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26 mars 2020, 00:12
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Giclées, Un



*Crétin*.

J’ai faim.
Pire.
Je suis affamée.

*Me réponds pas. T’as peur, crétin*.

Je pourrais bouffer le monde s’il n’était pas aussi petit. Dans sa coquille, il a l’air ridicule, minuscule. Il est tellement mélangé qu’il ne ressemble plus à rien. Serré, tout petit. Il est comme ce Regard-là.
Le sombre-de-regard, trop agglutiné pour être intéressant. Trop de mélange pour être autre chose que ridicule, minuscule.

*Qu’est-c’t’as ? Tu veux t’évanouir ? J’t’en empêcherai pas*.

Un piaillement attire mon attention, juste sur ma droite. Mon regard se jette dessus.
Un oiseau. Il frappe l’air avec ses ailes, il transperce le monde avec son corps, même s’il fait partie de lui. C’est ce qui est intéressant chez lui. Et maintenant que je le regarde, il ne fait plus partie du monde ; il fait partie du mien.
Alors je peux le contempler, l’amadouer ou…
Je peux.
Il n’est plus ridicule, minuscule.
Comme le regard-de-vert ?

*Tss…*.

Je replante mes yeux sur les Autres. Mélangés. Une bouillie de merde.
Non. Il est foutrement ridicule, lui. Puisque dans ses yeux, il n’y a pas que moi. J’y vois tellement d’Autres, grouillants, courant dans tous les sens. Un monde est créé là-dedans. C’est le monde d’Aodren, un monde où je n’ai pas ma place. Où je suis de trop. J’encombre.
Merde.
Je me suis vraiment trompée, Nejma avait *foutrement* raison.

*Désolée*.

Il n’a même pas ouvert la bouche que je sais déjà. Je lui rappelle trop de choses. Juste…
Beaucoup Trop. Ça gueule dans son vert, j’y entends les cris en silence ; ils ne peuvent pas se concentrer que sur moi. Trop.
Dommage.
J’y ai cru pendant un instant.

J'ai peur !

Je sais que t’as peur. Ce n’était pas une question, crétin. Mais j’avale mes mots, je ne veux pas m’ajouter dans le bordel de ses yeux, je ne veux pas faire déborder son vert ; c’est la pire chose à faire.

J'ai jamais prétendu le contraire.

Il ne comprend pas.
Je me replie. C’est fini.
Je baisse les yeux vers l’herbe verte ; fluorescente de mon manquement. Elle brille dans mes prunelles, et je comprends ce qu’elle me dit : j’ai raté quelque-chose, je le sais.
J’en suis sûre.
Pas la peine de me le rappeler.

Merlin, on a tous peur, que j'sois seul ou non ça change rien.

Je n’ai pas été assez directe, peut-être. Ouais. Je n’ai pas été comme d’habitude.
C’est ça.
J’ai changé mon comportement à cause de…
Une inspiration brûlante me tord la gorge. Je la déteste d’arriver maintenant, entre deux remous du Lac Noir.
Ouais, c’est ça… Je me rends compte que c’est dur, de regarder son frère.
Pourtant, il n’est que ça, son frère ; mais c’est déjà Trop.

Pourquoi je suis ici, Rengan ?

Ferme ta gueule. Laisse-moi réfléchir.
J’ai juste menti. *Fort ?*. Il n’est pas fort. Personne ne l’a dit.
C’est un mauvais mensonge, qui n’a aucun sens. *Si, bordel ! Si !*. C’est juste moi. J’ai espéré qu’il le soit. Fort, Aodren. Grand frère tellement fort. Je le voulais, comme avec l’autre, je la voulais. C’était un vieux jour, comme un rêve. Comme l’année dernière, tout un rêve.
Quelques échos, peut-être.
Échos de merde. Traitres, hein ? Pas vrai ?
Je sais.
C’est moi le problème.

Réponds-moi, s'il-te-plaît.

Moi. *S’il-te-plaît ?*. C’est juste moi.
Ce n’est pas dans ses yeux que je ne suis pas seule, c’est dans les miens qu’il ne l’est pas.
Depuis le début. Il est ce gars-là, il est ce foutu grand-frère. Il n’est foutrement pas seul pour moi. C’est moi qui suis ridicule. *Bordel*. C’est totalement moi.
Ce n’est même pas de sa faute, c’est juste moi.
Si, c’est un peu de sa faute. Mais surtout moi.
Je ne ressens aucune colère, aucune boule de rouge en moi. Je suis juste minuscule.
Ridicule.
Mon regard-trop-plein voyage jusqu’au sien.

Viens en au fait. J'ai pas envie de parler du contexte actuel avec toi.

T’as raison, mais ferme ta gueule.
J’écoute tes mots, pour une fois. Je t’écoute, toi, Aodren. Et personne d’autre. T’es le pire Autre de toute l’école. J’ai commencé par toi. Parce que c’est toi. Et je te vois enfin.
Juste, Aodren.
Juste.

Aodren.

Ça me fait bizarre de l’appeler par son prénom.
Je réfléchis à toute vitesse, mes pensées se fracassent entre elles, mais je ne perds pas une seule miette de ma concentration.

T’es en sixième année.

C’est toi, ça. Uniquement toi.
C’est tellement logique, que je me sens encore plus ridicule. Mais je ne détourne pas le regard de ses joyaux, ils s’éclaircissent enfin.
C’est moi, uniquement moi.

Alors j’pense qu’en c’te période, ça s’rait bien d’s’échanger quelques magies.

Il est seul dans mon Regard, enfin. Comme je l'avais toujours fait. Personne n’est à côté. Il n’est plus intéressant, mais il peut le devenir.
Ouais.
J’ai enfin réussi.
Alors, je lui souris.

Un grésillement électrique me chatouille le tympan gauche. Doucement.

je suis Là ᚨ

26 mars 2020, 14:58
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Un.


« Aodren. »

Il est difficile d’écouter. Difficile de rencontrer son regard. Mais, le visage chiffonné et le coeur émietté, il résiste à son envie d’offrir son dos à ce Monstre d’enfant et de partir, tout simplement, partir pour la laisser avec ses conneries, avec sa merde et toute la folie de son esprit. Las, il regarde. Un sourire. Las, il écoute. Il n’aime pas entendre son prénom dans cette Bouche. D’ailleurs, il trouve cela absolument irrespectueux, mais il a bien compris que Rengan ne le respectait pas. Ce n’est même pas étonnant qu’elle ose l’appeler par son prénom, cela fait partie du spectacle, du cirque, du jeu. Il faut qu’elle montre, qu’elle impose, qu’elle frappe.
Et elle frappe, oh oui.
Le coeur du jeune homme qui se meurt au sein de son corps.
Sa fierté qui lutte pour prendre plus d’ampleur, pour Écraser.
Et surtout, ses valeurs ; il n’a suffit que d’un coup de Rengan, un regard, un mot, pour que ses valeurs s’effondrent et qu’Aodren ne devienne qu’un être-de-dégoût. Qu’il en ressent, du dégoût ! Ses pensées sont libres dans sa tête, elles se foutent de ses valeurs, de son respect de chacun, elles crient, elles le secouent de *tarée !* et de *je peux pas me la voir*. Heureusement qu’il se maîtrise. Rien ne se voit sur son visage, rien d’autre que la fraîcheur de son coeur. Le reste, il le garde précieusement au fond de lui, pour les ténèbres de ses nuits.

« T’es en sixième année. »

C’est un fait, certes.
Acte II du spectacle ; Rengan affirme. Son regard est vrillé au sien, il pourrait presque voir l’ardeur qui se cache là-dessous, l’excitation aussi. Elle en ressent, n’est-ce pas ? De l’excitation à lui sortir son foutu spectacle ?
*Ecoute-là.*
Je me fous de mes valeurs !
*Écoute-là.*
Elle ne le mérite pas !
*Écoute-là.*
Aodren retient la grimace qui lui chatouille les lèvres. Il l’enferme dans son coffre fort et se redresse, le regard droit, essayant de se draper dans sa fierté. Il est en sixième année, certes. Et elle, en quatrième. Quel est le prochain acte ? Il sent qu’elle joue ses dernières scènes, bientôt arrivera le clou du spectacle ; Aodren retient imperceptiblement son souffle. Il a beau vomir la mise en scène de cette fille, il croit sincèrement en sa capacité de l’essoufler. Il sait que ce qu’elle dira lui arrachera son coeur et fixera son attention.
Il est prêt.

« Alors j’pense qu’en c’te période, ça s’rait bien d’s’échanger quelques magies. »

Il n’était pas prêt.
Son coeur s’arrache effectivement et il n’est pas assez expérimenté pour cacher la surprise qui déforme ses traits. Il pensait qu’elle parlerait du RRSL, qu’elle lui demanderait de plaider sa cause pour la faire entrer parmi les jeunes recrus malgré son jeune âge. Il pensait qu’elle voulait son aide, qu’elle avait besoin de lui. Il se trompait. Elle n’a pas besoin de lui, elle n’aura jamais besoin de lui. Elle veut seulement profiter de ce qu’il sait, si tant est qu’il puisse lui inculquer quoi que ce soit, bien entendu.

Aodren résiste. L’assaut de son coeur lui envoie des pensées sombres. Ces idées ternies et noires veulent lui faire croire qu’il n’a rien à échanger, qu’il ne sait rien de bon, rien d’intéressant. Qu’il n’a aucune magie *elle peut pas parler normalement, putain ?* à partager avec Rengan. Qu’a-t-il appris, de toute manière ? Rien, puisqu’il n’a rien été capable de faire lors de l’attaque du bal ; rien, puisqu’il est toujours aussi victime de ses sentiments, victime de ses émotions, victime de sa vie. Il est misérable, il se sent misérable, il se sait *misérable*.
De l’autre côté de son coeur, d’autres idées peinent à grimper le long de sa conscience ; des pensées blanches, des pensées lumineuses. Elles tentent de le rassurer, de lui faire voir la vérité en face : ces longues heures d'entraînement avec Mother, toutes ces choses que lui a enseignées la femme, ses cours intensifs, épuisants, palpitants. Il se souvient de chacun d’eux, de ce qu’il a appris, de sa magie qui a commencé à changer, à devenir plus palpable, plus compréhensive et plus grande. Il se souvient ce que cela fait de la ressentir à l’intérieur de lui, de la sentir grandir, prendre de l’ampleur, prendre des formes.
Il n’est pas *que* misérable.
Il est aussi en plein essor.
En pleine croissance magique.
En pleine ascension.
Il s’efforce de ne penser qu’à cela, de croire en ces pensées, en ses souvenirs. Il essaie de toutes ses forces, il s’y essaie si fort qu’il remarque à un moment que son regard s’est perdu quelque part au-dessus du Lac Noir et que plusieurs secondes *ou minutes ?* se sont écoulées sans qu’il ne parle.

Il accommode sur Rengan, revient à lui. Il comprend une chose qu’il n’a jamais aimé, une chose qui hante littéralement sa mère *morte* et Aelle *morte* et également Zakary. Un petit coin d’obscurité dans les coeurs de chacun d’eux qui les pousserait à faire n’importe quoi, à partir en vrille, à se foutre des valeurs qui leur ont été inculquées ; une chose qu’exècre Aodren : sacrifier pour le savoir.
A-t-il le droit de se refuser à Rengan par fierté ?
A-t-il le droit de l’envoyer se faire voir comme il rêve de le faire ?
A-t-il le droit d’écouter son coeur alors que le monde est en train de s’écrouler ?
Non, il n’en a aucun droit. Lui aussi se doit de sacrifier.

Le regard d’Aodren se baisse, il cache sa bouche tordue derrière le col de sa chemise. Il pense à Mother.

« Qu’est ce que t'as à échanger ? »

Sa voix peine à lui échapper, elle rampe comme un vieil animal, elle est pleine de trucs dégueulasses. De rancoeur, par exemple. De haine, également. Et de tristesse. Il pourrait chialer de s’entendre dire ces mots. Ce sont typiquement des mots qu’Aelle pourrait utiliser sans frémir, il le sait. Être prête à dire oui à n’importe quoi, si tant est que ce qu’on lui donne en échange est un Savoir qui en vaut la peine, ça c’est Aelle. Et sa mère *morte* encore vivante, nom de merlin ! Sa mère est même prête à passer moins de temps avec eux pour ce genre d’échange abominable. Aodren l’a compris il y longtemps.
Aujourd’hui, il n’a pas envie de détester sa mère.
Alors il lève les yeux, il se drape de cette cape impitoyable qui la caractérise quand elle est vivante de savoir, et il dresse le menton, comme sa mère le fait si souvent.
Son regard retrouve Rengan.
Voilà, moi aussi je commence à jouer.
Parce que ce putain de monde m’y force.

29 mars 2020, 16:00
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Souche, Quatre, de Grains




Un sourire de satisfaction, presque d’accomplissement.
L’extérieur de Charlie semble se mêler en accord avec son intérieur ; en une large gamme de diapason. *Elles sont là*. L’étendue de ses capacités s’aligne.
De l’autre côté, l’éclat de son regard se tapit tout au fond de ses prunelles, recroquevillé sur lui-même, banni à nouveau. *’a raison, elles arrivent souvent*. L’infime ouverture qui ne s’était pas présentée depuis des mois venait de se refermer, la porte a été claquée contre le visage du Serpentard. Charlie tenait son buste droit, et dans les replis de son cœur, au-delà de la satisfaction, un sentiment poreux stagnait ; gravé sur un petit bout de papier aux allures nécrosées. Un espoir fragile qui s’était manifesté face à Aodren, puisqu’avec lui, au moins, il se savait d’avance voué à l’échec.
Parfois, il est bien étrange de constater à quel point certains sentiments préfèrent choisir le chemin de la mort. Certes, c’est un choix du moindre mal, ils sont intelligents, presque dotés d’une conscience propre, ils Savent que leur douleur est bien trop dure pour un seul cœur.

Au-delà de la satisfaction, le sourire de la Rouge et Or est d’une belle sincérité ; bien logique, c’est un sourire pour elle-même, il ne pouvait être que sincère. *P’t’être…*. La béatitude de l’instant se dilue dans la torsion de l’air. Des intrus arrivent ; des atomes un peu trop chargés, électriques.



Le grésillement est si faible. Petit animal crevé.
Discrètement, je jette un coup d’œil vers le Lac. *Rien du tout*. Comme hier, je ne vois rien, je n’entends pas grand-chose. J’ai le sentiment de dérangement.
Ce grésillement ne s’entend pas vraiment, même moi j’ai du mal à saisir ses contours. Il n’y a qu’un seul moyen de le percevoir : mélanger l’ouïe au toucher. Je sens les vibrations quand je bouge mes bras, comme des picotements, des petites bulles piquantes, minuscules, qui explosent contre ma peau, ridicules. Elles sont trop petites, mais elles sont partout. Beaucoup. J’entends. Je ressens. L’électrique.

Tout comme la contorsion des traits d’Aodren. Une bouillie. C’est ce que je voulais provoquer, c’était mon objectif premier : son Savoir. Je me reconcentre enfin sur ce vrai objectif.
Aodren, c’est un sixième année. *’d’vert*. Et son regard vomit des questions dans tous les sens, je les vois dégouliner contre ses paupières, se comprimer dans ses iris, se déchirer à travers ses cils. *J’sais*. Jusqu’à ce qu’il me fuie.

Ses yeux déstabilisés cherchent un endroit plus calme que mon propre regard ; pour l’instant. *R’garde le La…*. Comme s’il m’avait entendu, son regard s’envole sur la surface du Lac, là-bas, à l’opposé de ma gueule. *Bien…*. Est-ce qu’il l’entend, l’électricité ? *Sûr*. Elle attire, c’est vrai ; même ceux qui ne la sentent pas contre leurs peaux sont comme magnétisés. *Pas maintenant*.

Doucement, j’arrange la position de mon dos contre la pierre Morte. *’dieu*. C’est vrai… J’ai failli oublier que je suis adossée à la Mort.
Elle est confortable, la Mort, je l’aime bien. Ma Douleur ne crie plus, je ne vois plus sa gorge pleine de sang et sa gueule ouverte comme un gouffre. C’est calme, les notes sont allongées ; pour l’instant. Alors je me concentre sur ce moment-ci, avant d’avoir mal au moment-d’après.
Mes poumons se gonflent pendant que je regarde Aodren, la gueule tournée *ravagée* vers quelque-part en lui. Un petit bout de terre qu’il se doit de protéger, petite parcelle de lui. Je ne peux pas voir, et je n’ai même pas envie de regarder dans son intérieur ; alors je laisse mes yeux détailler son extérieur. Sans rien dire.
C’est un moment important pour lui, je ne veux pas y foutre le bordel.

Je glisse sur ses joues, vers le haut, pour remontrer vers son front. Des courbures harmonieuses se baladent un peu partout. *Beau*. Plus je passe de fois mon regard sur ses traits, plus que je me rends compte qu’ils sont vraiment fins. *’dirait une fille*. Il a quelque chose de féminin. Comme *Papa* mon père. Une composition toute douce, aux notes effleurées. Ouais, Aodren est quelque chose comme ça.
Et ses yeux tombent par terre. Le Lac a perdu son seul spectateur.

Je me rends compte que ma langue est dehors, qu’elle glisse sur mes lèvres alors que mes dents l’écrasent à l’intérieur. *C’maintenant Aodren*. J’ai l’impression qu’il va se barrer. *Non*. Il va rester, sinon il serait déjà parti.
Je rentre ma foutue langue à sa place pour laisser mes joues tirer sur ma bouche. J’ai tellement envie de sourire aujourd’hui. *’dieu !*.

Qu’est ce que t'as à échanger ?

*Oh bordel*. J’avale ma bave. Je lève encore plus mon menton. Et mon sourire est incontrôlable, ravagé. *C’est…*. Le sixième année vient juste d’accepter.
Enfin.
Aodren, le sixième année, commence à devenir intéressant. Il a accepté, le reste n’est plus important. Je sais que même si je lui sors de la merde en échange, il va accepter. Il est lancé. *Bien. Bien…*. Et avec ce que j’ai en échange, il va faire bien plus qu’accepter.

Ses yeux sombres grincent jusqu’à moi, j’entends leurs roulements dans les orbites. Il a du sable à l’intérieur de ses yeux pour que ça grince comme ça, mais je n’en ai rien à foutre. Même si son regard est lourd, je m’en fous.
Maintenant, tout s’inverse, c’est moi qui dois l’accepter. Alors je le regarde en concentrant tout mon esprit. Je dois vérifier qu’il soit assez fort. Et pour de vrai cette fois-ci. Sans attendre un instant de plus, j’ouvre la bouche en articulant clairement ; même si j’ai l’impression que je chuchote : « L’ombre ». Je ne quitte pas son regard, sous aucun prétexte. Et j’enchaîne.

Ce truc, dis-je en pointant l'ombre qui s’étire à ses pieds, la sienne, ‘nous suit partout, mais on l’oublie.

*’faut qu’je m’lève*.

Y'a tellement d’magie étalée juste sous nos yeux qu'on l'oublie.

Sans le faire trop vite, je tire ma jambe droite vers moi pour prendre appui dessus. Et je pousse.
La Douleur dans mon dos me chatouille, elle n’est rien ; elle est restée trop longtemps collée à la pierre de Mort, ma Douleur est morte. Alors je dois faire vite avant qu’elle ressuscite. « Hh… ». Un petit gémissement de traitre. *’va t’faire foutre*. Mais j’arrive à me mettre debout sans tordre ma gueule.
Sur mes deux pieds. Face à Aodren. Je fouille son regard, je ne dois rien y rater.

Plus ou moins un mètre nous sépare, et je me rends compte que je suis plus grande que lui, alors je baisse un peu les épaules pour me rapprocher un peu. Je bouffe quelques centimètres vers lui. Et — encore une fois — je pointe son ombre avec mon index ; sans quitter son vert. Sombre.

Et au bout d’un moment, elle devient comme notre foutue ombre. On la voit même plus.

Il existe beaucoup trop de Magie que les Autres ne regardent pas ; juste parce qu’elle est trop peu connue. Bien trop avancée. C’est du gâchis tellement ignoble que ça me donne envie de vomir.
J’ai rattrapé presque tout mon retard en Magie, je vais bientôt être en avance sur ma Troisième Année. Je n’ai donc plus de temps à perdre. Il y a beaucoup trop de magies qui me sont cachées, là, juste sous mon ombre. Pourtant, je comprends qu’elles le soient. C’est comme avec mes Harmoniques, j’ai des secrets d’accords et des croisements de clés que je ne divulguerais jamais aux Autres.

je suis Là ᚨ

29 mars 2020, 19:59
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Puis-je te les faire Transcender ?
Ils m'Ensorcellent.


Se salir les mains.
Qu’a-t-elle à lui offrir ?
Se salir les mains.
Peut-elle seulement l’aider ?
Se salir les mains.
Pour être plus fort qu’il ne l’est.
Se salir les mains.
Parce que l’enseignement ne se trouve pas seulement auprès de nos instructeurs, mais dans la vie de tous les jours, dans les rencontres de tous les jours
Alors il se salit les mains.


Plus jeune, il pensait que sa mère aimait très fort son travail. Il pensait qu’elle allait retrouver ses amis à l’hôpital et que c’est pour cela qu’elle y passait tant de temps. Il y a cru jusqu’à ce qu’il l’accompagne là-bas, un jour.
Les couloirs étaient grands, blancs, étranges.
Les patients étaient pâles, faibles, effrayants.
Les médicomages étaient beaux, intelligents et mystérieux.
Et sa mère… Et sa mère était éblouissante, heureuse, vivante. Plus vivante que jamais. Elle rayonnait dans sa robe verte, elle souriait en traversant les couloirs, il s’échappait d’elle une chaleur qui l’a ébloui. Une lumière qu’elle ne laissait pas s’échapper à la maison, ni même avec mari. Alors il a compris. Il a compris que sa mère n’allait pas retrouver ses amis à l’hôpital, non. Elle allait se retrouver elle et cet amour pour le savoir et la connaissance. Pour lequel elle serait prête à n’importe quoi. Aodren a toujours détesté cela, et le voilà désormais à vendre son âme au diable.

Elle sourit.
Un jour, il lui fera la peau.
*Je mens.*
Il lui arrachera cette foutue grimace et la lui fera bouffer.
*Je mens.*
Et il la regardera se manger le sol.
*Je mens.*
Il lui fera regretter toute sa foutue grandiloquence et sa façon de se tenir dans le monde comme s’il lui appartenait.
*Je mens.*
Il ment. Merlin, il n’a jamais autant menti, mais aujourd’hui ses pensées s’en donnent à coeur joie. Dans son coeur brûle une colère qu’il peine à comprendre, elle le transforme, elle le ravage, elle le bouffe de l’intérieur. Il n’a jamais détesté une personne aussi fort, jamais. Et pourtant, la voilà en face d’elle. Il pensait qu’un objet de haine ne pouvait qu’être horrible à regarder, mais cette putain de fille est jolie. Il se déteste de l’avouer, Merlin ! Il se déteste de la regarder. Et il se déteste encore plus fort d’accepter son foutu marché et de se pourrir pour espérer en savoir un peu plus, un tout petit peu plus — dans l’espoir d’être plus fort, plus grand, plus apte à protéger ceux qu’il aime.
Il se déteste.
Et il la déteste. 
Il se déteste de la détester.

Il contrôle son visage avec grande peine. Peut-être son dégoût se voit-il sur ses lèvres ; il s’empresse de remonter son col d’un coup d’épaule pour cacher le bas de son visage. Se regarde droit devant lui, vers Rengan et ne se détourne pas. Même s’il veut pleurer sa honte, même s’il veut cracher son dégoût.
Sois grand.
Sois fort.
Sois un homme.

« L’ombre. »

Il fronce les sourcils.

« Ce truc, dégueule-t-elle en pointant l’ombre d’Aodren qui s’étire devant lui — il baisse les yeux — ‘nous suit partout, mais on l’oublie.

Il ne comprend pas, mais ne dit rien. Il laisse Rengan dérouler son spectacle. On commence par l’introduction, on s’amuse avec les effets et les rebondissements, puis vient l’explication. C’est toujours comme cela dans les histoires, pourquoi cela devrait-il autrement dans son histoire à elle ?

« Y'a tellement d’magie étalée juste sous nos yeux qu'on l'oublie. »

Cachée derrière son col, sa bouche s’entrouvre. Il croit comprendre, il croit saisir. Il en oublie légèrement sa posture de défense, celle qui appartient à sa mère et qui l’oblige à tendre le menton. Il l’oublie et écoute, dans l’attente. Il en a assez qu'elle réponde toujours à côté de la pla—
Elle bouge. Elle pousse sur ses genoux et se lève.
Cette fois-ci, la bouche d’Aodren quitte sa cachette. Il courbe légèrement la nuque pour la regarder, bouche bée. Elle n’est pas bien plus grande que lui, et le mètre qui les sépare tend à lui faire oublier cette différence, mais elle est tout de même grande, plus que lui. La bouche d’Aodren s’ouvre légèrement sous la surprise. La dernière fois qu’il l’a vu, la dernière fois qu’il a approché cette fille, elle était minuscule — et elle l’a défoncé —, maintenant, elle est immense — et elle peut encore plus le défoncer. Il déglutit et s’efforce, en vain, de cacher son trouble. Il s’accroche au regard vert. Quand elle s’approche, il enfonce les ongles dans les paumes de ses mains pour ne pas reculer. Il doit batailler avec son esprit pour se rappeler de ce à quoi il était en train de penser.
L’ombre, oui.
La magie, oui.
Celle qu’on oublie de voir car on l'a sous le nez tous les jours.

« Et au bout d’un moment, elle devient comme notre foutue ombre. On la voit même plus. »

Il attend.
Et il attend ; son regard braqué dans le vert pour ne pas voir le reste.
Il attend en vain, il semble qu’elle ait fini. Elle le laisse avec ses mots-en-spectacle — il lutte contre la colère qui veut le bouffer de l’intérieur. Rappelle-toi ce que tu veux, rappelle-toi ce que tu veux. Il veut en savoir davantage et elle lui propose d’en savoir davantage. Même si elle parle à l’envers, même si elle parle comme la tarée *dis pas ça* qu’elle est. Il prend une inspiration tremblante. Il a envie de se reculer. Pour contrer cette envie, il enfonce ses mains tout au fond des poches de son pantalon. Il s’efforce de mentir, d’avoir l’air nonchalant.
Puisque c’est ce qu’il doit être, un meneur.

« Ça, c’est ce que moi je peux don… Échanger. La magie que tu vois pas, je connais certaines de ses formes. Peut-être même t'apprendre. » Comme tous les sixième année ; putain, pourquoi lui ? « Ça, c'est ce que tu veux savoir. »

Il a envie de vomir. Il a mal à la tête. Il aimerait revenir au matin, dire à Lawner d’aller se faire voir avec sa lettre, et ne jamais la lire. Il voudrait ne jamais être venu ici. Il aurait dû rester endormi, ainsi il n’aurait jamais su que sa mère était peut-être *morte*, ni que Rengan existait encore. 

« Mais t’as quoi à m’apprendre, toi ? »

Donne-lui une seule raison d'accepter de perdre son temps avec toi, Rengan. 
Aodren aime aider les autres, il aime apprendre, faire découvrir, soutenir les gens qui viennent le trouver. Mais elle, aussi jolie soit-elle, il n'a pas envie de lui apprendre quoi que ce soit seulement pour le plaisir, pour la politesse, pour la gentillesse. Non, il n'a pas envie. Il ne l'aime pas. Il ne la supporte même pas.

Il souffle. Sa voix lui paraît lamentable. Il se sent lamentable, *méprisable*.
Il en sait peut-être plus qu’elle, elle a peut-être l’impression qu’il connaît toutes les magies qui lui sont encore cachées, qu’il sait, qu’il comprend, qu’il connaît. Mais lui, il sait qu’il ne sait pas grand chose de plus que les autres. Il n’est pas bien différent d’eux *plus méprisable*, pas plus intelligent. Alors certes, il pourrait apprendre des choses à Rengan, mais il doute qu’elle ait quoi que ce soit de bien intéressant à échanger — elle n’est qu’en quatrième année, bordel, et elle n’était même pas là l’an dernier. Elle n’a rien. Elle n’a rien pour lui.
A part la pourriture qu’elle installe dans son coeur.

26 avr. 2020, 21:11
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Frappé, petit Hibou


*’va être dur*. Première pensée pointée, enflée sur ma conscience scindée. Ce regard-là qui me fait face, aussi lourd que le Lac écrasant la Terre, est toujours aussi serré.
Sa densité se plaque face à moi comme une main tendue, bloquante. Sa pupille est recroquevillée, et je me demande vraiment si c’est une bonne idée. *Toi*. Il a accepté, mais il est bloqué par quelque chose ; lui-même ? Son regard cherche à tout cacher, il n’est pas opaque ; juste fermé. Je le vois en train de courir partout pour ramasser ses idées et me les interdire. *Aodren*. Je ne peux pas lui en vouloir, il fait comme moi, je ne lui divulgue rien.

Sa gueule est proche. Comprimée. Est-ce qu’il est énervé ou stressé ? *Les deux*. Tout aussi scindé que moi. Un foutu mélange que je n’aime pas, le voir courir partout comme ça, sur place, me fait penser à une mouche bloquée dans une boîte, qui se cogne contre les parois sans comprendre que ça ne sert à rien. Il commence à manquer d’air, mais je ne sais pas pourquoi. Il est foutrement fermé, mais je ne sais pas pourquoi.
Ouais, il me regarde mal, et je ne sais foutrement pas pourquoi.

Tous les traits de son visage se muent au ralenti, il se retient de… Il essaye de se contrôler très fort. *Qu’est’c’tu penses ?*. Il se protège de moi.
Je n’aime pas sa manière de me fixer, là. Il y a des troupeaux qui courent dans son crâne. Ça éclate dans tous les sens et c’est à cause de moi. Même si je n’ai pas le droit de savoir pourquoi.

J’entends ma bave passer dans ma gorge en y foutant le bordel, et je sens la caresse d’une inspiration contre ma langue ; mes dents m’insultent, l’air est froid. L’instant s’allonge, et les prunelles vertes sont perdues. Elles cherchent à faire quelque chose d’interdit, je le vois. C’est la seule chose que j’arrive à comprendre dans tout ce bordel. *’m’fait chier*. Alors je les laisse dans leur silence, en pleine réflexion sur ma métaphore de l’ombre.
Est-ce qu’il l’a comprise, au moins ?
Je sens le coin de mes lèvres se tordre un peu, léger rictus de moquerie. *’l’a rien compris c’t’abruti*. Les troupeaux sont comme des centaines de coups qui le perdent de plus en plus, et qui lui décollent la mâchoire en le laissant baver sur l’herbe.
Je sens mon rictus s’étirer encore un peu et même si je sais que ce que je pense est faux, je me plais à l’imaginer en train de galérer.

D’un coup, je quitte le regard-en-bordel pour mieux observer sa peau. Un terrain de blancheur s’étale face à moi. C’est beau. Tellement blanc. Mais sa blancheur se marque vite ; il y a des traces d’un peu tout sur sa gueule : lignes de fatigue, coups de saleté, plis de sommeil.
Ça rendait le tout un peu… « Ça ». J’abandonne directement ma pensée. Ses mots arrivent enfin. « C’est ce que moi je peux don… ». *Donner* complète mon esprit en pointant mon regard dans le sien. « Échanger ». Non. Je préfère le mot « donner ».

La magie que tu vois pas, je connais certaines de ses formes.

Si. *J’la vois*. Et je sens mes sourcils se froncer.
Bien sûr que je la vois. C’est juste que je ne peux pas la toucher, ni l’étudier, ni la ressentir. *C’est ça qui m’…*. « Peut-être même t'apprendre ». *Me…*. C’est ce que je veux, même si tes prunelles sont gorgées de… D’un truc que tu ne veux pas me dire vraiment. *C'est…*.
Sans réfléchir plus longtemps — ce n’est qu’un sixième année comme les Autres, comme tous les Autres — je détourne mon regard pour le laisser dans ses pensées, pour ne pas le brusquer.
Je lui laisse de l’espace, puisqu’il a déjà accepté. J’ai déjà réussi.

Ça, c'est ce que tu veux savoir.

Je fais un pas en arrière. Tout petit.

Mais t’as quoi à m’apprendre, toi ?

*Quoi ?*. Il se fout de ma gueule. *N’importe-quoi !. Je ne peux pas croire qu’il doute encore. J’ai vu dans ses yeux qu’il a totalement accepté, alors… *Tu mens*.
La surface du Lac est brillante, éclairée, avec son joli reflet. Joli, mais menteur. Cette surface est une grosse menteuse. À quoi est-ce qu’elle ressemble, elle ? Pourquoi c’est moi qui choisi de la voir comme étant un reflet du ciel, maintenant, ou si je m’approche, un reflet de ma gueule ? C’est faux, cette surface me montre que ce que j’ai envie de voir ; elle me dit une chose pendant qu’elle en pense une autre. Comme Aodren. Une réponse à sa question n’est pas ce qu’il attend ; sinon il n’aurait pas déjà accepté.

Tss… siffle ma langue, collée contre mon palais.

Je recule encore d’un pas tout en me retournant pour vérifier que sa stèle est bien derrière moi.
La vraie question d’Aodren, de ce sixième année que je ne connais pas, c’est : « Pourquoi je devrais te montrer ce que tu ne me montres pas ? ». Et il a raison.

Depuis que j’ai parlé à Nejma, j’ai compris que je vais devoir utiliser mes connaissances d’avant-Magie pour convaincre les Autres. Je sais que ces choses-là sont les seuls trucs que j’ai en plus par rapport à ceux qui sont nés dans la Magie ; ils sont précieux, ces trucs.
Ça fait des heures que j’ai quitté Nejma, et ça fait des heures que j’ai accepté l’idée que je dois sacrifier un peu de moi pour les Autres ; pour aller un peu plus vite. Et… *Bordel* maintenant que je dois vraiment le faire, j’ai l’impression que ma poitrine est en train de s’arracher. Disparue, je suis découverte. *C’est juste… Rien du tout. Un tout p’tit peu*. Je n’ai plus envie de donner la moindre miette de ce que je suis.

La stèle est Morte, mais elle me remplit la vision. Elle me fixe de son regard vide, lissé. Alors je recule d’un dernier petit pas pour m’asseoir sur elle. Son contact n’est ni chaud, ni froid. Moi, je suis vivante, alors je lui donne un peu de ma vie. Petite stèle Vivante.
Je me tais, même si je sais que les secondes passent et que mes pensées sont saccadées. Ma poitrine est bien là, même si je la sens à vif.

Je n’ai pas envie de parler. Ma conscience est silencieuse elle aussi.
Seule la surface du Lac accueille mon regard qui flâne. L’air déroule son tapis à mon long soupir. *’fait chier !*. Aodren est intelligent, c’est ce qui est le plus chiant. *’dieu…*. Je me rends compte que le grésillement n’arrive plus à caresser ma peau ; il ne peut rien faire pour moi pour l’instant.
L’électrique est en moi, maintenant.
*’chier*. Chaque seconde qui passe m’éloigne de mon envie d’ouvrir ma gueule. J’aimerais rester silencieuse, ne rien dire. Même pas lui demander d’aller se faire foutre. Juste me taire pour ne pas dire de conneries. C’est… *Impossible*. J’ai déjà réfléchi à tout ça, ce n’est pas maintenant que je vais reculer.
Je sais ce que je fais, alors je vais y aller jusqu’au bout. *Bordel*.
Mes doigts se joignent entre eux, s’enlaçant en accord avec cette sensation bizarre qui m’irrite le corps.

Vite. Je veux en finir. Alors mes lèvres s’écartent, contractées, et soufflent juste : « Les mathématiques ». Un peu de moi, mais c’est déjà trop. J’expire lentement. Ça me donne envie de tout casser.
Bordel, le Lac n’a jamais été aussi moche.

je suis Là ᚨ

02 mai 2020, 11:19
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
À l'Un-capable


La haine n’est pas un mets qu’il apprécie. Il préfère ignorer, passer outre. Il se contente du silence face aux cris, plus souvent la moquerie, le rire plutôt que la colère. Aelle le fait crier. Elle, elle y arrive ; Aelle est spéciale. Mais ces derniers temps, la colère se réveille dans son corps. Face à ce scroutt de Dimitri Jones, par exemple, sur la face duquel il a pris plaisir à éclater son poing un jour ; face à ces haineux des Moldus et Nés-Moldus ; face au monde qui fait n’importe quoi. Alors il ne devrait pas être étonné de sentir son coeur se durcir à l’intérieur de son corps, il ne devrait pas être surpris de sentir ses veines brûler sous l’afflux de la rage.
Il ne devrait pas. Pourtant, il l’est tout de même.
Rengan est ce qu’elle est. Elle est tellement de choses et rien à la fois. Il ne comprend pas bien pourquoi c’est elle, pour Elle qui le rend ainsi. Plus qu’avec Aelle, plus qu’avec Jones, elle le malmène, elle le transforme en quelque chose qu’il n’aime pas. Et il lutte, il lutte aussi fort que possible pour repousser sa honte, Monstre terrible qui veut le bouffer tout entier. Il lutte pour repousser son dégoût. Il lutte parce que la guerre appelle des soldats, pas des putains de lâches.

Ses poings se décrispent légèrement dans le secret de ses poches. Ses épaules s’abaissent. Son regard danse pour se bloquer dans celui de la fille ; même si elle ne regarde pas. Il doit s’oublier lui-même. *« Sois sincère »*. Il doit s’oublier pour savoir, pour avancer. *« Sois sincère »*. Il doit prendre tout ce qui vient à lui, même si cela se présente sous la forme de cette fille dont le moindre angle le fait frémir. C’est ce qu’il doit faire, voilà tout. Les mots de Zakary importent peu ; il sera sincère tout le reste du temps. Mais face à elle il ne le peut. Voilà tout.
Ainsi, essaie de se rassurer un menteur.
*Minable*.

Concentre-toi.
Elle se recule. Son coeur sursaute ; va-t-elle s’en aller ? Mais non, elle se contente de se reculer pour… *Elle va pas… ?*. Si. Elle s’assoie sur la stèle et Aodren ne peut s’empêcher de grimacer. Il détourne légèrement la tête pour se reprendre, même si l’irrespect de Rengan est une insulte pour lui. *Pardon pour elle, M’sieur Stoyanov* murmure-t-il dans sa tête, effrayé à l’idée que cette fille soit capable de cracher sur les morts. Le dégoût prend davantage de place dans son corps ; toute la place. Cette fois-ci, pas dirigé vers lui, mais vers elle. *’L’a aucun respect, l’est comme ça avec tout le monde*. Et une certitude qu’il n’a plus eu depuis plus d’un an : *j’la laiss’rais plus s’approcher d’Aelle*. Cette fille, en plus d’être dangereuse, est le genre de personne qui se fout de tout et de tout le monde ; elle ne vit que pour elle. Il déteste les personnes comme elle.
*Menteur, sois un menteur*.
Une inspiration profonde et il ramène son regard sur Rengan. Il regard légèrement froncé, mais qu’il essaie de calmer. Tout comme les battements de son coeur qui se sont réveillés, assourdissant de bruit.

Les secondes passent. Sa patience s’étiole. Il ne bouge pourtant plus, se refusant à laisser sortir tous ses ressentiments. Dans le fabuleux spectacle de Charlie Rengan, son comportement n’est peut-être qu’un jeu d’acteur. S’asseoir sur une foutue tombe, agir comme s’il n’y avait qu’elle au monde, sa grandiloquence, son ton hautain. Tout cela n’est qu’un jeu. Pourquoi ? Peut-être pour le déstabiliser. Il n’est pas loin de répondre à sa provocation. Après tout, s’il a réellement envie de savoir plus de choses il pourrait aller voir ailleurs. Aodren est gentil, Aodren est aimé. Il pourrait aller voir des Septièmes et leur demander leur aide ; ils accepteraient. mais quelque chose le retient. *Fierté* songe-t-il avec honte ; peut-être un peu de cela, les Bristyle ont tous un problème de fierté *sauf Narym, l’est parfait lui… Et p’pa. Pourquoi j’suis pas comme eux ?*. Non, c’est une impression plus dérangeante, plus terrible. Il est persuadé que Rengan détient un savoir particulier, une chose qui la rend si spéciale, si étrange ; et cette chose, elle pourrait le lui apprendre. Une fille comme elle connaît des choses. Il se déteste de le comprendre. Alors il doit rester, parce que ce qu’elle lui apprendra dépassera tout ce que les élèves plus âgés pourrait lui appr—

« Les mathématiques. »

Sa bouche s’ouvre, sa mâchoire s’éclate sur la lande de sa surprise. Aodren ouvre grands ses yeux fatigués, ses sourcils grimpent sur son front. Sa surprise s’étend sur toute sa tronche et déforme ses traits harmonieux. *C’pas possible*. Il a mal entendu. Il a mal entendu, n’est-ce pas ? Les mathématiques ? Le prendrait-elle pour un débile ? Il ne peut s’en empêcher. Il a beau vouloir devenir un menteur, il a beau être ce qu’il n’est pas son naturel revient quoi qu’il fasse. Un reflet de ce qu’il était Avant et qui parfois arrive à dépasser toutes ses couches de mal-être pour transparaître dans le monde : un sourire étire ses lèvres et un ricanement moqueur s’étale dans sa gorge. Il secoue la tête à droite et à gauche.

« Les maths, Rengan ? » Il n’arrive pas à y croire. « Tu m’prends pour quoi ? J’ai d’jà appris à compter, merci. »

Il a conscience qu’il existe des formules plus avancées que ce qu’il connaît dans le monde Moldu, des formules étranges et barbares. Il ne les a pas apprises, il ne connaît que l’essentiel appris au coeur de son enfance. Il ne veut pas les apprendre : les chiffres ne peuvent rien contre la magie, ils ne peuvent rien contre ce qui a manqué de flinguer Lupus, ce Soir-là. Ils ne peuvent rien contre ça. Affaibli de tous ces souvenirs, les traits d’Aodren se figent et perdent leur air moqueur. Sa face se ratatine. Et au coeur de son esprit, il s’insulte : *t’es trop con, mon gars*. Complètement con. Il s’en rend compte tout à coup, c’est comme se prendre une grande claque dans la gueule : ça fait mal. Il soupire, résigné. Ferme brièvement les yeux. Les rouvre sur Rengan.

« Pourquoi les mathématiques ? souffle-t-il. Pourquoi tu crois que ça m’aiderait ? »

Les mots ne lui arrachent même pas la bouche.
Il s’est rendu compte que dans sa connerie, il avait fait preuve d’autant d’irrespect que Rengan quand elle s’est assise sur cette tombe. Les maths lui paraissent inutiles. Ou alors peut-être est-il seulement incapable de voir leur utilité, peut-être est-il seulement incapable de comprendre. Et il ne peut se résoudre de ne pas comprendre, il ne peut pas. Alors s’il doit réapprendre à compter, il réapprendra.

03 mai 2020, 06:51
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Oh... Sublime.


Est-ce que les reflets du Lac ont déjà été aussi ternes ? Je n’ai jamais vu cette surface aussi vide de tout ; elle ne renvoie plus rien. Si j’y jette une pierre, je suis sûre que le retour sera un bruit tout mou, tellement fainéant. *Tss…*. Plein de rien.
Un rire.
*Que…*. Un foutu rire. *Tu t’fo…*. « Les maths, Rengan ? ». Je coupe mes pensées. J’assassine mon esprit pour qu’il ne vrille pas.

Ce rire. Cette intonation. C’est…
Tu cherches à te faire cogner, Aodren ? *C’est ça ?*. Tu m’attrapes par le col de mes mots pour que j’enfonce mon genou dans ta sale petite gueule ?

Les nuances du Lac tournoient avec de nouvelles teintes. Des stries formées en cercles. Des bulles fumantes apparaissent comme des tumeurs dégueulasses, bombées, sans reflets ; aussi denses que la boue, aussi opaque que ma peau. « Tu m’prends pour quoi ? ». Et je pose doucement ma main sur cette surface, pour qu’elle n’explose pas. Pourtant, mon corps ne bouge pas.
Et je sais déjà que la possibilité d’une explosion de ma surface est nulle. *Nul, Aodren*. Ce gars est nul. « J’ai d’jà appris à compter, merci ». Ses mots de merde, pendant que les tumeurs brunâtres continuent à grandir sur la surface bleutée aux nuances d’argent. Aucun reflet, pourtant. Rien ; il y a juste tous ces dômes qui grossissent à vue d’œil en m’hypnotisant. Tout le monde se tait dans mon crâne. Je suis concentrée sur ma main, que j’applique en caresses.

Je n’ai plus envie de parler.

C’est même pire que ça ; je n’ai plus envie d’apprendre de lui. Aodren est intelligent, ouais, mais juste intelligent ne suffit pas. Il n’a rien d’autre à part ça. Il n’est pas subtil, et encore moins vaste. Et même dans l’intelligence, beaucoup le dépassent. Sur ma droite, loin de mon regard, ce gars n’est qu’un couloir moche, nul. Il ne voit rien ; alors, je ne veux plus le voir.
Son rire guttural résonne encore dans mes tympans.
Il ressemble à ces Londoniens de Westminster, ceux qui pensent tout savoir. Bon Dieu, c’est pire que ça. Il me fait penser à mon foutu professeur d’Harmonique ; le Sourd-de-Nul. Entre les lattes de mes souvenirs, je le vois.
Il est là, sur ma gauche, débout à côté de mon Steinway aux touches boisées. Mes mains sont petites, toutes petites. Je viens de finir l’interprétation de ma Troisième Harmonique, alors je me tourne vers mon professeur ; et je le regarde sans vraiment le voir, mon niveau est supérieur au sien depuis plusieurs mois. Il se tient là avec sa gueule en biais, condescendante, suffisante. Les courbes de ses lèvres effacées, comme un foutu serpent. C’est à vomir. Puis ses mots qui volètent : « C’est un travail intéressant, quoique... Encore trop brouillon ». Trop brouillon… Ah ouais ? Trop brouillon ? « Je ne lui retire pas son harmonie, toutefois ». Trop brouillon ? Vraiment ?
Je me lève, les poings serrés à m’en déboiter les poignets ; l’amphithéâtre est totalement vide. Ma voix résonne.
Trop brouillon ?! TROP BROUILLON ?!
Ses lèvres de serpent s’ouvrent, mais je n’entends plus ses babillages pleins de bave. Un incendie s’est allumé dans ma poitrine. Je frappe violemment sur le Steinway. Il craque, je l’entends.
TROP BOUILLON ?!
Je frappe si fort sur le piano que des touches du clavier s’enfoncent à tout jamais. Quelques notes discordances chantent. Le Nul s’avance vers moi. Et ma gorge explose.
TOUT MON CORPS EST UN FOUTU GROS BROUILLON D’BORDEL ! ALORS N’INSULTE PAS L’HARMONIE D’MON CORPS ! T'AS PAS L'DROIT ! PLUS JAMAIS OU J’TE JURE QUE J'TE TUE !
Fin.
Je me suis fait virer six mois de l’École. J’ai redoublé ma Troisième Harmonique. Mais j’étais contente de lui avoir pété son Steinway en même temps que sa grimace de condescendance.

Plus tard, les partitions de mon brouillon ont été demandées par des compositeurs qui m’avaient entendu en Représentation. J’avais raison, ce Nul avait tort. Comme Aodren.

Les quelques couleurs sombres des grands théâtres s’évanouissent de mes yeux pour retrouver le calme du Lac ; et celui de mon corps. *Aodren…*. Je pensais que j’allais l’intriguer, au moins. Pas que…
Pas…
Son foutu rire.
Pas qu’il allait se moquer. Il n’y avait rien de drôle ; et les tumeurs du Lac continuent de grossir.

Je suis calme. D’un seul coup d’esprit, je frappe mes souvenirs d’Harmoniques pour qu’ils se cassent ; tout comme je peux le faire avec la gueule d’Aodren. En un seul coup de pied, je peux lui fracasser sa mâchoire. Je peux, ouais… Si seulement il m’intéressait encore. C’est juste un Sixième Année qui s’en fout de moi. Je me suis excusée, et il se moque. Il est complètement aveugle. Est-ce qu’il a de la merde dans les yeux pour ne pas voir à quel point ma mâchoire était serrée quand je lui ai donné un peu de moi ? Mais je comprends maintenant. Il a quelque chose contre moi. Un truc que je n’arrive pas à voir. Alors que je ne lui ai pas crié dessus, que je ne l’ai pas menacé.
Mais bordel de Dieu ! Je me suis excusée ! J’ai fait l’effort d’oublier qui il est !
Ma respiration accélère un peu sous le voile de mon indifférence.
C’est son frère ! *Bordel, t’es son foutu frère !*.

Pourquoi les mathématiques ?

*Trop tard*. Ça ne sert à rien d’essayer de te rattraper. J’ai compris ce que tu penses de moi à travers ton *foutu* rire. *Comme le ricanement d’une sale fouine*. « Pourquoi tu crois que ça m’aiderait ? ». Il ne comprendra jamais les mathématiques, que c’est l’harmonie *la jupe* de l’univers. *Oh*. Une pensée s’est fracassée sur le sol de ma conscience. Je la contemple avec toute l’attention qu’elle n’a pas pris pour me rentrer dedans. *’Dieu…*.
C’est vrai que mon père aimait l’appeler comme ça ; la jupe. *Sans sa jupe, l’univers s’rait nu*. Même s’il a tort dans tellement de choses, il a encore raison pour la définition des mathématiques. Bordel, j’avais oublié ce truc. Ça date tellement.
Un éclat.
Je cligne des yeux.

La surface du Lac est là, scintillante. *’brille ?*. Et je remarque le corps d’Aodren à l’orée de mon regard. Je suis plus intéressante pour le Lac que pour ce Sixième Année, au moins la surface aqueuse brille pour moi.
Les tumeurs ont disparu. L’électricité revient me serrer le corps. *Son vrai problème…*. Ce n’est pas la force qui manque à Aodren, c’est un truc bien plus profond que ça. Et je n’ai rien à faire avec ça.
Je n’ai pas besoin de ça.

J’peux pas t’aider, simple vérité, ce n’est pas à moi de lui apprendre comment percevoir ce que les Autres ne voient pas, l'harmonie, tu sais d’jà tellement bien compter.

J’appuie sur le dernier mot en reprenant son intonation-d’abruti. Ce gars est loin d’être le seul dans les années supérieures ; et il est encore plus loin du niveau flippant des plus doués.
Je n’ai aucune envie de lui expliquer pourquoi il ne m’intéresse plus, je n’en ai plus rien à foutre. Le calme m’entoure, et le Lac n’est plus aussi moche.
Blaze est le prochain qui arrive. C’est le choix le plus bizarre de Nejma ; même si je le comprends maintenant que je sais ce qu’il représente.

je suis Là ᚨ

03 mai 2020, 13:16
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Pas autant que Moi.


*T’es trop con*.
Va-t’en, pensée persistante. J’ai compris. Je sais que j’ai été idiot. Je sais que pendant un instant, j’ai été comme avant. Mais c’est fini, désormais. Je suis prêt à apprendre, prêt à comprendre. Aodren ne peut pas se permettre de cracher sur de nouveaux savoirs. Il ne connaît pas bien les nombres après tout. Surtout pas ce que les Moldus en font. Peut-être ont-ils un réel intérêt. Zakary lui, aurait su. Maman *morte* et Aelle *morte* également. Mais lui, il ne sait pas. Il ne voit pas ce qu’ont d'intéressant les maths, il ne voit pas ce qu’ils pourraient lui apporter. Mais il ne doit pas rester aveugle. *T’es trop con*. Il ne doit pas se laisser envahir par ses préjugés. C’est irrespectueux et l’irrespect, il le laisse à Rengan. Lui, il a des valeurs. Lui, il a des princi— Tout à coup, son souffle se coupe dans sa gorge : des principes qu’il a bafoué en présence de Rengan.
Accepter de travailler avec une personne qu’il déteste ? Jamais il n’aurait accepté cela.
Se moquer d’une chose qu’il ne connaît pas ? Jamais il n’aurait fait cela.
Être prêt à sacrifier son bien-être et son bonheur pour une chose aussi futile que le savoir ? Jamais il… C’est la seule chose qu’il est prêt à changer. Pas le reste.

*C’est pas l’moment de douter !* lui hurle sa fichue tête.
Elle est en face de toi, elle essaie de t’apprendre des choses. Elle connaît des choses. Tu dois t’oublier pour apprendre !

*J’veux pas être autre chose que moi-même. J’veux pas m’perdre* lui balance son coeur.
Elle n’est pas mieux que les autres. Ce qu’elle sait, les autres le savent également. Je ne dois pas me sacrifier pour elle. Si je ne l’aime pas, autant ne pas rester près d’elle.

Et les forces se battent dans son corps. Le coeur et la tête se combattent comme de vieux ennemis. Et, figé sur le profil de Rengan qui ne bouge pas, Aodren n’arrive pas à se décider sur ce qu’il veut. Il ne peut pas le faire, c’est tout bonnement impossible. Sa respiration est courte, sa chemise lui colle au dos ; il a des flashs dans la tête — Lupus, maman, Aelle. Il ne sait plus quoi faire. Alors il ne fait rien. Il attend. Il sera temps de prendre une décision plus tard. Oui, plus tard. Quand elle aura répondu, quand elle lui aura donné sa réponse.

« J’peux pas t’aider. »

Il accueille cette phrase avec soulagement, sans réellement la comprendre. Les battements de son coeur s’apaisent. Il ferme brièvement les yeux, rassuré. Cette réponse éclipse ses pensées, son Combat se fait plus lointain. Quand elle parle, il peut l’oublier, c’est plus aisé.

« Tu sais d’jà tellement bien compter. »

*Que....*.
Sa bouche s’ouvre, son regard dégringole. Une pensée toute simple vient se déposer dans sa tête vide : *t’es trop con*. Tout, absolument tout dans le ton de Rengan, ses mots, son comportement confirme ce qu’il craignait : il l’a vexé. C’est ce qui arrive quand on se moque ; on vexe les autres. Il l’a compris depuis longtemps, il sait jouer de cela, et le plus souvent il fait tout simplement attention à ce qui sort de sa grande gueule. Sauf aujourd’hui, parce que Charlie Rengan le fait devenir ce qu’il déteste être. Elle le retourne comme une vieille pièce pour montrer au monde son véritable visage. Eh, regardez ! regardez qui se cache sous cet Aodren : un minable moqueur irrespectueux et lâche.
Il n’a pas envie d’être cet Aodren-là.
Perdu, il cligne des yeux, se tourne en direction du lac.

« Excuse-moi. » Cela non plus ce n’est pas douloureux à dire. C’est la vérité. Il se sent mieux de l’avoir dit. Plus apaisé. Plus lui-même. « J’aurais pas dû me moquer. »

Non, tu n’aurais pas dû espèce de gros con. Et maintenant ? Maintenant, qu’est-ce qu’il peut faire ? Insister pour que Rengan lui apprenne ? S’enfuir tant qu’il est encore temps, ne plus la laisser s’approcher de lui ? Lui avouer qu’il est terrifié à l’idée qu’elle le fasse devenir un homme qu’il n’aime pas ?
Que choisis-tu, garçon ?

La sincérité ; rester fidèle à toi-même même si cela entrave ton développement ?
Le mensonge ; être un autre pour devenir plus fort ?

La lâcheté ?
Le courage ?

Toi ?
Ta famille ?

Stagner ?
Avancer ?

La haine ?
L’amour ?

« Je… Je… » balbutie-t-il, les yeux piquant. Il a mal au coeur. Putain, il n’a jamais eu aussi mal au coeur. Il baisse les yeux vers le sol pour ne pas regarder Rengan ; un pas l’approche néanmoins d’elle. « Je comprends pas encore ce que peuvent être les… maths pour moi. Montre-moi. » *Elle dit quoi maman déjà ?*. « Avec tes yeux. Montre-moi à voir avec tes yeux. »

Il lève enfin la tête pour déposer ses billes vertes sur la fille. On ne demande pas restant détourné. Et même s’il a l’impression de crever, même s’il a envie de se rouler en boule pour chialer, il regarde.

« S’il-te-plait, Rengan. »

Il a choisi. Mensonge, courage, famille, avancer, amour. Il a choisi, même s'il doit se haïr plus tard. Plus jamais il veut voir des yeux semblables à ceux de Lupus, plus jamais il veut voir Aelle allongée dans un lit blanc. Plus jamais.

03 mai 2020, 19:51
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Presque, et pourtant Jamais


« Blaze, c’est une grande gueule ». Les petits doigts de Nejma s’agitent dans mes souvenirs ; ils sont en pleine course. « Comme toi », et je sens cette grimace tordre une deuxième fois mes traits. *N’importe quoi*. Mais je n’ai rien dit à voix haute, je l’ai écoutée jusqu’au bout. Jusqu’à ce qu’elle en ait marre de parler.
Tous ses mots suivaient une logique qui se déroulait naturellement. Elle parlait avec son cœur, comme si sa vie dépendait de ses mots. Je ne sais pas vraiment si elle m’a convaincue avec ses mots ou plutôt avec sa manière de me les tendre ; elle vivait ce qu’elle disait, parfois un peu trop.

La surface du Lac se cambre en plusieurs teintures, reflétant le ciel à sa manière languissante. Déformée. Bien plus belle. J’ai l’impression de voir des planètes en forme de disque se rentrer dedans au ralenti, comme tout ce qui est vaste ; se mélangeant pour créer des planètes encore plus grosses ; tellement plus bordéliques.
D’un coup, quelques rides s’écrasent contre les planètes pour y crever après avoir gigoté un peu. *C’pas normal*. Ces nouveaux mouvements ne sont pas logiques. Ils ne suivent pas les cambrures, ils ne sont pas contre elles non plus. Ils ne s’intègrent nulle part, ils n’ont rien à faire là. Je suis sûre qu’ils viennent d’en-dessous ; des profondeurs du Lac.

Brusquement, je sens l’électricité fondre sur les poils de ma peau. *Elles s’sont arrêtées*. La monotonie se disperse. L’air s’arrange, devient moins chargé. Et les rides ont disparu de la surface.
Silence.
Je l’ai compris avant même que ça arrive. Il faut que j’explique ça à Nejma ; je suis sûre qu’elle n’a jamais remarqué ces rides avant le silence. « Excuse-moi ». Silence éphémère. Brisé trop vite. *Ferme ta gueule*. Je sais qu’il est là, l’abruti, qu’il n’a pas bougé, mais je n’ai plus envie de le voir.
Il se tient aussi droit qu’une poutre, mais il est aussi fragile qu’un cure-dent aux bouts émoussés. *’sert à rien*. Il s’excuse juste après avoir merdé. C’est vraiment la pire idée pour se faire pardonner. *Casse-toi*. Loin de moi, laisse des jours passer, des mois même ; et peut-être qu’après ça, je pourrais écouter tes excuses sales.

J’aurais pas dû me moquer.

*'trop tard j'ai dis !*. Ma bouche reste fermée, totalement bloquée ; à l’inverse de mon esprit qui gueule, mais qui est toujours aussi calme.
Je suis aussi calme que les planètes colorées sur la surface du Lac ; je bouge en silence, j’écrase sans bruit, je dilate sans peine. *’sert vraiment plus à rien*. Apprendre des choses qui viennent de lui est une perte de temps, il me cachera ses meilleurs secrets aussi bien qu’il me cache ce qui le gêne chez moi. *Tss…*. Mais le pire, c’est que je n’ai aucune envie de réfléchir à ce pourquoi ; mais il continue de revenir. *Pourquoi tu m’regardes comme ça, hein ?*.
Sans le regarder, je le vois. Comme cette électricité disparue, je sens ses yeux grincer bizarrement contre mon corps, comme une vieille porte moisie.

Je…

Ma langue se colle contre mon palais. *C’toi qui ’veut pas*. Il a choisi de faire son bourge, alors il n’a qu’à assumer. « Je… ». Il quitte l’orée de mon regard. *Qu’est-c’que…*. Sans me tourner vers lui, je baisse la tête vers mes cuisses ; arrachant mes yeux au beau Lac.
Mes mains sont posées là, elles avaient décidé toutes seules de se mettre ici, je ne me rappelle pas les avoir mises ici. « Je comprends pas encore ce que peuvent être les… ».

Ma langue se décolle de mon palais pour laisser passer un profond soupir, pendant que mes dents se refroidissent à l’air libre. « …maths pour moi. Montre-moi ». *’m’en fous*. Il ne comprend pas que je n’en ai plus à foutre de lui. Aussi bien que je n’ai toujours aucune envie de lui expliquer.
Je n’ai pas non plus envie de juste lui dire de se casser. En fait, j’aimerais qu’il disparaisse. Bouffé par la grande gueule de cette herbe qu’on écrase. Un peu de silence, abruti. *’sais pas la fermer ?*.

Avec tes yeux.

*'mes yeux ?*. Je sens le poids de mes cheveux. Ils tirent sur mon crâne. *Juste…*. Mes pensées se mélangent bizarrement, et je n’ai plus le Lac pour voir l’influence de leurs formes. « Montre-moi à voir avec tes yeux ». Une phrase bizarre. *Intelligent*. Un seul mot tournoie. Et mes cheveux sont toujours aussi lourds. *Intelligent*. Bordel.
Lentement, je lève ma main droite pour attraper ma queue de cheval. « S’il-te-plait, Rengan ». Et j’amène toute cette masse noire par-dessus mon épaule pour la laisser glisser contre ma poitrine, jusqu’à mes cuisses. *Moins lourd*. Je vais les couper ; parfois, ils sont vraiment lourds. Comme Aodren. Exactement comme lui. Lourd, mais intelligent. Cet abruti déterre beaucoup de mes pensées.
S’il-te-plait.
Elles sortent leurs petites gueules en blocs, suivant les mots qu’il utilise. Cet abruti est l’inverse de Nejma ; il parle sans vie, mais ce qu’il dit est intéressant.
S’il-te-plait.
Je n’aime pas ce mot, parce que j’y entends encore le *foutu* rire. *Foutu* menteur. Comme un clown. Je n’oublie pas qu’il a quelque-chose contre moi, qu’il se moque de ce que je suis et qu’il est encore moins subtil qu’une claque dans la gueule. Mais…
S’il-te-plait.
Ça tourne, et ça tourne. Alors je ne sais pas.
Mes cheveux glissent autour de mes mains. Je les regarde en ne pensant à rien ; comme si les mots d’Aodren avaient vidé le silence de son essence. L’air est vide.
Je ne sais pas s’il essaye de me manipuler, ou s’il s’est rendu compte que se moquer de l’inconnu est dangereux. *T’es vraiment abruti…*. Par contre, je sais très bien que je me méfie de lui encore plus que les Autres ; le silence de mon esprit est une preuve.

Doucement, mes doigts commencent à caresser la pointe de mes cheveux. Je sens mon dos qui se courbe. Je suis en train de me concentrer dans le vide, pendant qu’il se tient là, lui. Foutu poteau. *Bien…*. Et si le silence ne veut pas me donner de réponse tout de suite, alors j’attendrais.
Et l’abruti aussi.

J’t’enverrais un hibou.

Alors que je prononce cette phrase, je me demande s’il a vraiment des choses plus précieuses à m’apprendre que ce que ma Magie possède déjà. *’est en sixième année !*. Je ne dois pas penser à ça maintenant ! Ce n’est vraiment pas le moment pour ça !

Et si j’tarde trop, envoie-moi en un, souffle ma voix d’un ton rauque. L’aigu que je déteste n’existe pas dans ces mots-là, il s’est cassé aussi bien que je pourrais le faire avec le cure-dent s’il essaye de me tromper. *Sixième année…*.
Peu m’importe la différence de niveau.

je suis Là ᚨ

04 mai 2020, 13:11
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Jamais ; à l'Infini.


Arrête de penser.
*Je vais pas y arriver, pas y arriver*.
Arrête de penser.
*Et si je faisais une erreur ?*.
Arrête de penser. Arrête de penser ! Ça gueule dans sa tête. Aodren répète inlassablement son mantra. Ne pas penser. Ne pas penser. Et peu à peu, les pensées se taisent. Oh, pour guère de temps. Il sait qu’à la seconde même où il se retrouvera seul, ce soir dans son lit, tout son esprit sera concentré sur ce qu’il vient de se passer. Il n’arrivera pas à s'en détourner, il ne pourra pas penser à autre chose. Tout à coup, perdu comme il l’est dans son coeur assombri, il pense à Zakary. Il pense à son grand frère qui est si rassurant. Son grand frère ; si grand. Si fort. Tout à coup, Aodren donnerait tout ce qu’il a pour se retrouver près de lui. Quand Zakary est dans les parages, le monde paraît moins fou. C’est son pouvoir, à Zakary. Il rend le monde moins lourd.

Aodren cligne des yeux. Zakary n’est pas là. Et lui, il est ici. Face à Charlie Rengan. Et il se sent si petit, si minable, si ridicule. Il ne sait même pas pourquoi. Mais il le ressent et il ne s’est pas senti aussi mal depuis le mois de mai. Il a l’impression que les Visions sont plus proches. Qu’elles vont le bouffer. Les Visions qui font mal, qui l’agressent, le déchirent. Les Yeux de Lupus. La Mort. La Mort est toute proche. Aodren déglutit difficilement et essaie, vainement, de repousser les Visions qui passent devant ses yeux. Il ne voit même plus Rengan qui accorde toute son attention à ses genoux. Il ne voit plus rien du tout ; son coeur tambourine. Pauvre fou effrayé ! Il tambourine et Aodren n’arrive pas à se détacher de la prise des Visions.

Un filet d’air traverse sa gorge. Redresse-toi, serre les poings. Voilà, tout ira bien. Il ira rejoindre Aelle dès que tout cela sera terminé. Il a besoin d’être près d’elle ; il espère qu’elle sera réveillée. Il espère que Zikomo sera là. Zikomo peut le rassurer en un regard. Il a besoin d’aller retrouver Quétrilla et de la serrer fort contre lui, il a besoin de sentir le bras de Jace autour de ses épaules. Il a besoin d’eux tous pour oublier, pour ne pas penser, pour ne pas sentir son coeur dégringoler comme un vieux rocher qui se détache d’une montagne.
Il en a besoin, putain.
Il ne pourra plus résister trop longtemps. Ses doigts tremblent, les muscles de ses épaules crispées hurlent.

Il se rend compte en observant Rengan entre ses paupières éclipsées qu’il est tout simplement effrayé. Il flippe comme un dingue. Sa confiance vacille. Il se sent merdique. Et cette fille en face ne l’aide pas à se sentir mieux. Elle est le réceptacle de toutes ses craintes. Oh, comme il aurait aimé ne l'avoir jamais rev… *Pense pas à ça !*. C’est trop tard pour penser à cela, c’est trop tard. Maintenant, Charlie Rengan habite ton âme. Pendant des jours en t’endormant son regard embrasé côtoiera celui figé de Lupus. Pendant des jours ses perles danseront auprès des boules de suie inanimés d’Aelle. Elle a rejoint ton monde obscur, désormais.

« J’t’enverrais un hibou. »

L’air s’infiltre en sifflant dans sa trachée ; inspiration brutale et douloureuse. Aussi vite qu’elle est arrivée, la douleur s’en va et laisse place à un soulagement si grand que les épaules d’Aodren se décrispent. Son estomac se dénoue, ses Visions s’apaisent. *C’est… C’est…*. Il papillonne des yeux, caressant le visage de Rengan de son regard qu’il sait surpris. *Qu’est-ce…*. Il ne sait pas, mais il apprécie. Tout ne se jouera pas aujourd’hui. Il peut encore songer, s’apaiser, parler à Zakary peut-être. Il peut encore se reposer quelques temps. Il peut encore y penser, réfléchir, apprendre à accepter. En attendant… En attendant il va pouvoir aller les retrouver. Les étreintes, la compagnie, les regards, les sourires. Oui, il va pouvoir y aller.

« Et si j’tarde trop, envoie-moi en un. »

Soulagé. Il dodeline vaguement de la tête. Oui, oui, pense-t-il, je ferais cela. Mais il ne sait pas très bien ce qu’il doit faire. Actuellement, il n’a qu’une envie : s’en aller. Et Rengan est bien trop grandiloquente, bien trop actrice de sa propre vie pour lui laisser un espoir sans raison. Si elle dit qu’elle le recontactera, c’est qu’elle a déjà accepté leur marché. Elle lui apprendra les maths et lui… A vrai dire, il n'a aucune idée de ce qu'il lui apprendra, mais c’est le cadet de ses soucis. Il a l’impression que c’est lui qui est venu lui demander un service et qu’elle a accepté bon gré mal gré. Il a presque oublié que la vérité est le contraire, que c’est Rengan qui doit être rassurée d’avoir eu son accord, que c’est elle qui doit partir, forte d’une nouvelle acquisition.

Aodren englobe du regard la femme *fille*. Sa taille, ses longues jambes, son immense chevelure, sa peau sombre. Cette image ne quittera pas son esprit d’aussi tôt. Celle d’une grande adolescente, le cul posé sur une stèle, dans un paysage d’arbres et d’eau. Non, il n’oubliera pas. Un pas éloigne Aodren de Rengan, puis un second. Son coeur bat dans sa poitrine. Il se retourne et s’éloigne avant de…
*Putain, deviens pas comme elle !*.
Tu peux être détestable, mon gars, mais certainement pas irrespectueux. Il se retourne à demi et dégluti.

« On se recontacte. » Il hésite, ouvre la bouche et la referme. « Bonne après-midi, articule-t-il difficilement. Rengan. »

Il cache la grimace qui déforme ses traits en se retournant vers le château. Une part de lui espère qu’elle ne le recontactera jamais ; une autre part cependant sait pertinemment bien que si elle ne le fait pas, lui le fera.
Aodren ne sait pas très bien ce qu’il est en train de devenir, mais il est persuadé d’une chose : le monde est en train de partir en couille. Sur ces pensées, il disparaît, ses grands pas l’éloignant du nouvel habitant de son monde obscur.

Quand ? demande l'Enfant.