PV Eider Dawkins




Comment avait-il pu se retrouver dans cette situation plus que cocasse ? Lui, Clément Downing, qui était un garçon de onze ans plus que fier et tenait ainsi fortement à l'image qu'il renvoyait aux autres élèves de son âge. Pourtant, il se trouvait là, assis sur les bords du Lac Noir à observer le mouvement fluide du vent d'automne sur la surface de l'eau. Hormis le fait qu'il était assez étrange de retrouver le jeune garçon au bord de cette étendue d'eau plutôt qu'à la grande bibliothèque de Poudlard, pouvoir observer son poignet de gamin attaché par un ruban de soie à celui d'Eider Dawkins était d'autant plus curieux.

Pourquoi les deux enfants étaient-ils assis sous l'ombre d'un grand saule et attachés ensemble par le poignet? Ils n'étaient pourtant que des connaissances et même si ils ne se détestaient pas formellement, on ne peut pas dire qu'une grande amitié régnait entre eux deux. Après une rencontre plutôt houleuse dans le Poudlard Express où le jeune Downing n'avait pas vraiment apprécié le ton condescendant et complaisant d'Eider et où l'atmosphère n'avait pas pu être pas la suite suffisamment détendue, leur relation ne s'était pas améliorée avec les deux mois qui venaient de s'écouler. Être dans deux maisons connues depuis un millénaire pour être très rivale n'avait pas arrangé la situation. En cours, Clément considérait qu'Eider était une sorte de rivale: les deux s'affrontaient régulièrement pour attirer l'attention des professeurs et montrer qu'ils en savaient beaucoup. Leurs mains faisaient une compétition à celles qui sera la plus haute lorsqu'ils voulaient se faire interroger par les professeurs, parfois avant même que ceux-ci ne posent une question. Le plus amusant était en Potions, puisque leurs familles respectives étaient toutes les deux impliquées dans la confection de potions, la mère de Clément préparant et vendant des potions sur le chemin de Traverse, et les parents d'Eider voyageant au tour du monde pour trouver des ingrédients rares ou de plus en plus innovants. Ils essayaient de confectionner une potion mieux que celle de l'autre, n'hésitant pas à sortir des clous indiqués par la recette du manuel pour obtenir un meilleur résultat.

D'ailleurs, leur dernière altercation en date remontait à quelques jours auparavant, lorsque Clément recherchait un livre à la Bibliothèque pour finir ses recherches sur Helga Poufsouffle dans le cadre de son devoir d'Histoire de la Magie. Il avait cherché pendant presque une demi-heure parmi les rayonnages jusqu'à se rendre compte qu'Eider détenait le livre et était actuellement en train de travailler avec. Le jeune garçon avait tenté de négocier avec elle pour l'emprunter, mais rien ne faisait, elle s'était obstiné et avait refusé de lui laisser une heure pour qu'il puisse finir son devoir. Il n'avait pu récupérer le livre que le lendemain, la jeune fille l'ayant conservé pour la nuit laissant Clément penser qu'elle l'avait fait exprès pour l'embêter.

Alors, après toutes ses tensions entre les deux gamins, qu'est-ce qui les avaient amenés à être attachés ensemble toute l'après-midi ? N'avaient-ils rien de mieux à faire que de se cacher sur les bords du Lac ? Après tout, ils passaient la plupart de leur temps à la Bibliothèque, alors qu'est-ce qui avait bien pu casser cette routine et les forcer à mettre le nez dehors ainsi attachés? En tout cas, une chose était sûre: la situation ne plaisait ni à l'un ni à l'autre. Tous les deux arboraient une expression faciale assez mécontente et n'importe qui passant par là ne pourrait que se demander pourquoi deux personnes liées par un ruban étaient fâchées. Elles n'avaient qu'à se détacher du ruban, et partir chacune dans une direction différente pour mettre fin à leur différent.

Eider Dawkins et Clément Downing étaient assis l'un à côté de l'autre, les pieds à un mètre de la surface du Lac, et leurs poignets respectifs sur leurs propres genoux. Cette configuration faisait en sorte que leurs deux genoux se touchaient, mais bien qu'ils n'aimaient tous les deux vraiment pas les contacts physiques, ils en faisaient abstraction car ils n'avaient pas forcément le choix si ils voulaient démontrer à leurs camarades qu'ils pouvaient sortir de la Bibliothèque, être sociable et remporter ce stupide pari.

Quelques heures plus tôt ...

C'était une matinée comme il y en avait déjà eu de nombreuses dans le dortoir des garçons de Première Année de Gryffondor. Les premiers rayons de soleil qui filtraient au travers des grandes et étroites fenêtres en verre du lieu de vie des garçons laissaient présager que la journée allait être radieuse et sans la moindre menace de pluie.  Ce dimanche matin là s'annonçait être l'un des jours libres les plus ensoleillées que n'auraient jamais plus les habitants du château avant qu'un hiver annoncé rude n'arrive.

Se connaissant maintenant depuis déjà plus de deux mois, les lions du dortoir étaient tous assis en tailleur sur leurs lits à baldaquins respectifs à discuter, rire et se moquer les uns les autres. Aucun d'entre eux ne pensait à descendre les sept étages du château pour prendre le petit-déjeuner servi dans la Grande Salle avant qu'il ne soit terminé. Ils passaient tous un moment agréable à s'échanger les derniers ragots ou à se taquiner sur les caractères individuels de chaque Gryffondor présent. Personne n'y échappait, et certainement pas le jeune Clément Downing qui préférait écouter discrètement les échanges plutôt que de participer activement aux commérages auxquels participaient ses camarades de dortoir. Pourtant, il était évident qu'à un moment donné, le sujet de la discussion se tournerait vers l'élève studieux qui avait été au centre de plusieurs bruits de couloirs récemment, alors pourquoi ne s'était-il pas esquivé plus tôt des dortoirs pour aller prendre son déjeuner ? C'est son premier camarade de dortoir qu'il avait rencontré, après une étrange aventure en plein milieu de leur première nuit à Poudlard, Tom Taylor, qui initia le débat qui serait à l'origine de la mauvaise journée que Clément passerait.

- « Hey Clément, tu te fais bien discret, racontes-nous tout alors ! Tu as forcément des filles qui te tournent autour avec ton petit minois ! » dit son camarade de dortoir en se moquant. Il reprit en disant sur un ton plus sérieux : « Allez, il y a forcément une fille sur laquelle tu craques, les rumeurs à ton sujet en salle commune ne peuvent pas être fausses ! ».

Le visage de Downing se mit à blêmir et plus aucun sourire ne s'affichait désormais sur son visage. Depuis quelques semaines déjà, il se disait dans le petit salon de la salle commune de Gryffondor que plusieurs filles de Première Année avaient des vues sur Clément. Mais il n'en était rien. Ce n'étaient que des rumeurs lancées par un élève de Cinquième Année, qui voyant le garçon passer le plus clair de ses journées à la Bibliothèque, s'était amusé à lui inventer une amoureuse imaginaire afin d'expliquer ses allers et venues incessants dans la journée. Il n'avait fallu que d'une étincelle pour allumer la mèche et tout les camarades de maison de l'Anglais se donnent à cœur joie de le taquiner.

- « Je t'ai déjà dit que c'était Albert qui avait lancé cette rumeur pour m'embêter, alors arrête de me chercher ! » lui répondit Clément en fronçant les sourcils. Il n'était pas du genre à avoir de l'humour sur ce genre de point. « Tu sais très bien que ça ne m'intéresse pas et que je passe la plupart de mon temps à la Bibliothèque. »

Si il avait su ce que ses camarades de Gryffondor préparaient, jamais il ne leur aurait laissé une telle ouverture. Des sourires sournois s'affichèrent un par un sur les visages de ses camarades tandis que le piège se refermait doucement sur le garçon de onze ans. Son attention étant concentré sur la réaction de Tom, Clément ne s'aperçut pas une seule seconde des mines réjouies de ses amis de dortoir.

- « Oui. Tu passes toutes tes journées à la Bibliothèque. D'ailleurs, tu ne fais que ça, tu ne fais absolument rien de fun dans ce château ! » commença doucement à l'appâter Tom. « Je suis prêt à parier que tu serais incapable de ne pas y aller aujourd'hui ! »

Les sourcils au-dessus des yeux de Clément se froncèrent de plus en plus. Était-il vraiment en train de lui lancer un défi ? Le jeune enfant se mit à réfléchir rapidement pour savoir si il s'agissait d'un pari qu'il pouvait facilement réaliser ou si Tom ne lui donnait pas quelque chose d'irréalisable. Après tout, ce n'était qu'une journée, il pourrait très bien rattraper son retard la semaine prochaine, non ? Un éclair de malice parcourait les yeux de Clément tandis qu'il avançait sa main pour serrer celle de son ami pour sceller le défi.

- « Marché conclu ! Je vais te montrer que tu as tort ! »

Downing étant tellement préoccupé de faire taire son camarade de dortoir qu'il en oublia de lui demander quelle serait sa récompense si il gagnait ou a contrario ce qu'il devrait faire en cas de défaite. Qu'une seule chose importait : gagner. Néanmoins, Tom ne lui avait pas tout dit, et ça, Clément ne le saurait qu'une heure plus tard.  

Flashback : la veille au soir…

Le dîner dans la Grande Salle prenait fin doucement. Les bruits de couverts s'entrechoquant avec la vaisselle se dissipaient peu à peu, laissant place au seul brouhaha des élèves. Eider n'était pas de ceux qui parlaient, non. Elle était là, entourée de ses camarades et à la fois seule. Cela ne la dérangeait pas, au contraire. Elle aimait sa tranquillité et n'avait aucune envie d'adresser la parole aux autres. Encore moins au garçon assis à sa gauche qui mangeait comme un cochon. A croire qu'il n'avait reçu aucune éducation. Aucune marque de dégout ne transparaissait sur le visage de la petite fille et pourtant elle n'en pensait pas moins. Comment pouvait-on manger aussi salement ? Eider l'observait. Les manches de sa robe de sorcier trempaient dans les restes de sauce tomate et, à force de se gratter, il s'étalait toujours plus de chocolat sur le visage. Pourquoi continuait-il à s'empiffrer de la sorte ? N'est-il pas assez gros comme ça ? Voilà en résumé ce qu'Eider faisait de ses repas. Elle posait son regard sur une personne et ne la quittait pas des yeux une fois fait. C'était un moyen comme un autre pour elle de passer le temps. Certes ce n'était pas très intéressant mais c'était mieux que rien. Et puis, de cette manière, elle savait quelle personne éviter. C'était dorénavant le cas de ce Charles. Une peine perdue, comme tous les autres qu'elle évitait déjà.

Une fois sortie de table, plutôt que de se diriger vers les cachots, Eider monta les escaliers en direction du cinquième étage. Elle serait plus au calme dans ces toilettes des filles que dans celles de sa maison. La petite brune poussa la porte. Personne. Rassurée en quelque sorte par ce vide, elle s'avança vers les lavabos et fit couler de l'eau. Elle retroussa ses manches et mit ses mains sous l'eau avant de les savonner. Eider se pencha au-dessus de la vasque, s'aspergea le visage et réitéra ce mouvement deux ou trois fois. Elle coupa l'eau et posa ses mains de part et d'autres du lavabo. En relevant la tête vers le miroir, elle ne vit pas que son reflet. Trois autres filles se tenaient derrière elle. Des Serpentard. Sûrement de son année ou de l'année supérieure, tout au plus. Elles la toisaient d'un regard moqueur, attendant sûrement qu'elle se tourne vers elles pour engager la conversation. Eider leur lança un regard noir à travers le miroir. Sa frange était légèrement humide et tombait sur son front. Ce rideau brun accentuant davantage la froideur de son regard.

- Il y a d'autres lavabos de libres vous savez.

Les trois filles se regardèrent entre elles et ricanèrent sur un accord muet. Agacée par leur comportement, Eider pivota sur ses pieds pour leur faire face. Elles se turent rapidement et l'analysèrent de haut en bas puis de bas en haut. Celle du milieu prit la parole :

- T'es pas du genre sociable toi pas vrai ?

Eider passa une main dans ses cheveux pour dégager au mieux les quelques mèches humides de devant ses yeux. Pourquoi est-ce qu'elles étaient là-d'abord ? Et en quoi ça les regardait ? Elle avait bien le droit de faire ce qu'elle voulait.

- Qu'est-ce que ça peut vous faire ?

- Rien. Tu passes juste ton temps à travailler et t'es toujours en train de tirer la tronche en cours.

Elles étaient donc bien en première année également. De nouvelles personnes à éviter apparemment. La liste s'allongeait plutôt rapidement. Autant de stupidité réunie, on pouvait commencer à se poser des questions.
Plutôt que d'alimenter la conversation, qui ne menait à rien, Eider préféra garder le silence. La petite brune s'approcha du mur humain formé devant elle et le contourna pour se diriger vers une cabine. Elle y pénétra et arracha deux feuilles de papier toilette pour s'essuyer les mains.
La chasse d'eau tirée, Eider revint sur ses pas et la même fille n'en manqua pas une pour l'interpeller :

- On se disait juste que t'étais sûrement incapable de rester avec quelqu'un toute une journée.

*Euh c'est quoi ce plan foireux… ?* En effet, ça puait à plein nez, d'autant plus fort que cela venait d'un groupe de Serpentard. Mais qu'importe. Eider avait bien trop de fierté pour se laisser marcher dessus de la sorte. Elle n'allait pas rester passive devant un tel affront. C'était sûrement ce que ces filles cherchaient : qu'elle se saisisse de la perche qu'elles lui tendaient à pleine main. Et c'est ce qu'Eider fit.

- Incapable ? Je reste avec n'importe qui si j'veux.

Eider vit apparaître un sourire victorieux sur chacun des visages. Décidément cela ne présageait vraiment rien de bon. Mais il était trop tard pour faire machine arrière. Elles lui avaient lancé un défi et elle l'avait accepté. Les événements ne faisaient que s'enchaîner dans la logique des choses.

- N'importe qui vraiment ? Très bien c'est ce qu'on verra demain alors. Les mots avaient été lâchés doucement, comme dans un murmure.
Avant qu'Eider n'ait pu rétorquer quoi que ce soit, les trois fillettes étaient parties, aussi rapidement qu'elles étaient arrivées. Eider était à nouveau seule. Il ne fallait pas qu'elle s'y habitue du moins. Demain elle aurait vraisemblablement de la compagnie.

L'heure fatidique était enfin arrivée. A une heure de l'après-midi, peu après avoir fini de déjeuner dans la Grande Salle en compagnie de ses camarades de dortoirs, Clément fut emmené par ces derniers dans la Cour d'Entrée, la cour située juste en face du grand réfectoire de l'école et attendit une dizaine de minutes, pantois, à regarder les sourires en coin des Gryffondor qui ne voulaient toujours pas lui dire ce qu'il se passait. Il ne savait pas ce qu'ils faisaient ici ni même pourquoi ils étaient tous les quatre en train d'attendre. Après tout, le défi que Tom lui avait lancé ne consistait qu'à ne pas mettre le nez à la Bibliothèque de la journée, voire même de ne pas réviser du tout, mais certainement pas d'attendre bêtement à l'extérieur à écouter les mouches voler. Downing n'était pas rassuré et commençait à se douter que son ami ne lui avait pas tout raconté. En fronçant les sourcils, il posa ses deux mains sur ses hanches et dit à son camarade :

- « Dis-moi, qu'est-ce qu'on fait ici ? J'ai accepté de ne pas travailler aujourd'hui, je n'ai rien dit contre le fait de perdre inutilement son temps. » dit Clément d'un air exaspéré avant de reprendre : « Tu es sûr de m'avoir tout dit ? Tu ne me cacherais pas quelque chose ? »

Plus les secondes passaient et plus le visage du jeune Gryffondor se renfrognait. La situation ne lui disait rien qui vaille et le sourire narquois de Tom ne le rassurait pas. *Qu'est-ce qu'il peut bien manigancer encore ?* Il connaissait son ami depuis plus de deux mois et savait qu'il était très farceur. Clément n'aimait que très rarement être le centre de ses blagues et faisait de son mieux pour éviter d'y être mêlé, même si au fond de lui, il les trouvait amusantes.

- « A vrai dire, tu as raison. » commença par dire Tom, ce qui ne rassura pas Clément. « On trouve aussi qu'en dehors de nous, tu ne parles pas trop aux autres élèves, comme si tu n'aimais pas ça. Du coup, on s'est dit que pour nous montrer qu'on a tort, tu pourrais rester une après-midi attachée à une fille. Tu sais, histoire de prouver que tu es pas un rat de Bibliothèque. »

Clément garda les bras le long de son corps, l'expression déconfite. Il ne savait pas comment réagir à la remarque de son camarade de dortoir. Devait-il se fâcher avec lui pour avoir tenu un tel jugement sur lui ? Le garçon reconnaissait qu'il n'avait pas fait beaucoup d'efforts depuis qu'il était à Poudlard pour s'intégrer aux restes des élèves, préférant passer son temps à étudier dans la bibliothèque sorcière regroupant le plus de références différentes. Ne voulant pas être en mauvais terme avec le peu d'amis qu'il avait pour l'instant à l'école, Clément acquiesça de la tête en grimaçant, puis répondit d'une voix faible :

- « Bon d'accord, je veux bien, mais ce serait avec qui ? »

Une expression de victoire parcourut le visage de Tom tandis qu'il leva son doigt pour pointer une direction par-dessus l'épaule du garçon. Downing se retourna et aperçut au loin un groupe de quatre filles s'approchant d'eux, toutes de Serpentard d'après la couleur verte de leur cravate. Le coeur de Clément ne fit qu'un bond lorsqu'il reconnut parmi ces filles la tignasse noire coupée au carrée de Eider Dawkins, une fille avec qui il avait eu une rencontre tendue dans le Poudlard Express, que leur compétition en classe par la suite n'avait pas aidé à calmer. Que faisait-elle ici ? Le garçon connaissait déjà la réponse à sa question mais priait mentalement pour que ce ne soit pas vrai. 

- « Ne me dis pas que c'est avec Eider que tu veux que je passe la journée ! » dit Clément d'une voix anxieuse.

En voyant la mine de la Serpentard, le garçon sut tout de suite qu'elle venait elle aussi de découvrir avec qui elle devrait passer l'après-midi et que les filles qui l'accompagnaient lui avaient elles aussi joué un mauvais tour. Une fois arrivées à leur niveau, les filles de Serpentard se mirent à ricaner d'une manière si bête, ce qui énerva Clément qui se demandait désormais pourquoi Eider traînait avec elles.

- « Bon et bah, on va vous laisser tous les deux ! Je suis sûre que vous allez vous taper dessus au bout de dix minutes » dit l'une des trois filles à Clément et Eider.

Flashback : le jour même…

Tout de suite après le déjeuner dans la Grande Salle, Eider s'était dirigée vers la Bibliothèque comme à son habitude. Il n'y avait pas grand monde et elle trouva sans mal une place de libre. Au moment de sortir ses affaires du sac, une main la coupa dans son mouvement. *Qui c'est qui…* Lorsqu'elle leva les yeux vers l'intru, Eider reconnut immédiatement la fille des toilettes, suivie encore une fois par ses deux toutous. De véritables pots de colle.
Sur le coup, Eider avait complètement oublié l'événement de la veille mais rapidement leur conversation lui revint en mémoire. Elle se maudit intérieurement d'avoir été si prévisible en allant à la Bibliothèque. En changeant de lieu elle serait peut-être parvenue à passer à travers les mailles du filet ? Peut-être aurait-elle réussi à échapper à cette troupe de vautours. De simples charognards ayant besoin des autres pour exister. C'était de cette manière qu'Eider percevait la plupart du temps les gens. Encore plus lorsque ceux-ci s'immisçaient sans gêne dans la vie d'autrui. Comportement qu'elles avaient eu la veille à son égard.

- C'est le moment. Suis-nous.

*Adieu tranquillité. Bonjour les problèmes.* C'est sur cette opinion qu'Eider se leva sans lui adresser le moindre mot ; le regard qu'elle lui lançait suffisait amplement à exprimer le fond de sa pensée. Regard qui, comme à l'accoutumé, n'était pas des plus chaleureux.


Eider attendit de passer le pas de la porte de la Bibliothèque pour s'arrêter. Les trois autres Serpentard se retournèrent ne l'entendant plus marcher.

- Qu'est-ce que t'as ? Allez grouille on n'a pas qu'ça à faire !

*Pas qu'ça à faire ?!* La bonne blague ! Elles pouvaient être drôles finalement ces trois bécasses. Comme si c'était moi qui avait voulu ça, marmonna Eider entre ses dents. Elles commençaient sérieusement à l'énerver. Pourquoi se donner tant de mal si elles n'avaient pas que ça à faire ? Non mais franchement… Les gens sont tordus parfois.

- Je pense avoir le droit de connaître le nom de l'heureux élu.
L'heureux élu ? Elle aussi savait manier l'humour apparemment. Eider était pleinement consciente que cette personne n'allait pas passer un bon moment et en verrait sûrement de toutes les couleurs. La fillette n'était pas bête, elle savait pertinemment que les gens n'aimaient pas sa compagnie. Et que grand bien leur face car elle, de son côté, n'aimait pas la leur !

- Attends un peu tu verras bien. Maintenant ramène-toi allez ! lâcha la Serpentard, sur un ton sec, avant de tourner les talons.
Rien que pour cette phrase Eider serait restée plantée là. Elle n'aimait pas qu'on lui dise quoi faire et encore moins sur ce ton. Elle n'était pas à ses ordres et était encore maître de ses décisions aux dernières nouvelles.
*Respire un bon coup et calme-toi.* Voilà les meilleurs conseils qu'elle pouvait se donner. Elle ne devait pas se rabaisser à leur niveau. Et puis, aucune chance pour elle de ne pas les suivre ; on ne pouvait pas revenir sur sa parole. Elle avait accepté le défi. Tant pis si ce n'était pas facile. Elle trouverait bien un moyen de se venger plus tard. Le temps pour elle de laisser mûrir tout ça et d'aborder la situation avec un œil nouveau.


Eider suivait les trois Serpentard tranquillement, sans dire un mot. Au bout d'un temps, les quatre filles finirent par pénétrer dans la Cour d'Entrée de Poudlard. Un peu plus loin, se tenait un groupe de Gryffondor qui bavardaient. L'un d'eux les pointa du doigt. Eider comprit immédiatement que son nouveau camarade pour l'après-midi serait un rouge. En y réfléchissant bien, un autre Serpentard aurait été trop beau.
*Génial.* pensa-t-elle en s'approchant davantage. Quelques pas lui suffirent pour comprendre ce qui allait se passer. Brun, des yeux bleus clair incroyable ? Ça ne pouvait être qu'une seule personne. Clément Downing.
C’est la mine déconfite qu'Eider arriva jusqu'aux Gryffondor.

Arrivées à leur hauteur, les trois Serpentard ne trouvèrent rien de mieux à faire que de rire bêtement, comme elles savaient si bien le faire. La fillette tentait de garder son calme comme elle pouvait en serrant ses petits poings pour éviter d'exploser. Elle commençait à en avoir vraiment marre et le fait que l'on se moque d'elle n'arrangeait pas les choses.
Tout compte fait, Eider avait plus que hâte d'être avec Clément. Être seule avec lui signifiait ne plus avoir les autres sur le dos. Et ça, ça n'avait pas de prix. Le jeune Downing, bien qu'insupportable, avait l'avantage d'avoir de l'esprit, lui.

- Bon et bah, on va vous laisser tous les deux ! Je suis sûre que vous allez vous taper dessus au bout de dix minutes. Si ça leur faisait plaisir de croire ça… C'était des gens civilisés après tout. Ils savaient se tenir. Par ailleurs, Eider détestait la violence. En plus, rester avec quelqu'un ne devait pas être si compliqué que ça. En prenant un petit peu sur soi ça devrait passer.
Mais comme pour noircir ce tableau qui paraissait, apparemment, trop idyllique à leurs yeux, cette même Serpentard reprit la parole :

- On va juste rendre les choses plus drôles. dit-elle tout en se saisissant des poignets d’Eider et de Clément avec ce même ricanement infâme. Avant même que les deux enfants ne puissent réagir, ils étaient liés par un ruban de soie.
Eider releva brusquement la tête, mais un Gryffondor intervint avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit :

- Vous devez rester attachés avec ce ruban tout l’reste de l’aprèm, sinon vous perdez l’pari.

- Et si vous le retirez on le saura, dit-elle en leur adressant un clin d’œil, amusez-vous bien. Et c’est sur ce geste de la main, en guise d’au revoir hypocrite, que le groupe de Gryffondor et les trois Serpentard laissèrent là Eider et Clément. Seuls et ensemble. Leur poignet reliés par ce ruban.

Retour au temps présent

Les deux enfants étaient donc là, assis sur les bords du Lac Noir à contempler la grande étendue d'eau se dressant d'eux et étant tous les deux très gênés par la situation. Depuis leur rencontre dans le Poudlard Express, Clément et Eider n'avaient pas eu l'occasion de beaucoup échanger et la plupart des interactions qu'ils avaient eu était au travers de leurs pseudo-compétitions durant les classes pour savoir lequel des deux impressionnerait le plus les professeurs. Autant dire que leur relation était plutôt tendue depuis leur premier jour de classe et être attaché ainsi par le poignet sans qu'ils se chamaillent ou ne s'envoient des piques relevait du miracle.

De ce qu'il pouvait se rappeler jusque là, Clément n'avait jamais eu la moindre discussion sérieuse avec Eider, que ce soit à propos des cours ou d'autre chose. Les deux Première Année se contentaient à une rivalité exagérée et se critiquaient l'un l'autre à la moindre erreur. Lorsqu'ils se croisaient dans les couloirs, ils ne pouvaient s'empêcher de jeter un regard en biais à l'autre en lui souhaitant de se tromper d'étapes au prochain cours de Potions ou de rater sa métamorphose au cours suivant, mais jamais aucune discussion n'avait jamais été enclenché entre eux. C'est pour ça que Clément n'avait pas forcément été étonné que ses camarades de dortoir choisissent Eider Dawkins pour être la fille avec qui il devait être attaché toute la journée. Ses amis de Gryffondor étaient plutôt mesquins quand il s'agissait de faire des blagues entre eux, mais ils avaient aujourd'hui atteint un niveau que le jeune Downing n'aurait jamais cru possible d'atteindre. Pourquoi avaient-ils décidé de faire une blague aussi cruelle à Clément ? Eider semblait se poser la même question puisqu'elle demanda au garçon pourquoi c'était tombé sur eux et pas quelqu'un d'autre.

- « Je n'en sais pas plus que toi. » dit Clément en poussant un léger soupir. « Ce n'est pas moi qui ai demandé à ce qu'on soit attaché ensemble, si tu te poses la question. Je suis tout aussi perdu que toi dans cette histoire. »

Tout était vrai dans ce qu'il venait de dire à la fille. Il n'avait bien-sûr pas demandé à ses camarades de négocier avec des filles de Serpentard pour être attaché à elle, et il ne pensait pas le moins du monde que la fille avait dans l’autre sens demandé à passer sa journée avec Clément. Alors qu'est-ce qui avait bien pu motiver leurs camarades à fomenter un plan aussi indélicat ? Lesquels des Gryffondor ou des Serpentard avaient pris cette initiative ? Downing se promettait de se renseigner ce soir, mais d'ici là, il devait passer la journée avec Eider. Elle avait l'air de s'ennuyer encore plus que lui, car même si elle l'avait regardé en posant cette question ce qui lui n'avait pas fait, étant toujours intimidé de croiser le regard des autres, elle arrachait de manière féroce les brins d'herbe autour d'elle. Il se dit néanmoins qu'il valait peut-être mieux qu'elle concentre sa colère sur l'herbe autour du Lac plutôt que sur lui. Son regard se porta alors sur ce que la Serpentard venait de saisir dans sa main : un petit caillou qu'elle s'empressa de jeter à la surface du Lac sans faire le moindre ricochet. Un petit sourire moqueur apparut sur le visage du Gryffondor, mais il n'essaya pas de se moquer de sa camarade, n'étant pas plus capable qu'elle de bien jeter une pierre pour qu'elle fasse des rebonds sur l'eau.

- « J'imagine qu'on a pas bien le choix, on va devoir se parler si on ne veut pas s'ennuyer toute l'après-midi... Tu faisais quoi ce matin avant d'être attaché de force à moi » tenta Clément pour débuter la conversation en esquissant un sourire jovial.

Maintenant, il avait peur de se prendre une des fameuses remarques cinglantes d'Eider Dawkins, qui l'enverrait sûrement paître pour vouloir tenter une discussion avec elle. Il était assez facile de la faire monter sur ses grands chevaux, un peu comme avec Clément, et c'est peut-être le fait que les deux enfant se ressemblaient autant qui faisait qu'ils avaient tant de mal à s'entendre et avoir une discussion sérieuse sans se sauter à la gorge l'un de l'autre.

Clément non plus n'avait pas l'air d'être enchanté par la situation. C'était une réaction normale et compréhensible. A vrai dire, le contraire aurait été étonnant. L'amour fou des deux enfants n'était pas ce qui ressortait le plus dans leur relation ; cette facette était même inexistante.
Tout comme pour Eider plus tôt, un léger soupir vint appuyer ces sentiments de lassitude et d'incompréhension. Pour une fois, les deux enfants semblaient être sur la même longueur d'onde.
Apparemment, il n'en savait pas plus qu'elle. *Suprenant.* pensa Eider en se remémorant leurs chamailleries pour déterminer lequel d'entre eux connaissait le plus de choses. Sur ce coup, il semblait à égalité ; tout aussi perdu l'un que l'autre. C'était un moment à graver dans les annales.
Malgré tout, la fillette ne put retenir un sourire -sûrement invisible au garçon puisqu'il ne daignait même pas la regarder-. Elle se doutait bien que Clément n'avait rien à voir dans cette histoire. Il était beaucoup trop intelligent pour avoir une idée aussi stupide ! Et s'il avait tant envie de passer du temps avec elle, il existait bien d'autres solutions. Des solutions qui se seraient avérées moins gênantes. Et puis bon, ils se voyaient quand même déjà beaucoup trop souvent au goût de la petite brune.

- Personne ne serait assez fou pour le demander. Eider avait dit cette phrase sur le ton de la plaisanterie sans vraiment s'en rendre compte. Son léger sourire toujours dessiné à la commissure de ses lèvres. Sur cette remarque, la jeune Dawkins n'avait pas non plus regardé le garçon. Ses yeux étaient dirigés droit devant eux, posés sur les ondes que son petit caillou avait provoquées à la surface de l'eau.

Eider était néanmoins quelque peu perplexe. Si Clément n'avait rien à voir dans cette histoire, pourquoi étaient-ils attachés par ce ruban ? De son côté, elle ne connaissait ni les Serpentard ni les Gryffondor. Alors pourquoi l'avoir choisie elle ? La fillette pensait passer plutôt inaperçue dans le château… *Sauf si…* Eider tourna une nouvelle fois la tête vers Clément. Avait-il parlé d'elle à ses amis de maison ? Il n'avait très certainement pas fait son éloge alors. Si c'était bien le cas, le garçon devrait arrêter de les considérer comme ses amis. Ce n'était pas vraiment une faveur de l'obliger à passer l'après-midi attaché à sa "pire ennemie". A moins que… Peut-être que ses propos, si propos il y avait, n'étaient pas si blessants que ça. Sur le coup, Eider se fit peur à elle-même. *Non, impossible.*

Pourtant, malgré tous leurs différents, Clément semblait bien déterminé à lui parler puisqu'il lui demanda ce qu'elle faisait avant que tout ça n'arrive. La fillette ne s'attendait pas à cette question. Elle avait plutôt imaginer qu'ils resteraient là silencieux pendant toute l'après-midi. Et le sourire qui s'affichait sur son visage n'arrangeait pas les choses. C'était même plutôt étrange de le voir comme ça.

- De force c'est le mot, dit-elle en lui lançant un sourire narquois. J'étais à la bibliothèque pour changer, j'avais oublié cette histoire de pari. Eider releva ses jambes contre sa poitrine et instinctivement voulut enrouler ses bras autour. Oubliant le lien qu'il y avait entre eux, elle emmena la main de Clément dans son geste. Se rendant compte de la chose, la fillette reposa rapidement la sienne au sol et étendit de nouveau ses jambes. La réaction parfaite pour passer pour une idiote. Eider n'essaya même pas de s'excuser, pour éviter de rendre le moment encore plus gênant qu'il ne l'était déjà. Elle attendit un petit moment avant de reprendre :

- Tu es droitier ou gaucher ? Pour savoir si on peut faire quelque chose ou si on doit continuer à parler. dit-elle doucement. J'dis pas que c'est chiant mais j'ai pas l'habitude de n'rien faire. En terminant sa phrase, Eider humecta ses lèvres puis tourna la tête vers Clément, attendant une réponse de sa part. Une fois de plus, le garçon n'allait très certainement pas la regarder. Pourtant, la fillette, elle, aimait les contacts visuels. C'était une manière de signifier que l'on était attentif. Les yeux pouvaient dire tellement de choses, c'était une partie du corps si expressive. La jeune Serpentard regrettait même parfois d'avoir les siens si sombres, pensant qu'ils n'avaient aucune profondeur. Lorsque l'on savait le manier, le regard pouvait exprimer tellement plus que de simples mots.

Les deux enfants étaient ainsi tous les deux attachés contre leur gré. Était-ce réellement le cas ? Après tout, seul un fin morceau de tissu les reliait l'un à l'autre, et absolument rien ne les empêchait de s'en séparer. Ni magie, ni lien incassable ne les retenaient. Seuls leurs egos les faisaient rester ensemble et ni Clément ni Eider ne semblaient vouloir abandonner le défi afin que l'autre puisse être tranquille. *Qu'est-ce que c'est que quelques heures? Tu peux le faire!* Se motiver sans relâche était le seul moyen qu'il avait trouvé d'affronter sa nature, celle qui le rendait presque maladivement timide à chaque fois qu'il devait prendre la parole en public ou lorsqu'il sortait de sa zone de confort. Car oui, le Gryffondor était loin d'être à l'aise dès qu'il s'agissait de contacts physiques ou d'émotions.

Sentant sa main en contact contre la peau fraîche de celle de la Serpentard, le garçon n'avait pas osé la regarder dans les yeux de peur de rougir et se contentait de regarder la surface du Lac, comme pour oublier cette proximité. Pourquoi ses amis avaient décidé de lui jouer un tour pareil ? Ne s'étaient-ils pas rendu compte qu'il détestait ce genre de situation ? *Oh que oui, ils le savaient très bien* fustigea mentalement le garçon dans sa tête. Ainsi, Eider se trouvait à la Bibliothèque plus tôt dans la journée, après tout où voulait-il qu'elle soit d'autres ? A part lui, il ne connaissait pas d'autres élèves qu'Eider qui passaient autant de temps entre ces rayonnages couverts de poussières. Sans qu'il ait eu le temps de voir ce qu'il se passait, sa main se fit emporter de plus en plus près d'Eider jusqu'à arriver contre les jambes de la fille. Se rendant compte de ce qu'elle venait de faire, la fillette reposa sa main accompagnée de celle de Clément par terre, mais c'était trop tard. Downing la regardait cette fois-ci droit dans les yeux, la bouche grande ouverte et les joues rosies par la gêne. Elle était rentrée encore plus dans sa zone de confort et le garçon en était d'autant plus abasourdi. Jamais il ne lui serait passé par la tête d'avoir le moindre contact physique avec ses camarades, n'étant tout simplement pas habitué à ça de par son enfance.

Peut-être était-ce le moment de grandir et de prendre plus confiance en soi ? Un long silence s'installa entre les deux enfants de Gryffondor et Serpentard, ni l'un ni l'autre ne sachant que dire. Le lion était toujours gêné par ce qu'il venait de se passer, perdu dans ses pensées. *Pourquoi il m'est si difficile de...* Il fut sorti de ses réflexions par la question avisée de la jeune fille qui lui demandait si il était droitier ou gauche. Toujours plongé dans son état de léthargie, aucun mot ne sortit de sa bouche, et seul un mouvement de son poignet droit, celui-là même qui était relié à la main gauche d'Eider, vint indiquer à la fillette de onze ans que Clément était droitier. *Elle voulait qu'on fasse quoi ?* ne pouvait s'empêchait de se demander le garçon. Il n'y avait que le Lac en face d'eux et pas la moindre once d'activités potentielles à l'horizon. Trouvant enfin le courage de lui répondre, il demanda :

- « C'est pas grave que je sois droitier, il y a bien des trucs à faire, non ? Tu pensais faire quoi ? »

Qu'avait-elle bien pu avoir en tête lorsqu'elle lui avait proposé ça ? Trouvait-elle vraiment que la discussion qu'elle avait avec Clément était "chiante" ? À cette simple pensée, le garçon fronça les sourcils, reprenant ainsi son masque froid habituel où aucune émotion ne laissait transparaître. Il était très probable qu'il est exagéré le ressenti d'Eider, mais cette pensée lui avait permis de reprendre le contrôle de ses émotions et de retourner dans sa zone de confort. Elle n'avait peut-être pas plus d'idées que lui et avait demandé ça à tout hasard.

« Je ne sais pas ce qu'on pourrait faire moi ... On pourrait faire un concours de ricochets, c'est sûr qu'avec ma main droite d'attachée à toi, je pars avec un sacré handicap. » se mit à dire le garçon en esquissant un petit sourire. « Tu n'as rien dans ton sac pour nous occuper ? Un jeu de cartes ? Des livres empruntés à la Bibliothèque ? »

Sa dernière phrase n'était pas vraiment sérieuse. Ne voulant pas se retrouver de nouveau gêné par la présence de la fille, il avait énoncé ce qui lui passait par la tête, sans se soucier de la cohérence de ce qu'il disait. Allaient-ils vraiment jouer à une bataille explosive ici ? Etant donné qu'Eider passait la plupart de son temps à réviser, il était très peu probable que la fille ait un paquet avec elle, alors pourquoi avait-il demandé ça ?

Son mouvement de poignet fit rebondir lentement la main d'Eider contre la sienne. Droitier. La fillette n'était pas du tout emballée par l'idée. Elle se voyait déjà devoir rester dans cette position à regarder le Lac de manière inexpressive, attendant que les heures s'écoulent lentement.
En vérité la fillette n'avait aucune idée précise en tête. Elle voulait simplement que ce moment gênant de silence se termine. Eider se rendait bien compte qu'aucun des deux n'était à l'aise à ce moment précis. Trouver quelque chose à faire leur permettrait peut-être d'oublier cette proximité qui les liait bien malgré eux.
Rapidement, le visage de Clément reprit une apparence impassible. Quelques secondes plus tôt il donnait l'impression d'avoir été touché et d'un coup, fiou ! Ça s'était envolé. Avait-elle une quelconque emprise sur les émotions que pouvait ressentir le Gryffondor ? Bien qu'enchantée par cette idée, c'est la méfiance qui reprit le dessus. Pouvoir dissimuler son ressenti et changer aussi vite d'expression était un atout qu'elle possédait. De ce fait, elle en connaissait les avantages qui devenaient des inconvénients lorsque son interlocuteur en usait. Atout chez elle, elle le craignait chez les autres.

A son plus grand soulagement, Clément proposa des idées. Eider sourit à son tour en entendant la remarque du garçon. *Un sacré handicap hein ? Dis juste que tu justifies ta future défaite.*
Bien évidemment qu'elle avait des livres dans son sac, elle lui avait dit être à la Bibliothèque avant que tout ça ne se produise. Il était par contre hors de question pour elle de lui prêter. C'était un non catégorique. Il pouvait très bien vouloir tenter de se venger de leur altercation d'il y a quelques jours ou encore pire, prendre de l'avance sur elle. La petite sorcière préféra éluder cette partie de la question et enchaîner sur le reste. Clément était loin d'être stupide. Il devait se douter qu'elle ne sortirait pas ses livres, d'autant plus que rester immobile à lire par ce froid n'était sans doute pas la meilleure chose à faire.

- J'ai pas d'cartes mais j'veux bien faire des ricochets, si t'es prêt à t'prendre une raclée évidemment. Un sourire narquois vint accompagner ses propos. Ses yeux sombres étaient plongés dans ceux azur de Clément, pétillants de malice. Elle détourna finalement le regard vers la surface de l'eau. Ça s'ra toujours mieux que d'rester assis à se geler.
Des ricochets, ça oui elle en avait déjà faits. Mais avec une main handicapée ? Non, jamais. Ça promettait d'être un véritable challenge, pour elle mais surtout pour le Gryffondor. La jeune Serpentard n'avait aucune idée de comment tout ceci allait se dérouler.

- Bon allez on y va. Ce "on" inclusif lui fit bizarre à prononcer et à attendre. C'était comme si elle acceptait finalement d'être avec Clément. Une façon de se résigner face à la situation dont ils avaient été les spectateurs. En réalité, elle avait surtout dit ça pour signifier qu'elle allait se lever. Espérant ainsi que le garçon se lèverait également sans qu'il n'y ait ce petit moment d'attente dû à la surprise.
Par sécurité, Eider décida néanmoins d'agir avec prudence et de se lever doucement. Elle plia ses jambes vers elle et posa sa main attachée dans l'herbe fraîche. Dans un mouvement hésitant, elle s'accroupit et attendit dans cette position que Clément en fasse de même. La petite brune tentait comme elle pouvait de limiter les contacts physiques, même s'il était certain qu'ils ne pourraient pas y échapper avec ce qui suivait.

Une fois les deux enfants debout, Eider hésita à prendre avec elle sa sacoche ou à la laisser dans l'herbe. Après un court instant de réflexion, elle préféra ne pas y toucher, considérant qu'elle allait déjà être suffisamment désavantagée comme ça.
Un léger vent souffla, dégageant le visage de la fillette de ses cheveux bruns et rosissant ses joues d'ordinaire si pâles. Leurs pas les dirigèrent au fur et à mesure près de la rive du Lac. Eider marchait la tête baissée, le regard rivé sur la jambe droite de son camarade pour que leurs enjambées soient asynchrones. De cette façon, leurs balancements de bras étaient en quelque sorte normaux et coordonnés avec la bonne jambe. C'était également un moyen pour elle de ne pas penser aux contacts que provoquait chacun de leurs pas entre leur main.

A environ un mètre du bord de l'eau, Eider se stoppa. Le parfait petit galet rond et plat se tenait à ses pieds. Elle se pencha en avant, en essayant de garder sa main gauche à une hauteur décente pour Clément, et attrapa le caillou du bout des doigts. Il était froid. Elle se remit droite et se tourna vers le Gryffiondor.

- Si tu veux essayer. dit-elle en lui tendant sa trouvaille. Eider voulait jouer, surtout gagner il fallait se le dire, sur un pied d'égalité. Elle n'avait aucune envie d'entendre une remarque du genre "Non mais j'étais pas prêt ça compte pas !". Cette mini phase de préparation permettrait à l'un et l'autre de s'habituer un petit peu à leur handicap respectif.


J'ai dépassé midi, désolée… j'ai faim x)