L'amertume a des ailes PV

Amber avait passé un été ennuyeux à mourir. « Banal » serait un doux euphémisme pour décrire les deux mois d’inaction pure qui venaient de s’écouler. Elle était rentré chez elle après une année entière d’absence et avait dû faire face à ses parents auxquels elle avait tourné le dos sans explications. Les autres vacances, elle s’était arrangée pour les passer chez d’anciennes amies, naviguant ça et là entre ses connaissances de façon à ne pas avoir à remettre un pied chez elle. Seulement, elle avait d’ores et déjà abusé de la générosité de son entourage, qui lui avait gentiment claqué la porte au nez quand elle avait proposé de les gratifier de sa présence. Il ne lui avait alors resté qu’une seule solution : rentrer au bercail.
Alors que ses camarades écumaient le globe terrestre à la recherche d'îles paradisiaques, s'essayant à de nouvelles stations de skis où rejoignaient des zones pittoresques, la jeune fille était restée cloîtrée dans sa chambre. Elle restait généralement tapie dans son repère du matin au soir, ne sortant que pour déguster avec réticence le repas qui l'attendait sous sur son pas de porte où investir la salle de bain. Autant dire qu'elle n'avait pas vu beaucoup de paysage.
Cependant, dans cet endroit devenu étranger et froid, elle avait eu une once de consolation. Une baguette magique, une cape trouée, des manuels maltraités et un chaudron usé. Autant d'objets inestimables qui lui rappelaient sa véritable maison, et que son calvaire prendrait bientôt fin. Les choses avaient bien changées depuis la dernière fois, heureusement d'ailleurs. Chaque jour, elle s'accrochait à cet espoir en espérant que la rentrée arriverait plus vite, impatiente de laisser derrière elle ce monde de tromperies et de regrets. Elle avait notamment un rituel un peu spécial, qu'elle aurait négligé en temps normal si elle avait eu de meilleures occupations.
Un homme (du moins elle pensait que s'en était un) était entré dans sa vie par mégarde, avait bousculé son quotidien et pimenté chaque seconde de son existence. Bon d'accord, elle exagérait peut-être un petit peu. Lorsque Miss Shepard lui avait présenté son nouveau compagnon, une petite boule blanche insignifiante perchée sur un arbre rachitique, elle s'était montré nettement moins enjouée. Mais bon, c'était compréhensible. Qui voudrait s'enquiquiner d'une bestiole repoussante, l'étudier chaque jour avec minutie et sérieux en prévision du mois de septembre, par un soleil éclatant et une chaleur estivale ? Quand bien même la demoiselle se doutait que l'été n'allait pas être très mouvementé chez elle, la langueur n'était pas un prétexte pour s'embêter de surcroît avec un boulot imbécile.
Bref, Amber devait reconnaître s’être trompée sur le compte de l’animal, qui lui avait finalement offert une distraction bienvenue dans ses heures de monotonie. Elle s’était prise à aimer ces moments privilégiés à examiner la transformation, même si elle avait un tantinet paniqué lorsqu’il avait fallu lui trouver de quoi manger. Heureusement, une rapide recherche sur le net et elle avait pu combler les besoins de son petit protégé, bien qu'elle en ai eu une petite idée quand il avait jeté son dévolu sur son pull préféré ...
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« Soliculus deficio ! », lança la Serpentard avec flegme. Immédiatement, la gerbe d'étincelles grises se perdit dans l'azur avec un crépitement sourd. Un instant plus tard, les quelques nuages cotonneux qui surplombaient le lac virèrent de bord et vinrent se placer juste au-dessus de sa tête. Peu à peu, ils comblèrent la vaste étendue claire et étouffèrent les rayons de soleils qui diffusaient une chaleur étouffante. *C'est mieux comme ça*, pensa-t-elle une fois totalement à l'ombre. Sa deuxième année venait à peine de commencer, hors-de-question de la commencer parsemée de coups de soleils. Cette nouvelle année se devait d'être parfaite, à l'instar de la précédente qui avait filé trop vite à son goût. Elle ramassa une touffe d'herbe fraîche dans sa main en savourant ce contact tant attendu. Affalée dans la bruyère verdoyante, sur la berge humide du lac et protégée d'un soleil de plomb, on pouvait difficilement réunir de meilleures conditions pour une journée idéale. Une journée qui s'annonçait excellente sous tous les hospices donc, quoiqu'un chouïa venteuse.
L'été touchait juste à sa fin mais la chaleur était encore tout à fait présente, et ce pour le plus grand plaisir des élèves de Poudlard qui profitaient de leur premier temps libre. La petite blonde renversa sa tête en arrière, jouissant de ce petit moment de solitude bien mérité. Bien qu'elle aimait la compagnie de ses amis, elle avait parfois besoin de se retrouver en tête à tête avec le château pour réfléchir, faire le point où tout simplement une pause loin des regards et des jugements. Un sourire béat se peignit de lui même sur son visage effilé. Un bruit mat l'alerta sur sa droite. « Alors Majesté, on se réveille ? », apostropha-t-elle à l'adresse de Lord Tartiflette. Elle donna une pichenette sur le bocal du papillon qui s'agitait dans tous les sens en se cognant sur les parois de verre. C'était bien simple, elle en était totalement gaga. Bien qu'elle n'ai jamais eu beaucoup d'affections pour les animaux - qui étaient soient trop bavants, bruyants où envahissants - il s'était révélé le compagnon rêvé. Une oreille attentive, patiente, charitable. C'était ça l'avantage d'une créature faible et d'aspect inutile, on se sentait infiniment plus intéressant à côté.
Son surnom lui était venu à la suite d'un heureux hasard. Un jour qu'Amber rapatriait dans son antre une assiette de tartiflette généreuse préparée par sa mère, son colocataire montra un fort intérêt pour la préparation. Elle s'apprêtait à déguster une fourchette généreuse lorsque l'insecte se jeta littéralement dans le plat. Un moment d'égarement et un fou rire plus tard, Lord Tartiflette était né, auréolé de gloire et de fromage.
La deuxième année reposa l'habitacle de son compagnon avec une moue amoureuse. Si son bébé d'amour était sage, elle lui ferait peut-être goûter aux fleurs du parc. En attendant elle comptait bien tirer profit des quelques minutes qui ... « Hiiii ! ». Une bourrasque violente venait de balayer le terrain, ébouriffant sa crinière et disséminant ses affaires un peu partout. La plupart de ses livres étaient restés en place, mais ses carnets les plus légers s'étaient ouverts, les pages tournant à un rythme fulgurant. Elle se précipita dessus en essayant d'attraper le plus de feuilles volantes avec frénésie. Des heures d'observations acharnées, de recherches, des pages recouvertes de réflexions, de gribouillis, d'idées pèle-mêles se dispersaient sur la pelouse nimbée de rosée sans la moindre considération pour ses efforts. Elle réunit ses prises en un tas légèrement froissé qu'elle coinça sous son genou avec dégoût. Evidement, il fallait qu'il ne s'agisse pas d'un cahier de brouillon lambda mais de son devoir le plus long ... Pestant contre la terre entière, elle oscillait entre colère dévastatrice et tristesse du même acabit en observant sous ses yeux impuissants son investissement colossal se répandre au gré des courants d'airs.
Trop furieuse pour crier, trop affolée pour pleurer, Amber s'apprêtait à faire déguerpir la silhouette qui s'approchait d'elle à pas mesurés. Au moment où elle allait lancer un regard noir à la présence, un feuillet se déchira alors qu'elle le capturait dans une poigne ferme. « J'y crois pas ... ». Stop, assez, fini, on arrête tout. Comment lutter contre les éléments ? Elle abandonnait, déposait les armes et regardait filer au loin les papiers qui striaient paresseusement le ciel. Abattue, elle serra le morceau qu'elle tenait contre sa poitrine.
Au comble du désespoir, Amber laissa échapper sa feuille. Une de plus ou de moins qu'est-ce que ça changerait ? Elle allait finir avec un Troll de toute façon, pas la peine de s'acharner. L'objet atterrit lestement aux pieds de ... Mais de qui au juste ?2/07/38 - Bon, j'espère que c'est normal mais je crois que mon machin est en train de grignoter sa coquille. Enfin je sais pas, moi ça me serait pas venu à l'idée de prendre le ventre de ma mère pour un apéricube spécial foetus, mais il faut croire que c'est son cas. Je dois dire que je suis assez perplexe, parce que si l'on le met sous un certain angle, j'ai l'impression de deviner un petit machin visqueux, genre une larve quoi. J'y connais pas grand chose mais je suis pas idiote, avant d'être un joli papillon je sais qu'il est censé passé par la transformation en chenille, mais là on dirait juste un pou tout ratatiné.
3/07/38 - Rien de nouveau à signaler, si ce n'est l'enveloppe qui se fendille un peu plus et la bêbête qui est un tout petit peu plus visible. Où alors c'est moi qui délire ? C'est possible. Passer sa journée en tête à tête enfermée avec un ver amateur d'omelette ça doit pas être hyper sains.
4/07/38 - Enfin, j'y croyais plus ! L'oeuf à enfin "éclos", la bestiole a enfin bousillé sa coquille plutôt. Je ne m'étais pas trompé pour le coup de la larve, si ce n'en est pas une, ça y ressemble farouchement. Elle est un peu plus grosse qu'il y a deux jours, je lui ai donné une mini-part de moelleux au chocolat mais c'est bizarre, elle n'y a pas touché ... Je vais essayer de lui donner des morceaux de feuilles, après si elle veut faire la difficile, tant pis pour elle ! Niveau activité, elle ne bouge pas beaucoup, disons plutôt qu'elle se tord dans tous les sens quand ça lui prend. Est-ce un message caché ? On verra ça demain, je m'en vais charcuter le jardin.
◊ Il n'y a ni bien ni mal, seulement le pouvoir et ceux qui sont trop faibles pour s'en emparer.
Responsable des nouveaux arrivants et journaliste au Sale Hasard.
> Serpentard du mois d'août et d'octobre & élève du mois d'octobre.