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08 nov. 2019, 04:32
Ridules d'Encre  CO-ÉCRIT 
Co-écrit avec la
Plume de Qiong Xixia

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[ FIN MAI 2043 ]
La Pagode des Chinois, Lac, Poudlard

Charlie, 13 ans.
2ème Année


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Qiong ! criais-je en direction de la Pagode.

Ma voix fut emportée par l’air frais de cette après-midi. *Froid*. Le soleil bâillait au loin, prêt à s’endormir en emmenant avec lui toute la chaleur de son regard. *Égoïste*. Je baissais mes mains que j’avais mises en porte-voix autour de ma bouche. On avait prévu de se voir après les cours avec Qiong, sans raison particulière ; ça allait encore dériver en apprentissage de la Magie, ce qui me faisait plaisir d’avance. Je ne perdais pas mon temps, c’était comme si je faisais mon entrainement du soir.
Le ciel se découpait entre les formes de la passerelle ; ou c’était plutôt l’inverse, la passerelle était engloutie par l’orange des derniers rayons. Je croisais les bras sur ma poitrine. Le chant des secondes devenait de plus en plus grave, il s’étirait comme un élastique du temps. *Qu’est-c’tu fous ?*. Mes pensées étaient belles ce soir puisque je venais de sortir de Métamorphose. Cette matière m’obligeait à utiliser mes plus belles phrases pour décrire les phénomènes. Et les meilleures descriptions n’étaient pas formelles ou fixées ; j’avais remarqué que je n’arrivais pas à expliquer la Métamorphose, ou même la saisir entre mes doigts. Tout ce que je pouvais faire, c’était ressentir la Métamorphose, pour en foutre partout sur les parchemins avec ce que j’en essorais. J’avais un début de piste concernant la structure de cette magie-là : les émotions.

Charlie ?

*Enfin !*. Mon regard se réajusta dans la réalité. « C'est toi ? » continua-t-elle en apparaissant tout en haut, les bras croisés, serrés. *’lle doit avoir froid la pauvre*. Je l’avais fait sortir de son nid-tout-chaud. *Bien*. Au moins, la lumière ne la dérangeait pas.
Mes mains se lovèrent autour de ma bouche, puis je gonflais mes poumons : « Ouais ! ». Hurler dans le Parc n’était pas la meilleure chose à faire pour passer inaperçue. « Bouge pas, j’arrive ! ». Et hurler aussi fort ne servait plus à rien, Qiong était juste à quelques mètres plus haut. Je lançais mes jambes dans le petit escalier qui montait jusqu’à la passerelle, le traversant comme un éclair pour me planter face à ma partenaire.
Je pris une inspiration profonde — qui me remua les poumons — avant de faire chauffer ma gorge :

Salut toi.

J’étais à moitié essoufflée par mon sprint. Qiong me sourit de sa manière habituelle, toujours aussi magnifiquement. « Bonsoir Charlie » souffla-t-elle en levant sa main droite vers mon épaule. Ses gestes étaient toujours précis et sans hésitation ; parfois, j’avais presque l’impression de ne pas être face à une aveugle.
Juste avant que sa main atteigne mon corps, je l’attrapais de ma propre main droite, enlaçant mon pouce contre le sien et mes doigts contre son poignet. Son sourire s’étira encore plus que possible, transformant son habituel réflexe en émotion un peu plus réelle.

Viens, déclara-t-elle soudainement en se retournant, m’emmenant avec elle. *C’bizarre*. Elle ne me tirait pas le bras, c’était plutôt comme une invitation à la suivre. Pourtant, c’était bien elle qui dirigeait mes pas en ce moment. *Vraiment bizarre*. Qiong avait le don pour me faire croire que les choses venaient de moi ; que c’était moi qui prenais une décision ou qui faisais un choix précis. Je savais que c’était faux, elle était juste bien plus sage que moi en arrivant parfois à me faire croire en ma puissance magique.
On entrait dans la Pagode, Chu-Jung était dans le hall en train de lire un parchemin ; on s’adressa un léger signe de tête mutuel. *Tout seul ?*. Son regard dériva sur Qiong pendant un instant allongé, avant de redescendre sur ses écrits. Je détournais mes prunelles à mon tour.
J’avançais — portée par la douceur de ma partenaire — vers la pièce qui constituait sa chambre. Elle écarta l’énorme rideau à l’entrée en me laissant la place pour m’engouffrer, puis elle referma derrière nous. *Un tonneau de grâce*. La fluidité de ses mouvements m’étonnait encore après des mois.
Sa main se détacha de la mienne, puis son corps se déplaça jusqu'à sa table personnelle, portant tous ses dessins et pinceaux. Je n’étais pas rentrée tant de fois que ça dans sa chambre, alors je laissais mon regard se balader un peu sur les murs, la décoration, l’ambiance ; tout en allant vers sa table. Du coin de l’œil, je vis ma partenaire prendre un pinceau et se concentrer en regardant droit devant elle, comme si elle prenait la mesure de l’horizon. *C’est cette concentration qui fait flipper*. Puis les poils épais de son outil s’écrasèrent avec une douceur bizarre sur son parchemin. Une douceur violente, maitrisée, calculée. Sa main commença alors cette danse qui la caractérisait, créant des figures aux traits magnifiques.

Un peu d’calligraphie pour n’pas oublier ?

Son sourire habituel apparut sans bloquer l’élan de sa main artistique, indomptable, contrôlée par une entité que je ne voyais pas ; et Qiong non plus.

Pour apprendre à voir, avant tout.

Mmh… soufflais-je en plissant les yeux. Dans le fond, je trouvais tout ça triste. Pendant toute sa vie, Qiong allait chercher à boucher son handicap en développant son toucher, son ouïe — comme avec la calligraphie. Ou encore son odorat et son goût. Mais tous ces développements servaient uniquement son handicap : celui de la vue. Elle voyait avec les doigts, observait avec les oreilles, scrutait avec son nez et percevait avec sa langue. Ses quatre sens étaient les esclaves d’un seul : celui qu’elle n’avait pas.
*Vraiment triste dans l’fond*. Et un peu beau.

Je m’étais arrêtée à quelques centimètres de sa table. J’observais ses coups de pinceau d’une précision angélique, la plume de corbeau que je lui avais dessiné pour la sélection était ridicule à côté de… ça. *M’en a jamais r'parlé*. Ma langue sortit de son fourreau pour mouiller mes lèvres alors qu’elles étaient déjà mouillées. Une furieuse envie d’en reparler me tordit la bouche, la curiosité de connaître ses mots était trop forte.

Tu t’rappelles de la plume que j’t’ai dessinée ?

Qiong prit le parchemin étalé sur sa table pour le poser sur une autre table, sûrement pour sécher.

Bien entendu.

*Bien*. Et la question qui me brûlait les lèvres s’expulsa de ma bouche : « Tu l’as aimée ? ». Les mains très blanches de ma partenaire — tout comme son visage — ne donnaient aucun signe d’écoute. *Tu fais exprès*. Une seconde passa, puis une autre. Elle prit un nouveau parchemin qu’elle étala sur sa table, sans faire tomber son matériel qui était un peu partout. *Faut pas qu’je parle*. En attendant sa réponse, je me focalisais sur la grande pile de parchemins calligraphiés, ceux qui avaient accédé au statut d’œuvre.

Comment penses-tu que je t’aurais choisi dans le cas inverse ?

Répondre sans répondre. *Tss…*. Je voulais entendre une affirmation de sa propre bouche, pas de sous-entendus pourris. « Oui ou non ? » questionnais-je d’un ton normal, ni doux, ni dur. Sa petite bouche fit une moue ; qui m’attendrit, bizarrement. *Allez… C’pas compliqué*. Je ne voulais pas être brusque avec elle, alors je décidais de ne plus en parler si elle ne me répondait pas à sa prochaine phrase. Ses gestes ralentissaient, elle était en train de mieux se concentrer avec moi ; c’était comme ça à chaque fois, il lui fallait comme un temps d’adaptation. Ma langue traversa mes lèvres de part en part. *Qiong…*. Son visage se tourna vers moi, dirigeant son regard de fantôme dans le mien. *Dis-moi*. Sa voix berça l’air de douceur :

J’ai trouvé que c’était une belle manière de m’aborder.

Un sourire sincère conclut ses mots, comme une croche finale à ses pensées.

je suis Là ᚨ