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09 mars 2019, 01:23
Les Couleurs
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14 Février 2044
One shot.

On ne se rend jamais vraiment compte que l’on est en train de sombrer avant que nos pieds ne rencontrent la vase gluante et froide des profondeurs de notre néant intérieur. Comme si la chute était inconcevable malgré son caractère atrocement inévitable, on continue de choir indéfiniment avant que notre corps meurtri n’atteigne enfin la stabilité de cette sombre masse de désespoir enfouie au creux de notre âme. Quand nous arrivons au bout de cette chute, il est déjà trop tard, beaucoup trop tard. La brume oppressante t’agrippe le coeur de ses doigts glacés et coupants et détruit le peu d’humanité qui restait en toi. L’instant d’après, tu n’es plus rien. Une coquille creuse et fêlée, maltraitée par les assauts du temps ainsi que par la profonde indifférence des vagues échouées contre le calcaire de ta muraille. Vide. Rassure toi, toi qui lis ces mots pleins de grisaille. Notre monde est composé - en grande majorité - de vide, tu le sais bien. Il n’y a qu’à voir la façon dont je te raconte cette histoire sans début ni fin. Après tout, rien n’a encore commencé ici, et pourtant, tu penses déjà avoir franchi une étape cruciale, pas vrai ? Satisfait ? Tu l’es sans doute. C’est mignon. Quant au pourquoi de cette satisfaction égoïste, je ne saurais définir son origine douteuse et profondément perverse… Si j’étais en mesure de sourire, je t’aurais sans doute offert un petit rictus narquois et délicieusement empli de condescendance mais… Je ne suis qu’une coquille vide. Un écrin en noir et blanc. Comme dirait un bon ami à moi :  "Caspita…"

Ce reflet dans le miroir est profondément séduisant. Cette nouvelle apparence dénuée de toute couleur ravissait mon regard, noir comme les ténèbres impénétrables du Chaos. Seuls mes cheveux bouclés pouvaient prétendre pouvoir rivaliser face à cette oppressante noirceur qu’étaient mes globes oculaires. Des fils de soie noirs sans le moindre reflet. Des larmes de vantablack tout droit sorties d’une oeuvre de Kapoor. En réponse à cette obscurité pénétrante, ma peau blanche comme la glace contrastait à merveille sur mon corps adolescent. Immaculé comme une neige tibétaine, les cicatrices de mon visage s’étaient évanouies comme par magie. Le corps des sorciers est parfois… étonnant... Même le bleu de ma cravate avait l’air terne lorsque que je le portais nonchalamment autour de mon cou. Le blanc de ma chemise était d’un sombre face à ma peau de neige. Un Malevitch. Impassible, le visage neutre et vide de toute émotion, je me contemple dans le miroir brisé de la pièce abandonnée la moins abandonnée du château. Pour faire simple, il y avait plus de passage ici que dans la bibliothèque de Poudlard. C'est pour dire... Lire. C’est bon pour les fayots, les sociopathes et pour ceux qui ont du temps à perdre en rêves et billevesées inutiles. Ne serais-tu pas en train de lire, actuellement ? Je me disais aussi... Touché, coulé.

Soudain, une question me passe par la tête… Si les stries et les pansements avaient péri au fond du lac, qu’en était-il de… Je lève la manche de ma chemise afin de dégager ma main droite du tissus qui la couvrait. Il était là. Encore et toujours, il était là. Il ne partirai jamais, quoi que je fasse. Encré dans ma chair, la première rune du Futhark n’avait pas bougé d’un millimètre. Je hausse un sourcil, à peine surpris par la vision contraignante de cette immonde marque dans ma paume pure. On ne pouvait décidément pas se débarrasser de tout dans ce monde.


- Tu es toujours là toi, dis-je d’un ton froid et creux. On va devoir cohabiter un peu, j’ai l’impression.

J’inspecte ma paume blanche et la rune qui s’y trouve. Concentrant ma force magique vers cette cicatrice disgracieuse, un mes lèvres blanches se retroussent en une expression menaçante.

- J’espère que tu te rendras utile. S’il y a bien une chose que je déteste plus que tout, c’est d’être fâcheusement déçu. Tiens toi prête.

Je tourne les talons, n’accordant pas même un dernier regard au miroir dans lequel s’éloignait ma nouvelle apparence. Au même moment, comme pour répondre à ma volonté nébuleuse de destruction, le Fehu de ma chair se mit à noircir comme l’ébène.

- Si vis pacem, para bellum.

Gloria è felicità