La jeune indienne était immobile, silencieuse dans sa respiration. Ses yeux étaient fermés, crispés, mais une fois un dernier reniflement d'émotions passé, se détendirent eux aussi. Aishani n'était pas étrangère aux méditations, que ce soit par la pratique de prières, ou la pratique sportive, la jeune fille avait très jeune appris les diverses manières de contrôler ses émotions. Hyperactive, ceci dit, et très sportive, ce n'était pas son activité préférée. Mais la professeure semblait vouloir la garder au calme, alors au calme elle résiderait...

Elle fit la moue à la proposition de la professeure. Elle avait pu voir cette définition du fluide dans les livres qu'elle avait consulté mais, le problème était là : Ce n'était pas un fluide dans lequel elle évoluait, pas un flux, pas un chemin. Elle évoluait à la surface d'un plan, d'une surface, mouvante certes, avec ses flots et ses vagues, mais pas plus liquide qu'un champ de blé sous le vent... Respirant doucement, elle semblait sentir la chaleur des mains de la professeure près des siennes. Une fugitive idée la fit sourire, imaginant qu'elle pourrait peut être la tirer à l'intérieur de ses rêves, lui montrer tout simplement... Mais ça ne marchait pas comme ça, et la professeur avait insisté pour qu'elle évite ce genre de surprise... Elle allait devoir trouver des mots sur quelque chose sans comparaison...

"... Non, cela ne me parle pas... Mais je vous l'ai dit... Je ne suis pas une voyante..."

Elle se redressa, sa gorge déglutissant, les yeux toujours fermée, crispée, concentrée. Elle avait suffisamment vu pour se souvenir avec précision, visualiser ce qui hantait ses nuits... Elle devait juste trouver les mots... Elle inspira lentement... Puis expira...

"... Si je devais poser une sensation dessus... C'est comme tomber... Une sensation de vitesse, de résistance, des sensations qui défilent, frappent mes yeux, mes oreilles, glissent sur ma peau... Je tombe chaque nuit, dans un néant infini. Je tombe, accompagnée de milliards d'étoiles, toutes ensembles dans la même direction... La seule différence, c'est que j'évolue à leur surface, toujours devant, je me retourne et je vois l'immensité de leur présence, leur multitude infinie. Toutes ces étoiles semblent liées entre elles, leur lumière s'étirant, se touchant, formant des fils, des connexions. Chaque astres en possède des millions... Les connexions faibles sont les plus nombreuses, mais elles ne sont pas intéressantes. Les connexions fortes créent des réseaux, des trames, des motifs de lumière. C'est ce qui maintient toutes les étoiles entre elles, cohérentes, équilibrées. Qui maintient la Tapisserie constante, unifiée..."

Elle la voyait désormais, la Tapisserie, comme si elle y était. Ses yeux s'ouvrirent inconsciemment, ses iris dévoilant une pâleur lunaire, blanc et brillant comme l'astre de nuit. L'enfant continuait.

"Ce n'est pas juste une surface, il y a de la profondeur. Certaines étoiles sont devant, pionnières, tirant l'ensemble vers l'avant. D'autres sont derrières, à la traine, ralentissant le tout. Je suis devant, mais je suis une anomalie, une observatrice. J'ai besoin d'une vision d'ensemble pour trouver les trous..."

Elle cligna des yeux, déglutissant à nouveau. Elle avait remarqué qu'elle pouvait parfois avoir des aperçus éveillés pendant la journée, mais ils ne duraient que quelques secondes en général, le temps de vérifier une impression. Mais c'était la première fois qu'elle se concentrait précisément sur la sensation...

La tête de la jeune indienne était légèrement penchée en arrière, les yeux grands ouvert sur un spectacle derrière la professeure, qu'elle seule pouvait admirer. Ses iris d'un blancheur lunaire brillaient fugitivement dans la pénombre de la salle. Elle déglutit à la question de la professeure, ses sourcils s'arquant dans une expression confuse.

"C'est... Je... C'est difficile à expliquer..."

Son front se tendait sous l'effort, elle cligna des yeux une fois... Deux fois... Ses pupilles semblèrent augmenter légèrement de taille.

"Ces trous... Ils ne sont pas normaux... Ils ne devraient pas être... Mais ils existent... Des morceaux de trames qui se sont si ralentis qu'ils ne sont plus accrochés au grand ensemble que par quelques liaisons ténues... Leur gravité m'attire... Et je peux prendre leur place... Éprouver leurs connexions... Ressentir leur absence..."

Sa main droite sauta vers l'un des objets qu'elle avait posé sur la table, le petit carnet de cuir usé. Elle tâtait l'objet telle une aveugle, ses doigts bondissant sur sa surface, glissant le long des défauts du cuir.

"Ce carnet appartient à une personne qui n'est pas dans la Tapisserie... Dedans est écrit son nom... Alicia... Elle a une soeur... Emilie... Emilie Shirkland... Au début, je ne pouvais tirer que le fil de sa présence, suivre sa piste jusqu'à le trouver... Maintenant que je peux le toucher... C'est comme si de nouveaux liens m'étaient accessibles. Je ressens son importance... Sa correspondance avec d'autres éléments... Tout est lié, et si ce que je ressens est vrai... J'aurais besoin de circonstances magiques particulières pour ... Quelque chose... Mais je ne sais pas ce que c'est... C'est trop loin... Je ne peux pas bien le sentir..."

L'indienne eut un mouvement de recul douloureux, ses doigts filant vers son front alors qu'elle fermait ses paupières, comme luttant contre un mal de tête... Elle se massa la tempe, les yeux fermés... Puis soupira...

"Je ne vois plus... Mais ça me donne une impression étrange de libération... Quelque chose en rapport avec un sentiment heureux ?.. Je ne sais pas... C'est bizarrement chaleureux..."

Ses doigts vinrent sur ses paupières, alors que l'indienne se massait les yeux. Elle ne voyait plus rien, plus que le noir de son propre corps. Une légère douleur sinuait à l'intérieur de son crâne... Se redressant, elle reporta son regard vers la professeure en face d'elle. Ses iris avaient repris leur couleur noisette, et la lueur s'était résorbée. L'indienne n'était plus qu'Aishani, Gryffondor, première année.

L'indienne soupira.

"Oui... Ces sentiments ne sont pas à moi de toute façon..."

Elle posa son poing sur le centre de sa poitrine, inspirant, se recentrant. La professeur lui posa une question supplémentaire qui rendit confuse la jeune fille... C'était difficile à exprimer... Elle revint au carnet, le prenant dans ses mains, l'ouvrant, en dévoilant un contenu crypté.

"Regardez professeur... Vous voyez les schémas à l'intérieur..."

Sur la page présentée, deux dessins aux traits fins se trouvaient, accompagnant une écriture cunéiforme compliquée. On aurait dit une écriture ancienne, mais le carnet était bien trop récent pour qu'ils soient issues d'un vieux grimoire. Un code certainement... L'indienne pointait l'un des dessins : Une sorte de diagramme ésotérique en demi cercle, accompagné d'un petit histogramme en cloche, lui même codé. Aishani commentait :

"Je ne suis pas sûre, un camarade est en train de le traduire pour moi... Mais je crois que ce dessin parle des circonstances particulières... Un temps et un lieu, où la magie est à son plus haut... Mais je n'y connait pas grand chose à ce sujet..."

Elle pointa son doigt vers le second dessin, une sorte de plan isométrique d'une installation particulière. Il y avait comme une étrange boule transparente, flottant au dessus de ce qui ressemblait à un pentacle de conjuration, autour de ce qui avait été griffonné de manière délibérément vaguement, ressemblant à une flamme. Un mot à côté :



"Et il faut que je construise ça, je pense... Même si je n'ai encore aucune idée de ce que c'est exactement..."

Le regard de la Gryffondor revint vers la professeur.

"C'est honnêtement parfois difficile de comprendre ce que l'on attends de moi... Je sais juste que c'est important... Qu'il faut régler la situation... Mais je n'ai aucune idée de quelle situation il s'agit...", elle s'interrompit quelques instant : "Les noms d'Emilie et Alicia Shirkland vous disent quelque chose, professeur ? Je crois qu'elles étaient d'anciennes élèves de cette école... Il y a peut être... 15 ans de ça ?"

Aishani avait les yeux braqués dans ceux de la professeure, attentive, focalisée. Alors même qu'elle posait ses questions, l'indienne repris le carnet dans ses mains, le refermant puis l'ouvrant à nouveau sur sa seconde et troisième de couverture.

Présenté aux yeux de la professeure, une petite plaque de carton, inscrit d'encre manuscrite :

"Propriété d'Alicia Shirkland. Si vous trouvez ce journal, veuillez le renvoyer par Hibou dans les plus brefs délais."

Suivi d'une suite de symboles et de lettres, comme une sorte de dessin. Chaque lettre entouré de lignes ou de points dans des carrés spécifiques.

"On a cherché, madame. Ce livre est codé, son premier message est un avertissement à Emilie, de la part d'Alicia. Le code est plutôt simple, moldu, basé sur la correspondance de lettres et de formes. C'est juste un alphabet de symboles. On a commencé à traduire le début, mais il y a tellement de texte que cela va nous demander encore un moment... Mon... Camarade...",

Aishani se crispa à ce mot, craignant l'intervention de la professeure devant l'omission de son nom, mais rien ne vint. L'indienne n'était pas disposée à donner le nom des gens qui l'aidaient. Elle n'était pas sûre encore de pouvoir faire confiance à une adulte dans cette école.

"... en a déjà traduit le début, mais les termes sont techniques et difficiles à comprendre sans contexte... Ça nous a juste permis de comprendre que c'était un carnet d'étudiant... J'ai tenté d'envoyer des hiboux dans le noir, à Alicia Shirkland et Emilie Shirkland... Je n'ai pas encore reçu de réponses... J'ai même envoyé un hibou à la Gazette du Sorcier, pour avoir des informations à jour sur ces deux personnes... Sans réponses non plus... Le monde sorcier manque de bonnes bases de recherche..."

L'indienne soupira. Elle avait du mal à imaginer une société sans Web, sans connaissance facilement disponible, sans l'obligation de filtrer, de recouper ces connaissances, de les clarifier, de les formaliser. Elle détestait profondément devoir lire les grimoires d'études, tellement mal écrits, romancés sans que ce soit nécessaire, sans mise en forme claire, parfois même sans l'utilisation d'un index. Elle était choquée par le manque de diversité, d’hypothèses contradictoires proprement examinées, de méthode de recherche claire et efficace. Chaque livre qu'elle ouvrait, elle devait faire un effort incommensurable pour en croire son contenu à la première lecture, même quand il était évident que l'écrivain enflait son propos... C'était fatiguant mentalement... Heureusement, chaque fois qu'elle reprenait ses manuels moldus, bien dissimulés dans sa valise, elle sentait son esprit douloureux s'ouvrir à nouveau, s'épanouir sous leur descriptions précises et concises, leur agencement parfait, les références indiquées, pensées pour l'éducation... Son tuteur avait fait un travail remarquable dans sa sélection...

La professeure se redressa devant elle, sortant la jeune Gryffondor de ses réflexions. Elle semblait déterminée, prête à l'aider, prête à l'assister, malgré l'étonnant manque de marqueurs émotif sur son visage d'albâtre. La jeune fille ne put s'empêcher de sourire. La session avait été courte, mais au final, elle en sortait avec de nouvelles connaissances. Pas la solution complète, mais elle n'était pas jeune fille à s'arrêter de viser le sommet, alors que le chemin commence à peine à grimper. Au moins semblait elle la prendre au sérieux. Aishani ne pouvait pas demander mieux.

Faisant craquer pour la première fois son masque d'inquiétude, Aishani se permit d'afficher son sourire timide à la professeure. Il y avait une intonation d'espoir anxieux dans sa voix.

"Je... Je le souhaite, professeure. Demain, à 18h, d'accord. Je ne sais pas si j'ai quelque chose, mais je me débrouillerais..."

Ainsi terminais la première session avec cette étrange dame d'ivoire, en haut de sa tour.