Nora avait beau s'être couchée très tard, elle n'avait ni bien, ni beaucoup dormi. Les événements de la nuit passée l'avaient particulièrement secoué et ne lui avaient laissé que très peu de répit. Son esprit agité l'avait réveillé aux aurores, comme pour lui signifier que l'heure était aux actions et non à la réflexion. Elle était ainsi descendue prendre son petit déjeuner dans la Grande Salle dès que possible, laissant un mot sur la table de chevet de Noreen Blackwave. Ce morceau de parchemin contenait quelques mots lui demandant de bien vouloir la rejoindre près du lac, du côté de l'ancien accès à la forêt interdite, à 7h45. Nora avait grand besoin de s'entretenir avec elle, de toute urgence.

La Starks était arrivée un peu en avance et s'était assise dans l'herbe, face à l'eau calme du lac - qui ne ressemblait plus tellement au Lac Noir qu'ils avaient tous connus. Puis elle avait attendu, espérant que Noreen veuille bien venir. Les derniers tons rosés du ciel disparaissaient doucement pour laisser place au soleil brillant de la fin du printemps. On pouvait en voir le reflet dans l'eau sombre, offrant une vue des plus splendides. Le regard de Nora ne pu s'en détacher que lorsqu'elle entendit des pas approcher, froissant l'herbe et la faisant croustiller. Elle croisa le regard de Noreen et l'invita à s'assoir à ses côtés d'un geste de la main.

"Merci d'être venue. J'avais vraiment besoin qu'on parle, à l'abri des oreilles indiscrètes." commença la Starks. "J'ai besoin qu'on parle de la nuit dernière. Tu m'as fait peur, tout à l'heure. Tu nous a fait peur, tout le monde s'inquiétait."

Nora regarda Noreen avec douceur. Elle savait - ou devinait, à défaut de l'avoir elle-même vécu - que sa vie était devenir un cauchemar, à cause d'une certaine Ursula Parkinson. Elle avait fait enfermer son père, Dallan Blackwave, à Azkaban parce qu'il ne partageait pas ses opinions et qu'il lui fallait éliminer le Ministre de la Magie Britannique du paysage pour mettre ses projets à exécution. Elle lui avait pris le reste de sa famille. Noreen n'avait plus rien, à part Poudlard, et ses amis. Nora n'avait pas l'intention de l'abandonner dans un moment pareil. Bien qu'elle ne puisse pas réellement comprendre ce que la pauvre jeune fille devait ressentir, elle désirait malgré tout apaiser sa peine. Elle ne savait simplement pas comment.

Atrea était amoureuse d’Eron, terriblement amoureuse. Mais l’homme qu’elle aimait de tout son être n’avait d’yeux que pour sa soeur, Calcède. De l’amour à la haine, il n’y eut qu’un pas. L’amour profond qu’éprouvait Atrea se mua en une haine terrible. Si terrible, qu’elle jeta le plus horrible des mauvais sorts au fruit de leur union. Le nouveau-né mourut quelques mois après sa venue au monde d’un mal qu’aucun guérisseur ne sut conjurer. Son pauvre petit coeur avait noirci dans sa poitrine comme un fruit pourri par l’usure du temps. La malédiction du coeur-de-charbon a survécu à tous les âges de la sorcellerie. Elle est aujourd’hui enseignée aux élèves du dernier degré de l’institut de Salem, aux Etats-Unis.


La porte du dortoir à peine refermée, j’ouvris les yeux et me retournai dans le lit pour attraper le morceau de parchemin signé de la main de Nora. Les autres occupantes du dortoir dormaient à poings fermés. Je pris soin de déplier le parchemin en veillant à faire le moins de bruit possible. Le message était on ne peut plus clair : Nora m’invitait à la retrouver sur les rives du lac noir à 7h45. Les événements de cette nuit trottaient toujours dans ma tête, me privant de sommeil. J’étais exténuée et fiévreuse, mais je ne pouvais résolument pas tourner le dos à mon amie. Pas après ce qu’elle avait fait, pas après ce que nous avions vécu toutes les deux.


Le panorama était magnifique, tout à fait digne du conte de fées qu’aurait dû être cette sixième année sous les toits de Poudlard. Mais le conte de fées avait tourné au cauchemar depuis que mère et Liam avaient été lâchement assassinés et que père croupissait derrière les murs d’Azkaban. Une partie de moi avait été enterré en même temps qu’on enterrait ma mère et mon frère… le reste s’entredéchirait à se demander combien de temps père résisterait, isolé des siens, isolé de tout, dans cette prison maudite. Plus rien n’avait vraiment la même saveur. Le monde s’était comme peuplé d’ombres et de toiles d’araignée.

C’est sans joie que je descendis les derniers mètres glissants qui me séparaient de Nora. Sans joie que je me plantai à côté d’elle avant de céder à son invitation. Une fois assise, je l’écoutai sans la regarder. Mon regard voguait sur les eaux paisibles du lac noir tandis que je m’emmitouflai dans ma cape, prise d’un frisson glacial. Je me félicitai de ne plus avoir une seule larme à verser, car les palpitations de mon coeur — son coeur — me bouleversait au-delà de toute considération. Une partie de lui vivait en moi, et tandis qu’il pleurait certainement la perte des nôtres dans l’obscurité absolue, j’étais là, assise tranquillement à l’air libre. A la peine succédait aisément la colère et j’y cédai sans aucune retenue.

« Je vais la tuer, annonçai-je à ma camarade. Je vais tuer Ursula Parkinson. »

Nora serra les dents en entendant les paroles de son amie, paroles emplies de haine et de souffrance. Elle chercha à l'aveugle la main de la jeune fille pour la serrer dans la sienne, les yeux toujours posé sur elle. Puis elle relâcha à la fois la pression de sa paume et son regard, pour le fixer sur le rivage. Elle comprenait son sentiment, même si elle ne connaissait pas la douleur qu'était celle de Noreen. Et elle s'en voulait presque pour cela.

"Tellement de gens la détestent. Entre ceux qui sont fidèles au Ministère et ceux qui soutiennent ton père, il y en aura forcément un pour la tuer à ta place. Ce qu'elle a fait ne restera pas impuni, j'en suis sûre." dit-elle. Le monde était injuste, mais il regorgeait sans aucun doute de sorciers qui chercheraient secrètement la vengeance dont la jeune fille rêvait.

Nora avait envie de pleurer, mais se retint par égard pour sa camarade. Elle était terrifiée. Terrifiée parce que le monde changeait, sa vie changeait, et qu'elle n'avait aucun contrôle dessus. Guider et protéger les élèves de Poudlard dans leur quotidien était chose facile, mais que pouvait-elle faire pour eux face à de telles personnes ? Rien du tout. Elle n'était qu'une adolescente. Elle se mordit la lèvre pour se ressaisir. Mais, était-ce réellement le cas ? L'image du lion géant s'imposa à elle. Son coeur se serra davantage, si cela était anatomiquement possible. Une créature magique incroyable lui proposait ses services. Devait-elle l'utiliser pour sauver Blackwave ? Le pouvait-elle ? Nora craignait que Noreen le lui demande, car elle craignait que cela ne soit impossible. Peut-être fourrerait-elle à sa propre mort, si elle agissait ainsi. La Starks n'était d'ailleurs pas sûre d'être capable de faire quoi que ce soit qui crée une différence, même avec Iusta à ses côtés. Elle avait peur que son amie ait des attentes envers elle, et envers la promesse qu'elle lui avait faite la nuit dernière. Ses propres mots résonnaient dans sa tête. Peut-être avait-elle parlé trop vite, peut-être n'était-elle pas capable de faire quoi que ce soit. Elle ne voulait pas blesser Noreen, ni la décevoir. Elle ne voulait laisser tomber personne. C'était aussi pour cela qu'elle devait s'assurer que personne ne soit au courant de l'existence de la nef secrète, et du lion qui y repose. Parce qu'elle ne voulait pas découvrir qu'elle ne pouvait satisfaire les attentes de personne.

"Je suis désolée d'être aussi impuissante face à tout ça." lâcha t-elle finalement, honteuse.

Les grands yeux verts de Noreen se remplirent de larmes dès l’instant où les doigts de Nora se refermèrent sur les siens. C’est le cœur lourd et les mâchoires serrées, qu’elle se mit à pleurer dans un silence de cathédrale. Elle repensait à l’été 43. Aux vacances inoubliables qu’ils avaient passées en Jordanie. Son père, sa mère, Alannah, Heather, Liam… même Peter, Amy, et leur petite avaient fait le déplacement. Noreen n’arrivait pas à croire qu’il ne restait plus rien de cette époque bénite, qu’une famille brisée en mille morceaux. Elle aurait donné tout l’or du monde pour enlacer Alannah, de trois ans son aînée. Alannah aurait trouvé les mots pour lui faire espérer des jours meilleurs.

« Ma famille me manque. »

Noreen resserra sa prise sur la main de Nora tout en ravalant un sanglot. Parce qu’elle n’avait plus assez de larmes à verser, il ne lui fallut qu’un revers de manche pour les effacer. Les yeux en feu, comme si quelqu’un lui avait jeté du sable à la figure, elle focalisa ses pensées sur un tout autre sujet. La silhouette de Iusta était encore fraîchement imprimée dans sa mémoire, tout comme le ton de sa voix. De toute sa vie, Noreen n’avait rencontré aucun un être aussi majestueux et mystérieux que le lion ailé. Elle se demandait si Nora avait réussi à digérer cette rencontre. Si elle ressassait sans cesse les paroles de la créature. Elle lui décocha un regard timide du coin de l’œil.

« Qu’est-ce que tu vas faire de Iusta ? »

Dans un coin de son cœur, Noreen aurait souhaité que son amie libère la créature pour la lancer aux trousses du Conseil des sorciers mais elle ravala presque aussitôt cette idée, honteuse. Nora n’avait rien demandé de tout ça. Depuis le début, elle subissait les événements, tout comme elle. Il était hors de question d’attendre quoi que ce soit d’elle, d’espérer quoi que ce soit de sa volonté. Noreen ne voulait pas tomber au même niveau que la cheffe du Conseil des sorciers. Elle voulait le meilleur pour son amie.

« Quoi que tu fasses, je te soutiendrai. »

Les mots de Noreen lui portèrent immédiatement un coup au coeur. Entendre ce nom à voix haute la ramenait soudainement à la réalité, si tant est qu'elle ai pu y échapper. Son estomac se tordit et ses oreilles s'emplirent un seul son : celui des battements de son coeur. Elle tentait de se calmer, de ne pas céder à la panique, mais savait pertinemment que ce sentiment s'était encré au plus profond de son être. Pourtant, elle réussissait à le cacher - ou du moins elle le pensait. Elle se retourna vers son amie pour planter son regard dans le sien.

"A ce sujet.... j'ai une faveur à te demander." commença t-elle, réprimant l'envie de vomir son coeur à chaque syllabe prononcée. "J'ai besoin que tu me promettes de ne jamais parler de ça à personne. Je ne sais pas ce que je vais faire, mais pour le moment j'ai besoin de réfléchir pour y voir plus clair. Et je pense que ça serait dangereux que qui que ce soit... ait conscience de son existence. Ou qu'ils pensent que je suis la descendante de Gryffondor."

Nora déglutit un peu bruyamment malgré elle. Elle regardait toujours Noreen dans les yeux, au bord des larmes. L'angoisse et le désespoir suintaient à travers chaque pore de sa peau. La jeune fille faisait de son mieux pour ne pas céder, pour ne pas pleurer devant son amie. Elle essayait, vraiment. Mais elle était tellement perdue, tellement apeurée, tellement déboussolée.

Noreen ne manquait pas de sensibilité. Aussi l’émotion la regagna lorsqu’elle vit une lueur frémir dans le regard de son amie quand elle lui demanda de garder le silence sur tout, absolument tout ce qu’elles avaient vécu toutes les deux. Nora devait être particulièrement sous le choc de cette rencontre extraordinaire pour imaginer, un seul instant, qu’elle puisse prendre le risque de briser cette amitié qui lui était si chère au prix de... au prix de quoi d’ailleurs ? Noreen ne savait pas très bien. Elle n’imaginait pas une seule circonstance dans laquelle elle aurait pu vendre le secret de son amie. Autant mourir !

« Personne n’en saura rien, je t’en fais la promesse. D’ailleurs, je ne sais même pas de quoi tu parles, feignit-elle en relevant le menton et en prenant son air le plus offensé qui soit. Vous devez me prendre pour une autre, jeune fille, ajouta-t-elle, les bras croisés sur sa poitrine, en prenant l’intonation de voix du professeur Loewy. »

A l’imitation un peu ratée, il fallait bien l’avouer, succéda une grimace, un coup d’oeil, et un éclat de rire franc qui dura bien une dizaine de secondes. Noreen se sentit soudain plus légère, comme lavée d’un certain poids. Oui, ce qui lui restait de famille lui manquait terriblement. Oui, elle haïssait Ursula Parkinson et le Conseil des sorciers au-delà de tout ce qui était humainement concevable. Mais malgré tout ça, il restait encore un peu de place pour autre chose. Noreen ne savait pas si c’était de l’espoir ou tout à fait autre chose, mais la présence de Nora, leur amitié, lui rappelait que la vie pouvait s’avérer belle et cruelle en même temps.

Elle reporta son regard au loin, en chasse de l’horizon, un battement de coeur léger suivant toujours un battement de coeur beaucoup plus lourd dans le creux de sa poitrine.

« Il ne revient qu’à nous de changer le monde s’il ne nous convient plus, pas vrai ? interrogea-t-elle Nora sans dévier son regard de l’horizon, s’emmitouflant un peu plus dans sa cape de sorcière. Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour un chocolat chaud. Ça ferait peut-être fondre la glace qui encercle mon coeur. »

Les doutes et les angoisses de Nora disparurent progressivement aux paroles de Noreen. Elle ria doucement à sa blague puis, voyant son amie éclater de rire, elle en fit autant. Elle la regardait avec des yeux doux, heureuse de la voir sourire et retrouver sa joie de vivre. Cela lui faisait du bien de constater que son amie n'allait pas se laisser dépérir et que, le moment venu, elle reprendrait du poil de la bête. Elle garda le silence un moment, glissant presque dans ses pensées. Elle se sentait soulagée de savoir que son secret serait sauf aussi longtemps que nécessaire. La voix de son amie la rattrapa, la faisant rester sur Terre, au moment présent.

Changer le monde... Cela faisait rêver la blonde. Tout n'était pas bon à jeter, sans doute, mais tout n'était pas bon à conserver non plus. Elle ne doutait pas que des gens expérimentés se chargeraient de faire ce qu'il faut pour que leur monde évolue au mieux, cependant l'idée de pouvoir y contribuer lui plaisait bien. Si elle en avait l'occasion, elle prendrait part à cela. Pour Noreen, pour Nath, pour sa famille, pour ses éventuels futurs enfants. Pour elle-même.

Nora sourit discrètement, sans grande joie, à la dernière réflexion de Noreen. Sans un mot, elle se leva, épousseta ses vêtements, et se retourna vers la jeune Blackwave pour lui tendre la main.

"Je pense que je dois pouvoir arranger ça." commença t-elle en souriant. "C'est que j'ai des connexions, moi, Madame !" ajouta t-elle avec un clin d'oeil.