[PV : Ennis O’Belt]

Dimanche 19 février 2045
14 heures

-Couloir 1er étage / Etude des moldus-

Il n’était plus revenu depuis quinze jours. Et quand le garçon demandait aux autres professeurs s’ils étaient au courant, on lui répliquait : « En quoi cela vous concerne-t-il ? ». Les adultes pensaient sans cesse que ne pas répondre directement à une question suffisait à calmer la curiosité ou l’inquiétude des plus jeunes. Si Monsieur Penwyn avait pris des vacances, qu’on le lui dise tout simplement. Mais ce genre de réponse ne faisait qu’amener l’incompréhension et tendait à créer un mystère. Le Gryffondor était venu frapper plusieurs fois à la porte de sa classe, mais sans succès. Il ne le voyait plus à l’heure des repas et l’homme ne dispensait plus ses cours auprès de ses camarades plus âgés depuis le début du mois.

Le jeune Écossais tenait simplement à s’assurer qu’il aille bien. Il craignait que le professeur d’études des moldus n’ait eu des complications de santé après son séjour à l’infirmerie post bal d’Halloween. Il aimait beaucoup passer un peu de temps avec lui. Il avait le sentiment de combler un vide en lui. Ses parents lui manquaient terriblement et la présence de l’homme lui apportait beaucoup de réconfort. Il était toujours attentif et bienveillant. Il ne s’expliquait pas vraiment pourquoi il se sentait si proche de lui. Il y avait comme une forme de lien invisible, indicible. Le professeur et l’enfant ne se croisaient pourtant pas si souvent que ça. Gabryel ne suivrait ses cours qu’à la rentrée prochaine et il avait hâte, même si les moldus avaient peu de secrets pour lui. Il avait été élevé parmi eux et les connaissait plus que les sorciers.

Une fois encore, la porte de la salle d’études des moldus resta close.

Les dimanches après-midi étaient généralement sportifs moralement parlant pour l'équipe préfectorale. Bien sûr les professeurs étaient présents et circulaient dans les couloirs mais Ennis et ses collègues n'étaient pas exemptés de rondes. Ou tout simplement d'intervenir au besoin. Et depuis la fin du repas, elle avait eu l'impression de ne pas arrêter. A tout juste quatorze heures et en moins d'une heure elle avait dû reprendre deux étudiants de 16 ans qui avaient eu l'idée de jouer au frisbee à dents de serpent au beau milieu du couloir du troisième étage, faire face à une première année bien arrogante - bon elle pouvait l'être aussi mais dans son souvenir elle ne l'était pas autant il y a deux ans - sans compter la gestion d'une crise de couple entre deux personnes de sa promotion - quelle idée de crier ainsi? ... elle réprima un soupir. Il lui restait une heure de ronde à assurer et elle en avait déjà par dessus le chapeau pointu.

Heureusement le couloir du premier étage semblait bien plus calme. Elle croisa deux Sersaigle en bas de l'escalier. Puis une Serpentard qui souhaitait aussi aller dans les étages. Et ce fût tout jusqu'àce quelle parvienne à hauteur de la porte qui sonnait dans la salle d'Étude des Moldus. Juste devant celle-ci se trouvait une silhouette qu'elle connaissait pour la voir tous les jours en salle commune. Celle de Gabryel Fleurdelys, un deuxième année de Gryffondor. Un brin aventureux, un bégaiement intermittent, et puis ce secret qu'elle avait découvert par erreur de courrier un secret quelle qvaitbpromis de garder. Ce qu'elle avait fait jusqu'à présent. Elle qu'elle continuerait de taire.

Face à la porte le garçon lui tournait le dos. Il l'avait probablement entendue arriver. Même si elle avait le pas léger ses chaussures avaient produit un léger claquement sur la pierre du corridor.

- "Que fais tu ici Gabryel?" L'irlandaise avait abandonné l'usage récurrent des noms de famille depuis l'acquisition du badge qui lui donnait plus de responsabilité. Le devoir d proximité. Elle sen serait bien passé. Quoiqu'elle conservait cette habitude en cas d'infraction au règlement.

- "Le professeur Penwyn est absent." Une évidence pour quiconque habitait à Poudlard... Ce départ de son poste, brutal, sans signe avant-coureur était étrange. Un peu inquiétant aussi.

- Que fais tu ici Gabryel ? Le professeur Penwyn est absent.

Le jeune Écossais se retourna en entendant la voix de son ainée Gryffondor. La dernière personne que Gabryel souhaitait rencontrer était un Préfet. Certains d’entre eux prenaient leur rôle trop au sérieux à son goût : leçons de moral, rappel des règles, menaces de sanctions... L’enfant ne s’était pas souvent retrouvé dans cette situation mais certains camarades de son dortoir en avaient fait les frais. Il faut bien avouer qu’ils n’étaient pas non plus des anges.
Ennis, ce n’était pas pareil. Gabryel l’aimait bien, et elle partageait les mêmes valeurs de Rouge et Or que lui. Elle le prenait certainement pour une tête brûlée, car elle l’avait un jour réprimendé d’avoir tenté de grimper sur le toit de la volière.

Il savait aussi que sa camarade était un peu plus proche du Professeur d’Études des moldus que n’importe quel autre élève à sa connaissance. Il en avait pour preuve la mission que Monsieur Penwyn lui avait confié quelque temps auparavant, après le bal, lorsqu’il lui donna un courrier pour Ennis. Il n’en connaissait bien évidemment pas le contenu, l’apprenti sorcier était trop bien élevé pour l’avoir lu.

Il s’approcha d’O’Belt, un peu inquiet par la réponse que cette dernière lui apporterait :

- Bonjour Ennis. Oui je sais, il ne m’a pppppas répondu. Je ne voulais pas le déranger. C’est jjjjjuste que... (silence) Je ne le vois plus à l’école depuis un moment... Il a toujours été gentil avec mmmoi alors... je m’inquiète un peu...

Le Gryffon baissa la tête. Il se sentait à cet instant ridicule. Il avait éprouvé le besoin de se justifier. Après tout, il n’était pas élève de ce professeur, on pouvait donc se demander pourquoi il semblait si important pour lui de le voir. Comment lui expliquer ce lien presque filial qu’il ressentait pour l’homme, alors qu’il n’en comprenait lui-même pas le sens ?

L'inquiétude de Gabryel transpirait par tous les portes de sa peau. Ennis n'avait même pas besoin de sa confirmation verbale pour le savoir. Heureusement qu'elle avait appris à se protéger des émotions des autres avec le temps. Sinon elle n'aurait pas pu aligner deux pensées cohérentes en ce moment même. Tête baissée ainsi son camarade, un an et demi plus jeune, faisait bien peine à voir. La préfète en était à se demander si finalement il ne savait pas déjà tout. Comment savoir sans rien dévoiler? Elle n'était pas Legilimens, impossible donc.

- "Je ne l'avais pas en cours mais des quelques contacts que j'ai pu avoir avec lui c'est vrai qu'il donnait l'impression d'être quelqu'un de juste et droit." Ce qui n'était que pure vérité même si lors de leur discussion à l'infirmerie en novembre dernier elle n'avait pas été de son avis concernant le maintien du secret concernant la filiation entre lui et le garçon qui se tenait devant elle.

- "Vous étiez proches? Car ton inquiétude me semble disproportionnée. Tu ne l'avais pas en cours et..." Et quoi? Il était de ta famille? Pas très subtile.

- "Tu le connaissais avant de venir. Un ami de ta famille?" Niveau subtilité elle ne savait pas si c'était mieux mais avec un peu de chance elle réussirait à sonder ce que le jeune franco-britannqiue savait sur le professeur.

- Vous étiez proches ? Car ton inquiétude me semble disproportionnée. Tu ne l'avais pas en cours et… Tu le connaissais avant de venir. Un ami de ta famille ?

Gabryel fut décontenancé par les questions d’Ennis. Fallait-il faire partie de la même famille ou en être proche pour s’inquiéter de la disparition d’une personne ? L’apprécier tout simplement ne suffisait-il pas à se demander pourquoi celui-ci avait disparu du jour au lendemain sans laisser de nouvelle à personne. D’ailleurs, tout le monde réagissait étrangement lorsque le jeune Gryffon posait des questions, que ce soit les professeurs et maintenant sa préfète. A croire que personne ne se souciait de ce professeur bienveillant. Avec gravité, l’enfant dévisagea un long moment la Rouge et Or sans répondre. Il tentait de percevoir chez elle la moindre oscillation sur son visage, ne serait-ce que de l’inquiétude, de la moquerie à son égard, ou même du dédain. Mais il ne parvenait pas à percer son ainée à jour. En général, l’Ecossais savait rapidement décrypter l’attitude de ses interlocuteurs et à ressentir le tréfond de leurs pensées. Il s’en serait bien passé d’ailleurs. Son hyper sensibilité n’est pas un atout lorsqu’on a douze ou treize ans. Il faut apprendre à vivre avec, avoir suffisamment de force pour s’en protéger.

Ennis ne laissa rien paraître, ce qui aiguisa encore plus la curiosité de l’enfant. Cherchait-elle à masquer ses doutes concernant l’enseignant ? Gabryel savait qu’elle s’entendait plutôt bien avec lui, voir même qu’ils s’appréciaient. Pour preuve, il s’était fait le porteur d’un message de Monsieur Penwyn à son attention, lorsqu’il s’était rendu à l’infirmerie au chevet de l’homme après le bal d’Halloween. S’il correspondait avec elle, c’est qu’ils se connaissaient plus qu’un professeur et son élève. Les pensées et les questions se bousculaient dans l’esprit du jeune sorcier. Tout en tripotant nerveusement le bracelet que Penwyn lui avait offert à noël, et qu'il ne quittait plus, il finit par répondre à O’Belt, avec un ton presque provocateur qui n’était pourtant guère dans ses habitudes :

- Et toi, t’es pas inquiète peut-être ?

Gabryel semblait perdu. Elle le voyait dans son regard, dans ses gestes... nerveux aussi. D'ailleurs cette nervosité contagieuse lui serait la poitrine. Elle expira doucement de manière contrôlée pendant que son regard d'Ennis se perdait sur le bracelet de son cadet pendant deux secondes. Et cette provocation qui ne lui ressemblait pas. Tellement pas. Le deuxième année était quelqu'un de discret, plutôt doux, cette attaque verbale était étonnante et ne faisait que confirmer à quel point la situation le touchait.

- "Si bien sûr. Avec toutes les disparitions de sorciers dont on a pu entendre parler comment ne pas être inquiet?" Elle fit ensuite silence, tournant la tête vers la porte puis à nouveau vers le Gryffondor.

- "J'espère que ce n'est pas ça." Dit-elle doucement. Elle ne l'avait pas en cours, l'avait peu côtoyé, l'imaginer aux mains de moldus qui avaient tués des sorciers... Elle réprima un frisson. Et puis que faire s'il ne revenait jamais. Qui d'autre savait? La mère de Gabryel sans aucun doute, sinon le père biologique du jeune sorcier n'en aurait rien su non plus. Son père officiel? Il n'y avait pas à dire le mieux serait que le professeur Penwyn revienne un beau matin, un grand sourire sur le visage en criant 'Surprise!'... Ennis se donna une gifle mentale pour son trait d'humour noir bien malvenu. Heureusement elle n'avait fait que penser tout ceci.

- "Gabryel, tu n'as vraiment pas l'air bien..."

L’inquiétude partagée soudainement par Ennis ne semblait pas feinte. Les mots de sa préfète eurent sur le jeune Gryffon l’effet d’un poignard dans le ventre. Il n’avait pas connaissance en détails de la situation à l’extérieur des murs du Château, mais il avait eu vent de ces disparitions inquiétantes. Et si le professeur Penwyn en avait à son tour été victime ? Sa préfète n’avait peut-être pas prononcé ces dernières paroles au hasard. Avait-elle entendu quelque chose à ce sujet ? Se pouvait-il qu’un adulte lui eusse partagé des confidences ? Gabryel s’approcha de sa camarade d’un pas inquiet et se plaça à vingt centimètres d’elle. Il la scruta d’un air suspicieux mêlé d’angoisse :

- Tu vvvveux dire... « enlevé » ? Mais pourquoi ? Je vvveux dire, t’es au courant de quelque chose Ennis ?

Plus il parlait, plus ses yeux s’écarquillaient. Il avait eu connaissance d’une sorcière retrouvée morte. Et d’autres camarades faisaient allusion à des membres de leur famille disparus sans laisser de traces. Plus il observa la jeune fille, plus le stress s’empara de lui. Il ne comprenait pas pourquoi son corps réagissait ainsi, c’était totalement irraisonné. Il sentit dans le regard de la Gryffonne qu’il y avait quelque chose, au-delà du fait que l’homme n’avait plus donné signe de vie au sein de Poudlard depuis plusieurs semaines. Il posa une main tremblante sur l’épaule de son ainée.

- Si tu ssssais un truc, il faut me le dire. J’ai le DROIT de savoir.

Les mots s’échappèrent de ses lèvres. Le propre son de sa voix le figea sur place.

Les regards que lui lançaient Gabryel trahissaient - comme ses expressions corporelles - son angoisse et sa suspicion. Et l'étau autour de ses deux hypocondres se resserra, la forçant à se concentrer pour maîtriser son rythme respiratoire qui ne demandait qu'à accélérer sous la pression des émotions de son cadet. Surtout qu'il se tenait maintenant très proche d'elle. Trop proche. Beaucoup trop proche. Elle était obligée de reculer avant que le mal-être ne lui fasse faire quelque chose de regrettable pour tous les deux. Le peu de distance que son pas en arrière lui avait permis de remettre entre eux suffit à ce qu'elle reprenne un peu ses esprits. Un deuxième pas à ce quelle soit capable de reprendre un contrôle sommaire de ses émotions.

- "Je n'en sais rien Gabryel. Et je n'ai aucun moyen de savoir." Voilà qui était la stricte vérité. Elle planta son regard dans celui du garçon et elle voyait la panique s'y installer. Et comme il ne semblait plus rien gérer, cette panique suintait de lui. Mais comme cela faisait deux fois en quelques minutes qu'elle se faisait avoir, elle avait mieux anticipé et se focalisait sur une image mentale pour ne pas se laisser envahir. Saif que le contact d'une main sur son épaule fit tout voler en éclat. Le contact physique eut un effet immédiat de rejet sur elle. L'irlandaise sentit son diaphragme se contracter en position d'expiration. Elle se dégagea d'un mouvement sec et asséna d'une voix dure:

- "Plus jamais tu ne fais ça! Jamais." Son regard était assassin. Sa voix glaçante.

- "Je ne sais rien de plus sur son départ. Rien. Maintenant reprend toi!"

La voix et le regard tranchants d’Ennis retentirent comme un couperet. Gabryel se sentait comme un papillon de nuit écrasé contre une vitre, après avoir lutté pour trouver son chemin, aveuglé et perdu dans les phares d’une voiture. Ses doigts gelés s’étaient permis d’entrer dans cet espace naturel que l’on met tous entre nous, cette distance de sécurité et d’évitement qui nous laisse toujours l’option de fuir les autres. La jeune fille l’avait rappelé à l’ordre. À cet instant, son corps se relâcha d’une écrasante pression. Ses émotions s’étaient cristallisées dans son inconscient depuis plusieurs semaines. Aucun enfant ne pouvait supporter un poids aussi lourd. Il était broyé par une tonne de questions sans réponse. D’un naturel empathique et hypersensible, le jeune sorcier encaissait instinctivement l’affliction des autres, avec la force et le détachement essentiels à sa survie. Dans le cas présent, sa propre couronne d’épines l’accablait. La disparition de Penwyn avait mis en exergue le chamboulement dont son esprit était la victime depuis leur première rencontre.

L’Écossais se détourna de sa préfète, et tituba jusqu’au rebord d’une fenêtre, contre laquelle il s’affaissa. Ses yeux se perdirent dans le bleu du ciel, loin du présent, loin de lui. En une fraction de seconde, la peur se transforma en résignation. C’était peut-être la seule issue offerte par son esprit afin de se reprendre. Au-delà du Lac Noir, il observa la forêt interdite. Elle renfermait elle aussi son lot de secrets. D’un geste rassurant, l’adolescent passa ses doigts sur le bracelet de cuir qui lui avait offert pour Noël le Professeur d’études des moldus, identique à celui que Gabryel avait confectionné pour l’adulte*. Dans un souffle, des mots s’aventurèrent sur la commissure de ses lèvres :

- Il y a quelque chose Ennis qui me dépasse, je ne suis pas fou... Et ça m’échappe... POURQUOI ? Je devine tttttoujours avant tout le monde ce que les gens se cachent à eux-mêmes... Qui ils sont vraiment. (silence) Et là, je ne suis ppppas capable de déchiffrer ce qui m’arrive... Tu comprends ?

Au son de sa voix et à nouveau, il n’avait, à cet instant, plus d’âge.

*CF :  « Un coeur en Hiver »

Sa sortie semblait avoir bouleversé le jeune garçon. Non. Avait bouleversé. Elle le voyait a son air hagard et son mouvement de recul. A sa perte d'équilibre. Elle le sentait par les émotions qu'il dégageait. Il lui tourna vite le dos pour s'appuyer sur le rebord d'une fenêtre. L'irlandaise ne pouvait pu voir son visage mais il restait une sorte de tension dans l'air ambiant qui la prenait aux tripes. Elle vit le jeune garçon toucher un bracelet qu'il portait au poignet. Il devait avoir une signification pour lui. Mais quel pouvait bien être le lien avec le professeur d'Étude des Moldus? Son père. C'était étrange. Mais pas plus que ce que l'anglais allait annoncer par la suite. D'après lui il avait un bon sens de l'intuition, voir il avait un sorte de legilimencie naturelle, et là ça ne marchait pas. Ça lui faisait penser qu'elle même réussissait plutôt bien a se barricader pour éviter d'être assaillie par les émotions des autres. Sauf quand il s'agissait de sa mère. Ou qu'elle était en pleine confiance. Mais comment faire par de cette hypothèse à Gabriel sans rien lui dire. Elle devait trouver un moyen de tenir sa parole.

- "Tu parles de déchiffrer les autres. Tu as essayé de mediter pour trouver de te déchiffrer toi? Si tu te trouves ouvte retrouves tu arriveras peut-être à mettre le doigt sur une solution."