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28 févr. 2020, 18:15
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
[ ORIGINE ]

[ 02 NOVEMBRE 2044 ]
Tombe d'Arseni Stoyanov, Lac Noir

Charlie, 15 ans.
3ème Année Double


Image



Envoyé très tôt le matin — de la Volière. C’est un Hibou quelconque qui a été utilisé. Race Anglaise. Yeux jaune-ambre.
L’enveloppe brune possède un grain dur et dru ; c’est un type que l’on voit rarement, puisqu’il coûte cher. Le recto est vierge, tandis qu’au verso, il est possible de voir : « Aodren », d’une belle écriture bouclée, harmonieuse, mais paraissant forcée, comme si elle était trop harmonieuse pour l’être naturellement.
Dans cette enveloppe, une lettre est pliée en deux, et cette lettre est un parchemin parfaitement propre, d’une qualité supérieure. L’écriture est identique au verso de l’enveloppe. D'une belle harmonie forcée.
Le parchemin ne dégage pas la moindre odeur, même de très près. L’enveloppe également.

Aodren,

Le déplacement d’un serpent se fait en accord avec les bruits de la nature, alors je suis certaine que tu arriveras à me retrouver face « à l'ami, au frère, au protecteur » sans faire le moindre bruit suspect.

14H.

Nature




QUELQUES MINUTES AVANT 14H


Accroupie devant la stèle couleur-craie, je faisais crisser le bout de ma baguette dans le « A » du mot « ami ». *Abandonné*.
Je trifouillais les corridors de cette lettre en biseau intérieur, y cherchant le moindre crachat de vie. *Vidé*.
Rien, la lettre ne postillonnait même pas, elle était aussi lisse qu’une touche de piano, très loin d’être rugueuse ; mais ça n’était pas non plus du marbre. Je n’avais aucune piste concernant la constitution de ce matériau, mais j’étais sûre de ne pas l’aimer. Il était absent de tout, à un point tellement haut qu’il donnait l’impression de ne même pas être là. C’était pour ça qu’ils l’avaient foutu sur un piédestal ; il n’y avait que les choses qu’on ne voyait pas bien qui étaient foutues sur des piédestaux. *Invisible*.
Et cette stèle était invisible même si on la voyait de loin. Personne ne tournait jamais autour, il y avait que les fous pour roder autour de rien.

Depuis ma rentrée, je m’étais demandé pourquoi les Autres ne s’approchaient de cette stèle, et maintenant que j’avais ma baguette enfoncée dans la dure lettre « A », tout s’expliquait : il n’y avait aucune Vie sur cette Mort, et cette sensation était si intense qu’elle en venait à m’en faire douter du mort qui faisait une longue sieste sous mes pieds. *Blackwave*. Les stèles normales étaient toujours décorées de plantes, ou de fleurs, de petites fissures, d’empreintes du passage du temps ; en fait, de n’importe quoi qui pouvait juste offrir un fantôme de Vie. *Rien sur celle’là*.
Je n’avais jamais vu une stèle aussi dense. Le bout de ma baguette glissait contre ce truc blanc tellement dur. Foutrement dense. Sans un seul éclat, sans le moindre petit reflet. Il était lisse-sans-reflets, je me demandais comment c’était possible. Le matériau était mort.
La mort dansait sur la Mort, et la Vie s’était barrée depuis longtemps. C’était pour ça que personne ne s’approchait.
C’était pour ça que ce truc sans odeur, blanc, crevé, était aussi invisible que la Mort. *Y’a un truc qui va pas*.

Pourtant, je la voyais très bien, moi, cette Mort. La stèle scintillait quand je regardais à travers la fenêtre du Dortoir, tout en haut du château. Elle brillait dans mes yeux avec sa couleur mate, sans reflet. Les plantes n’avaient même pas trouvé leur place, il n’y avait pas la moindre trace de microfissures dans la stèle, c’était un matériau un peu trop magique pour qu’elles puissent vivre. *Rien*. Aucune Vie.

Et je trifouillais cette Mort, ma baguette crissait dessus avec une mollesse dégueulasse. Ce « A » ne s’altérait pas, mon passage était inutile. C’était crevé, alors je changeais de lettre.
Le « M » était une lettre plus étalée, totalement différente. « Tss… ». Mais dès que j’y plantais mon arme, je me rendais compte que peu importait les formes, elles dégageaient toutes la même absence d’odeur, de présence. Je trouvais ça dommage qu’elles soient aussi opaque sans attirer la moindre forme de Vie.

Haa…

Le bout de ma baguette écrasait la stèle aussi fort que ce foutu pieu m’écrasait le bassin. *’dieu…*. Dans cette position accroupie, je pouvais déguster ma douleur à petites bouchées, je la sentais qui tournait lentement ; tellement le*eeeeeentement… ‘dieu…*. Comme si un démon était en train de me viser quelque chose dans la moelle.
Alors moi aussi je visais ma foutue baguette dans cette stèle Morte pour essayer de la faire vivre. *Crevée*.

Il m’arrivait de tellement haïr la Douleur de mon dos que je finissais par accepter qu’elle m’envahisse ; comme maintenant. Mon corps qui se retournait contre moi était une habitude qui ne me satisfaisait plus, je n’étais même plus fière de la combattre, cette douleur de merde. Elle ne m’intéressait plus, il y avait des choses bien plus importantes maintenant.
Mais je n’abandonnais pas mon corps, je le combattais avec un naturel qui m’avait manqué. Ça faisait tellement de temps que je n’avais pas senti une telle force dans mon sang.
Depuis quelques mois, ma propre force m’éblouissait. Je n’avais plus peur de rien, comme avant. Mes pensées étaient tellement engraissées de Vie qu’il me suffisait de fermer les yeux pour me sentir emportée par ma volonté. Tout était clair, tout était simple.
Parfois, face à toute cette simplicité, ça me faisait bizarre, mais il me suffisait d’une seule seconde pour me rendre compte que j’avais toujours été comme ça. *Avant Poudlard*. Mon corps douloureux. Mon cœur silencieux. Et mon esprit en Rage.
C’était parfait. Une Rage tellement calme que je pouvais la déguster elle aussi. Elle se glissait contre le ventre de ma Douleur, et elles restaient collées, calmes, ardentes, ensemble.

Ma baguette changeait de lettre, mais elle ne changeait pas de Lettre. Elles étaient ensemble. En toucher une signifiait toucher toutes les autres, puisqu’elles sont toutes crevées. *C’bientôt deux heures*. Et je savais que, même pour mon propre bien, je n’accepterais jamais de mourir comme elles.
Dernière modification par Charlie Rengan le 03 mars 2020, 20:40, modifié 1 fois.

je suis Là ᚨ

02 mars 2020, 10:20
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Foutue Passion !

Image
Aodren Bristyle, 16 ans
Sixième année, Serpentard
Grand frère d’Aelle


2 novembre 2044
Parc, près de la stèle d'Arseni Stoyanov



« Eh, Bristyle ? »

Plongé au fin fond de l’obscurité de son sommeil, Aodren entend la voix. Elle provient de quelque part sur sa gauche, mais elle est lointaine, trop lointaine pour qu’il lui accorde son attention. Sa conscience est embarquée dans une danse avec la noirceur. Elle virevolte à droite et à gauche sans ne jamais s’arrêter, elle fend les ténèbres, traverse les éclairs de lumière, et s’enfonce de plus en plus loin dans la profondeur. La musique les emporte. Le son des cris, des sorts qui frappent, des pierres qui tombent sur le sol. Qu’il est fou ce rythme, il fait s’emballer son coeur et la ronde n’en devient que plus folle.
Quelque part, son corps sursaute.

« Bristyle ! »

La danse cesse un instant ; le silence frappe Aodren, la douleur également, puis la noirceur reprend ses droits et le voilà de nouveau plongé dans l’harmonique de ses rêves. Sa conscience s’enfonce, la terreur revient, voilant ses pensées, dévoilant la folie qui règne dans son coeur. Il se sent frissonner. Est-ce la danse qui lui fait cet effet ? Il tourne si vite dans sa tête, ses rêves se succèdent, les images l’emportent dans leur puissant écoulement.
Pendant un instant, Aodren a conscience qu’il rêve.
Puis un poids s’abat sur son épaule et le secoue rudement.

« Bristyle ! Oh, réveille-toi ! »

Le jeune homme se réveille brutalement. Le souffle court, il se redresse sur son lit et regarde autour de lui, l’air hagard. Pendant un instant, l’obscurité est si étouffante qu’il ne voit rien — il sent seulement cette présence qui le côtoie mais dont il ne peut deviner l’identité. Puis il aperçoit une faible lueur sur la gauche et se concentre dessus. Il ignore la voix qui lui envoie dans la tête des mots qu’il ne comprend pas. Sa tête lui fait si mal, par Merlin, pourquoi l’a-t-on réveillé ? Il cligne des yeux une fois, deux fois, et enfin sa vision se fait plus claire. Grimaçant, il se tourne vers la présence. Il devine une grande silhouette. Il plisse les yeux, se penche en avant et finit par trouver deux yeux couronnés d’une épaisse couche de cheveux clairs. Le garçon grogne intérieurement ; impossible de savoir qui l’appelle, étant donné que trois de ses camarades de dortoir sont blond. Il grogne un simulacre de question, essayant en vain d’éclaircir ses pensées.

« Je disais : t’as reçu une lettre. »

Aodren doit se concentrer pour comprendre les mots du garçon. Son mal de tête enserre son crâne dans un étau, un tambourinement régulier détruisant ses minables petits efforts pour revenir à la réalité. Au-delà de cette douleur, il y a dans sa bouche le goût dégoûtant de ses cauchemars qui ne veut pas s’en aller. Puisant dans son courage, Aodren se débarrasse de sa couverture et pose les pieds par terre. La pièce tangue autour de lui, il ferme les yeux. Quand il soulève ses paupières, la lumière a le mérite d’être un peu plus forte. Devant lui, un garçon charpenté au regard obscur et à la tignasse blonde vénitienne.
*Lawner*, chuchote son esprit. L'identité de son foutu réveil disperse les méandres du sommeil : ce garçon misanthrope n’est pas de ceux que l’on veut agacer ; il ne peut donc pas l'ignorer plus longtemps.

« Un courrier, tu dis ? » marmonne enfin Aodren d’une voix pâteuse.

Effectivement, il aperçoit dans les mains de son camarade une enveloppe brune. Lawner la lui fourre sans ménagement entre les doigts avant de s’en retourner vers son lit. Le silence qui règne dans le dortoir indique à Aodren qu’il est très tôt, mais il devine que Yann est déjà réveillé — depuis mai, le garçon dort très peu, comme lui. Les autres doivent encore dormir, alors il se force à chuchoter :

« Attends. » Aodren se lève. Ses jambes sont tremblantes. Il prend une rapide inspiration pour se donner de la force avant d’avancer en direction de Lawner qui pose sur lui un regard inquisiteur. « C’était qui le... Enfin, le hibou, tu l’as vu ? »

« Non, répond l’autre garçon d’une voix plate. Il fait noir dehors. Mais il n’avait rien de particulier, si c’est ce que tu demandes. » Il fait une pause, jugeant Aodren, avant de reprendre : « C’était pas les hiboux habituels de ta famille. Et il avait les yeux clairs. Jaunes, je pense. »

Curieux malgré lui, Aodren penche la tête sur la lettre et la retourne. Il plisse les yeux en avisant son prénom écrit sur le verso. Il ne connaît personne l’appelant par son prénom susceptible de lui écrire.

« Ok, merci Dizel… » Il grimace et se reprend rapidement, jetant un regard en coin à son camarade qu'il n'a jamais appelé autrement que Lawner depuis leur première année : « Euh, Lawner, j’voulais dire. Pardon, j’suis vanné. »

L’autre ne lui répond pas et Aodren retourne dans son lit. Il soupire en s’installant contre son oreiller. Déjà, ses pensées moroses lui reviennent. Il n’y a que le sommeil pour les tenir éloignées ; malheureusement dormir est devenu assez difficile ces derniers temps. La tête ailleurs, mais vaguement intrigué de savoir ce qu’il va découvrir, le jeune homme ouvre l’enveloppe et en sort un parchemin. Quelques lignes joliment rédigées s’offrent à lui. En se penchant sur celles-ci, il cligne des yeux pour effacer les dernières traces du sommeil de sa vision.
Il lit. Et grimace.
Son mal de tête n’en ressort que plus puissant. Il laisse tomber la tête en arrière, le parchemin glisse sur ses genoux. Il n’y comprend rien. Pas le moindre mot, pas la moindre signification. Les paroles du mystérieux Nature ne sont qu’un ramassis de conneries. Il songe à jeter la lettre et son enveloppe, à s'en débarrasser pour ne pas se rajouter une chose à laquelle penser et avec laquelle se torturer, mais il décide au dernier moment de placer la Chose dans une poche de sa cape. Il y songera plus tard. Pour le moment, il doit se lever. De toute manière, il ne se rendormira pas, même s'il est éreinté. Déjà, son fichu coeur lui rappelle qu'il doit aller retrouver Aelle — elle doit se sentir si seule et si mal dans son lit de *morte* malade.

Quelques heures plus tard



Le souvenir de lettre vient le secouer alors qu’il se traîne péniblement en direction de la Grande Salle. Il a laissé Aelle à l’infirmerie sans regret. Il veut être seul. Il veut échapper au regard étourdissant de sa soeur. Il a l’impression qu’elle peut lire dans ses yeux qu’il lui ment. T’es sûr que ça va ? ne cesse-t-elle de demander. Comme si du jour au lendemain elle avait appris à comprendre les émotions des autres. Le fait est qu’elle n’a rien appris du tout. Elle se contente d’observer et il est évident, en voyant la gueule blafarde et les yeux rouges de son frère, que quelque chose ne va pas. Mais Aodren a gardé le silence, il n’a rien dit. Il est hors de question de l’affliger en lui parlant de ce qu’il s’est passé à Sainte-Mangouste. De toute façon, ils ne savent rien, ils ne savent rien.
Sa respiration s’affole, mais Aodren s’exhorte au calme. Sa mère va bien, elle va bien. Elle ne travaillait peut-être même pas. Elle n’était peut-être pas sur place. Tout va bien.
Mais tout ne va pas bien.
Son coeur est lourd.
Sa tête est déchirée.

Et le souvenir de la lettre qui revient le frapper. Tout à coup, Aodren s’arrête dans le couloir. Il plonge la main dans sa poche et en ressort le parchemin tout froissé qu’il a reçu tôt ce matin, avant même que toute sa putain de vie ne devienne plus compliquée qu’elle ne l’était déjà. Aodren n’a pas envie qu’elle devienne plus insupportable encore, il ne veut pas rajouter un cauchemar dans sa tête ; il en a déjà suffisamment. Mais il est incapable d'ignorer le contenu de la lettre, incapable de ne pas répondre à une personne le sollicitant, même si cette personne s'appelle elle-même Nature.

Il relit rapidement le contenu du courrier. Il ne devine pas plus que ce matin l’identité de l’envoyeur, mais son esprit se penche malgré lui sur la mystérieuse phrase ; A l’ami, au frère, au protecteur. Ces mots tournent et tournent dans sa tête tandis qu’il se remet en route en direction de la Grande Salle. C’est un lieu, c’est évident. Mais lequel ? Il y a tant d’endroits à Poudlard, tant de lieux qui peuvent faire référence à ces mots. Aodren se plonge dans ses pensées, trop heureux de pouvoir s’éloigner, même si ce n’est qu’un instant, du poids qui pèse sur ses épaules et de la douleur que la fatigue fait retentir dans son crâne.


Quelques minutes avant 14 heures



Il n’a rien dit. Il s’est tu, même quand Quétrilla a insisté pour savoir où il allait. Il aurait aimé lui dire que tout allait bien, qu’il profitait seulement d’un étrange courrier pour aller se changer les idées, qu’il profitait seulement de la moindre occasion pour échapper à ses pensées. Mais il n’a rien dit, car il veut être seul. Il a finit par comprendre que les mystérieux mots de Nature faisaient référence à la tombe de Stoyanov. En temps normal, il y aurait songé directement. Comment ne pas comprendre la référence ? Mais la fatigue alourdie ses pensées et sa réflexion n’en est que plus lente.
Comment oublier la tombe du tristement célèbre Arseni Stoyanov ?
Ce n’est pas possible.

Le pas lourd, Aodren se dirige vers cette stèle qu’il a maintes fois visitée. Les mains enfoncées dans les poches, le regard braqué sur ses pieds, le nez caché derrière une épaisse écharpe aux couleurs de sa Maison, le jeune homme ne fait pas attention à ce qui l’entoure. Il se fout un peu de ce qu’il se passe près de lui. Il ne veut pas voir la tête des autres élèves. Tous, absolument tous lui rappellent la nuit d’Halloween, l’état de sa soeur, ou encore le sort encore indéterminé de sa mère. Alors il avance, hermétique à tout, essayant en vain de retrouver le contrôle sur ses pensées. Mais comme il ne parvient à rien, il se contente d’avancer, sans trop s’intéresser à ce qu’il va trouver une fois parvenu à destination. Les mystères, il n’aime pas cela. Il n’aime pas réfléchir des heures durant pour les ré 
*Maman adore ça, elle*
soudre. Lui, il préfère laisser faire le temps. De toute façon, il finira par savoir. C’est bien pour cela qu’il prend la peine de venir. Et peut-être aussi pour éviter d’aller voir sa soeur et de lui mentir.

Arrivant à proximité du chêne qui surplombe la stèle de l’ex-ministre, Aodren lève le nez de son écharpe et cherche paresseusement la présence du mystérieux expéditeur de son courrier matinal. Son coeur ne sursaute pas lorsqu'il aperçoit une ombre courbée devant la tombe. Pendant un instant, en voyant cette position, il craint d'avoir affaire à la gamine qui porte le même nom que celui qui est écrit sur la tombe, la gamine étrange de Gryffondor. Mais en s'avançant, il comprend son erreur ; ce corps est trop grand, trop long, trop sombre. Son regard virevolte de la courbure des genoux qu'il devine à la vague sombre des cheveux attachés sur le crâne de la *fille*
Son coeur sursaute. 
Une fille — il s'était persuadé que c'était un garçon, mais non. Une fille. Grande, de surcroît. Peut-être de son année, ou peut-être en Septième. Peu importe, il est persuadé qu'il ne la connait pas. Il s'approche sans chercher à se cacher et reste au loin, balayant le chêne, la tombe, le lac, les montagnes de son regard trop silencieux. Un grognement, un raclement s'échappe de sa gorge pour prévenir de sa présence. Pas la force de demander, pas la force de paraître. C'est elle qui l'a fait venir, Nature, alors elle n'a qu'à parler. 

03 mars 2020, 20:39
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Merveilleuse Liaison


Face à cette immobilité mortelle, j’entendais la comptine du temps qui s’agitait dans mon corps, accompagnée de toute cette simplicité bizarre qui poussait mes jambes vers l’avant.
Je ne forçais rien, les rythmes que je suivais étaient naturels, c’était comme être une petite feuille dans une brise ; mais en étant la feuille et la brise en même temps. Je poussais et je me regardais pousser. *Mot d’merde*. Non, pousser n’était pas le bon terme, il était un peu trop lourd, plein d’un plomb repoussant. Je préférais le mot torsader ; comme cette foutue

Poutre.

qui faisait hurler ma Douleur, et qui pressait ma baguette tellement fort contre le « I » que je m’attendais à être surprise par un craquement à qu’importe quelle seconde. *Crevée*. Ma baguette me donnait l’impression qu’elle allait se péter. Pourtant, j’étais sûre que ça n’arriverait pas, je le sentais dans le vent qui me torsadait. Mon dos était comprimé. Et mes muscles étaient tellement tendus qu’ils étaient prêts à sauter, eux aussi. Mais j’étais calme, toujours ce même calme, presque doux.
Foutrement calme.
Même quand j’entendis les pas dans mon dos. Dans mon dos, à l’intérieur. Je restais calme alors que ma peau se tordait. À travers ma colonne vertébrale, les semelles bruissaient. *Aodren*. Je n’avais pas encore bien réfléchi à son prénom. *Bizarre*. C’était un foutu beau prénom.

Ma main s’arrêta d’enfoncer ma puissante baguette contre la Mort.
J’entendais les pas qui accéléraient ? *’va vite…*. Ou est-ce que c’était le temps qui chantait plus vite ? Avec une voix aiguë comme s’il essayait de passer à travers une fissure trop fine.

J’avais choisi de poser une heure complète entre Aodren et Blaze, j’avais eu besoin de lui accorder plus de temps par rapport aux Autres, ça m’était venu aussi simplement que ma main avait arrêté de malmener la stèle. *Blanche*. Si je m’asseyais par terre, mon pantalon blanc allait se salir, mais — pour une fois — je n’avais pas envie d’y faire attention.
Les pas continuaient à me tabasser le dos — plein de sable sec, pas encore mouvant ; ce n’était vraiment pas le moment d’y foutre de l’eau, alors je laissais couler le temps. J’entendais une armée de pensées qui était en train de former un mur contre les Pas. Elle grouillait en désordre, s’élevant contre la terre, mais elle était bien trop petite. Armée de petites fourmis coagulées.
Le détenteur des Pas *Ao… dren…* réveillait ces petites bestioles en moi, mais bien trop ridicules.
D’un puissant coup d’esprit, j’éjectais les minuscules soldates. Qui s’éclatèrent contre le courant de ma brise ; les emmenait au loin. Et une gorge brisa le calme de cet instant, relâchant les rennes du temps.

D’un geste aussi simple que naturel, j’enfonçais ma baguette dans la terre, avec lenteur. Je ne voulais montrer aucun signe d’agressivité.
Soudainement, un manuel aux couleurs ignobles éclaboussa dans ma conscience. Il était moche, fripé. Je l’observais avec un calme qui me surprit ; il n’était plus rien, trop vieux, trop poussiéreux pour être important. Je clignais des yeux, et il disparut.

Tss…

Je me raccrochais aux mots de Nejma. Elle m’avait convaincue de contacter ce gars-là. Ce gars-là au nom de famille dégueulasse.
Pourtant, plus les dires de Nejma tournaient dans mon crâne, plus je me rendais compte que j’avais très vite cédé. *Juste là*. Plus la scène se rejouait, plus je me rendais compte qu’elle était ridicule : ce n’était pas du tout la persuasion de Nejma qui m’avait poussée à contacter ce gars-là, ça n’était que moi-même qui avais foutrement envie de le voir.

Un soupir me trahit en se défenestrant à travers ma bouche.
Je restais concentrée.
C’était le moment, le calme chantonnait. J’accordais un dernier coup d’œil vers ma baguette plantée, puis je posais un genou par terre pour doucement pivoter vers *Aodren*. La poutre de mon dos vrillait contre ma colonne vertébrale, je sentais les copeaux de mes os s’envoler dans tous les sens. Une grimace incontrôlable me bouffait la gueule. *’stèle !*. Vite !

Mon dos alla se plaquer — un peu trop fort — contre la Mort, qui m’offrit pour la première fois un peu de Vie : calmant ma Douleur intense pour la transformer en léger grignotage. Ma Douleur plantait simplement ses toutes petites dents habituelles ; les Poutres avaient disparu de sa mâchoire, tout comme la grimace s’évanouit de mon visage.

Assise par terre, adossée contre la stèle que je ne voyais plus, un mot tout simple traversa la barrière de mes lèvres : « Salut ».

Rien de plus, je ne voulais réveiller aucun soupçon, j’espérais simplement que ce gars-là n’avait pas le moindre souvenir de moi.
Et mon regard voyagea jusqu’à ses prunelles.

je suis Là ᚨ

04 mars 2020, 17:52
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
S'essouflant de Narcissisme



Son regard qui se balade est las. Il n’y a rien pour faire briller ces yeux-là, ni intérêt, ni impatience, ni même agacement. C’est le calme plat, l’ennui total, le vide, le néant, le chaos intérieur. Aodren le ressent aussi fort à l’intérieur qu’il le sait être invisible de l’extérieur. Il le ressent dans son coeur vide, dans ses pensées toutes écrasées et dans la langueur qui habite le moindre de ses gestes. Parfois, rarement, son être sursaute. Souvent, cela arrive au moment même où éclot une pensée particulièrement brûlante. *Aelle !* hurle parfois son esprit ; *Maman !* dégueule parfois son coeur ; *Pitoyable* chuchote son âme. A chaque fois, c’est la même chose — un sursaut le défracte de l’intérieur et une nuée de frissons l’enveloppe. Mais la plupart du temps, il n’y a rien. Le vide, le calme, la fatigue. 

De son vide, il observe la fille. Il n’a rien à penser d’elle puisqu’elle n’est rien. Nature n’est rien pour lui, il n’a aucun intérêt à se pencher sur un mystère qu’il se sait incapable de résoudre. Il est si simple d’attendre, de se laisser faire, de laisser l’autre choisir quand, choisir pourquoi. Lui, il a tout son temps.
*Aelle !*
Hein, qu’il a tout son temps ? Sa soeur est loin, désormais. Dans sa chambre toute blanche, elle est loin ; endormie peut-être, avec Gil'Sayan sûrement. La seule chose qui ait de l’importance c’est qu’il n'est pas avec elle et qu'il est seul, loin de la torture de son regard, loin des sollicitations de tous les autres, loin de lui-même. Le cauchemar n’a pas de fin. La nuit, ses rêves le malmènent et le jour c’est la vie qui prend le relais. Elle se joue de lui, lui flanque des coups dans le bide.
*Misérable*.

Elle bouge. La fille bouge. Bien. Il repousse le chuchotement de son âme sans effort. Il avance encore un peu, légèrement. Elle est étrange, cette fille. Lente, languissante. Elle doit souffrir aussi, se dit-il. Personne n’a été épargné par le bal, personne n’en est ressorti indemne. Nous avons tous nos démons, nos peurs et nos cauchemars. Mais ça ne l’intéresse pas de connaître ceux de cette fille — la seule chose qu’il espère, c’est qu’elle ne soit pas là pour un problème émotionnel. Il ne peut plus rien donner à personne. Il ne peut offrir aucun réconfort à cette fille, aucun doux sourire, aucun conseil, aucune épaule pour pleurer, aucune main pour la tirer vers le haut. Il ne peut qu’être matériel, concret, palpable. Lui filer tout ce qu’elle veut, Gallions ou pages de cours, lui sortir toutes les phrases théoriques qu’elle veut (« Pour accélérer, tu dois te pencher sur le manche »), lui arranger le coup avec n’importe quel gars (« Dimitri Jones ? Le meilleur coup d’tout Poudlard, c’est certain ! »). Si elle est là pour autre chose, si elle est différente de tous ceux qui le sollicitent pour parler quidditch, filles ou métamorphose, elle peut aller se brosser. Même s’il ne dira jamais non, parce qu’il est incapable de faire ça. Il espère qu’elle n’est pas au courant de cette incapacité.

Il observe de loin, son esprit un peu ailleurs, son coeur un peu lourd malgré le vide de son regard. Naturellement, les yeux d’Aodren passe du dos de la fille à sa tête. Quand elle se retournera, il ne veut pas rencontrer autre chose que son regard. C’est presque trop rapide. Tout à coup, elle se retourne.
Elle se retourne et se plaque contre la stèle.
Elle écrase Arseni Stoyanov de toute sa taille, comme si elle était elle-même la tombe débordante de la terre.
Elle se retourne et le regarde.
Lui aussi la regarde. Regard contre… Rien du tout, ses yeux l’ignorent, il n’y a que sa face pour se lever vers lui. Pendant un instant, une seconde peut-être, deux secondes plus sûrement, le temps s’écoule sans que rien ne s’exprime dans la tête du jeune homme. Ses pensées sont toujours aussi calmes, son regard est toujours éteint.
L’information arrive sans violence.
Elle se dépose dans sa tête, comme une feuille qui se couche sur la surface d’un lac, déposée par une brise maligne du vent.
*Charlie Rengan*.
Cette pensée s’installe et elle le fait sourire ; une grimace déforme son visage.
*Ce n’est pas possible*, se résonne-t-il. Bien sûr que ce n’est pas possible. Pourquoi ? Parce que Charlie Rengan n’est plus à Poudlard, Charlie Rengan n’est plus dans sa vie ni dans celle de sa soeur, Charlie Rengan appartient au passé — jusqu’ici, il avait même oublié qu’elle existait. Alors il chasse la pensée de son esprit, perd son sourire et s’efforce (en vain) de défroncer ses sourcils.

« Salut »

Une voix inconnue.
Ce n’est pas elle parce que… Et ce n’est pas possible que ce soit elle parce que j’ai entendu que… Je suis sûr qu’elle était à… Ses pensées tournent dans sa tête, expliquant pourquoi c’est impossible que cette fille — t’as vu sa taille ? C’est une perche ! L’autre était minuscule *effrayante* — soit Charlie Rengan de Gryffondor.

Et elle dépose son regard dans le sien.

Son coeur sursaute plus fort que lorsqu’il pense à maman, son âme sombre plus profondément que lorsqu’il se souvient qu’il est pitoyable, son esprit vrille plus vite que lorsqu’il revoit Aelle dans son lit blanc.
Regard émeraude.
Regard d’attaque. Il l’avale tout entier.

*PITOYABLE*
Sa bouche s’ouvre en grand pour avaler une immense gorge d’air. Elle lui défracte les poumons, elle ouvre la porte de ses sensations, et il trébuche vers l’arrière sous la force
*PITOYABLE* 
de ses souvenirs.
Douleur.
Malaise.
Mal-être.
*PITOYABLE*
Il se souvient encore de la douleur de ses couilles quand ce monstre les lui a écrasées du bout de son livre.

Son coeur cogne trop fort dans sa poitrine. Ses pensées voltigent dans tous les sens, il n’arrive à en attraper aucune. Ses yeux sont grands ouverts et pourtant il ne voit rien d’autre que ce regard.
Rengan.
Rengan.
Rengan.
Plus fort qu’un *Ren* battement *gan*, plus fort qu’un coup, plus fort que la mort ; la compréhension.

« Qu’est-c’tu fous là, putain ? »

Il dégueule d’une voix de gamin, d’une voix d’enfant qui se pisse dessus de terreur, un enfant qui tremble dans son corps parce qu’il fait face à une gamine qui représente à elle toute seule toute
Charlie Rengan est une Massue.
Il y a deux ans, elle a broyé sa confiance en lui.
Et face à ce regard, Aodren ne peut être persuadé que d’une seule chose : elle n'a pas changé, même si elle semble aussi grande que lui.

Il n’a même pas remarqué que ses mains se sont refermées en poings et qu’il tremble si fort que sa voix en est chevrotante. 

09 mars 2020, 07:22
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Baignade de Narcisse !


Bien sûr. *Abrutie*. Bien sûr qu’il m’avait reconnue. *’peux être abrutie*.
Avoir pensé une seule seconde qu’il pouvait ne pas me reconnaître était la pire idée que j’avais eue de cette journée ; si le*eeeeeente*. Silence.
Figée, je fixais les prunelles. Dans ces yeux sombres de vert, des lambeaux étaient en train de se décoller la mâchoire, découvrant des creux béants ; tout doucement, même si je savais que c’était un mensonge. Mon temps était lent, face aux lambeaux qui se détachaient en gémissant, mais ce n’était que mon temps. Lent.
Je scrutais ce qui allait apparaître derrière ces lambeaux, langues de crépis, aussi brillantes que du marbre. J’étais braquée dans ces yeux verts, en l’attente du vrai Regard qui s’ouvrait à moi. La colle ne tenait plus, les langues brillantes s’enroulaient sur elles-mêmes comme des stores.
Et le temps se jeta brutalement dans sa bouche. *’erde*.

Une puissante inspiration cogna la gueule du gars ; si fort qu’il tituba. Le temps accéléra, et son regard se découvrit totalement, parfaitement béant.
*’dieu… ‘dois changer d’technique*. Aux limites de ma vision, les genoux d’Aodren me donnaient l’impression de jouer avec leurs densités. Parfois durs. Plus souvent mous. Et la boucle recommençait. Mais je ne pouvais pas bien voir, j’étais trop concentré sur son Regard découvert.
Grand ouvert. Ses yeux. À ce gars-là.
Et j’avais envie de m’insulter à cause de cet espoir de merde que j’avais eu. Je m’étais trompée. *Non, c’pas ça*. Je m’étais menti. Aodren ne pouvait que me reconnaître. Il n’y avait jamais eu aucune autre issue à notre rencontre. Je le voyais dans ses yeux fissurés, gonflés de souvenirs gorgés, prêts à déborder. Et je le voyais aussi bien parce que, moi aussi, je voyais ces trucs. C’était même plus fort que lui.
Le cri de gamine qu’il avait poussé me revenait en tête. *’chier !*. Mais le temps allait beaucoup trop vite, il bousculait sans pitié.
Mon souffle était toujours calme. Un peu saccadé, ouais, mais calme.

Qu’est-c’tu fous là, putain ?

*Vite ! Abrutie ! Vite !*. Le flux de mes idées creusait dans mon crâne, j’y cherchais ce foutu plan que j’avais prévu. J’avais tout prévu avec Nejma ! Et…
Ce cri, bordel, son cri. Qui me tournait dans le crâne. *ABRUTIE !*. Je devais écarter mon regard, arrêter de lui fixer ses yeux pleins d’accusations. Je devais le faire !
J’avalais une goulée d’air plus amère que les autres.
*’arrête de l’regarder !*. Pourtant… je n’avais aucune envie de le faire. C’était comme regarder un truc dégueulasse, mais fascinant. C’était bizarre. Beau.
Le truc qui me fixait à travers ses yeux me plaisait ; c’était un peu de Mort qui y vivait. Belle.
J’avais eu raison. Ce gars-là était… *Vite !*. Le temps poussait dans ma bouche, contre mes dents pour agiter ma langue.

J’voulais juste t'voir pour…

Je ne voulais pas écouter ce que j’avais appris avec mon père. Si je devais appliquer mes leçons, mon regard devait se détourner ! Il le devait pour réussir à tout mieux contrôler. *’souris et r’garde-les*. Je préférais son conseil pour les sourires, enfin un truc qui me donnait envie. Ça ne servait à rien de me détourner. Je n’en avais pas envie.
D’une lenteur pâteuse, je sentis l’étirement de mes commissures vers mes yeux. Avec douceur. Tirées comme les filins d’une marionnette. J’en avais envie. Je sentais que ce moment était important, parce que le temps était en train de tracer à mes côtés.
Ma nuque fourmillait d’une petite douleur, mais je ne bougeais pas ; il y avait que ce sourire que je tirais un peu, sans forcer.

Dans le vert qui me faisait face, je pouvais y entendre mon propre cri que je n’avais pas poussé. Il résonnait très loin. Là-bas, il se faisait étrangler. C’était bizarre. Beau.
L’air était calme, tellement paisible que j’entendais les tremblements d’Aodren. Comme le grondement d’une machine, d’un estomac affamé. J’avais envie de lui donner un morceau de mon calme, vite. Le temps courait, vite.
Alors j’agitais mes lèvres.

C’était pas contre toi qu’j’étais énervée c'jour là.

Mon regard n’avait toujours aucune envie de se décoller du Vert. Et j’étais aussi figée que le temps se tuait à tracer.

je suis Là ᚨ

10 mars 2020, 19:21
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Sourire enciellé



« J’voulais juste t'voir pour… »

Une parole.
Un horrible sourire.
Il ne lui en faut guère plus pour comprendre que Rengan sait. Il n’est pas là par hasard, et elle non plus. Ce n’est pas le Destin qui les met face à face. Non, c’est Charlie Rengan qui l’a appelé lui, Aodren Bristyle, à venir ici. C’est elle qui a écrit la lettre, c’est elle *Nature*. Et il devine qu’elle savait pertinemment bien qui elle faisait venir à elle. Charlie *Rengan !* n’a jamais oublié, pas plus que lui, leur unique entrevue. Cela s'entend à sa voix, se remarque dans ses yeux. Le jeune homme ne peut s'empêcher de se demander avec une étrange colère : *c'est de moi qu'elle se souvient ou d'Aelle ?*. Finalement, même quand il cherche à éviter sa soeur, cette dernière est partout autour de lui. Aujourd’hui, il aurait préféré crever plutôt que de faire face à Rengan, plutôt crever que de se rappeler dans quel désespoir elle et Aelle l’ont forcé à plonger durant sa troisième année. Il est assez grand désormais pour savoir qu’il a été bien trop sensible à l’époque, qu’il aurait dû laisser Aelle se débrouiller avec ses problèmes de gamine. Mais, même après deux ans, il n’arrive pas à se débarrasser de la peur d’enfant qui le suit encore lorsqu’il repense à elle, Rengan. Ce sentiment est exacerbé maintenant qu’elle est face à lui.
*Minable* lui chuchotent ses souvenirs. 
Et effectivement, Rengan le rend minable. 

Il pensait ne plus jamais la revoir. Après s’être pris un coup de sa part, il a abandonné. Tant pis, s’est-il dit, qu’Aelle se débrouille toute seule avec Charlie. Et les choses se sont grandement améliorées après cela. La dernière fois qu’il a vu cette enfant terrible, c’était lors de la Troisième Tâche. Après sa disparition, quelques rumeurs ont couru sur elle. Puis elle ont disparu, évaporées comme la fille, quittant les lèvres des curieux ; il a bêtement cru que c’était fini, qu’elle ne reviendrait plus. D’ailleurs, Aelle ne lui a plus jamais parlé d’elle depuis l’été précédent sa troisième année. Pourquoi l’aurait-elle fait ? Elle a Gil’Sayan, désormais.

Le jeune homme est bloqué dans ses souvenirs, coincé dans sa tête qui lui souffle mille pensées désagréables. Son coeur a oublié le reste, plus de maman, plus de soeur, plus d’attaque, plus de bal ; seulement Rengan et son corps palpitant, Rengan et les questions dans sa tête, Rengan qui ouvre la bouche et qui lui assène des paroles qui le font violemment frissonner. 

« C’était pas contre toi qu’j’étais énervée c'jour là. »

Elle ose.
Ces mots lui donnent la force de se redresser et de retrouver son port droit. Il se fout de cacher sa tronche d’ahuri ou ses poings colériques ou même le tremblement de ses épaules, mais sa peur il refuse qu’elle la voit. Alors il se redresse et affronte le regard brûlant de l’enfant *la femme* — Merlin, non ! Elle a l’âge d’Aelle ! Est-ce normal qu’elle ait autant grandit en si peu de temps ? Les traits de Rengan le rendent fou, il résiste autant qu’il peu à l’envie de détourner le regard mais il finit par céder, juste quelques secondes, pour balayer la surface du lac de son regard tremblant et se décharger, un léger instant, de la pression terrible que lui impose la fille.
Elle ose lui reparler de ce jour-là, elle ose se trouver une excuse… Aodren ne déteste rien de plus que la violence. Il ne la comprend pas, elle ne fait pas partie de son mode d’action. Pour lui, les mots sont toujours suffisant pour se faire comprendre. Mais Charlie Rengan est comme sa soeur, elle se sert de ses poings, elle frappe, elle attaque. Et apparemment, elle se cherche autant d’excuses que le fait Aelle.

Le visage du jeune se creuse, sa bouche se tord vers le bas. Elle le dégoûte. Il se déteste de ressentir ce sentiment. Jamais il n’a éprouvé plus vive colère, plus vive honte envers une autre personne — il déteste cela, non de Merlin ! Alors il parle pour repousser sa culpabilité.

« Peu importe la raison, ça change rien à ce que t’as fait. »

Amère, la voix d’Aodren brise le silence et s’impose entre eux. Elle ne tremble pas, contrairement à ce qu’il craignait. Elle est tout comme il le souhaite : mature et pleine de sévérité. La colère, bien loin de s’apaiser avec ces paroles, se fait plus forte dans son coeur. Elle lui fait crisper les mâchoires et retenir son souffle. Alors, sans réfléchir, il plonge la main dans sa poche et en ressort la lettre toute froissée qu’il a reçu ce matin. Il la brandit devant lui.

« Ça rime à quoi, tout ça ? souffle-t-il, tremblant. Si ça concerne Aelle, j’ai rien à te dire sur elle ! Et elle non plus n’a rien à te dire, elle a pas besoin que tu viennes l'embêter, surtout pas en ce moment ! »

Surtout pas en ce moment, surtout jamais.
Déjà, son coeur cogne contre sa cage thoracique.
Et si Rengan veut emmerder Aelle ?
Et si elle veut lui faire du mal ?
Et si elle l’approche ?
Et si Aelle se laisse faire ?
Et si elle recommence à aller aussi mal qu’en première année ?
Cette fille, Rengan, c’est l’origine de tous les problèmes d’Aelle — ou du moins, de la plupart. Même s’il n’a jamais vraiment compris ce qu’il s’était passé entre elles, Aodren sait pertinemment que Rengan ne fait rien pour que sa soeur aille mieux, au contraire. C’est une maladie qui te bouffe petit à petit, qui te gangrène et qui te laisse aussi vide que mort après son passage.
Jamais, entends bien Merlin, jamais je ne la laisserais l’approcher à nouveau ; je me le jure.

11 mars 2020, 06:06
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Tout en Haut !


J’étais figée dans son Vert, qui traçait. *C’toi qui cours comme ça ?*. Le temps cavalait dans ses yeux, Aodren était celui qui contrôlait cette bestiole pleine d’intervalles. La mesure qu’il avait choisie était très haute, mais j’arrivais à la suivre sans problème. Je sautais de note en note, sans effort, sans suer. Le naturel me tirait ; ou alors c'était moi qui le tirais ?
Je ne savais pas vers quel sens pulsait le temps, et je n’en avais rien à foutre. *’j’vais rien t’faire*. Car le Regard découvert était de plus en plus béant ; ce qui était inquiétant. Il dépassait les limites. Il ne devait pas s’ouvrir plus que ça ! La mesure ne devait pas frapper plus haut ! Elle risquait de se tuer elle-même ! *Arrê… Hein ?*.

Les langues marbrées étaient brusquement réapparues ; dégueulasses de crépi, rouge. *Tu… Enfin !*. J’entendais les manivelles se casser à l’intérieur de mes joues. Les filins qui tenaient mes lèvres se déroulaient à une vitesse folle. Démente. Mon sourire était tombé.
Et le Regard changeait, un peu, de rouge, un peu, différent. Il ne me donnait plus du tout envie de sourire. Enfin. *T’arrives*. C’était ce que j’attendais. C’était le moment.
Mon cri que je n’avais jamais poussé s’écrasa contre…
*J’suis prête*.
ma vitre. Une glace sans reflet que j’avais découverte dans mon crâne. C’était enfin le moment de quitter son Vert, puisqu’il avait quitté le mien. *Enfin*. Il me laissait le regarder entièrement.
Mes yeux roulaient dans leurs orbites.

Il était planté là. Debout, tendu. Droit comme un piano. Les poings serrés comme les deux composantes de sa mesure. Le visage tordu comme les bosses de ma baguette. La cape froissée comme les rides du temps. *C’bizarre*. Plus je le regardais, plus je me rendais compte que je n’avais aucun souvenir de son visage, ni de sa posture. Je découvrais *Aodren* ce gars-là comme si c’était la première fois. Il se tenait comme une poutre — celle qui s’était enfuie de mon dos pour se fourrer dans son cul.
Je contractais mes dorsaux affaiblis, juste pour vérifier que le cyclone dans mon bassin était encore présent. Son unique Œil tourna brusquement son attention vers moi, gorgé de Douleur. *Bien…*. Le petit cyclone était encore là. Ça me rassurait. Ma tête se pencha légèrement pour mieux regarder le gars.

Pour mes yeux, il était un parfait inconnu, alors que dans mon esprit, il avait une place. L’effet était bizarre. Connaître sans reconnaître. *’doit être ça*. C’était dérangeant.
Je ne me rappelais même pas si je l’avais regardé dans les yeux, ce jour-là. Je n’en avais foutrement aucun souvenir. Et l’avoir en face de moi n’arrangeait rien. *’pire*. J’avais même perdu son ancienne image fantomatique. Plus j’essayais de m’en rappeler, et plus elle m’échappait. Est-ce qu’il avait des yeux noirs dans ce souvenir ? Est-ce qu’il était gigantesque ?
Je n’en savais plus rien. Et ce n’était pas grave.

Peu importe la raison, ça change rien à ce que t’as fait.

Mais ça avait l’air de l’être pour lui. Carrément grave.
Il devait se rappeler de tout. *Merde*. De tout, parce qu’il avait raison.
Ce que j’avais fait. Ce manuel de couleur *Violet. ’suis dans la merde*. Il s’en rappelait parfaitement, ce moment avait une importance dans sa bouche, dans son corps tendu. Ses vêtements me donnaient l’impression de vouloir le quitter, ils lévitaient à quelques millimètres de sa peau dégueulante de pression. Ça n’était pas en train de se passer comme je le voulais. Pourtant, il avait raison.
Tout ça ne changeait rien.
Et il me rappelait que je n’étais pas venue pour ça. *Abrutie. Qu’est-c’que t’es abrutie, abrutie !*. J’avais perdu de vue mon plan, je m’étais laissée emporter par la béance de son vert sombre. *Vraiment…*. J’étais sûre que c’était à cause du violet de ce foutu manuel. *Tss…*. C’était lui qui m’avait noyée dans le berceau de mon calme ; comme une gosse. J’étais tellement bien que j’avais dit de la merde. *C’pas contre toi*. Ce n’était pas à lui que je voulais souffler ma phrase. Et à aucun Autre. Elle était pour moi, cette phrase traitresse. Juste pour moi et pour personne d’Autre. *’m’as jamais énervée Aodren*. Ce n’était pas lui qui m’avait rendue folle. *Pas toi… Dans la folie*.

Ça rime à quoi, tout ça ?

Je clignais des yeux.
Le parchemin que je lui avais envoyé était devant moi, en sale état. *Maman n’aimerait pas…*. Une pensée éclair.
Et enfin une envie de parler réellement. C’était le mom…

Si ça concerne Aelle... Arrr… Un doigt glacé s’enfonça dans mon corps. En silence. Où dans mon corps ? Je ne pouvais pas répondre. Je n’y arrivais pas. Il s’enfonça ; tout court. Je sentais son ongle aiguisé, dur, différent de sa peau molle qui recouvrait ses phalanges congelées, bleutées ...j’ai rien à te dire sur elle ! Le doigt resta planté, sans plus, sans moins. En moi. Mais il était déjà pété, ce doigt. Il se diluait dans mon calme. Et elle non plus n’a rien à te dire, elle a pas besoin que tu viennes l'embêter, surtout pas en ce moment !

Je devais ouvrir ma gueule. C’était tout ce que je devais faire. Je ne devais pas penser que c’était son frère. *Aodren*. Ni que ses mots étaient des foutues illusions de merde. Il se trompait, mais je n’avais pas envie de lui crier. *Juste… ferme-ta-gueule*. Juste une petite envie de lui casser les dents ; envie présente, délicieuse, mais ça n’était pas ce que je voulais. Je plongeais mes yeux vers l’herbe.
Verte. Entrecoupée d’une couleur marron-de-roche.
Des centaines de pensées frappaient contre ma vitre-sans-reflet, dans l’arrière-cours de ma conscience. Elles tambourinaient dans mon crâne, mais ça n’était PAS CE QUE JE VOULAIS.

Désolée…

Ma respiration était trop normale, l’air rentrait en glissant calmement. *Désolée d’cette désolation d’merde*. J’étais vraiment abrutie de ne pas lui casser la gueule.
J’en ressentais une envie délirante, elle me vrillait tout le reste, mais ça n’était pas ce que je voulais. J’étais tellement désolée de ne pas m’écouter. Mais j’avais des plans plus intéressants.
Une boule couleur-sang gonflait dans ma poitrine, mais je n’en avais rien à foutre. Elle pensait que je ne la voyais pas, alors qu’elle m’écrasait de l’intérieur. Elle me mettait à l’étroit dans mon propre corps ; mais j’étais habituée. *Ça m’fait rien !*. Je n’écouterais pas mes envies de merde ! Elles devaient me laisser basculer ! BORDEL !

J’veux rien savoir d’elle.

Et un goût de sang se mélangea à ma langue. *’chier !*. Ma lèvre inférieure était écrasée. *Arrête !*. La boule-de-sang se dégonflait, elle m’avait violer les dents en les contrôlant. *’fait chier !*. Ma foutue lèvre saignait !
Je fourrais ce bout de chair dans ma bouche, pour y décaper le plus de sang possible.
Pendant que mes mots s’alignaient dans mon crâne ; et la vitre-sans-reflet en faisait un bruit assourdi. Lointain. Je ne l’entendais pas vraiment, sauf quand il gueulait ; comme maintenant. Pourquoi avait-il fallu que ce gars-là ouvre sa gueule ?
Je ne voulais mettre aucun mot sur son mot. Rien. Juste le faire taire. Silence. Le calme étouffait la boule-de-sang, petite bille. Petit point. Poussière.
Un soupir traversa mes lèvres-de-rouge, emportant la minuscule poussière dans l’herbe, au milieu du vert et du marron-moche. Elle était en train de perdre sa couleur, sa colère. Et la vitre de mon esprit était de plus en plus grosse, assourdie.
J’étais calme.
Il était temps pour mon plan, pour cette chose que j’étais venue chercher.

M’crie pas d’ssus. J’suis là juste parc’que j’ai entendu qu’t’étais dev'nu… je réfléchis une seconde, c’était le dernier alignement de mes mots. Je ne devais pas le rater, c’était cette dernière impulsion qui allait rendre toute ma phrase importante. Je l’attrapais dans mon esprit. Fort.

*Fort*. En résonnance.
Je ne savais pas si c’était le meilleur mot pour porter ma phrase, mais j’aimais ce mot. Il était aussi grand que petit. Il donnait beaucoup. *Alors plus jamais tu m’parles d’elle*. Il coupait court à tout. *Surtout quand j’t’en parles pas, abruti d’merde*. Et ce mot me glissait dans les mains cette attention que j’allais pouvoir utiliser.
Enfin.
Je me demandais si ça aurait pu être pire. *Ouais*. Et même si mon envie de lever mon regard vers Aodren avec disparue, j’étais fière d’aussi bien m’en sortir concernant son monstre d’elle.

je suis Là ᚨ

11 mars 2020, 19:20
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
Et plus loin encore. 


Doucement, le jeune homme retrouve la conscience de son corps. Maintenant que l’idée s’est installée dans son esprit *Rengan !* le reste peut apparaître. Ses poings douloureux, la conscience bien trop accrue de sa pitoyable existence, et ses souvenirs : *maman*.
Merlin, et dire qu’il pensait que rien ne pourrait arriver de pire. Qu’est-ce qui pouvait être plus difficile à supporter que de ne pas savoir si sa mère était encore en vie ? Qu’est-ce qui pouvait être plus douloureux que de contempler sa soeur, si faible, si pâle dans son lit de malade ? Rien, s’était-il dit ; il avait tort, il y a pire.
*Rengan* hurle sa tête.
*Rengan* susurre son coeur.
Et lui, il subit, pauvre garçon pris dans la déferlante. Sa gorge est douloureuse de sa peur. Qu’a-t-il fait ? Pourquoi doit-il subir tout cela ? Il y a forcément quelque chose qui explique que le destin se rebelle contre lui. C’est évident qu’il y a une raison, une Entité supérieure, qu’en sait-il ? Peut-être est-ce cette fille, l’Entité ; avec son regard de braise et sa tronche d’adulte — Merlin, avait-elle cette tronche la dernière fois ? La taille, non, mais la tronche ?

*Elle me regarde plus*. Ses yeux ont rejoint le sol.
Quoi, tu baisses les yeux ? Tu as honte ? De vouloir en savoir plus sur Aelle, de devoir venir le trouver lui pour cela ? C’est quoi ton problème, Rengan, c’est quoi ton putain de souci avec Aelle ? Si seulement il pouvait lui gueuler ces mots, les lui cracher à la figure. Mais c’est impossible, il a trop peur de raviver la flamme, de lui rappeler des souvenirs, il a trop peur de se prendre un coup dans la gueule, de réveiller le dragon qui se cache derrière cette jolie gueule.

« Désolée… »

Les yeux d’Aodren s’ouvrent sous la surprise qui secoue son coeur.
*Hein ?*.
Elle s’excuse.
Il pensait qu’elle allait lui dégueuler ses vérités, ses demandes, pas s’excuser. A propos de quoi ? De sa soeur ? De ce qu’elle lui a fait ? D'avoir écrasé l'entrejambe d'Aodren avec son foutu livre il y a deux ans de cela ? C’est pour ça qu’elle s’excuse ?
Le doute s’infiltre dans le coeur du jeune homme *elle ment peut-être ?* mais il le repousse avec facilité. Peu importe, peu importe les pourquoi, les comment et les et si ; elle s’est excusée, c’est tout ce qui compte. Cela lui fait un bien fou, apaise son coeur et ses souvenirs piquants, dédramatise la situation. Presque naturellement, ses poings se desserrent. Ses mains s’ouvrent, ses doigts agrippent le monde, et sa colère se distille dans ce simple geste. Les excuses, c’est important, elles ont toujours une part de sincérité ; surtout, surtout Merlin, lorsqu’elles proviennent d’une fille comme elle qui est prête à casser la gueule d’un mec plutôt que de lui parler. Il les a attendu tellement longtemps, ces excuses (il s'en rend désormais compte). De simples excuses, un petit pardon de t'avoir fait mal, une simple reconnaissance du mal qu'elle lui a fait ; et voilà, au moment où il s'y attend le moins, elle lui offre ce qu'il ne savait pas attendre. Il pourrait en sourire, si ce n'était pas elle en face de lui. 

« J’veux rien savoir d’elle. » 

Luttant pour se concentrer, Aodren fronce les sourcils, ne quittant pas du regard le visage de Rengan. 
Elle, c’est Aelle. C’est sa soeur, sa famille, l’une des personnes les plus importantes de sa vie.
Elle, c’est celle qui le tuerait si elle savait avec qui il est en train de parler.
Elle, c’est celle qui ne devra jamais prendre connaissance de cette discussion — et si tant est que cela soit possible, ne jamais savoir que Rengan est rentrée au château.
Il accepte les paroles de la fille avec une simplicité qui l’étonne. Le soulagement est si puissant, dévastateur, qu’Aodren en perd son port altier. Ses épaules s’affaissent, un souffle d’air défracte ses lèvres. *Tout va bien*. Ouais, tout va bien ; elle s’en fout d’Aelle *et elle s'est excusée !*. Elle est passé à autre chose ; elle a grandit, elle est peut-être plus proche de l’adulte que de la gamine, finalement. Même si Aodren répugne penser à elle comme autre chose qu’une gamine violente et tarée — il ne peut cependant pas nier qu’elle fait preuve d’une certaine maturité. 
*Ou alors*, chuchote sa conscience, *je veux juste bien croire ce qu'elle dit parce que c’est bien plus simple d'imaginer qu’elle en a plus rien à faire d’Aelle*. Ouais, c’est bien plus simple de croire ça, de détourner les yeux en la voyant mâchouiller sa lèvre, de faire l’autruche, de se cacher. 

« M’crie pas d’ssus. J’suis là juste parc’que j’ai entendu qu’t’étais dev'nu… »

Enfin ! sursaute son coeur. Il se penche vers l’avant, curieux malgré lui. Si elle ne vient pas pour Aelle, pourquoi vient-elle le trouver lui ? N’y a-t-il donc personne d'autre dans ce vieux château ? Des personnes qu’elle n’a pas tabassé ? Il connaît au moins dix élèves, toutes maisons confondues, qui seraient prêt à l’aider sans rechigner. Mais lui… Il n’y a rien à entendre sur lui, il est moyen en cours, plutôt bon sur un balai mais pas autant que les joueurs des équipes de quidditch, il est bon stratège, c’est vrai, mais de là à venir le trouver ? Non, il ne sait pas. Il ne comprend pas.
Mais il n’a pas besoin de comprendre.
Seulement d’écouter.

« Fort.
Fort ? »

L’éclat lui a échappé. Trop tard. *Montre pas ta surprise !*. Il se retient de froncer les sourcils et d’afficher un sourire hilare ; lui, fort ? Merlin, mais il n’a même pas protégé sa soeur le soir d’Halloween et ça fait six mois qu’il chiale dès qu’il pense aux yeux *morts* de Malfoy.

« Qui t’a dit ça ? »

Il ne peut pas le retenir longtemps. Le petit sourire qui étire le coin droit de sa bouche ; c’est sa surprise qui parle. *Et si* elle avait entendu parler de la Cause ? *Impossible*. Qui lui aurait dit ? Les jeunes recrus savent se taire, elles ne font pas partie du mouvement pour gueuler son existence sur tous les toits. Lui-même n’en parle jamais, à moins qu’il ne soit seul avec Quétrilla et jamais sans jeter au préalable un sortilège de bourdonnement autour d’eux.

« Tout ce cirque, c'est juste pour ça ? » Il fait un pas en direction de la fille, puis un autre ; il s’arrête à distance respectable, mais est assez proche pour avoir l’impression d’avoir l’avantage. « Parce que tu cro… Tu sais que je suis fort ? » *Te moque pas ! Elle va t'écrabouiller les cou...*. « Tourne pas autour du pot, Rengan. »

13 mars 2020, 06:06
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
D'âmes de Gamine, Nous Sommes la Chute des Astres.


Fort ?

Un simple mot d’écho, que j’écoutais sans entendre ; qui me passait au travers sans rien secouer. La surprise qui transportait sa voix était normale, prévisible. Alors j’attendais, le laissant retrouver ses idées.
Pendant qu’elle disparaissait en accord avec la chaleur qui m’entourait. Cette foutue cape était devenue foutrement chaude, d’un coup. Traîtresse.
Je m’en rendais compte que maintenant. *C’normal ? ’il caille*. Je ne devais pas y penser. Le mauvais moment était passé. Fini. Mort. Et comme deuil, je passais lentement ma main dessus — foutu cape — pour lui fermer les yeux. *Dors*. Petite. *Aussi fort qu’tu t’es réveillée*.

Qui t’a dit ça ?

J’accrochais mon regard au mouvement harmonieux de l’herbe, ondulée par le vent. C’était répétitif. Régulier. Comme les mots d’Aodren. Tout était normal ; sa surprise, sa question. *Tu t’en fous d’qui*. Et même sa fausse curiosité.
Qui avait déjà perdu son importance dans son crâne. Les brins d’herbe ondoyaient avec une lenteur qui glissait avec le temps. Tout s’était ralenti pour laisser place à la concentration.
*Tu t’en fous totalement*. Sans même regarder Aodren, je savais qu’il avait abandonné sa question du qui pour l’interrogation du pourquoi. *Pourquoi moi, hein ?*. J’alignais mes pensées pendant qu’il essayait de trouver ses mots.

*C’est à cause de toi*. Ce gars-là ne se rendait pas compte qu’il avait attiré l’attention sur lui sans même parler ; ce qui était bien pire que de l’avoir fait en gueulant partout.
Les mots de Nejma roulaient en blocs dans ma conscience. Elles s’enroulaient avec mes pensées griffues. Tout se mélangeait. Et je pouvais piocher n’importe où pour improviser. J’avais un seul objectif, porté par des centaines d’idées. *Perdu, tu t’es perdu, gars*.
Un seul but face à Aodren, ce perdu.

Tout ce cirque, c'est juste pour ça ?

*Ce cirque ?*. Quoi ?!
J’accrochais si fort l’herbe avec mon regard qu’elle s’était figée. Plus de brise. Le vent était coupé. Je l’avais avalé ; il était en train de tomber à travers ma gorge sans jamais atterrir. Un puits-sans-fin, noir. Même la surface du lac n'ondulait plus, là-bas. *Ce… cirque ?!*. Qu’est-ce qu’il me racontait ? Ce gars était plus que perdu !
L’herbe ne bougeait plus.
Est-ce qu’il avait vraiment osé me dire que tout ça n’était pas important ? *Tu…*. « Juste pour ça ? » *Abruti…*. Il se foutait de ma gueule.

Aucune colère, pas de rouge qui gonflait dans ma poitrine. J’étais juste concentrée à décortiquer les mots balancés ; et je me rendais compte que Nejma avait raison. *Il percute pas*.

Parce que tu cro…

À l’orée de mon regard, je remarquais qu’il s’était rapproché. *Abruti*. Je n’arrivais toujours pas à assimiler qu’il m’avait sorti une phrase aussi débile. Je n’arrivais pas à y croire.
Est-ce qu’il était vraiment le frère d’elle ? *Bordel ! Dégage !*. D’un seul revers, elle valdingua. Avec naturel, pour s’écraser contre ma vitre. Plus rien ne tambourinait. Silence.
Je m’écoutais, maintenant.

Tu sais que je suis fort ? Tourne pas autour du pot, Rengan.

Et l’autre qui ouvrait encore sa gueule pleine de merde. Il ne comprenait rien.
Il ne percutait pas du tout. Aussi vide et gonflé de rien qu’un ballon de cirque. Sa respiration fonctionnait, mais elle n’avait pas l’air de monter jusqu’à son cerveau. Ses mots lui donnaient un air complètement abruti ; même si je refusais d’y croire. Il se foutait de ma gueule. *Tourne pas autour du pot…*.
Il se protégeait, c’était tout ce qu’il faisait. Il préférait passer pour le plus grand des abrutis, pour l’apogée des crétins, juste pour se protéger. Et il se cachait bien le crétin.
J’avais eu raison de ne pas le regarder dans les yeux. Face à son air de faux-innocent que j’imaginais très bien, l’envie de lui arracher ses orbites aurait été trop forte.

Un cirque

Je devais le faire percuter. Il ne se rendait pas compte de ce qu’il faisait depuis quelques mois. *Bordel, un cirque…*. Les mots de Nejma étaient justes. Je les observais dans leur urne, à l’intérieur de mon crâne ; ils se mélangeait aux miens, naturellement.

Pourquoi tu mens ?

L’herbe me regardait, fixe dans son corps raide. Les stries qui la composaient ressortaient, saillantes. Veineuses.

Tous les autres ont peur, ils s’regroupent comme si la mort les coursait. Alors pourquoi, je n’avais pas envie d’utiliser son prénom, il était bien trop beau pour lui, toi, tu fais l’inverse en t’mettant tout seul.

C’était le moment.
Ma volonté me portait, mes yeux abandonnaient l’herbe blanchie *’est blanche* pour s’enfoncer dans le regard-du-Crétin.

T’as pas peur ?
Dernière modification par Charlie Rengan le 13 mars 2020, 20:17, modifié 1 fois.

je suis Là ᚨ

13 mars 2020, 15:40
14H ⊱ Le Diapason  LIBRE 
D'âmes de Gamine, Nous Sommes la Chute des Astres. 


Crache le morceau, tu n'es pas là pour rire. Et lui non plus ne l'est pas. Il a autre chose en tête que de parler avec toi, Rengan. L'attrait s'est amoindri pour laisser place à la lassitude.
Elle frappe son crâne, la lassitude.
Parle, Monstre d'enfant, une minute passée près de toi est une minute de trop. Le coeur d'Aodren se vide dans son carcan. *Je ne suis pas fort*, je ne suis pas grand chose, je ne suis même pas un bon frère, juste une bonne personne, juste une gueule qui sourit. Mais fort ? Quelle belle croyance ! Charlie Rengan l'impressionne. Elle le trouve fort. C'est marrant, non ? Que ce soit elle qui le trouve fort alors que lui se sent si *pitoyable*.

« Un cirque »

ou une pièce de théâtre joliment montée par ses soins. Une lettre, une pierre tombale, l'heure et même le jour ; elle a tout contrôlé avec une minutie maladive, comme la tarée qu'elle est. *Dis pas ça !* ; il le pense, même s'il en est honteux. Tarée, là où les autres se seraient contentés de venir le trouver dans un couloir, ou à l'occasion de l'une de ses sorties dans le parc. Mais non, elle, elle doit faire tout un cirque, s'amuser, exagérer. Cette caractéristique chez la fille, il l'a déjà remarqué lors des Épreuves. Cet étalage grandiose, tout ce spectacle pour des résultats moindres. Oh, elle talentueuse, il ne peut le nier, elle a l'envie, la détermination, le courage très certainement. Mais c'est plus fort qu'elle, elle en fait toujours trop.

« Pourquoi tu mens ? »

Le regard d'Aoden, fixé sur la fille comme s'il pouvait voir ce qu'il se passe sous cette masse de cheveux sombre, se plisse dangereusement. Au bout de ses bras, ses doigts s'agitent ; il résiste à l'envie de les rassembler en deux poings destructeurs.
Il n'est plus un gamin.
Et il n'est pas un menteur, surtout pas un menteur. C'est Aelle, l'hypocrite de la famille, qui cache, qui fomente. Pas lui. Sa sincérité est l'une des choses qui le rend fier, il en faut au moins une ; il sait parler, énoncer et il sait le faire avec tact. Alors un menteur ? Certainement pas. Et il n'acceptera certainement pas que cette foutue gosse lui dise le contraire — toute grande soit elle.

« Tous les autres ont peur, ils s’regroupent comme si la mort les coursait. Alors pourquoi toi, tu fais l’inverse en t’mettant tout seul. »

*Qu'est-ce que...*
Il frémit.
Elle le prend pour un abruti, c'est ça ? Un naïf qui ne voit rien. Les orbes bleus apparaissent tout à coup dans son esprit. *Lupus*. La mort traîne dans ce regard-là et s'amuse à grimper en une nuée de frissons glacés le long du dos du garçon. *Vŭlk* invoque inconsciemment Aodren, pense à tes entraînements, pense à ce qui t'a poussé à avancer ces derniers mois. Ne songe pas à Aelle *morte* ni à maman *morte * ; NE PENSE PAS À ELLES !
Une inspiration ; son cœur bat trop vite. Et au bout de ses bras, ses poings ont retrouvé leur force ronde ; cette fois, ils sont enroulés autour de la manche de sa cape et ses doigts entortillent, ses doigts tordent le tissu avec angoisse.

Un regard se lève. Rengan dépose ses yeux dans les siens, professionnelle du spectacle de sa propre vie, et assène au parfait moment :

« T’as pas peur ? »

C'est trop fort.
Les yeux vert du jeune homme s'effritent et tombent vers le sol. Il s'accroche à l'herbe pour ne pas souffrir de la chute mortelle de son cœur.
Peur ?
Lui ?
Merlin, mais c'est le nœud du problème ! Il crève de peur à tout bout de champ, terrorisé de voir ses proches souffrir, terrorisé du monde extérieur, terrorisé de ne pas être assez fort, assez bon pour aider ceux qu'ils aiment. Terrifié d'être aussi peureux qu'un gamin, d'être dépassé par la situation, de se faire submerger par tout ça et d'être figé, Merlin, comme ce jour-là dans le hall, incapable de respirer, de fermer les yeux, d'entendre, de comprendre. Il ne pouvait pas se détourner du regard mort de Lupus. La peur l'a enserré dans son étreinte glaciale et l'a malaxé à sa guise.

 « J'ai peur ! » s'exclame-t-il.

Son cœur frappe à grands coups contre sa cage thoracique. C'est douloureux. C'est douloureux.

« J'ai jamais prétendu le contraire. » Sauf lorsqu'il veut lui cacher qu'elle lui fait peur. Il lorgne la fille, ses yeux parcourent son visage, se perdent sur son corps. « Merlin, reprend-il d'une voix rauque, on a tous peur, que j'sois seul ou non ça change rien. »

C'est elle qui l'a amené ici, à quoi joue-t-elle ? S'il n'avait pas reçu son hibou, il serait actuellement avec Aelle à éviter son égard tranchant, à la regarder s'entortiller la langue pour essayer de parler. Il soupire longuement, se soustrayant à la drôle de fille en fermant brièvement les yeux. Il passe une main sur son visage pour détendre ses traits tirés et repousser la douleur qui lui martèle le crâne.

« Pourquoi je suis ici, Rengan ? souffle-t-il d'une voix lointaine, éreintée, effrayée ; dépassée. Réponds-moi, s'il-te-plaît. Viens en au fait. J'ai pas envie de parler du contexte actuel avec toi.  »

Amer, le jeune homme laisse tomber son bras et retrouve le chemin vers les yeux *trop verts* de la fille. Il soupire encore, plus légèrement, peut-être pour se donner la force de rester, d'accorder du crédit aux paroles d'une fille qu'il n'a pas envie de respecter.