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23 mars 2020, 00:07
Réminiscences  privé 
Vendredi 6 janvier 2045, début de journée,
Parc, près du Lac Noir, Poudlard,
2ème année.


Plus de six mois que tu n’as pas touché ton violon. Six mois qu’il reste dans son étui, six mois qu’il ne bouge pas de dessous ton lit.
Six mois durant lesquels tu n’as pas pensé une seule fois à lui, six mois que tu n’as pas ressenti ce besoin impérieux de jouer.
Six mois interminables durant lesquels se sont passés des évènements. Des évènements qui te brisent, lentement mais sûrement, des évènements qui bouffent ta joie de vivre, qui te donnent envie de pleurer.
Aujourd’hui, c’est vendredi, et ton violon t’a enfin appelée.
Comme une sonnerie, quelque chose qui a résonné violemment dans ton esprit. Il t’a dit de venir, il t’a ordonné de remonter là-haut, il t’a ordonné de le sortir de cet étui.
Il t’a ordonné de le prendre dans tes mains, de le saisir, de caresser son bois sombre. Il t’a ordonné de prendre ton archet, et de descendre.
Il t’a ordonné d’aller dans le Parc. Tu as suivi ses demandes.
Elles n’étaient pas impérieuses. Il t’a simplement implorée, en fait. Il t’a suppliée.
Et tu lui as obéi, avec, dans ton cœur, profondément ancré, un remord.
Tu lui as obéi parce que tu avais honte.
Et tu es descendue.
Rien à faire, de Leurs Regards. Tu as juste besoin de Renouer. De réapprendre à connaître ton violon, de te souvenir et de recréer ce lien qui était si puissant entre vous.
Ton instrument à la main, tu traverses la tête haute le Hall. Tu sors dans le parc, t’arrêtes un instant, éblouie. Clignes des yeux, cherches du regard le lac.
Et te diriges vers lui. Sous un grand arbre,
*celui de Lili*.

Là, tu t’adosses, cales le violon sous ton menton, déposes avec douceur l’archet sur les cordes.
Tes mains, en un réflexe acquis il y a si longtemps, se positionnent d’elles-mêmes, puis, instinctivement, tu fermes les yeux.
Des frissons parcourent ton corps entier, puis tu te laisses plonger.
Alors que ton instrument résonne de tous ces souvenirs enfouis, ces souvenirs oubliés, ces souvenirs refoulés, ils remontent à la surface.
*Allez, Kyana, on reprend ! Faut qu’on s’entraîne si on veut être parfaites pour le spectacle.*
*Je suis tellement fier de vous.*

Les plus heureux, en premier.
Tu te doutes bien que ceux qui suivront seront les pires. Mais tu les laisse affluer, ce sont eux qui t’ont façonnée, plus que les Joyeux.
*Espèce de monstre. Dégage !*
Tu t’enfonces peu à peu dans ta mémoire, dans cet infini parfois si sombre que tu ne discernes bien souvent rien.
Cet infini que tu crois connaître, cet infini qui te réserve encore tant.
Les Autres, quels qu’ils soient, ont disparu, ne reste que toi, et ton instrument.
Tu trembles. Violemment. Et pourtant tu ne t’arrêtes pas.
Ce que tu revois, ce que tu entends à nouveau, ce sont des choses que tu avais oubliées depuis des années. Des choses qui te bouleversent.
Encore une fois, la énième depuis trop peu de temps, tu pleures, mais tu t’en fous.
Plus rien ne compte.
Tu joues, tu joues et tu ne t’arrêtes pas, tu regrettes de ne plus avoir pensé à ton violon plus tôt.
Il te fait un bien fou, apaise tes souffrances mieux que toutes les paroles réconfortantes du monde, mieux que toutes les sorties de nuit, pour réfléchir avec Lune.

• ‘til it seemed
that Sense was breaking through — •

ent‘r‘êvée

27 mars 2020, 16:21
Réminiscences  privé 
Vendredi 6 janvier 2045
Lac Noir — Poudlard
4ème année



Je sors de la Grande Salle en compagnie de Thalia. Je ressens un certain agacement tout au fond de mon coeur. Le fait est que je m’efforce de manger tous les matins, de prendre un petit-déjeuner complet. C’est Maman qui m’a forcé à faire cela tout du long des vacances, et je dois bien avouer que je m’y suis habitué. Les fichues paroles qu’elle m’a balancé ne peuvent désormais plus quitter mon esprit : « Si tu ne te restaures pas comme il faut, comment veux-tu garder un bon niveau magique, Aelle ? Une bonne condition physique t’aidera à contrôler et à appréhender ta magie, je pensais que tu le savais. » Et cette voix si méprisante. Aucun moyen de ne pas l’écouter, de ne pas craindre pour mon niveau magique. Alors j’ai recommencé à déjeuner, même si j’avais envie de vomir tous les matins, le ventre noué par les tortures que m’infligeait mon sommeil.
Et Thalia n’a pas voulu m’écouter !
Je lui ai sorti exactement les mêmes mots que Maman et c’est à peine si elle a touché à son petit-déjeuner. Je ne sais pas ce qu’elle a en ce moment ; j’ai l’impression qu’elle ne fait pas attention à moi. Mais Zikomo a dit que cela pouvait arriver, alors si Zikomo le dit, je le crois.

Je tourne la tête vers elle un peu hasard. Comme si j’avais été appelé à la regarder, à la voir passer devant moi. Elle, ce tout petit corps, tenant dans les mains ce qui semble être un instrument de musique — Merlin, il est bien trop grand pour elle, non ? Elle marche la tête haute, toujours aussi rousse que dans mon souvenir, et sort du château.
Elle est comme un mirage.
Je la regarde disparaître sans réagir, l’esprit en fusion. Que fait-elle ? Pourquoi sort-elle ? Et mes souvenirs m’envoient des images de nos dernières rencontres — la plus récente me laissant un goût désagréable dans la bouche. J’ai souvent pensé à eux, à ces trois Autres qui m’ont alpagué ce jour-là sur le terrain de quidditch. Je les ai à la fois détestés et enviés. Mais avec le temps, ils ont quitté mon esprit ; ils ne sont guère important, pour moi. Cette petite fille, cependant, cette petite Autre qui regarde et qui parait Voir, je me suis parfois surprise à penser à elle. Il m’est arrivé de la croiser dans les couloirs. Je pense même avoir croisé son regard, deux ou trois fois. Et, plus rarement, je souriais en la regardant passer.

Aujourd’hui, je ne souris pas. Je fronce les sourcils, emprisonnée dans mes questionnements.
Je prends la décision sur un coup de tête. « On se voit à midi ! » lancé-je à Thalia en courant pour sortir du château. Je jette un dernier regard à la brune avant de disparaître — j’espère vite la retrouver. Le froid me surprend. Si j’ai une cape sur le dos, je ne suis certainement pas équipée pour affronter le froid hivernal du mois de janvier. J’enfonce mes mains dans mes poches et tourne la tête à droite et à gauche à la recherche de la petite fille. Je crois l’avoir perdu lorsque je remarque un corps qui se dirige vers le lac. Un petit corps qui tracte un trop gros objet. *Là !*. Je me rue à sa suite en m’efforçant de rester discrète.

Je ne sais pas pourquoi je la suis. Peut-être suis-je curieuse, ou peut-être suis-je trop indiscrète. Je n’ai pas la réponse à cette question et je crois que celle-ci ne m’intéresse guère. Je réponds seulement à mon envie qui me force à comprendre et à savoir. Cette petite fille n’est pas exactement comme les autres Autres. Elle est moins agaçante, elle est moins présente.
Avec un certain malaise, je me souviens que j’ai adoré sentir son regard sur moi.
C’est peut-être pour cela que je la suis. Pour la voir me regarder encore, avec ses yeux de questions et son air qui dit : je te comprends, alors qu’elle ne peut pas me comprendre ; c’est une Autre.

Elle s’arrête. Je l’imite, à une certaine distance. Je m’agenouille sur le sol pour me faire discrète et la regarde déballer son instrument. Pendant un temps, je crains qu’elle ne jette celui-ci à l’eau — qu’elle fasse donc, ce n’est pas comme si j’allais l’en empêcher — mais non, elle place la chose sous son menton *violon* et commence à jouer.

Je n’ai jamais eu été transcendée par la musique. Pour moi, cette dernière n’est qu’un accompagnant, un outil. A la Maison, la musique sert à combler les silences ou à habiller nos repas familiaux. La musique, c’est les goûts de Papa, souvent. Il écoute du rock sorcier, monte le son à un volume déraisonnable et danse dans le salon. La musique, c’est Zakary. Celui-ci écoute le même genre de son que ce que la fille *Kya* est en train de jouer — des sons languissants, longs, irritants. 
La musique n’est rien pour moi.
La musique, c’est pour les autres ; elle n’a aucune résonance dans mon coeur.

Aujourd’hui ne fait pas exception à la règle. Les sons se mélangent aux bruits de la nature, dansent en rythme avec la légère brise qui secoue mes cheveux, s’envolent dans les airs pour murmurer à mes oreilles. J’écoute sans écouter. Et j’observe sans ne rien manquer. Les gestes de l’enfant son fluides et doux, elle joue comme elle danserait, avec simplicité et sincérité. Un peu comme son regard, elle le laisse couler, elle le laisse s’échapper dans le monde, peu importe ce qu’il y a en face de lui. Elle se contente d’être, et j’aime cela. J’aime cette absence de retenue. Si cette enfant est dans la magie comme elle est dans la musique, cela doit être exceptionnel à voir.

Je me laisse tomber en arrière et m’assoie dans l’herbe humide. Je referme les pans de ma cape autour de moi et me serre contre mon propre corps pour lutter contre le froid. Je tremble légèrement, mais cela n’a aucune importante. Mon regard est alpagué par la danse des gestes de la fille. Le temps est comme en suspension dans l’air, la musique flotte autour de moi et m’emmène dans un autre monde ; je vois la magie sous mes yeux, j’ai l’impression de la sentir dans mon corps. Dans le secret de ma poche, j’attrape ma baguette et la fait rouler entre mes doigts. La musique peut-elle agir sur la magie ? Dans certaines cultures, oui. Ils usent des instruments pour la canaliser. Mais ici, chez nous ? Cette fille pourrait-elle agir sur sa propre magie en jouant ? Mes pensées s’effritent dans ma tête, mes pensées se noient. Et me voici, être-de-regard, qui observe avec la sincérité d’une personne qui peut voir sans être vue.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 16 sept. 2020, 16:57, modifié 1 fois.

28 mars 2020, 00:30
Réminiscences  privé 
Les notes jaillissent, comme un torrent intarissable. Elles fuient, elles volent, elles échappent à ton contrôle, elles se dérobent à toi. Elles deviennent des Entités à part entière et refusent de te laisser les attraper pour les enfermer.
Elles sont comme des larmes. Elles sortent de toi, de ton cœur, de ton esprit, elles les vident. 
Les laisser partir comme tu le fais te procure une sensation étrange. Tes gestes redoublent de cette ardeur emplie de désespoir à chaque nouvelle note, et tu ne semble pas vouloir t'arrêter.
Une Toile de Ténèbres t'entoure, t'enveloppe. Un Voile de Douleur, une Enveloppe opaque qui te bouffe. Qui t'envahit. 
Les notes la combattent. C'est la Lumière contre l'Obscurité. Et cette fois-ci, tu n'es pas du côté de la noirceur.
Une infime pensée se révèle à nouveau. Elle frappe aux portes de ta conscience, essaie de se rappeler à toi. Tu ne la vois pas, ne l'entends pas, et gardes tes yeux fermés.
Tu l'ignores. Tu te refuses à lui ouvrir, tu ne veux pas qu'elle t'envahisse. C'est la même pensée qui voulait enfermer les Notes. La même qui refusait de les laisser aller, la même qui ne voulait pas que tu te dévoiles. La même pensée malsaine qui t'a toujours habitée, la même qui se trouvait être un Principe pour toi.
Le voile tente bien de se resserrer, de t'étouffer dans son étreinte de ténèbres. Il veut ton âme, il veut ton esprit. Il veut t'emporter avec lui. Il veut que tu te laisses aller. Il t'a déjà appelée de trop nombreuses fois.
Une fois, il a pris la forme de la Nuit. Deux fois même. Il a essayé de te faire venir. 
Il a failli y parvenir.
Là il veut se battre contre Volonté. Il attaque sournoisement, il se débat violemment, contre les liens de Lumière qui se resserrent autour de lui. 
Et toi, tu es Inconsciente. Inconsciente de tout ce combat. Concentrée simplement sur cette douleur que tu crois sentir s'extraire de toi par de longs filaments de Doutes. Inconsciente des Autres. Inconsciente du Monde. Inconsciente de Celle qui vient de se mettre face à toi, dissimulée. 
Inconsciente même de ce que tu joues. Le cerveau déconnecté, les larmes qui coulent et le bras qui Danse, sans s'arrêter.
Tu sens vaguement ton instrument contre ta joue, ton instrument qui t'aide. 
Tu le sens qui vibre, mais tu ne l'entends pas - plus.
Tu ne veux pas que la Nuit tombe. Tu ne veux pas qu'elle te rappelle ta douleur. Tu ne veux pas qu'elle fasse à nouveau saigner ton cœur. Tu l'aimais, la Nuit. Mais à présent elle te fait mal, et tu préfères la Sécurité du Jour au Mystère des Ténèbres.
Tu ne veux pas que quelqu'un vienne et t'observe.
Mais en même temps, tu as besoin que l'on t'aide. 
Tu veux que l'on te stoppe mais tu ne t'imagines pas arrêter les Notes. 
Tu veux que l'on te parle mais tu ne te vois pas répondre. 
Tu veux que l'on reprenne ta mélodie mais elle n'appartient qu'à toi. 
Tu ne sais pas combien de temps tu restes là, debout, ton violon appuyé sous ton menton, les joues striées. 
Peut-être des années. Tu as tout perdu. Tous tes souvenirs, l'espace de cet Instant Infini, se sont envolés. Ils sont partis, les bon comme les mauvais. Ils t'ont laissée. Peut-être ont-ils disparu dans le ciel ? Peut-être se sont-ils transformés en Nuages ?
Les Souvenirs qui Blessent, les Souvenirs qui Brisent, les Souvenirs qui font Sourire. Tous, ils ont disparu. 
Sans Souvenirs, tu perds ton identité. Tu perds ta conscience, tu perds ton cœur.
Mais cette fois-ci, tu les laisse fuir. Cette fois-ci, tu leurs autorise ce voyage, car tu sais que tu les retrouveras. Tu sais qu'ils en sortiront, comme toi, purifiés. 
Et tandis que tu crois sentir la mélodie diminuer, tu te risques à ouvrir un œil. Ton bras continue de Danser ; ton Esprit reste comme endormi. Et ton Regard se fixe, se fige, dans celui de l'Autre.
Dans celui de l'Autre-Mystère. Dans celui de l'Autre-Intrigue. 
Il n'en bouge plus. 
Ton violon, extension de toi-même, continue à vibrer. 
Maintenant, après la Douleur, il joue l'Indécision. Il parle, il exprime, ce que tu ne sais pas dire par des mots. Il explique tes Doutes. Il explique tes Peines. 
Il explique.
Il dit à ta place et tu lui en es infiniment reconnaissante. 

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ent‘r‘êvée

29 mars 2020, 14:12
Réminiscences  privé 
Le rythme devient fou ; les gestes également. Parfois, quand l’instrument ripe, je grimace. Certaines notes ne sont pas agréables à l’oreille. Je dois cependant bien avouer que le reste ne me débecte pas. Il y a dans certaines musiques des choses que l’on ne peut détester. Je veux bien l’entendre. Je suis d’accord. Cette musique n’a rien de désagréable si l’on oublie ces notes manquées, et le rythme est plutôt en accord avec ce que me fait ressentir la neige et le paysage ce matin. Mais cela n'empêche pas que cette mélodie est en trop, c'est une présence qui n’est pas forcément la bienvenue. Il serait plus agréable de rester silencieuse et de profiter des sons de la nature. Mais je ne dis rien, je me contente de rester cachée dans mon corps, la main agrippée à ma baguette magique, le souffle retenu.

Je ressens une certaine extase à regarder cette Autre jouer sans qu’elle ne me voit. Elle a l’air si sincère, si vraie. Les Autres ne le sont que lorsqu’ils sont seuls, quand ils se pensent seuls. La compagnie a tendance à dilapider la sincérité. Ses gestes sont jolis, je crois. Ils sont curieux, également. Comment sait-elle où aller, quelle corde pincer ? C’est un mystère pour moi, mais pas un mystère assez grand pour me passionner. Ce qui m’intrigue davantage, c’est elle tout simplement. Elle qui sort dans le froid de janvier pour venir jouer du violon. Je me souviens de ses regards, de ses questions. Qu’est-ce qui m’intrigue chez elle ? Après tout, elle ne doit pas être bien différente de tous les autres seconde année. Elle doit être aussi ignorante qu’eux, aussi peu intéressée par les vraies questions passionnantes de la vie. Je suis certaine qu’elle n’a aucun intérêt pour le savoir, qu’elle se contente d’apprendre bêtement ses cours, sans réfléchir, sans penser.
Et pourtant, je suis ici. Pourtant, j’observe. Pourtant, je doute.
Et je ne sais absolument pas pourquoi.

Ses yeux s’ouvrent. Cela évince toutes mes pensées. *Merde !* pensé-je en arrachant mes mains de mes poches. Je les pose au sol, prête à m’éjecter et à me barrer au courant au besoin, à la fuir, à me cacher. Mais le son ne s’arrête pas, la danse de ses gestes ne cesse pas. La musique prend une tonalité différente, peut-être est-ce parce que je l’écoute désormais avec mon coeur tremblant de mille battements douloureux ? Ou parce que je ne regarde plus sans être vue. Le temps se suspend. Il y a son regard et il y a le mien. Plongées l’une dans l’autre, l’atmosphère change. Je me lève sans en avoir conscience. Peu à peu, mon coeur s’apaise. Je m’habitue à elle, à ses yeux, à cet échange dérangeant. Mes mains retrouvent la chaleur de mes poches, je dresse le menton *j’ai le droit d’être ici !* et je m’avance vers la fille.

Un, deux, trois, quatre pas m’approchent d’elle. C’est seulement lorsque je m’immobilise que je les remarque. Elles sont à peine visible sur ses joues, mais se voient dans ses yeux brillants. Elle pleure. Je fronce les sourcils. Merde, je n’aime pas les Autres qui pleurent. Après, ils se lamentent, ils se plaignent, et s’attendent à ce que je les réconforte. Je ne veux pas réconforter, moi. Elle n’a qu’à demander à sa brune d’amie — je ne suis pas son amie, moi. Peut-être devrais-je m’en aller ? La pensée traverse mon esprit, mais je la repousse. Je ne veux pas me forcer à partir, à vrai dire je n’en ai même pas l'envie. Je m’aime à être ici, coincée dans son regard. Mon coeur bat en rythme avec les sons, et s’il a certains ratés que je ne comprends pas, certains sursauts qui me désarçonnent, je les ignore. Je reste ainsi, droite dans le froid, victime du vent ; menton dressé et ma tresse volant vaguement dans les airs, comme insensible au froid qui me rougit les joues et le nez — je ne le suis pas réellement, Merlin si je me laissais aller je tremblerais de froid. Ma tête se penche légèrement sur le côté. J'observe, j'analyse, j'essaie de comprendre. 

02 avr. 2020, 13:29
Réminiscences  privé 
Rien ne résonne dans tes oreilles. Pas un son, pas un murmure, pas même la vibration de ton archet sur ton bel instrument.
Tout est étouffé, tout est silencieux. Tout s'est tu, et plus rien ne résonne.
C'est perturbant, comme sensation. Cette étrange impression de vide. Même ta respiration t'es inaudible.
Tout est pourtant normal. Tu vois tout, autour. Tu ressens. Les traces humides sur tes joues te font froid, glacent ton visage et te rappellent à quel point tu es faible. Tes mains ne s'arrêtent pas, et continuent de résonner ton violon incontrôlable.
Même si tu avais voulu stopper tes gestes, jamais tu n'y serais parvenue.
S’ils t'ont aidée à évacuer tes larmes à présent ils ne sont plus que simplement automatiques, immaîtrisables. Ton bras joue sans que tu ne t'en préoccupes, accompagnant le rythme de tes pensées.
Effrénées, tournoyantes, voltigeant çà et là. Elles dansent dans tout ton corps, se jouent de la pesanteur, l'embrasent de mille couleurs vives.
Et, au milieu de ce kaléidoscope imprévu, se trouve Son Regard.
Ses yeux que tu as déjà rencontrés mais que tu as l'impression de fixer pour la première fois.
Ses yeux qui sont enfoncés dans les tiens, qui te fascinent autant qu'ils t'effraient.
Ses yeux ténèbres.
Ses yeux violence.
Ses yeux tristesse.

Et, lorsqu'elle se lève, lorsqu'elle se déploie de toute sa hauteur, tu ne peux que la suivre, accompagnant son mouvement avec ton menton.
A présent Violon joue un air lent, presque apaisé. Un air en accord avec tes pensées. Un air qui danse à leur rythme.
Non, elles ne sont plus effrénées, tournoyantes ou voltigeant çà et là. Non, désormais elles jouent lentement. Elles volent doucement. Elles se rient de la pesanteur avec plus de gentillesse. A présent, elles ne te torturent plus - elles reprendront, sois-en sûre. Là, elles ont juste... trouvé plus puissant qu'elles. Elles ont compris que rien n'arrêterait la puissance de l'Autre qui te Regarde.
Alors la musique ralentit. Elles se calme, le ton baisse. Ton cœur ralentit. Ses battements se font plus rares, moins irréguliers.
Oui, apaisés. C’est le mot. Elles se sont apaisées.
*C’est grâce à elle, en fait.*

Et tout est toujours aussi silencieux.
Les couleurs y sont. Elles envahissent ta vision de mille éclats, tâchent de lueurs les éclairs sombres de ton esprit.
Les mouvements y sont. Tu perçois l’infime mouvement de sa poitrine lorsqu’elle respire. Tu vois tes mains qui tremblent. Tu aperçois, fugacement, tes cheveux battus par le vent voler autour de ton visage.
Les sensations y sont. Tu ressens le froid mordant sur ta peau, qui l’agresse violemment, tu ressens la vibration de ton archet contre ta main, tu ressens le vent qui s’infiltre sous tes vêtements, tu ressens les sillons que tracent tes larmes sur ta peau diaphane, tu ressens le Regard des Autres, le Regard de l’Autre.

La Mélodie s’est tue. L’archet s’est envolé, en un geste gracieux tu l’as retiré des Cordes-qui-Guérissent. Peut-être va-t-elle reprendre ? Tu ne sais pas vraiment. Mais c’est les yeux toujours plantés dans ceux de la Fille qui se trouve en face de toi que tu ouvres la bouche, pour déclarer :

« C’est p’têtre grâce à toi que j’renaîtrai, en fait. »

Oui Gamine, tu renaîtras. 
Avec de l'aide, tu renaîtras.
Au prix d’innombrables sacrifices, tu renaîtras.
Après avoir traversé l’enfer, tu renaîtras.
Après t’être mesurée à tes souvenirs les plus enfouis, tu renaîtras.
Après t’être mesurée à tes pensées les plus ténébreuses, tu renaîtras.
*J’renaîtrai*
Comme un phénix revit de ses cendres.
Tu ne seras pas un écho. Pas un écho de la Gamine d’Avant. Pas une ombre jaillie du passé.
Tu veux être – tu seras à nouveau toi-même. Peut-être pas aussi enjouée, peut-être pas aussi optimiste. Parce que, depuis le départ pour cette Foutue Ecole, tu as fait du chemin. Mais tu seras à nouveau Toi, et cela, c’est un présent inestimable que tu feras à tes proches.

Tu ramènes Violon sous ton menton, le poses contre ton épaule. Réconfortant.
Tu poses une nouvelle fois ta baguette de bois dessus. Apaisant.
La fait lentement coulisser sur les cordes. Non, ne pleure plus, Petite Etoile.
Ces larmes te font du bien. Mais elles te tuent à petit feu. Tu le sais bien.
Ne pleure plus, Gamine. Sois forte.

Et pourtant, alors que ton esprit t’exhorte à calmer tes larmes, ces torrents de douleur qui dévalent tes joues pour aller s’effondrer par terre, sur la neige, continuent de couler. Ils ralentissent, peut-être, un peu. Ils ne t’infligent plus autant de douleur. Mais ils sont encore là, et ils témoignent de ton désespoir.

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ent‘r‘êvée

04 avr. 2020, 11:59
Réminiscences  privé 
Mon analyse ne donne rien ; je ne comprends pas.
Et elle s’arrête, les gestes se suspendent, la musique cesse. Pendant un instant, le silence est si assourdissant qu’il me fait frissonner. Puis il reprend de ses droits, de son importance. Lui aussi a droit d’être ici. Mon regard toujours bloqué dans celui de la fille, je laisse le silence s’étendre entre nous. Je pourrais presque entendre le bruit de sa respiration ; je suis certaine qu’elle doit saisir le bruit des battements de mon coeur. Comment cela pourrait-il être autrement ? Il bat à toute allure contre ma poitrine, comme un fou, comme un malade. Sûrement le serais-je, ce soir. Malade. Le froid me comprime les poumons et mes épaules tremblent. Je le cache habilement en m’efforçant de rester droite et stoïque.

Lorsque les lèvres de la fille s’agitent, mes yeux se ruent dessus. *Merde !*. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle parle. Mais elle le fait ; peut-être est-ce pour cela qu’elle a cessé de jouer, pour me parler ?

« C’est p’têtre grâce à toi que j’renaîtrai, en fait. »

*P’tain* ; mes sourcils se froncent.
Je ne comprends toujours pas.
Renaître ? Renaître de quoi ? Et pourquoi Merlin cela serait-il grâce à moi ? Les personnes qui parlent par énigmes m’agacent. *Non*. Ce n’est pas cela qui m’agace, c’est le fait de ne pas les comprendre. Comme attiré, mon esprit me ramène un an en arrière, plus d’un an, même. Quand j’ai rencontré *Thalia* ; les mouvements de mon coeur s’accélèrent. Je ne comprenais pas non plus ce qu’elle disait, elle parlait par énigmes — j’ai oublié la plupart des mots qu’elle m’a dit ce soir-là dans la salle de bains. Le souvenir fugace d’un baiser passe dans mon esprit, je le repousse. Mais je n’ai pas oublié la plus importante de ses paroles.
*Toujours*.
Et même si Thalia est bizarre depuis la rentrée, ce toujours existera à jamais.

La musique me rappelle à elle. Je cligne des yeux, remonte mon regard que je n’ai pas eu conscience de déplacer. La fille a recommencé à jouer, plus lentement, plus doucement, apaisée. La musique est plus douce, mais elle est plus douloureuse. Elle me fait quelque chose d’étrange au coeur, comme si elle pouvait le contrôler et en faire ce qu’elle voulait. Le faire se serrer, le faire rebondir. Est-ce sa musique qui me fait cela, ou mes pensées ?
J’ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort.
La musique me fait du mal, je crois. Elle joue avec mes sentiments, me pique les yeux. Elle me donne envie de sourire, envie de mourir. Merlin, ce n’est pas normal.

Un pas de plus me rapproche de l’enfant *Kya*. Une hésitation. Puis je reprends ma marche. J’avale les mètres qui nous séparent. Les larmes de la fille m’explosent au visage, mais j’essaie de les ignorer. Près d’elle, je n’hésite plus. Je lève la main et *violon ou bras ?* — en temps normal, j’aurais choisi le violon, mais étrangement je ne me sens pas le droit d’arrêter de moi-même cette musique qui ne m’appartient pas — je la pose sur son bras, vers son coude. A peine un effleurement. J’accroche son regard et enlève ma main.

« Arrête, » demandé-je doucement.

Être aussi proche est étrange, mais pas dérangeant. Je ne connais rien de cette fille et elle ne connaît rien de moi. J’ai pourtant l’impression que nous avons déjà partagé des choses elle et moi qui nous font nous comprendre mutuellement. *Pas mutuellement, non*. Moi, je ne la comprends pas. Je fronce légèrement les sourcils, laisse mes yeux caresser son visage, traverser ses larmes.

« Y’a que les m-morts qui renaissent. »

Autant dire que tu dis de la merde, petite fille, car tu n’es pas morte. Mais, bien malgré moi, je pense comprendre ce qu’elle veut me dire. Peut-être qu’elle est morte à l’intérieur. Moi aussi, j’ai déjà été morte à l’intérieur. Même que cette mort à un nom *Cha… Non* et que ce nom est banni de mon esprit à tout jamais.
Un dernier regard.
Et je me recule d’un pas. Je détourne la tête en direction du lac ; sa surface miroitante est moins difficile à soutenir que la glace dans les yeux de cette Autre.

05 avr. 2020, 10:34
Réminiscences  privé 
Tes larmes sont calmées. Presque calmées. De violents sanglots agitent encore ton corps, chavirant ton cœur de violent remous.
Mais l’Autre est là, alors rien d’autre ne compte.
Pas le froid qui, lentement, te bouffe. Pas ta tristesse qui tente vainement de s’évacuer. Pas tes pensées déchirantes qui te cisaillent de l’intérieur. Pas même ton violon qui continue de résonner.
Non, l’Autre apaise le moindre de tes maux par sa simple présence. C’est étonnant, n’est-ce pas ?
Qu’une personne – une simple fille dont tu ne connais rien – parvienne à te réconforter. Que tu aies l’impression que le calme qui t’envahit soit durable, qu’il t’apaise pour longtemps.
Jamais auparavant tu ne te serais laissée *dévoiler ?* comme cela. Jamais auparavant tu n’aurais autorisé qui que ce soit à pénétrer dans ta conscience comme elle semble le faire. Jamais tu ne t’es livrée ainsi.

*Imagine elle part maintenant. Elle fuit.*
Et, même si cette pensée te traverse fugacement l’esprit tu restes persuadée d’une chose : l’Autre ne s’en ira pas. Elle ne fuira pas, parce que vos deux Regards ne peuvent se décrocher. Parce que vous venez d’ouvrir vos âmes l’une à l’autre. Parce qu’il faudrait quelque chose d’une violence inouïe, quelque chose de monstrueux, pour que tu daignes mettre fin à cet échange muet.
Non, l’Autre ne fuira pas, et c’est rassurant.

Le Silence s’installe entre vous. Le Silence des Paroles. Ta mélodie continue de retentir, comme un fond, une base à cet étrange combat pacifique. Mais lui s’impose. Comme à chacune de vos rencontre, il devient une évidence. Indispensable.
Il s’étend, comme de longs filaments invisibles et pourtant presque palpable, s’étire de l’une à l’autre.
Il se perd lui aussi dans cette dimension qui n’appartient qu’à vous, dans ce monde parallèle qui est devenu votre ami commun.
Aucun mot n’est prononcé. Car vous avez réalisé, l'une comme l'autre, que c’est parfaitement inutile.
Les yeux égarés, l’esprit à des milles de là, tu continues, inconsciente, à faire danser ton Violon. A faire valser tes sentiments.
*Qu’est-ce que…*
Sa main.
Sur ton bras.
*Qu’est ce qu’elle fout là ?*
Doucement, résonne sa voix.
Doucement, supplient ses mots.
Doucement, implore son cœur.
Doucement, prient ses yeux.
Arrête, ordonne sa bouche.
Tout s’immobilise. Tout.
Plus rien ne vit. Tout s’est tu pour écouter l’Autre.
Ton archet ne valse plus. Ton cœur ne bat plus. Tes pensées ne tournoient plus.
Tes yeux ne cillent plus.
Les siens fouillent ton visage. Écartent tes derniers remparts. Traversent tes larmes sans même les voir.
Tu interromps ta musique, baisses lentement tes bras. L’instrument vacille un instant au bout de celui-ci, comme en équilibre précaire au bord d’un précipice. Mais tu n’y prêtes pas garde.
*Je… j’suis pas morte ! Hein que j’suis pas morte ?*
La détresse, infinie, s’affiche un instant dans ton regard. S’y lit avec facilité.
*Je.*
Tu serres ta main autour du manche de ton instrument, y puisant du réconfort.
*Suis.*
Laisses tomber tes paupières sur l’hiver de tes yeux pour retenir les nouvelles larmes.
*Pas.*
Baisses imperceptiblement la tête, pour laisser tes cheveux envahir ton visage.
*MORTE !*
Sans vraiment que tu ne le réalises, tu te mets à trembler. Pas de froid, tu l’a presque oublié. De peur. Et de colère.
Tu n’es pas en colère contre l’Autre. Elle ne fait qu’énoncer une vérité pure et simple. Elle ne fait qu’évoquer un principe logique, dénué de tout sentiment.
Tu n’es pas en colère contre le reste du Monde. Pour une fois, il n’a rien fait.
Tu es en colère contre l’injustice qui le régit. En colère contre ces idées universelles, acceptées de tous.
Alors, au lieu de hurler au vent ta détresse, tu relèves la tête et rencontre furtivement les yeux de l’Autre. Pour y trouver tout ce que tu voudrais lui exprimer.

*Elle a compris.*
La pommette à demi cachée par une mèche de feu, tu te mords doucement la lèvre inférieure.
Elle se détourne.
De toi ou de ta détresse ? Définitivement ou simplement pour un instant ? Par peur ou juste pour contempler le Lac et ses abords enneigés ?
Tu déclares dans un filet de voix qui se perd bien vite dans le sifflement du vent :


« Ouais. Mais alors pourquoi j’ai l’impression d’être morte, ici ? »

Tu pointes ton cœur du doigt. Avec dans les yeux, des milliers d’interrogations.

• ‘til it seemed
that Sense was breaking through — •

ent‘r‘êvée

05 avr. 2020, 13:19
Réminiscences  privé 
Je n’aime pas voir la détresse chez les autres. Non pas que cela me rende triste, je me fous de leur douleur, mais lorsque je les regarde, j’ai l’impression de plonger mes yeux dans un miroir et d'y voir mon propre reflet. Ainsi, les tremblements qui secouent la fille deviennent mes propres tremblements, ses larmes deviennent mes larmes, la détresse dans ses yeux devient la mienne ; mon coeur s’en alourdit et s’en trouble, comme si voir me m'obligeait à devenir. Tenir mon regard loin de la détresse de l’Autre, c’est me protéger de ce risque, de cette reconnaissance. Je ne veux pas qu’elle trouble mon coeur, qu’elle en fasse ce qu’elle veut, comme sa musique qui semblait jouer avec lui avant que je ne la fasse cesser.
Le silence est cependant plus difficile à supporter que je ne le pensais.
Le spectre de la musique toujours présent dans mes oreilles, le silence m’habite toute entière. Le froid en devient plus mordant et me fait regretter mon absence de cape, et mes tremblements s’intensifient ; ils ne me dérangent pas, je préfère trembler de froid que trembler d’angoisse. Je range ma baguette dans ma poche et y cache également mes mains, frottant mes doigts les uns contre les autres pour les réchauffer.

« Ouais. Mais alors pourquoi j’ai l’impression d’être morte, ici ? »

Un léger souffle s’échappe de mes lèvres et se montre dans le monde en une colonne de fumée blanche qui se dilue dans les airs. Le regard de l’Autre m’appelle et je la regarde. Les larmes le font briller, ce regard de glace, mais les questions l’assombrissent. Elle me regarde comme si elle attendait que je lui donne des réponses. Moi. Mais je ne connais aucune réponse, et certainement pas celles qui concernent son coeur ; mon regard, comme accroché, suit le geste qu’elle fait et se dépose brièvement sur sa poitrine, avant de remonter vers son visage. Je saute d'un œil à l’autre, hésitant quant à la réponse que je vais lui donner. Ses paroles me dérangent ; que ce soit celles-là ou les précédentes qu’elle m’a offert. Je ne suis pas venue pour parler de sa douleur, Merlin, mais pour… Pourquoi, d’ailleurs ? Aucune idée. Et ses paroles, ses fichus mots, ramènent à ma conscience des souvenirs que j’avais enfouis — des souvenirs de ma propre mort.
Je déteste cela.
Comme d’habitude, je repousse ces souvenirs.
Un coup de pied mental, un *dégage !* crié dans ma tête. Une inspiration profonde, et Ils s’en vont. C’est simple.

« C’est qu’une sensation, » réponds-je, haussant négligemment les épaules. Ma propre voix me surprend. Ne supportant plus le regard de glace, je laisse mes yeux sombres se balader sur la façade lointaine du château. « C’est qu’une idée. »

Et les idées peuvent être douloureuses, faire mal, être persistantes, envahissantes, déstabilisantes. Mieux vaut les écraser le plus rapidement possible. Je laisse un sourire amer s’inscrire sur mon visage et lance un bref regard à l’enfant.

« Et les idées peuvent être repoussées. Suffit de… De… » Je secoue vaguement la main devant moi. Comme à chaque fois que les mots me manquent, une brève angoisse me noue l’estomac, mais je me rappelle des mots de Papa (« Prends le temps, respire. Et parle. ») et repousse ma peur : « De savoir comment faire. »

Je ne sais pas comment faire.
Je me contente de faire. Parfois, je peux clairement visualiser mes pensées dans ma tête. Pas sous forme de mots, non, mais sous la forme d'une présence. Je ressens comme une boule de présence dans mon esprit, une boule sombre qui contient des fragments de souvenirs en son sein. Je la visualise et lui donne une pichenette mentale. Comme ça, tout simplement. Et je laisse mon esprit faire le reste, je me concentre sur autre chose et la Présence me quitte sans me faire mal. J’ai mis des mois et des mois pour parvenir à ce résultat. Mais maintenant, je suis capable de le faire très simplement.
Une pichenette et j’oublie.
Je regarde l’Autre.
Elle, elle peut y arriver également. Je le sais. Dans son regard brille… Brille quoi ? Peu importe. Je crois qu’elle est capable, tout simplement. Capable de plus de choses que de jouer de son violon.

06 avr. 2020, 17:06
Réminiscences  privé 
Non, finalement l’Autre n'est pas partie. Elle n'a pas fui, comme elle a osé le faire la dernière fois. Elle ne s'est pas barrée ; ne t'a pas laissée là, les bras ballants, le violon dans une main, l'archet dans l'autre et le visage inondé de larmes. 
Elle n'a pas eu peur, elle n'a pas eu honte. Et elle est restée, là, face à toi. A percer de ses yeux de nuit tes secrets. A ignorer ta tristesse, à slalomer entre les sillons brûlants tracés sur tes joues avec l'aisance d'un rêve.
Elle est un mystère. Un mystère qui t'est parfois parfaitement compréhensible. Un mystère qui reste bien souvent trop énigmatique à ton goût.
Comme si tu la découvrais chaque minute pour la première fois avec l'impression de la connaître depuis toujours.
Elle a su comment t'atteindre tout en t'étant totalement inaccessible.

La buée produite par son souffle se perd dans le froid de Janvier, s'envole et se tord pour disparaître.
Est-ce que ta peine est comme ça ? Est-ce qu'elle aussi, elle va, un jour, se dissoudre, et partir dans le ciel ? Est-ce qu'elle te laissera là, seule ?
Vide ? Parce que sans plus aucune tristesse tu n'es plus rien. Tu n'as plus d'identité.
Sans pleurs, tu ne penses plus.
Sans tristesse tu ne ressens plus.
Sans désespoir tu ne rêves plus.
Sans douleur tu n’espères plus.
Sans amertume tu n’aspires plus à rien.
Tu ne serais qu’un corps sans avenir, un Gamine juste Brisée. Et tu ne veux pas t’y résoudre.

Est-ce que tu parviendrais à survivre à cela ? Il y a bien trop peu de chances pour que tu prennes le risque de l’abandonner. Ou de la laisser te fuir. Tu dois la contenir, la garder, l’enfermer.
Dans ton cœur ou dans tes songes. La mettre dans un coin, ne jamais l’oublier.

Les Mots de l'Autre détruisent les certitudes que tu venais d’ériger, comme un rempart dans ton esprit. Ils les étalent au sol, les soufflent et les réduisent à néant en un instant.
Alors que tu t’apprêtais à mettre en celles-ci toute ta confiance, les Doutes t’assaillent à nouveau.

Et résonne dans ta tête le vacarme de la tempête qui agite tes sens. C’est une idée.

Ta douleur n’est qu’une idée.
Le mal qui te prend depuis déjà… *trop longtemps* n’est qu’une idée.

Son regard sombre quitte à nouveau le tien et tu fixes l’étendue immaculée qui recouvre le parc. Belle et pure, elle transforme le sol dur en un nuage cotonneux – et froid. Des fois, tu aimerais t’endormir dedans.
Mourir dans la neige ; ce serait beau. Jamais pourtant tu ne t’es résolue à t’y allonger, à laisser le gel s’emparer de ton corps et arrêter ton cœur.

Tu reviens brutalement fixer son visage lorsqu’elle termine sa phrase et dans tes yeux scintille une étincelle de colère.
Si elle sait tant de choses, si elle connaît mieux que toi, pourquoi ne prend-elle pas la peine de t’expliquer ? Pourquoi n’essaie-t-elle pas au moins de t’exposer clairement sa pensée ? Pourquoi reste-t-elle si vague, tandis que tu dépéris, peu à peu ?

Dans un murmure, tu lui déclares :
« Ben apprends moi alors. »

Ton cœur, imitant le ciel orageux, est devenu gris. Las d’avoir trop saigné, il s’est retiré dans l’Oubli, a cessé de se laisser blesser. Le temps des réactions, du combat et de la haine n’est pas encore venu ; il s’est juste éloigné pour ne plus souffrir.

Ton visage est sec, maintenant. Marqué mais plus rien ne dévale la pente douce de tes joues. Plus aucune perle, plus aucun cristal, ne te plonge davantage dans la honte.
Tes yeux sont rougis et gonflés, prêts à déverser ces larmes qui te tuent à petit feu. Tu les en empêches.
Et, fort heureusement, ta peine est toujours là.
Elle ne t’a pas laissée ici pour morte, pas encore.
Elle n’a pas vidé ton corps de sa conscience, pas encore.
*Pas encore*
Elle t’a fait l’honneur de te laisser vivre encore un instant.

Par peur ? Ne s’est-elle pas simplement écartée du chemin de l’Autre ? Te laissera-t-elle une fois qu’elle sera loin ?
Ou par pitié ? Ta peur de l’abandon l’a-t-elle motivée à faire preuve d’indulgence ?

Une moue attristée se plaque sur ton visage, remplaçant le masque défait que tu portais auparavant, et tu souffles doucement à l’Autre :
« Tu… tu pars pas hein ? S’t’eu plaît. »

Une prière éperdue qui résonne jusqu'au plus profond de ton âme.

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ent‘r‘êvée

06 avr. 2020, 20:46
Réminiscences  privé 
Sa voix interrompt mon flux de pensées. Une voix misérable, un petit murmure venu de loin, une demande sincère qui fait sursauter mon coeur :

« Ben apprends moi alors. »

Et bien oui, pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Apprends-lui, Aelle, apprends-lui une chose que tu réalises sans savoir comment. Je secoue légèrement la tête, les sourcils froncés. Avec Gabryel, je savais comment faire. Il est aisé de lui apprendre des sortilèges. La magie est existante et bien présente, elle est palpable, elle existe dans chacun des êtres de ce château. Mais les pensées, les idées, je ne sais pas encore comment les saisir. Un jour, peut-être y arriverais-je, quand je saurais maîtriser la Légilimancie. Mais pour le moment, je me contente d’agir tout simplement et je ne me suis jamais posé la question du comment. Et maintenant que cette fille me pose la question, me demande de lui apprendre, je me questionne : est-ce que j’ai envie d’essayer de trouver le comment pour elle ? Pourquoi ferais-je cela ? Je ne lui dois rien à cette gamine, je n’ai même pas envie de l’aider. Personne ne m’a aidé à échapper à ma Mort, moi. Je me suis débrouillée toute seule pour la faire fuir, comme une grande, même si j’en rêvais la nuit et que parfois mon souffle me manquait tant l’angoisse enserrait ma gorge. Personne ne m’a tenu la main ou m’a dit : il faut agir ainsi. Non, j’ai trouvé la réponse toute seule.

Mon regard n’a pas quitté l’Autre une seule seconde. Mon esprit s’agite, mais mon corps est figé — si l’on oublie les tremblements qui secouent mes épaules. Je peux voir que ses yeux sont secs, cela me rassure. Dans son regard de glace, sa peine est visible, mais je me rends compte qu’elle ne me dérange pas autant que celle des Autres. Quand je croise des élèves dans les couloirs qui pleurent ou qui crient, cela me dérange toujours. Je me sens de trop, je me sens mal, gênée. Face aux larmes de Thalia, celles que j’entends ces derniers temps la nuit, que j’imagine couler le long de ses joues blanches et abîmer ses terribles yeux, je me sens mourir. Comme si Thalia, avec ses larmes, avait le pouvoir de me rendre aussi malheureuse qu’elle ; ce qui est tout à fait idiot à imaginer, c’est impossible. La tristesse de cette Autre ne me fait pas le même effet, elle ne trouble pas mon coeur et n’alourdit pas mes sens. Non, mais elle me donne envie de la chasser. La tristesse prend trop de place, je ne veux pas m’occuper d’elle, moi, je veux que cette fille puisse me faire face avec tout son potentiel ; pour le moment, elle est entravée par les chaînes de sa douleur. Cela ne me convient pas.

Ses traits changent.
Je reviens à moi en clignant des paupières et la regarde plus attentivement, mes yeux suivant la ligne de ses lèvres déformées par… *C’quoi ?*. Va-t-elle encore pleurer ? Une pointe d’agacement s’élève dans mon coeur. Si elle pleure, je me jure que je

« Tu… tu pars pas hein ? S’t’eu plaît. »

l’explose.
*Qu’est-ce que….*.
Étonnée, j’en oublie même d’avoir froid. Mes sourcils grimpent sur mon front.
« Reste… » ai-je dit à Thalia à mon réveil dans l’infirmerie — reste pour toujours, parce que sans toi je ne pourrais pas respirer. Je le pensais sincèrement, même si aujourd’hui j’y repense toujours avec beaucoup de gêne.
« Et si on restait ? » m’a dit Thalia il y a si longtemps maintenant. « Ça s’rait bien d’être avec toi… toujours. ». Cela voulait dire qu’elle voulait être avec moi, qu’elle voulait ce que l’on a depuis plus d’un an : être ensemble le matin, être ensemble le soir, être ensemble aux repas, être ensemble en étude. Ses mots signifiaient cela. Et toutes les autres fois où le mot reste est arrivé dans l’une de nos phrases, cela signifiait la même chose.

Aujourd’hui, cette fille dont je ne connais même pas le nom de famille, cette Kya, cette autre, ne me dit pas reste. Non, elle me dit ne pars pas, ce qui revient exactement au même. C’est cela qu’elle veut dire, n’est-ce pas ? Elle veut me dire de rester toujours avec elle, comme je reste toujours avec Thalia ? Mais… Pourquoi ? Je ne sais pas si j’en ai envie, moi. Pourtant… Pourtant mon coeur songe à cette possibilité. C’est ce même coeur qui me rappelle que tout mon temps étant occupé par Thalia, je pourrais difficilement laisser de la place à cette Autre ; surtout que mes moments avec Thalia sont à moi et à personne d’autre. Je n’ai pas envie de les partager.
Et elle, est-ce que j’ai envie de passer du temps avec elle ?
Non.
Je ne sais pas.
L’idée me fait ressentir des trucs bizarres dans le coeur.
Des trucs dérangeants.
De la chaleur, de la peur.
*Arrête de songer*. Arrête, idiote.
C’est inutile, je ne crois même pas en ses paroles.

De longues secondes se sont écoulées. Lorsque je me rends compte que je la regarde toujours avec ma même tronche stupide, je me détourne en direction du lac. Je m’éloigne d’elle, faisant quelques pas dans la neige, écoutant mes pas crisser dans le manteau blanc du paysage. Mon coeur bat fort dans ma poitrine. Je ne sais pas quoi faire, pas quoi dire. Je ne veux pas répondre à sa question, je ne peux pas y répondre.
Je n’ai pas la réponse, voilà.
C’est désoeuvrant ; je déteste ne pas avoir la réponse.
Mon esprit me jette alors le souvenir de la première phrase de l’Autre. Lui apprendre, elle m’a demandé de lui apprendre. Je peux lui donner *inventer* une réponse pour ne pas avoir à répondre à sa dernière supplique. C’est une bonne idée, n’est-ce pas ? Ainsi, je ne prends pas le risque que les choses changent. Je resterais avec mon toujours que nous avons convenu avec Thalia il y a si longtemps (ce n’est pas grave si elle pleure la nuit en ce moment, si elle ne fait pas attention à moi, cela lui passera) et tout restera semblable. Cette pensée est assez rassurante pour que je puisse trouver que répondre à la fille.

« Je vais t’apprendre, lui dis-je en lui jetant un regard. Mais moi, ça m’a pris des mois. Ça vient pas comme ça. »

Je me penche et plonge mes mains gelées dans la neige. Je grimace ; la morsure du froid sur ma peau nue est réellement désagréable. Je façonne une boule de neige dans mes mains tout en me rapprochant de l'Autre.

« Tiens. » Je lui tends la sphère blanche et brandit mon autre main ouverte devant moi. « Passe moi ton v-violon. »

Un frisson frileux me secoue, mais je l’ignore. Je jette un regard à l’instrument qui pendouille dans les mains de la fille. Je grimace : elle ne risque pas de me le passer vu l’état de mes mains. J’essuie la seule disponible sur mon uniforme et la remet à sa place, paume vers le ciel, dans l'attente.