille. Et il dégoulinait un peu sur les coins de ses lèvres. Dans l’ensemble, ça avait l’air d’une poupée de porcelaine. Une parfaite petite poupée. Vivante, accessoirement. Avec un regard changeant ; ça avait des yeux un coup totalement perdus, un coup profondément accusateurs. Une poupée de porcelaine accusatrice. Mais les poupées de porcelaine n’avaient pas de sang partout. Finalement, je ne m’étais pas trompée. Ses traits étaient fins, enfantins, ils ne mentaient pas. C’était bien Moi. Une Moi un peu trop violente, trop contrastée. Sans nuances, faites de blanc et de noir, et au milieu de ça, le pourpre qui tranchait. Ça devait bien être du sang, sur ses lèvres, finalement. Le même sang qui salissait les mains que ça tendait vers moi. Le même sang qui salissait la robe blanche pur dont c’était couvert. Je crois que c’était ce sang qui faisait sourire ça. Un grand sourire de gamine qui étirait ses lèvres trop rouges. Un grand sourire de gamine qui s’était bien amusée à se barbouiller de sang.
Mes yeux virevoltaient de ses mains à ses lèvres, terrifiés par tout ce sang. Je ne voulais plus poser mon regard dans ses Orbes, car elles me faisaient flipper : c’était elles que j’avais vu en premier, elles qui m’avaient figée. Deux grandes Perles d’enfant. Perdues. Puis méchantes. *Merlin !*. J’étais revenue en décembre 2040, par cette froide nuit d’hiver. C’était une gamine de neuf ans qui se tenait devant moi, malgré son visage et ses formes naissantes qui affirmaient le contraire. C’était une gamine de neuf ans dans son regard. Une gamine de neuf ans emprisonnée dans un corps de treize ans. Je serrais les poings à m’en défoncer les articulations. Mes ongles trop longs que j’avais oublié de couper hier s’enfonçaient profondément dans ma peau, et je leur en étais reconnaissante. Cette douleur était physique, elle était comme une attache à la réalité. Ça tentait de m’éloigner de la réalité. Ça me tendait deux mains frêles d’un air désespéré et ça m’invitait à la suivre. *Loin, très loin*. Peut-être que je pourrais suivre cette Forme, cette Chose. Peut-être que très loin d’ici, je trouverais un endroit confortable. Où je pourrais me rouler en boule et dormir, très longtemps.

*C’n’est pas moi !* décida soudain de gueuler ma conscience et je papillonnais des paupières. Soudainement, ça me semblait un peu moins flou et plus réel. Plus idiot. Oui, c’était une vraie idiotie. Je ne savais pas qui avait fait cette blague, mais il ne savait pas être réaliste. Je n’avais pas une peau aussi blanche, malgré toute la pâleur de mon corps. Je n’avais pas non plus des yeux aussi sombres, j’étais fière de mon regard vert. Je n’avais pas de cheveux noirs-de-jais, les miens étaient d’un marron très sombre et beaucoup plus subtile qui me plaisait bien plus que cette couleur trop tranchée. Et je n’avais certainement pas de sang sur mes lèvres, ni sur mes mains, ni sur ma robe — je ne portais même pas une robe blanche, juste une robe de sorcière aux fichues couleurs de Poufsouffle. Un jour, pourtant, tu as eu une robe blanche et du sang partout, criaient des voix dans ma tête. C’était vrai, mais je ne devais pas y penser. Je n’avais pas bouffé de sang, moi, contrairement à ça. Quand je relevais la tête d’un air fier, après à peine une seconde et demi qui m’avaient semblé durer une éternité, les yeux de la Chose se firent encore plus sombres. Ses lèvres dégoulinantes d’écarlate s’entrouvrirent pour siffler :

« Ta faute… C’est ta faute… Maman, c’est ta faute… Tout est de ta faute ! »

Son ton était tellement accusateur que mes yeux s’écarquillèrent et se mirent à me brûler furieusement. C’est ta faute, chantaient en cœur des dizaines de bouches accusatrices. Mes lèvres se tordirent. *Ferme la*. Maman, c’est ta faute, renchérissaient d’autres êtres dans mon crâne. Mais c’était faux. Ce n’était pas du tout ma faute. Pas du tout. Je n’avais rien fait. Pourtant, c’était quand même forcément un tout petit peu de ma faute, sinon, ça ne le dirait pas, n’est-ce pas ? Oui, ça devait quand même être de ma faute. Tout est de ta faute ! finirent les voix et je tremblais imperceptiblement. La Chose me tendait toujours les mains, les yeux lançant des éclairs. J’avais les yeux brûlants de peur. De honte.

*Qu’est c’qui s’passe ?*

Holloway avait dit que c’était faux ! Je tenais mon accroche. La prof avait tout expliqué. C’était une sale créature en train de créer une fichue illusion. La salle de cours était toujours autour de moi, alors c’était logique. Ça n’était rien d’autre qu’un être magique qui fouillait dans mon cerveau pour en extirper des faux souvenirs. *Ça a l’air tell’ment vrai !*. Peut-être que ça n’empêchait pas la Chose de dire la vérité ? Est-ce que je ressemblais à ça ? Du sang partout, sur les mains, sur les lèvres, sur les vêtements, parce que tout était de ma faute ?
Holloway avait aussi dit comment les vaincre mais je ne savais pas du tout comment faire. Maintenant, je savais à peu près ce que je faisais là : je n’avais pas voulu avancer quand ça avait été mon tour, mais l’imbécile qui se trouvait derrière moi m’avait légèrement poussée en avant et je m’étais retrouvée face à ça. C’était totalement imprévu : quand je m’étais demandée ce qui se tiendrait devant moi — *ma pire peur* —, je n’avais aucune idée. J’avais pensé à la Mort, puis à Maman, puis à Papa qui ne voulait plus de moi, puis à beaucoup d’autres choses, mais toutes me semblaient invraisemblables. Je n’avais certainement pas pensé à ça ! Quelque chose était faux : je ne pouvais pas être ma pire peur. Pourtant, j’étais pétrifiée, complètement incapable d’agir. *Ce n’est pas exactement toi*, me rappela ma conscience et je lui en fus reconnaissante. Même si je ne comprenais rien. Ça n’était pas moi mais ça ressemblait furieusement à moi. J’en tremblais alors que c’était stupide.
En sentant ma baguette coller à ma paume moite, je me rappelais soudain qu’Holloway avait dit qu’il fallait les ridiculiser. Penser à quelque chose qui les rendrait complètement stupide. J’imaginais des myriades de scénarios, mais je ne comprenais pas comment rendre ça drôle. Rien ne pourrait le tourner en ridicule ! Pas comme ceux qui m’avaient précédée, qui avaient changé les vêtements de la Chose, avaient enlevé les pattes de l’araignée, avaient fait trébucher l’être flippant. Je ne voyais pas du tout comment me ridiculiser moi-même.

*Pense au Patronus*, souffla lentement ma conscience, et une ride d’incompréhension apparu sur mon front. Le Patronus était un charme pour les plus grands, qui faisait fuir les Détraqueurs, je le savais bien. Mais en face de moi, ce n’était pas du tout un Détraqueur, et je ne voyais pas comment ça pouvait m’aider. *Pense à un souvenir heureux !*, intima ma conscience de plus en plus irrespectueuse et agacée. J’entrouvris la bouche, un semblant d’espoir dans la tête. Si je n’avais pas d’idée pour le rendre ridicule, ma baguette trouverait toute seule : je devais juste, juste penser à quelque chose qui me sortirait cette saleté de la tête et ne me ferait pas penser à ça.
En criant un « Riddikulus ! » plein de faux espoirs, je me concentrais très fort sur la première pensée heureuse qui me vint : Maman qui me serrait dans ses bras près du feu, alors que je devais avoir sept ans. Je me souvenais parfaitement de ce moment, de ses bras autour de mes épaules, de… de cette nuit d’hiver deux ans après, de son corps allongé par terre, du sang sur moi. Maman, c’est ta faute. *Non !* jurais-je. Le satané sortilège n’eut aucun effet.
Je savais que ça ne faisait pas longtemps que j’étais là, mais les Autres derrière moi murmuraient déjà, parce que je n’y arrivais pas et que la vision de cette gamine ensanglantée était tout de même franchement dérangeante. Criant une nouvelle fois le sortilège, sans aucune idée pour ridiculiser cette saleté, je me mis à penser à Arthus. Arthus après la mort de Maman — je le pensais sans en avoir peur, je l’acceptais totalement. Le bras que j’avais passé autour de son épaule, doucement. Le fait que je m’étais sentie bien, même si j’étais dévastée. La sensation d’avoir un frère. Au rythme où j’allais, le sortilège du Patronus dans quelques années ne me poserait pas de problème. Pour le moment, je n’arrivais qu’à changer de sensation pour retrouver le goût du vomi dans ma bouche et le sang d’Arthus sur mes mains, en ce treize septembre où je l’avais frappé jusqu’à en vomir de dégout. Le souvenir de ce gamin tabassé par mes soins me retira toute sensation d’avoir un frère et je grimaçais d’horreur en voyant la Chose se rapprocher encore de moi, tendant toujours ses mains vers les miennes. Tout est de ta faute !

Une première larme brûlante dégoulina sur ma joue et j’occupais tout mon esprit à empêcher les autres de suivre. La respiration accélérée et le cœur battant, je murmurais le sortilège une dernière fois sans même penser à l’avancer à un souvenir en particulier. Fouillant dans mes pensées, j’attrapais la première sensation de bonheur qui me vint et me figeait de peur en voyant une salle de bains bien connue se dessiner dans mon esprit. Je ne savais pas si je devais flipper ou sourire. J’étais tellement persuadée que le souvenir allait virer au cauchemar et que j’allais penser à ce cri dans le couloir quelques jours avant la salle de bains que je l’acceptais pleinement. De toute manière, j’allais échouer. Sans même tenter de faire abstraction de tout ça, je fermais les yeux et me souvenais des lèvres d’Aelle pressées contre les miennes, d’un bonheur intense, d’un corps qui brûlait, d’un cœur battant trop vite, de cette terrible et fascinante sensation de plénitude. Ce que ça faisait du bien. Quitte à rater encore une fois en finissant par songer à ce cri, autant être heureuse quelques fractions de seconde de plus. Maintenant, c’est sûr qu’on reste ensemble. Un sale sourire étira mes lèvres et je rouvris les yeux précipitamment, juste assez vite pour voir une ombre se former — une ombre à forme humaine, mais sans réels contours. Pour la première fois depuis quelques secondes, je pouvais être reconnaissante à l’épouvantard de ne pas prendre une forme trop définie devant la classe entière. Rougissant furieusement, je vis deux yeux charbons se tourner vers moi au milieu de cette nouvelle Forme avant que l’ombre ne fonde sur les lèvres de la poupée en porcelaine, sans prêter attention au sang qui salissait l’autre gamine, en se fichant complètement de la tonne d’Autres rassemblés autour de cet épouvantard, attendant leur tour. Les joues en feu, je me dépêchais de revenir en arrière et de bousculer au passage l’Autre qui m’avait poussé en avant tout à l’heure et qui ricanait maintenant. Jetant des coups d’œil tout autour de moi, j’allais m’asseoir dans un coin de la classe. Genoux relevés, la tête dans mon coude, je me plongeais dans le noir pour ne pas laisser mes joues rouges à la vue de la professeure et des élèves. *Saleté !* jurais-je en songeant à cette fichue apparition — les deux, la poupée accusatrice comme l’ombre étrange. Autour de moi, j’entendais quelques murmures encore tournés vers moi.

« T’as vu c’que j’ai vu ? » « Tu penses que c’était qui ? » « Elle ressemblait plus à une fille qu’à un mec. » « Bah ouais, tu connais pas les rumeurs ? » « Tu crois qu’c’était Bristyle ? » « Les deux sont bizarres, ce s’rait pas trop étonnant. » « T’façon depuis septembre, y’a plein de rumeurs sur elles. » « Gil’Sayan est trop bizarre dans tous les cas, on s’en tape. »

Dans mon obscurité, je laissais échapper un sourire. Je détestais les imbéciles qui parlaient de moi dans mon dos — en quoi pouvais-je donc les intéresser ? — mais leurs idioties étaient particulièrement plaisantes à attendre. Et douloureuses. J’entendis la voix d’une Poufsouffle conclure « Y’a plein d’filles qui sont en couples, même des mecs, y’a qu’à regarder Kernac’h et Rosenberg. Que l’autre et Bristyle le soient ou non, ça change rien et on s’en fout. » et je la remerciais mentalement. Sales Autres. Sale épouvantard. Je ne comprenais toujours pas pourquoi il avait pris cette forme — et ce ridikkulus qui n’avait rien de ridicule ! —, ni pourquoi j’avais dû puiser dans cette sensation là pour arriver à lancer un stupide sort convenablement, mais j’étais tout de même légèrement satisfaite. Légèrement, parce que la Chose planait dans un recoin de mon esprit et continuait de déverser ses reproches. Dans l’intimité de mes bras refermés sur mon visage, je me laissais aller à chialer silencieusement durant quelques secondes.
Les yeux de l’ombre étaient encore là dans l’obscurité. La voix d’Aelle remplaça celle de la Chose durant quelques instants. « T’es qui ? » questionnais une première voix que je ne connaissais que trop bien. « Ton ombre » répliqua Aelle sans même comprendre à quel point Elle avait raison. 
*J’me sens plutôt bien* compris-je alors.
Finalement, peut-être que ce fichu sort ne s’était pas complètement trompé sur la forme à prendre pour contrer cette saleté d’épouvantard.

FIN

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]