29/10/2044

Affublée de sa cape noire ainsi que de son écharpe de Serpentard, Solenn s'avançait vers le Lac. Les mains dans les poches et le nez caché par le tissu vert et argent, elle appréciait l'air frais de ce matin. La rousse avait l'habitude de se réveiller à un horaire convenable pour lui laisser le temps de faire ses devoirs mais aussi passer un peu de bon temps, seule ou avec Violet ou Julie. Mais pour ce samedi, elle avait ouvert les yeux bien tôt et avait attendu une bonne heure de pouvoir aller déjeuner dans les premiers. Et peu décidée à se mettre à faire ses devoirs, elle avait choisi d'aller se promener avant de s'y attabler.

Il n'y avait personne près du Lac, ou alors pas à portée de vue de la quatrième année. Elle marcha quelques minutes le long de l'étendue d'eau, puis s'arrêta sur le prochain banc qu'elle croisa. Solenn ferma brièvement les yeux, alors que ses cheveux non lissés frisaient plus encore avec l'humidité ambiante. Elle sortit de ses énormes poches son habituel carnet, et se mit à dessiner le paysage qui s'étendait sous ses yeux. L'été lui avait permis de s'entraîner durement sur le dessin, et elle pouvait fièrement commencer à apprécier son nouveau style de dessin. Chaque jour, il devenait plus réaliste, mais la française parvenait toujours à y ajouter un côté magique, légendaire. Elle s'imaginait de plus en plus illustratrice, et cela la remplissait de bonheur. Elle n'avait peut-être pas de talent pour la magie, mais savait qu'elle se débrouillait plutôt bien pour le dessin, et cela faisait plaisir.

D'ici, on pouvait presque oublier que Poudlard n'était plus relié à la terre. Le Lac semblait de verre, et les montagnes aux alentours étaient enfermées dans une brume merveilleuse, mais compliqué à représenter sur le papier. Solenn était tellement concentrée que même des bruits de pas ne l'auraient pas détournée de son travail.

Mike avait l'habitude de prendre son temps le samedi, journée de repos. Mais ce matin-là, il avait eu un élan de motivation qui le fit sortir de son lit. Après avoir déjeuné rapidement, il s'était réfugié au dortoir pour avancer dans ses devoirs, il avait fait preuve d'une grande productivité et était fier de sa prouesse. Il méritait bien un petit tour dehors pour se changer les idées et prendre l'air. C'est ainsi que le rouquin se retrouva au parc, où il marcha un petit moment en direction du lac, lieu qu'il préférait éviter, et pour cause, il avait peur de l'eau depuis qu'il avait failli se noyer quand il était plus jeune.
Mais ce matin, c'était un peu différent, il avait envie d'écouter le chant des canards qui provenaient des berges, et l'eau couler dans les petits ruisseaux qui rejoignaient le lac comme pour le remplir petit à petit. Il marchait, loin du bord, car il avait peur d'y tomber. Il se promenait entre les arbres sur les talus qui surplombaient les rives. L'automne et ses couleurs chaudes embellissaient le paysage. Les arbres aux feuillages roux comme lui, dansaient dans les douces brises qui apportaient les premières froideurs. Le sol était recouvert d'un tapis de feuilles mortes qui disparaissaient dans la boue, rendant la terre glissante et dangereuse.
Il continua d'avancer et vit au loin, plus bas vers les rives du lac, un banc. Une jeune fille lui faisait dos et semblait ne pas l'avoir entendu arriver. Il restait en hauteur, il craignait que la pente du talus l'emmène vers les eaux du lac. Après y avoir réfléchit, il tenta tout de même l'épreuve. Il fit quelques pas, et regretta de ne pas s'être méfié davantage. Il se prit les pieds dans une racine qui le déstabilisa et, tentant de se rattraper, glissa et courut sans le vouloir en direction du lac. Il passa à côté du banc en criant, à une allure qu'il ne pouvait freiner. Il tomba de la berge dans les eaux froides du lac. Et bien qu'elles ne fussent pas profondes à cet endroit, il hurla de peur tétanisé par l'angoisse et tremblant. Il n'avait aucune chance de se noyer, mais pourtant, il paniquait comme tel, s'éclaboussant dans ses amples mouvements avec l'eau glacée du grand bassin.

"Au secours!"

Le coup de crayon était léger, la mine voletait sur le papier pour créer des ombres, des reflets. Solenn ajoutait çà et là des détails, essayant de rendre son dessin le plus précis possible. Représenter un paysage était un bon entraînement, pour le souci du détail ainsi que pour le travail de la perspective. Les cours sorciers l'intéressaient de moins en moins, alors que son projet de métier devenait plus clair dans son esprit. Elle voulait devenir illustratrice, peu importe pour moldu ou pour sorcier. Ce qu'elle voulait faire par dessus-tout, c'était dessiner.

Elle commençait à être plutôt contente de son oeuvre lorsqu'un hurlement la fit sursauter. La mine traça un trait épais et fort sur le dessin, gâchant une dizaine de minutes de travail. Mais à l'instant, la rousse s'intéressait plutôt au garçon qui venait de finir dans le lac. Grimaçant à l'idée de l'eau froide s'infiltrant sous les habits, elle se leva de son banc pour se diriger à vive allure vers l'étendue d'eau. Le garçon continuait d'hurler, alors qu'il pataugeait dans quelques dizaines de centimètres d'eau. Réprimant un sourire moqueur, Solenn réfléchit à toute vitesse. Allait-elle s'enfoncer dans l'eau glacée pour sauver le roux de la "noyade" ? Mmmh... Non sûrement pas. Elle se contenta de mettre ses mains en porte-voix, et de crier :

-Hé ! T'as pied, calme-toi !

Solenn soupira, et attendit de voir la réaction du garçon. Elle ne voulait absolument pas se mouiller, surtout pour un inconnu. 

Tandis qu'il continuait de gesticuler dans les eaux glacées du lac, une voix parvint à ses oreilles. Dans le tumulte qu'il faisait, il ne compris pas la jeune fille qui lui demandait de se calmer, le bruit et sa peur ne l'aidait pas à se concentrer sur ce qu'elle eût dit. Mais cela eut tout de même pour effet de l'apaiser, et il arrêta peu à peu de se débattre, voyant que la jeune fille le regardait.

Il se leva, toujours dans l'eau, et s'avança un peu honteux. Il tremblait, la peur encore présente en son sang, accompagnée par le vent glacial qui frappait sa peau et ses vêtements mouillés. Il grelottait. A petits pas, il parvint à rejoindre la rive et sortit du lac. Il ne savait pas quoi dire à la jeune fille, il se sentait un peu ridicule de s'être laissé emporter par ses émotions.

Il la regarda sans dire un mot. Attendait-il qu'elle prononçât le premier. Mais c'était à lui de parler, il l'avait dérangé dans son activité, et il devait s'en excuser. Il commença lentement à ouvrir la bouche, ses dents claquant sous le froid. Il bégaya un peu, d'une petite voix:

"Je suis désolé. Je ne voulais pas te déranger. J'ai glissé, et je suis tombé..."

Il ne continua pas, il savait qu'elle l'avait vu. Toujours un peu honteux, il commença à s'éloigner.

"Excuse-moi, répéta-t-il."

Désolé pour l'attente

Après son conseil, le garçon mit quelques instants à se calmer. Rassurée de ne pas avoir à se mouiller, Solenn ne bougea pas, et l'observa se lever et marcher jusqu'à la rive. La gêne se lisait sur son visage, et c'était plutôt compréhensif. Qui n'aurait pas honte après avoir dévalé une pente et avoir fini dans l'eau ? Solenn essaya tout de même de ne rien montrer sur son visage. Elle ne voulait pas qu'il puisse croire qu'elle se moquait.
Elle le regarda grelotter, et l'écouta s'excuser. Entre ses deux paroles, elle haussa les épaules dans un petit sourire, souhaitant faire comprendre au garçon qu'elle ne lui en voulait pas. Ce n'était pas tout les jourq qu'on pouvait voir un spectacle pareil.
Solenn remarqua qu'il commençait à s'éloigner et l'interpella :

-Hey, tiens, elle enleva sa cape et la lui passa, je pense que t'en as besoin.

La rousse tenait le bout de tissu le bras tendu. Elle voulait qu'il l'accepte.
Maintenant qu'elle n'était plus qu'en gilet, le vent se fit plus frais et vint caresser son petit décolleté alors à l'air libre. Mais il ne fallait pas montrer qu'elle avait froid, ou alors le roux lui rendrait sa cape. Et de son côté, il risquait vraiment de prendre froid. 

-Si ça peut t'éviter les potions dégueulasses contre le rhume, c'est pas mal, ajouta-t-elle en montrant sa cape du doigt

Au pire, de son côté, elle devrait se moucher pendant quelques jours, rien de très grave. 

Alors qu'il commençait à partir, la jeune fille l’interpella. Il se retourna et la sorcière lui proposa de prendre sa cape pour qu'il se réchauffât. Il s'avança alors en sa direction.

"Tu es sûre? Tu vas attraper froid, non? Demanda-t-il."

Cependant, il n'attendit pas la réponse de la Serpentard et agrippa la cape. Il avait bien trop froid avec ses vêtements mouillés frappés par le vent glacial d'Ecosse. La cape ne lui était pas un luxe, s'il la refusait, il serait fort probable qu'il tomberait malade. Elle le lui fit d'ailleurs remarquer.

"Si ça peut t'éviter les potions dégueulasses contre le rhume, c'est pas mal."

Il pensa alors à tous les médicaments faits de potions ignobles qu'il devait boire lorsqu'il était malade. Si cela pouvait lui éviter une indigestion, il n'était pas contre. S'il pouvait aussi éviter la pimentine et ses effets secondaires : avoir de la fumée qui sort de ses oreilles comme si sa tête était une locomotive, ça ne lui disait pas trop, ses camarades se moquerait sûrement de lui.

Il enroula la cape tout autour de lui, pour se réchauffer. Il remercia la jeune fille et alla s'assoir sur le banc, en grelottant encore un peu.

"Tu faisais quoi ici? J'espère que je ne t'ai pas trop dérangée!"

Il se présenta ensuite:

"Au fait, je m'appelle Mike. Et toi, tu t'appelles comment?"

Solenn se contenta de secouer la tête à la question du roux. Bien sûr qu'elle allait prendre froid, mais cette stupide manie d'être gentille l'empêchait de réfléchir avant d'agir. Cela lui avait causé pas mal de problèmes, mais le cerveau de la rousse semblait programmer pour être du côté des gentils, malheureusement. Elle regarda le garçon s'enrouler dans sa cape, toujours grelottant, tandis qu'il le remerciait. Légèrement gênée comme à chaque fois que quelqu'un la remerciait, elle se contenta de grogner un "De rien." un peu froid. Solenn n'avait jamais su réagir aux remerciements et encore moins aux compliments et se sentait toujours ridicule lorsqu'elle y répondait.
Il alla s’asseoir sur le banc, et Solenn le suivit, regardant discrètement qu'il ne bousille pas ses affaires par mégarde. Comme il commençait à lui parler, elle prit ses affaires posées et s'assit sur le banc à son tour. 

-T'inquiète, je dessinais juste.

Elle ne montra pas son dessin, considérant qu'il pouvait la voir comme prétentieuse, ce qu'elle n'était absolument pas. De toute façon, son sursaut avait gâché son travail. Le garçon se présenta alors et Solenn répondit :

-Moi c'est Solenn.

La jeune fille reporta son regard sur le paysage du Lac, qui était redevenu calme, puis avec un petit sourire, se tourna vers le garçon pour dire :

-C'est pas tous les jours qu'on voit quelqu'un qui se noie dans trente centimètres d'eau...

Elle ne voulait pas particulièrement se moquer, mais avait fait la remarque surtout pour engager la conversation. Elle savait que les autres n'aimaient souvent pas le silence.

La jeune fille lui répondit qu'elle était en train de dessiner. C'était une activité intéressante! Il aimait beaucoup voir les créations des autres, et avait souvent beaucoup d'idées lui aussi. Cependant, il n'avait aucun don en dessin et avait beaucoup de mal à reproduire ce qu'il voyait. Il n'était de plus guère très patient pour apprendre cet art, ayant l'habitude de comprendre immédiatement les ficelles d'une chose, galérer sur une autre le frustrait souvent et il finissait par abandonner.

La serpentard se présenta. Elle s'appelait Solenn. Il répéta ce nom dans sa tête pour l'apprendre. C'était sa manière de se souvenir des noms, c'était plus ou moins efficace. Elle détourna ensuite le regard vers le lac. Il l'imita inconsciemment.

Le lac était joli de leur point de vue. De petites vaguelettes se propageaient depuis les rives où ils se trouvaient et s'éloignaient doucement, avec la grâce que la nature leur avait donnée. Sur la rive d'en face, la forêt continuait comme un champ infini d'arbres, à la fois dense et paisible.

"C'est pas tous les jours qu'on voit quelqu'un qui se noie dans trente centimètres d'eau... Dit soudainement la jeune fille comme pour casser le silence."

Elle accompagna d'un sourire ses paroles. Il ne savait pas si elle se moquait de lui ou non. Mais de son point de vue, il comprenait. Il comprenait qu'elle eût la curiosité d'en parler, il comprenait qu'elle pût s'en moquer.

"J'ai peur de l'eau. Répondit-il, un peu honteux."

Son air inconfortable au possible fit légèrement culpabiliser Solenn de sa réaction qui tourna la tête vers le paysage. Elle n'avait jamais été douée pour les conversations de ce genre. Et le ton du garçon lui inspirait plus la pitié qu'autre chose. En y réfléchissant quelques secondes, elle aussi aurait été gênée de cette situation, surtout si quelqu'un s'était amusé à lui faire des réflexions. Voulant oublier son erreur,  et espérant qu'il ne lui en voulait pas, elle demanda avec une voix peu assurée, tandis que ses doigts dessinaient des formes invisibles sur le jean de son pantalon :

-Sinon, tu faisais quoi avant de... glisser ?

Il lui semblait que le garçon avait presque le même âge qu'elle. Elle n'avait jamais été douée pour  attribuer un âge aux autres, et se trompait fréquemment. La dernière fois, elle s'était même fait presque insulter pour son erreur, et n'osait donc plus faire de conclusions hâtives. Surtout que pour ne pas savoir que les bords du Lac étaient glissants, il était peut-être plus jeune qu'il n'en avait l'air, même si c'était assez rare pour un adolescent de cette tranche d'âge. Il lui semblait que les plus jeunes qu'elle avait des têtes de bébé, mais peut-être était-ce seulement le fait qu'elle grandissait. Elle ne se rendait sûrement pas compte qu'elle avait aussi eu une face de bébé. Mais à 14 ans, qui aimait se rappeler du tout début de son adolescence ? 

Il avait honte. Il venait de lui avouer sa phobie de l'eau, et maintenant, elle le regardait en silence. Il ne savait pas si elle le jugeait ou non. Sûrement. La gêne s'installa sur la berge du lac et les deux élèves se turent un instant. La jeune fille brisa le silence, la voix chevrotante, comme si l'aveu de Mike avait brisé une partie de cette assurance qu'elle avait eu quelques secondes auparavant.

"Je... Je me promenais. Dit-il bégayant de la même façon. Je prenais un peu l'air, j'ai passé ma journée dans mes cahiers."

Il allait lui renvoyer la question avant de se souvenir qu'elle y avait déjà répondu. Elle dessinait, avait-elle dit. Il jeta un coup d’œil en direction du carnet qui se trouvait sur le banc à côté de la jeune fille.

"Tu dessinais quoi? Je peux voir? Demanda-t-il alors."

Il ne savait pas si la jeune fille désirait lui montrer ses œuvres. Il était vrai que cela était souvent très personnel. Il comprenait si la jeune fille ne voulait pas qu'il les vît. Aussi il précisa, par peur de la froisser :

"Enfin, tu n'es pas obligée, si tu ne veux pas les montrer."

Il lui sembla que la jeune fille réfléchit, elle mit un certain temps à répondre. Il plongea alors le regard dans le lac. Il en avait si peur, mais pourtant, les reflets qui se formaient sur la surface étaient apaisants et il aimait les admirer. Une légère brise souffla sur lui, il la sentit à travers ses vêtements mouillés, pourtant recouvert de la robe de la Serpentard. Il grelotta.