Avec Jeffrey Sliston.




Par une de ces belles après-midi ensoleillées, qui, en ce mois de septembre se faisaient de plus en plus rares, Cyanna avait décidé de se promener au bord du lac. Le fond de l'air se faisait frais, mais les rayons du soleil venaient réchauffer sa peau blanche. La jeune fille marchait d'un pas tranquille parmi les grands arbres centenaires et même millénaires pour certains. Elle observait les saules dont les longues branches se balançaient au grès de la légère brise qui faisait remuer ses cheveux et l'herbe grasse. Elle écoutait les oiseaux gazouiller et percevait le petit bruit de battement de leurs ailes, comme elle aurait voulu pouvoir voler elle aussi... Mais ça, c'était une autre histoire.
La jeune fille respirait l'air frais de cette fin d'été tout en profitant pleinement des quelques heures de détente qui s'offraient à elle. Bien sûr, elle ne marchait pas sans but. La jeune fille avait, comme toujours une idée derrière la tête. Elle portait avec elle un sac à dos contenant deux paires de lunettes de piscine et un maillot de bain. La petite marcha jusqu'à la rive du lac en remplissant ses poumons de l'odeur de l'eau, du lac, celle de la nage. La natation était le sport qui l'avait forgée. Continuer encore et toujours, plus loin, plus vite, plus fort, mieux. Un sport mêlant endurance, technique et vitesse. Patience et persévérance. Solitude et esprit d'équipe. Il fallait en faire pour le savoir. Pour voir toute les facettes de ce sport.
Cyanna ôta ses vêtements sans se cacher. Elle n'était pas pudique, par son âge et par son caractère : si sa nudité gênait les autres, ils n'avaient qu'à regarder ailleurs.
Elle enfila son maillot, frissonna sous l'effet d'une légère brise et se décida. Elle se jeta à l'eau sans plus de manières et nagea. Loin.

1... 2... 3... respire. Une goulée d'air frais.
1... 2... 3... Resipre.
1... 2... 3... Respire.

Combien de temps nagea-t-elle ainsi ? Je crois que personne ne le sait. Mais elle était avec elle même et pensait à tout et à rien. Elle débattait sur différentes causes tout en se vidant l'esprit. Elle ne pensait à rien et pourtant à tant de choses. Puis soudain... Où suis-je ? Cette question la tarauda jusqu'à ce qu'elle s'arrête. Elle était loin de la berge. Elle commença donc à revenir en exécutant différentes nages avec une certaine technique. Plus elle se rapprochait, plus elle semblait distinguer une silhouette humaine sur la berge. Silhouette qui l'observait sans doute. Gênée, Cyanna continua à nager et enfin, elle arriva près du rivage.

Jeffrey​ était sorti du château en précipitation le plus rapidement possible. La masse humaine inondait les couloirs bruyamment, et cela lui cassait sérieusement les pieds (et les oreilles).

Il avait un réel besoin de respirer. Oui, il avait probablement des tendances agoraphobes.

Il s'assit dans l'herbe fraîche du parc, fermant les yeux quelques secondes, mais finit rapidement par partir, voyant que d'autres élèves se "détendaient" en riant et hurlant des rumeurs, juste autour de lui. Quel hasard en bois.

Il marcha en ligne droite, les mains dans les poches, sa robe de sorcier entrouverte pour laisser le vent caresser sa chemise. Ses yeux bruns sombres suivaient les cailloux au sol, si bien qu'il en oublia de se repérer dans sa petite balade en quête de solitude.

Lorsque les voix s'éteignirent dans le soupir du lointain, il s'arrêta, puis ouvrit son regard au spectacle tranquille d'une nature défanée d'hiver.
Les branches grises se déployaient en découpant le ciel lumineux ; les feuilles craquaient dans la poussière du parterre sauvage. Autour de lui, les cimes des arbres filtraient le rare soleil par des rayons entremêlés d'ombre. C'était vraiment la fin de l'été.

C'était vraiment une belle fin d'été.

Au milieu de ce tableau mitigé, se tenait un magnifique lac, à la surface calme et miroitante. Il s'en approcha, s'asseyant sur la berge, et regarda son petit minois dans le reflet. Il retira totalement sa robe de sorcier, restant en chemise, pour mieux apprécier la douce chaleur solaire.
Il s'étira pensivement, l'esprit apaisé. Soudain, quelque chose attira son attention.

Au loin, l'eau était trouble. La surface s'agitait.

Jeffrey fit un bond en arrière, pensant qu'il s'agissait d'un monstre marin. Mais en plissant les yeux, il aperçut la silhouette d'une jeune fille, nageant ardûment dans l'eau paisible du Lac.

Il voulut l'appeler mais se ravisa, les joues roses. C'était un peu bizarre d'être là depuis un moment et d'observer une fille nager sans qu'elle ne l'aperçoive, non ?
Elle pourrait le prendre mal...?

Il​ décida de repartir, mais à ce moment précis elle nagea à une vitesse impressionnante dans sa direction. Trop tard. Gêné au plus haut point, il afficha un air renfrogné, et quand elle arriva près du rivage, lança avec une pointe d'agacement :

- 'jour. Tu fais quoi là, en fait ?

Il la connaissait de vue, c'était une Pouffsouffle de première année. Il craignait vraiment de la déranger. Mais bon, trop tard. Il jouait la carte habituelle de la mauvaise humeur.

Elle arriva au bord de l'eau d'où, désormais, elle pouvait voir distinctement les traits du jeune homme qui l'observait. La petite rougit et regarda le fond de l'eau sur les quelques mètres qui la séparaient de la berge. Elle était dérangée de se sentir observée ainsi par l'étranger, mais le moment fatidique arriva : elle atteignit la berge. Qu'allait-elle lui dire ? Elle ne se posa pas la question bien longtemps parce que c'est, visiblement le Gryffondor, selon son insigne, qui la devança :

- 'jour. Tu fais quoi là, en fait ?

Surprise, elle le détailla avec cet éternel regard froid et presque hautain. Elle sortit alors de l'eau et, toute dégoulinante, elle reprit son souffle avant de répondre. Cela lui laissait d'ailleurs un plus long temps de réflexion. Toujours dans sa contemplation de l'inconnu, l'enfant se demandait quelle attitude adopter. Ironique ? Sèche, comme lui ? Finalement, c'est l'endorphine qui dû parler parce que Cyanna répondit d'une manière qui ne lui correspondait pas du tout :

- Alors... Comment expliquer... En maillot de bain, dans un lac, avec des lunettes : je nage.

Le ton n'était pas cassant mais jovial :

- T'aimes nager toi ? Tu... tu... Tu veux nager ?

La petite Poufsouffle était gênée par sa demande. Elle avait parlé trop vite. Qu'allait-il dire ? Allait-il être encore plus désagréable ?

- Alors... Comment expliquer... En maillot de bain, dans un lac, avec des lunettes : je nage, lança la jeune fille d'une voix amusée.

Jeffrey se sentit tout d'un coup très bête, bien que l'intention de son interlocutrice n'était pas du tout de la ridiculiser. Bah oui, à quoi s'attendait-il ? Faire l'associable ne l'amènerai à rien, évidemment. Surtout quand elle n'avait rien fait de dérangeant, à part... Être là. Muet et honteux, il ne réagit pas à sa deuxième phrase.

- T'aimes nager toi ? Tu... tu... Tu veux nager ?

Bien que maladroite, la Pouffsouffle semblait partir d'une bonne intention. Il s'en voulut soudain d'avoir été aussi désagréable.

— Euh... Je n'ai pas mon maillot, ni rien...

Il se frotta nerveusement la nuque, embarassé. Il ne voulait pas la vexer, mais il n'était vraiment pas doué en termes de conversation, étant donné qu'il ne parlait que peu aux gens, même ceux qu'il connaissait bien.

— Mais euh... Désolé d'avoir été pas sympa.

C'était tellement maladroit, il voulait mourir de honte. Il s'accroupit devant elle, fuyant son regard en portant le sien sur la surface calme, puis se laissa tomber et s'assit sur le sol. Il n'osait pas entendre sa réponse.

Après un instant de silence, qui n'avait guère été long mais éprouvant pour le jeune garçon, il lança :

— Tu as vraiment envie que je nage avec toi ?

Parce qu'il y avait peut être une solution, finalement.