Le Soleil brillait, ce jour là. Ses rayons traversaient l'atmosphère pour se poser sur le Parc. Les gouttes de pluie de la veille n'avaient pas séché. Elles scintillaient dans l'herbe. C'était beau.
Un beau tableau, presque trop parfait.
Il méritait quelque chose de plus triste.
L'Enfant ramassa ses crayons de couleur et son carnet de dessin et sortie dehors. Le Soleil n'était pas chaud. *C'est un peu un Soleil glacé*

Elle se dirigea vers le Lac, marchant à petits pas, comme pour ne pas laisser ses pieds faire des empreintes dans l'herbe mouillée. Son souffle semblait résonner dans l'air, rebondir sur les arbres et retomber devant elle.
Elle s'arrêta. La surface ondulée était devant elle, les vagues léchaient le rivage et l'eau reflétait les nuages dans le Ciel.
Deux arbres encadraient le Lac de là où elle était.
Elle s'assit sur le sol, et prit son crayon à papier.

D'abord, le Soleil, puis le Lac, les nuages, les arbres, les feuilles, l'herbe et le sable. Ses traits de crayon étaient fluides, sûrs d'eux. Elle se stoppa plusieurs fois pour corriger un détail, en rajouter un autre, observer le paysage.
*Fini !*

Il ne restait plus qu'à mettre les couleurs. Rouge, jaune, orange, vert, bleu. Et une ombre solitaire, juste devant le Lac.
*Mon ombre ?*
Une silhouette noire, crevée par les Ténèbres.
*Des flèches ?*
Les Flèches qui transperçaient ce Corps mutilé.
*Et le Rouge alors ?*
La trainée de Pourpre glissant jusqu'au Lac.
*Marée de Sang*
L'eau aussi rouge que la flaque de la Dame de Sang. Partout du Rouge, du Poupre, du Sang. Dans l'eau.
*Et le Ciel alors ?*


Tout était rouge, dans ce Tableau. Sauf le ciel et des nuances de jaune et d'orange dans les arbres. Il aurait pu être beau, ce Tableau. S'il avait été moins *Remplit du Pourpre*

Il restait le Soleil. Le Soleil qui était jaune. Jaune comme ses cheveux. Et le Ciel bleu comme ses yeux. *Jaune et bleu c'est pas beau à côté*
Elle posa le crayon doré et en ramassa un autre. Un bleu glacé. Le Soleil était bleu, maintenant. Froid.


Plume d'@Eileen Jones
Dis moi si quelque chose ne va pas.

Peut-être qu'un jour elle y parviendra, à oublier tout ça, à faire comme tous les Autres, passer au dessus des choses. Peut-être qu'un jour tout ça ne sera plus qu'un souvenir, qu'un souvenir présent uniquement dans son inconscient. Peut-être qu'un jour elle pourra vivre les évènement, sans que toutes les choses horribles restent gravées dans sa mémoire.
Peut-être qu'un jour elle y arrivera, à oublier la femme, effacer cette image de sa mémoire. Parce qu'elle n'en pouvait plus. Elle n'en pouvait plus de faire des cauchemars à cause de cela. Elle n'en pouvait de se réveiller toutes les nuits, à la limite même de pleurer, la poitrine compressée si bien qu'elle avait du mal à respirer. Ca ne pouvait plus durer, ça avait duré trop longtemps, même si pendant l'été, tout ça n'était pas arrivé. Mais Elowen était près d'elle tout l'été, et Merlin sait comme la présence de la rousse la rassurait. Alors que là, elles avaient beau être dans le même dortoir, quatre lit les séparaient. Quatre. Et c'était beaucoup trop pour elle.
Peut-être qu'un jour elle irait demander à Hermione ou Unna d'échanger, juste pour qu'elle soit plus proche d'Elle. Parce qu'elle en avait besoin, elle ne pouvait pas faire autrement.

Le soleil glaçait agréablement son visage. Au moins lui, il lui permettait de penser à autre chose. A autre chose que tout ça. Et 'était bien ça, pour une fois qu'elle n'avait pas besoin d'être avec les Autres pour penser à autre chose.
Elle voulait dessiner, à la base. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle était sortie, son crayon gris et son nouveau carnet à la main. Revoir Papa n'avait pas eu que des mauvais fonds finalement, elle avait un peu renoué des liens avec lui, c'était déjà bien, même si la distance n'aidait pas vraiment à ce que tout soit comme avant.

Eileen s'arrêta brutalement, à quelques pas de la Fille. Elle l'avait vu. Le dessin. Elle l'avait trop vu, trop bien reconnu. *C'est bien fait...* et c'était cela le problème. C'était bien fait. Trop bien fait.
La silhouette, les flèches, le sang...



Elle arracha son regard du dessin plus qu'elle ne leva les yeux vers la fille. La fille. Elle ne connaissait pas son prénom, ou n'avait pas envie de s'en souvenir. Mais *c'est celle qui faisait les trucs avec nous*.

Elle se mordit la lèvre, détournant le regard. Elle ne voulait plus penser à ce soir-là, plus jamais. Elle ne voulait plus revivre tout ça, elle ne voulait plus revoir la femme *morte*. Elle aurait peut-être dû écouter les deux Serpentard, qui faisaient tout pour l'empêcher d'y aller. Ça lui aurait évité bien des choses... Mais maintenant c'était fait, n'est-ce pas ? Elle ne pouvait pas revenir en arrière. Elle pouvait juste aller de l'avant, et passer au dessus de ce souvenir.
*Pense à autre chose, Eileen*.

Elle s'avança, tentant de ne pas trop enfoncer ses pieds dans la boue.

- Pourquoi tu dessines ça ?

Elle avait une idée de la réponse. *Pour Halloween*. C'était logique après tout, le dernier jour du mois d'Octobre approchait, vite.

Elle aurait pu rester longtemps assise par terre, à observer le paysage jaune et orange d’automne qui s’offrait devant elle.
Son dessin, plutôt.
La Dame de Sang, surtout. Et la traînée de Pourpre qui remplissait le Lac.
Pour être correcte, elle regardait plus le Soleil bleu que le reste.
Jusqu’à ce qu’un *Intrus* arrive et parle.

« Pourquoi tu dessines ça ? »

En temps normal, elle aurait répondu à cette Autre : "Pour Halloween".
Mais étrangement, la phrase qui se formait dans son Esprit était toute différente.
*C’est p’t’être la présence de ce Soleil bizarre*

« Parce que... J’ai l’impression - je veux et j’aimerais - que le Soleil va fondre et nettoyer ce... Ça. Le sang. Alors, le Cadavre sera de nouveau propre et p’t’être même plus... Vivant. »

Ça n’avait peut-être pas de sens pour l’Autre derrière elle.
*Elle est bien derrière, non ?*
L’Enfant ne lui avait pas accordé un regard depuis le début.
Politesse, où es-tu ?
Pas là. Tu crois vraiment que j’ai que ça à faire, regarder à quoi ressemble un.e inconnu.e ?*
Tu marques un point.

De toute façon, elle ne voulait pas associer de visage et de corps à la personne près d’elle. C’était bien, une ombre. Elle pouvait s’amuser à la modifier comme elle le voulait.
Un nez de cochon, une araignée sur le front, une verrue au bout du nez,... Peut-être que c’était même un fantôme ? Tant de possibilités s’étendaient devant elle. *C’est drôle*
L’Enfant décida de donner une dernière forme (définitive) à l’Ombre.
Des cheveux arc-en-ciel. Des oreilles de lapin. Avec la quelque qui va avec. Un menton barbu. Un mono sourcil. Et une cape d’invisibilité remontant jusqu’au cou.
*Tête flottante*

Pourquoi fallait-il qu'elle ait regardé, qu'elle ce soit approchée, alors qu'elle savait pertinemment que c'était une mauvaise idée ? *J'sais pas*. Elle sentait les larmes monter, un peu, noyer ses yeux dans ce torrent d'eau qui ne s'écoulait pas. *Tant mieux si elles coulent pas*. Elle n'avait même pas la force de pleurer, et puis cela servirait à quoi ? Elle en avait ras-le-bol d'être comme ça, aussi mal, tout le temps. Elle en avait marre de pleurer pour rien, de ne rien oublier, jamais. Elle en avait marre que tout retombe sur elle, qu'elle seule n'arrive pas à passer à autre chose.
Et le dessin n'avait pas aidé. Il remuait le couteau dans la plaie, pourtant son regard n'arrivait pas à s'en détacher. Peut-être était-ce parce que es paroles de la filles étaient rassurantes ? Peut-être parce que c'était une belle idée, d'espérer que le soleil efface les traces de cette horreur, tout ce sang *et toutes les flèches. Qu'elles existent plus les flèches enfoncées dans son corps*.

- Ouais...

Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle acquiesçait, mais elle le faisait. *C'est bien de pas savoir des fois*.
Elle essuya ses yeux du revers de sa main, celle qui ne tenait rien, et s'assit en tailleurs à côté d'elle.

- Faudrait faire pareil avec toutes les choses qui nous font peur, vu que c'est bientôt Halloween en plus, comme ça elle feront peut-être moins peur...

Et les choses qui nous font peur maintenant ne nous feront pas forcément peur tout le temps, ça elle le savait, même si elle n'y croyait pas trop. Mais si cela marchait vraiment, autant essayer non ?
Elle ouvrit son carnet et prit son crayon à papier. Il était étrangement vide, ce carnet, en comparaison avec l'ancien. Elle n'était plus habituée à avoir autant de pages blanches, vides.

Un trait. Puis deux, trois, et une multitude d'autres. Elle faisait comme Elle, la silhouette de la femme gisant au sol, les flèches enfoncées dans le corps, le sang s'écoulant sur le sol.
Il n'y avait pas de couleur, c'était peut-être mieux ainsi. Elle n'avait pas à voir directement que c'était du sang qui coulait sur les dalles. Elle pouvait tout aussi s'imaginait que c'était juste un liquide rose à paillettes...

- Tu fêtes Halloween d'habitude toi ?

L'Autre approuva, ce qui la rassura. Au moins, elle n'était pas la seule à penser ça.
Un mouvement attira son regard à côté d'elle. La tête flottante s'était assise. Pas si flottante que ça, finalement. Un corps, comme les autres, aux couleurs de la Maison des Bleus.
Ses yeux remontèrent au niveau du visage. Des cheveux roux, comme l'Oiseau.
*Est-ce que... ?*
Non.
Ces yeux à elle n'était pas bleus. Ils étaient verts.
Sa bouche bougeait doucement, en accord avec les Mots qu'elle prononça.
L'Autre ne ressemblait pas du tout à ce qu'elle avait imaginé.
Ce n'était qu'une personne comme les (A)autres.
*Banale*

La Bleue-qui-ressemblait-à-Phénix commença elle aussi à dessiner. Même dessin, même Corps.
La Dame-de-Sang gisant au sol, la trainée de Rouge.
Tout ça sans couleurs.
*C'est l'Soleil qu'a tout noyé pour nettoyer*
Il manquait juste une chose, pour l'Enfant. Une chose importante. Le bleu glacé.

Mais l'Autre posa une question sur Halloween avant qu'elle puisse faire ou dire quoique ce soit.
Bien sûr qu'elle avait fêté Halloween.
Pendant 5 ans. Avec Eux et Lui.
Elle se souvient parfaitement des déguisements, elle en sorcière, Lui en vampire, Maman en chatte noire et Papa en momie.
Elle se souvient parfaitement de la récolte de bonbons, des sourires rayonnants et des éclats de rire à la fin, quand ils comptaient le nombre de sucreries qu'ils avaient eues.
Elle se souvient parfaitement du repas du soir décoré avec des citrouilles qu'Ils avaient décorées pendant l'après midi et des bougies.
Elle se souvient parfaitement des histoires racontées sous la couette avec une lampe torche.
Elle se souvient tellement bien qu'elle veut oublier.
Oublier ces moments avec Lui.
Les larmes lui montèrent aux yeux. Elle les repoussa par violents battements de paupières.
*Pas pleurer pas pleurer pas pleurer.*
Elle ouvrit la bouche, hésitante :

« Avant, oui. Pendant 5 ans, jusqu'à mes 10 ans. Maintenant... J'préfère éviter. Trop de Souvenirs. »

La blancheur du dessin de l'Autre l'énervait. Il fallait au mois mettre un peu de couleurs, ou alors faire les ombres, pour une œuvre en noir et blanc...
N'y résistant plus, l'Enfant tendit ses crayons de couleur bleus clairs et murmura :

« Fais au moins l'Soleil... »

Elle sentait la fille se perdre dans les méandres de ses souvenirs. Elle sentait qu'elle s'y plongeait tellement qu'elle allait s'y noyer. Et ce n'était pas bon, pas bon du tout de se remémorer des souvenirs tristes. Parce que peut-être que ses souvenirs à Elle étaient tristes ? Que les soirées d'Halloween ne se passaient pas comme chez les autres enfants ? Ou alors était-ce juste la mélancolie qui faisait cela ? La mélancolie de se souvenir de souvenirs lointains, joyeux mais dont on est sûr qu'on ne les vivra plus. Plus jamais. Ou alors plus de la même manière...

Elle aurait voulu poser une main sur son épaule, juste pour la rassurer un peu. Elle voyait les larmes affluer dans ses yeux bleus. Mais elle n'avait pas envie de voir quelqu'un pleurer, parce qu'elle savait que cela la ferait pleurer aussi. Elle ne voulait pas être la cause des ces Larmes. Elle ne voulait pas être la cause des souvenirs qui remontent à la surfaces et qui fassent jaillir un torrent de larmes. Elle ne voulait pas voir la peau claire de la fille noyée sous les flots.

Eileen avait l'impression que la voix de la fille tremblait. Mais peut-être n'était-ce qu'une illusion ? Peut-être que c'était son cerveau qui s'imaginait tout cela, juste pour qu'elle se sente d'autant plus coupable ? Coupable de quelque chose qu'elle n'avait pas fait, encore une fois. Coupable de quelque chose qu'à elle-seule elle n'aurait pas pu éviter.

Elle ferma les yeux, laissant l’obscurité l’engloutir toute entière. Mais par Merlin, pourquoi toutes les rencontres près du Lac ne se passaient jamais comme elle le voulait ? On aurait dit que le Lac engloutissait tous ses espoirs d'un jour parler à quelqu'un sans problème, sans que les larmes affluent sous ses paupières, sans que toute l'eau contenue dans son corps ne s'échappe en coulant à flot sur ses joues.
Elle ne voulait pas revive ce qu'il s'était passé avec Hannah en Mars dernier. Plus jamais. Elle ne voulait pas qu'une autre fille lui fasse du mal autant qu'elle se fasse du mal à elle-même en prononçant ces paroles.

La voix de l'autre la ramena brusquement dans la lumière. Son cœur manqua un battement. *Fais au moins l'soleil*.
Elle fixait vaguement son dessin, sans le regarder vraiment. Elle ne savait pas vraiment si elle en avait la force. Il finira sûrement dans les braises, celui-là. Comme si elle jetait son propre souvenir au feu, pour qu'il se fasse consumer par les flammes et qu'elle parvienne à l'oublier.

- Je... Ouais, merci

Elle prit l'un des crayons qu'on lui tendait. Elle avait de la chance d'en avoir la fille. Eileen ne pouvait compter que sur son crayon gris et sa gomme à présent, les couleurs, elle ne pouvait pas les faire.
Sa main s'activa automatiquement, à colorer en une sorte de cercle pas très précis le soleil dans un coin de la feuille. Un soleil bleu. *C'est joli un soleil bleu*.
Elle tendit le crayon à la Poufsouffle, sans oser la regarder vraiment. Rien que sa silhouette lui rappelait ce jour-là, alors qu'elle ne lui avait même pas parlé, elle avait juste suivit ses gestes, consciencieusement. *Pourquoi quand j'vois Laurence, Ella et la Grande ça m'fait pas pareil alors ?* Elle n'en savait rien, et n'avait même pas envie de savoir. Son esprit était bien trop confus et difficile à cerner pour qu'elle puisse comprendre quoi que ce soit.

- Tiens

Elle soupira. Chaque personne qu'elle croisait, sur laquelle son regard s'arrêtait, ramenait un souvenir. Parfois douloureux, parfois moins. C'était épuisant, et terriblement angoissant. Si bien qu'elle finissait par ne regarder que ses pieds lorsqu'elle marchait. Ses pieds qui foulaient le sol avec la même légèreté qu'elle avait toujours eu, la même souplesse qui n'avait pas disparue.

- N'empêche, si le soleil était bleu il nous éblouirait peut-être moins

Elle regarda avec attention la Bleue colorier le Soleil, grimaçant légèrement devant la technique adoptée. Elle aurait aimé la conseiller, mais se retenait, autant par timidité que par peur de froisser sa camarade. Elle n'avait pas le courage d'affronter une dispute ou la colère de quelqu'un.

Elle récupéra son crayon bleu et le rangea dans sa boite, avant de reporter son attention sur le lac devant elle.
Elle arrivait parfaitement à imaginer le Corps étendu sur la plage, troué par les Flèches. Elle ferma les yeux, essayant de repousser cette image le plus loin dans son esprit. Mais ce n'était pas une bonne idée, et la vision se fit plus précise, plus forte, plus atroce.

Elle rouvrit brusquement les yeux et leva la tête pour regarder le Soleil à s'en brûler les rétines. Seul lui pouvait effacer ce dessin dans son esprit en l'aveuglant.
Elle baissa la tête, et battit des paupières plusieurs fois, essayant de chasser les points lumineux dansants devant elle.
Finalement, fermer les yeux était la meilleure solution, et elle ramena ses genoux contre son corps pour poser son menton dessus.

*Moins nous... éblouir ?*
Elle repensa à ce qu'elle venait de faire, à ces points qui bougeaient.
*Peut-être qu'elle a raison. Mais...*

« Oui, mais parfois, nous éblouir ça permet de nous empêcher de voir c'qu'on veut oublier. »

Elle parlait de la Dame de Sang, bien entendu. Son souvenir la hantait, l'empêchait de dormir et quand elle y arrivait, envahissait ses rêves - cauchemars plutôt. De sorte qu'elle ne dormait presque plus, et passait son temps à lire, apprendre, dessiner, observer les Étoiles et jouer du piano. Pour oublier. Enfin, essayer.
*Mais c'est indélébile*

« Et toi, tu fêtais Halloween ? »

Changer de sujet. Pour essayer de penser à autre chose. Encore. Mais pourquoi utiliser le passé ? Peut-être qu'elle fête encore Halloween, à Poudlard, avec ses ami.e.s. Ou dans la grande salle. *Ou la salle de bal* Peut-être qu'elle était au bal d'Halloween, l'année dernière, et qu'elle avait vu et vécu ce qu'avait vu et vécu Lumah.

« Au fait, tu t'appelles comment ? »

Changer de sujet. Pour essayer de penser à autre chose. Encore. Poser des questions plus basiques allait peut-être marcher.
Tu poses les mêmes que les Autres.
*Non, c'est pas vrai. J'suis pas une Autre*
En es-tu sûre ?
*Oui. J'suis pas une Autre*

Vraiment désolée pour ce retard plus qu'impardonnable, Plume...

Si seulement ça marchait vraiment...
Si seulement se mettre face au soleil lui permettait d'oublier tout ce qu'elle voulait oublier comme venait de le dire la fille... elle le ferait plus souvent, c'était sûr. Mais ça ne faisait rien, strictement rien d'autre que lui chauffer le visage, même si elle aimait bien ça l'été. Les rayons du soleil qui reflètent sur sa peau, qui réchauffent son visage en se posant dessus, qui lui faisaient voir tout un tas de petits points lumineux lorsqu'elle fermait les yeux, qui faisaient rougir sa peau puisqu'elle ne bronzait jamais *pas comme Aaren*. Oui elle aimait bien ça, même si les coups de soleils étaient douloureux souvent, même en se tartinant de crème solaire elle s'en prenait, et ce n'était pas la chose la plus agréable du monde. Mais peu importe, elle aimait bien se mettre face au soleil et fermer les yeux, laissant l'astre étaler ses rayons chauds et lumineux sur sa peau.
Mais même avec ça elle ne parvenait pas à tout oublier. Parce que tout restait dans sa tête, il fallait juste qu'elle réussisse à penser à autre chose, longtemps, *comme cet été* et ça marchait, ce qu'elle voulait oublier s'enfouissait peu à peu dans les profondeurs de sa mémoire. Mais souvent ça ressortait, et ça l'épuisait, beaucoup.

- Ouais mais ça marche pas tellement en soi

Sinon l'image de la femme aurait déjà déserté ses pensées c'était certain.

- Ouais

Elle s'arrêta là, fixant le visage de la fille pour tenter de cerner si elle était une née-sorcière ou non. Parce que si elle ne l'était pas, elle faisait probablement comme elle : le tour du pâté de maison de la rue de Bromley où elle habitait pour récupérer des bonbons chez les voisins. Eileen abandonna vite, c'était ridicule et inutile d'essayer de voir si une personne avait du "sang moldu" dans les veines ou non. *Après elle a dit qu'elle le fêtait...*.

Elle soupira, détourna le regard. La fille lui demandait comment elle s'appelait. La rouquine trouvait cela bizarre de ne pas connaître les nom des personnes de son année. Après tout, elle en connaissait la plupart, surtout ceux avec qui elle parlait souvent ou qui étaient amis avec ses amis ou... bref.

- Eileen

Elle fronça légèrement les sourcils, tentant de se souvenir du prénom de la fille. Elle était sûre qu'il commençait pas un L, son prénom. *L, L, L... La...*

- Toi c'est... Lana ? Non ?

Bon, et bien visiblement non, ce n'était pas Lana, *Lena*. A une lettre près en soi, elle ne s'était pas trompée de beaucoup. Elle fit une moue désolée sur son visage. Puis ses yeux se posèrent sur le carnet de dessin de Lena.

- T'as fait beaucoup de dessins dedans ? dans ton carnet

Ne t'inquiète pas c'est pas grave
Et je suis partie du principe que Lena corrigeait Eileen pour son prénom, mais dis-moi si quelque chose ne va pas !

C'était vrai que ça ne marchait pas tout le temps. Les plus gros souvenirs, les plus douloureux, restaient présents, indélébiles. Les plus joyeux aussi. Mais étonnement, c'étaient eux qui étaient les plus simples à effacer. Même lorsqu'on ne le voulait pas.

Elle ouvrit les yeux, la tache lumineuse toujours ancrée sur ses pupilles. Elle clignotait, bougeait, un peu comme les Étoiles la nuit. Une Étoile de jour, en quelque sorte. *C'est pas aussi beau. Et ça fait pas rêver*
Et puis, elle ne tarderait pas à disparaitre. Comme un mirage. Elle l'oublierait sûrement, cette lumière clignotant devant elle, sans que la Serdaigle ne puisse la voir. Aussi passagère qu'une feuille tombant d'un arbre.

La Bleue se présenta. Eileen. Elle se souvenait d'avoir déjà entendu ce prénom quelque part. Sûrement à Poufsouffle, il y en avait une. Elle faisait partie de l'équipe de Quidditch.
En regardant plus attentivement la deuxième année à côté d'elle, elle se souvint l'avoir déjà croisée. De loin, juste quelques instants. Elle ne lui avait pas parlé, mais le moment où elle l'avait vue ne s'était pas effacé, et ne le serait peut-être jamais. C'était le jour où... *La Dame de sang est morte*

Quand Eileen écorcha son prénom sur une lettre *Lana, ridicule*, elle fit une petite grimace, montrant que ce n'était pas ça avant de la corriger. *Lena, avec un E*
Elle regarda son carnet à dessins. Oui, elle dessinait beaucoup dedans. Elle écrivait, et coloriait des pages entières en noir. Ce n'était pas très joyeux, mais c'était son humeur du moment. Elle n'y pouvait rien. Si Ils ne lui avaient pas caché Ça, elle leur écrirait encore.

« Je... Oui. Un peu de tout. Mais surtout les plantes, le ciel la nuit et... le lac. »

Un rapide exemple du lac pouvait être ce qu'elle venait de faire. Le Corps transpercé des Flèches.

« C'était toi qui préparait la pâte de millepertuis à... ce jour là ? Tu sais, avec l'infirmier et tout... »

Repenser à ce souvenir lui faisait mal, lui faisait peur et lui donnait envie de courir à l'intérieur du Château pour se cacher sous sa couette, terrifiée, et ne plus jamais en ressortir.
Aborder ce sujet était délicat, elle le savait. Mais peut-être qu'en parler l'aiderait. Les aideraient.

- En tous cas tu dessines bien

Elle sourit, ramenant ses genoux contre sa poitrine pour les entourer de ses bras. Elle aimerait beaucoup dessiner aussi bien que Lena. Parce qu'elle aimait cela, ce n'était pas le problème, elle pourrait passer toutes ses journées à dessiner si elle le pouvait, mais ça foirait toujours quelque part, souvent dans les couleurs. Et cela l'agaçait réellement de ne pas réussir à colorier joliment. Comme Lena. Comme beaucoup d'autres.

La Poufsouffle lui demanda si c'était elle qui préparait la pâte ce jour-là. Si c'était elle qui avait préparé une pâte qui n'avait même pas servie. Une pâte qui n'avait fait qu'occuper leurs mains et leur besoin presque vital d'aider, à Laurence et elle. Elles avaient été incapables de rester là sans rien faire, ce n'était pas possible de rester assises en regardant les autres pleurer, s'inquiéter, se demander ce qu'il se passer, certains sortir, revenir, aider l'infirmier... Eileen n'avait pas pu se résoudre à rester statique à la table de Serdaigle, c'était impossible pour elle, tout simplement impossible.

Un nœud se forma dans sa gorge. Elle n'avait pas envie d'en parler, de se remémorer encore ce jour. Elle n'avait pas envie de se dire qu'elle n'allait jamais l'oublier, parce que pour elle c'était ce qui allait se passer si elle en parlait : elle ne l'oublierait jamais. Elle n'y croyait pas vraiment à ces "si tu en parles ça ira mieux". Et même si elle l'avait un peu remarqué en en parlant à Adaline l'année dernière, elle n'allait toujours pas réellement bien. Peut-être parce qu'elle n'en avait plus jamais parlé, et qu'elle se voilait la face en se disant que cela ne changerait rien.

Elle hocha tout de même la tête. Oui, c'était elle, avec Laurence. Et ce qu'elles avaient fait n'avait servi strictement à rien. Puisque la femme...

- Mais j'ai pas trop envie d'en parler...

Elle tourna la tête vers Lena.

- T'en as vraiment envie toi ?

Eileen sentait son cœur se serrer. Et si c'était le cas ? Et si Lena lui répondait par une réponse positive ? Et si oui, elle avait envie d'en parler ? Elle devrait se forcer, n'est-ce pas ? Elle devrait...