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10 janv. 2016, 15:09
 Préquelle  La naissance d'un mage noir
1.



« Serafina Agrafena Boukharine défie Arseni Aleksandar Radoslav Stoyanov, déclara une voix isolée dans l'assistance. »

Ce que je m'apprête à vous raconter eut lieu il y a très longtemps, au coeur du domaine enneigé de Durmstrang. Evgeniy Kowalczyk n'en était pas encore le directeur. Délaissé de ses kilos en trop, il arborait sa belle carrure de batteur vedette dans l'équipe ukrainienne de Quidditch. Poste prestigieux qu'il associait à quelques heures d'enseignement particulier pour le compte de l'institut. Sa discipline ? Les duels. Voilà pourquoi, aux prémices de cette histoire, Evgeniy invita deux de ses protégés à descendre dans la petite arène couverte de marbre gris, sous le regard impatient d'une bonne centaine de spectateurs massés dans cette salle à peine plus grande qu'une salle de cours.

Serafina Boukharine descendit la première, comme le voulait la tradition. Elle était vêtue d'une longue robe noire si cintrée que le moindre défaut aurait sauté aux yeux du premier venu. Mais, Serafina n'avait pas de défaut. Son corps puissant et élancé semblait avoir été taillé sur le modèle de ses statues grecques qu'on pouvait entrevoir dans les plus grands musées. Par pudeur, elle ne laissait que ses mains et son visage à l'air libre. Le reste demeurait habillement dissimulé sous une couche de velours et de dentelle. Son visage dégageait une pâle froideur que ses yeux ambrés ne faisait que renforcer, quand bien même ses fines lèvres s'animaient parfois d'un sourire vaguement chaleureux. Ses cheveux bruns, coupés au carré, finissaient de renforcer cette image stricte et soignée qu'elle inspirait à tous ceux qui avaient le malheur de la regarder.

Arseni Stoyanov descendit à son tour, chahuté, encouragé, par quelques camarades et amis friands de ce genre de spectacle. Tout sourire, cet Arseni là dégageait un sentiment d'aisance, comme si rien n'était susceptible de l'atteindre. Loin de la suffisance de certains, il paressait déterminé à vaincre et à asseoir un peu plus le rang qui était le sien. Aucune bague à ses doigts ne le désignait encore comme le futur champion qu'il deviendrait un an plus tard, mais les bases étaient là : le regard vif et perçant, le corps athlétique, la démarche féline, et ces mouvements mesurés, dignes d'un chef d'orchestre. Impressionnant de prestance, il dégrafa sa longue cape noire et la laissa choir sur le sol avant de replacer une mèche de ses cheveux châtains derrière son oreille. Son regard noisette croisa celui de son adversaire ; un sourire amusé en naquit. Serafina aussi sourit, un sourcil relevé en guise de défi. Et la danse débuta.

L'eau et le feu jaillirent de leur baguette avec une habilité hors du commun. Serafina fit claquer un fouet enflammé contre la rambarde en pierre. Arseni dressa un bouclier constitué d'eau en mouvement devant lui.

« Encore à te cacher derrière une cascade ? déclara Serafina en armant son bras. »

« Et toi à croire qu'une élémentaire de feu peut vaincre un élémentaire d'eau ? rétorqua Arseni en retroussant ses manches. »

Le fouet fendit l'air, ses flammes prêtes à lécher la moindre parcelle de peau qui se livrerait à elles, mais un bras d'eau la réduisit à un nuage de vapeur chaude. Arseni avait plongé son bras gauche dans le bouclier ; en avait résulté un bras d'eau dix fois plus grand qui répondait au moindre de ses mouvements. Le fouet vaincu, Arseni projeta le bras d'eau vers Serafina qui le neutralisa en dressant un mur de flammes. La vapeur qui en résulta était si dense que Serafina disparut momentanément derrière. Très vite cependant, deux langues de feu jaillirent du rideau de vapeur, telles des serpents bondissants sur leur proie. Arseni ne dut la vie sauve qu'à une roulade réflexe sur le côté. L'instant d'après, il relâchait une puissante vague écumante qui alla éclabousser le fond de la pièce. Serafina avait transplané. Arseni ne le réalisa que lorsqu'une vive sensation de brûlure lui lacéra le dos. Touché, un genou à terre, il se protégea en s'immergeant complètement dans une bulle d'eau contre laquelle Serafina déchaina toute sa puissance. La gueule béante d'un serpent géant entièrement constitué de flammes s'abattit sur la sphère pour la gober. L'espace d'un instant, Serafina crut son heure de gloire venue, mais son sourire s'effaça dès lors que son serpent de feu se désagrégea de l'intérieur, la silhouette d'Arseni bondissant dans les airs en s'appuyant sur des marches aqueuses qu'il dessinait au gré de son avancée. Elle n'eut le temps de réagir, surprise par ce mouvement de haut, que ses pieds se retrouvèrent cloués au sol, prisonniers d'un tourbillon d'eau qui s'était formé au centre de l'arène. Le courant était si intense que Serafina crut que ses tibias finiraient broyés, mais il n'en fut rien. Le duel était perdu. Deux bras d'eau venaient de la saisir par les avant-bras alors qu'Arseni dessinait une ultime marche devant elle pour pointer sa baguette sur son front.

« Tu es vraiment butée, lui murmura-t-il alors que les vivats de la foule saluaient leur prestation. Je t'ai dit que tu n'y arriverais pas. Pourquoi te donner ainsi en spectacle ? »

Serafina rit. Elle riait toujours devant une évidence.

« Tu te souviens ? répondit-elle un ton plus bas. Nos doutes sont des traîtres, et nous privent de ce que nous pourrions souvent gagner de bon, parce que nous avons peur d’essayer ? ... Je ne veux pas être de ces gens-là. »
Dernière modification par Arseni Stoyanov le 28 avr. 2017, 21:46, modifié 6 fois.
09 févr. 2016, 20:11
 Préquelle  La naissance d'un mage noir
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ARSENI STOYANOV


2.



La salle commune était pleine à craquer, comme à son habitude.

Arseni était confortablement installé dans un fauteuil d'époque, sous une fenêtre par laquelle surgissait un puits de lumière nacrée. Face à lui, Serafina épluchait soigneusement un traité de magie à la lumière d'une bougie. A la voir ainsi appuyée contre le dossier de son fauteuil, son parchemin soigneusement déplié sur ses cuisses, sa paire de lunettes descendue sur son nez, Serafina aurait pu passer pour n'importe quel rat de bibliothèque lambda. Mais Arseni savait pertinemment qu'elle n'avait rien d'un rat de bibliothèque. Tout avait toujours un but pour Serafina, une finalité, qu'il était impossible d'esquiver. Son talent était bien trop grand pour qu'elle se permette de le gâcher en actions inutiles. Absolument tout devait s'imbriquer dans un puzzle, un plan secret, qu'elle seule connaissait et conservait jalousement des regards indiscrets. Personne ne savait exactement où elle allait et pourquoi elle y allait, mais peu lui importait du moment qu'elle savait parfaitement où elle mettait les pieds. Le traité de magie qu'elle tenait entre ses mains répondait très certainement à une nécessité présente ou future qui échappait parfaitement Arseni. Mais il ne s'en offusquait pas. Il acceptait ses secrets aussi bien qu'elle acceptait les siens. Leur relation avait toujours fonctionné sur cette base inviolable. Elle était le ciment qui maintenait l'efficacité de leur duo depuis leur première année d'étude.

« Cesse de me regarder, ça me perturbe. »

Comme il te plaira, songea Arseni. Braquant son attention dans une autre direction, suivi d'un sourire amusé, il admira la foule d'élèves qui s’amassait depuis l'heure du dîner dans cette salle commune gigantesque pour y partager le pain et les bavardages après une dure journée de labeur. Seuls ou agglutinés en groupes plus ou moins hermétiques, les étudiants occupaient tout l'espace ; pourtant aussi grand qu'une église. Autour d'un bon feu de cheminée, d'une table ronde, ou à même le sol entièrement recouvert de tapis, tout le monde à Durmstrang avait sa place quelque part dans cette salle. Le tout était de trouver où. Arseni se souvenait qu'il lui avait fallu attendre le milieu de sa première année d'étude pour enfin se faire accepter d'un groupe qui, chaque soir, tenait ses réunions autour d'un feu de cheminée médiocre dans un coin reculé. Peut-être bien le plus ridicule de toute la salle. Mais au fil du temps, la renommée de chacun des membres grandissant, le groupe avait déménagé de cheminée en cheminée jusqu'à atteindre la plus belle et la plus grosse d'entre toutes, où ils étaient encore amassés ce soir. Arseni et Serafina avaient simplement décidé de se mettre à l'écart pour ce soir. Pour réfléchir au calme, pour ne pas avoir à participer aux conversations des autres, et un peu pour être ensemble.

« Mais si c'est pour la regarder, elle, j'aime encore que tu gardes tes yeux braqués sur moi. »

Le sourire d'Arseni s'accentua un peu plus. Serafina ne manquait vraiment rien, quand bien même elle donnait l'impression d'être happée par ce qu'elle lisait. Comment elle avait fait pour surprendre le geste de la main et le regard enflammé que venait de lui lancer Mikhaila Voïnov, il l'ignorait, mais le fait est qu'elle l'avait surpris et qu'elle en éprouvait un agacement palpable.

« Je ne te savais pas si difficile. »

« Ne sois pas arrogant. Tu sais bien que je déteste ça. Cette fille est une véritable veuve noire. Igor l'a appris à ses dépens... »

Arseni rit à sa façon. Un rire franc, discret, et très court. Igor, le frère de Serafina, était un infatigable coureur de jupons qui collectionnait plus de déboires qu'il n'avait décroché de conquêtes. Serafina essayait tant bien que mal de redorer le blason de leur famille, mais Arseni savait que la tâche s'avérait particulièrement ardue depuis qu'Igor avait trouvé le moyen de faire parler de lui quasi quotidiennement. Plus amusante était la réaction de Serafina qui, mécaniquement, trouvait toujours un moyen de saper la réputation des autres filles de l'institut dès lors qu'Arseni les évoquait de loin ou qu'elle surprenait une tentative de rapprochement d'un peu trop près. Arseni le savait, l'écart de puissance grandissait jour après jour entre eux. La chose n'avait pu échapper à Serafina. Il savait aussi que pour rien au monde elle souhaitait qu'il se détourne d'elle. A sa façon, il la rendait meilleure, et l'inverse était tout aussi véridique bien qu'ils se faisaient tous deux discrets sur la question. Arseni avait le sentiment qu'elle avait cruellement besoin de lui, et qu'elle souffrait d'imaginer qu'il puisse mettre fin à leur relation pour en tisser une plus forte, ailleurs. Ce qu'elle ne savait sans doute pas, c'est qu'il ne pouvait se l'imaginer autrement que près de lui. Elle faisait partie de son monde, plus que quiconque.

« Irina est revenue de Saint-Pétersbourg ce matin. Elle dit que mon père refuse toujours de me reconnaître, quand bien même son lit de mort commence à lui paraître trop petit. »

Serafina avait cessé de lire. Elle avait retiré ses lunettes et le fixait de cet air si sérieux et si déstabilisant. Arseni n'aurait su dire ce qui la poussait à le regarder ainsi : son brusque changement de sujet ou le contenu même de ce qu'il venait de lui dire. Après un court moment de silence, Serafina trancha. C'était le contenu.

« Je suis désolée.»

Arseni baissa les yeux et rit à nouveau. A quoi bon être désolé pour lui. Il était un bâtard. Une abomination de la nature. Le fruit d'une tromperie entre une Vélane vengeresse et un Moldu de sang royal. Qui aurait voulu le reconnaître ? Il lui arrivait parfois de se mettre à la place de cet homme qu'il détestait, et de trouver ses torts justifiés. Il n'en éprouvait alors qu'une haine plus grande pour lui et il en venait à se détester lui-même d'exister et d'avoir à vivre en portant un si lourd fardeau. Arseni Aleksandar Radoslav Romanov de Russie avait un père, quelque part, mais Arseni Aleksandar Radoslav Stoyanov n'en avait pas. Les choses étaient ainsi faites.

« Nous ferions mieux d'aller nous coucher. Demain est un grand jour. »

Serafina acquiesça silencieusement. Elle le regarda se lever et lui prit la main, rien qu'un instant. Un instant durant lequel Arseni ne voulut pas la regarder dans les yeux, de peur de se sentir encore plus coupable de ne pas lui livrer ses sentiments sur cette affaire.

« Prions pour que ce jour ne soit pas noir. »
Dernière modification par Arseni Stoyanov le 28 avr. 2017, 21:46, modifié 2 fois.
03 avr. 2016, 18:51
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ARSENI STOYANOV


3.



« Vous êtes en retard, déclara le professeur Horvath, dont la prestance extraordinaire pouvait réduire au silence un régiment entier de contestataires. Aleksandra, de son prénom, était l'une des rares sorcières en ce monde qui pouvait insuffler le respect d'un simple regard un peu trop appuyé. Son aura était si singulière, et si étouffante, qu'elle s'était retrouvée tout naturellement à la tête de l'institut le plus singulier et le plus angoissant du monde magique : Durmstrang. »

« Pardonnez-moi professeur, répondit Arseni, conscient d'être le point de convergence de tous les regards. »

Sans plus un mot, il prit place dans le seul siège resté vacant entre Dimitri Kevnikov et Franciska Molnar. Il décocha au passage un regard furtif à l'intention de Serafina. Son visage était plus pâle qu'à l'accoutumée. La nuit avait probablement du être difficile.

« Comme vous le savez, votre cinquième année touche à sa fin, reprit le professeur Horvath. L'heure de faire vos preuves est donc arrivée. Si beaucoup de sorciers intègrent nos rangs, très peu les quittent en étant diplômés. Il ne tient qu'à vous de décider si vos capacités concordent avec nos exigences, mais gardez à l'esprit que Durmstrang ne forme que l'élite de notre société. D'autres écoles moins regardantes vous accueilleront à bras ouverts si vous veniez à échouer. L'excellence n'est malheureusement pas à la portée de tous. C'est un fait. »

Arseni porta son attention sur le visage fermé d'Evgeniy Kowalczyk. Jamais encore il ne l'avait vu arboré une mine si sérieuse. La chose avait de quoi surprendre.

« Professeur Kowalczyk ? Ma pensine je vous prie. »

Le professeur de duels transporta le récipient large d'un bon mètre au centre du cercle de sièges. Le professeur Horvath le renvoya ensuite à sa place d'un simple regard auquel l'autre répondit par un hochement de tête entendu. Alors seulement elle se leva ; grande et belle dans son manteau de fourrure.

« Dans cette pensine sont réunis les souvenirs de bien sombres menaces, poursuivit le professeur Horvath. Des menaces qui pèsent directement sur notre école et auxquels je souhaite que vous mettiez un terme. Vous êtes seize réunis autour de moi. La pensine désignera les huit paires qui devront les affronter. A chaque paire, la pensine attribuera une menace. Vous avez jusqu'à minuit pour la traiter dans les règles de l'art. »

Elle caressa la pierre poreuse dans laquelle était sculptée la pensine comme on caresse un animal de compagnie. Arseni sentit aussitôt la tension montée d'un cran. A sa droite, les doigts de Dimitri virèrent au blanc tant ils s'étaient crispés autour de l'accoudoir.

« Bien. »

Le liquide incolore à l'intérieur de la pensine se mit à tournoyer comme s'il était remué par un cuillère invisible. Un autre liquide, blanchâtre celui-ci, remonta des profondeurs de la pensine et se mélangea progressivement au premier. Soudain, un nuage de fumée blanche jaillit de la pensine d'où émergea la vision d'une tour délabrée. Deux bras de fumée s'en dégagèrent et glissèrent vers les sièges d'Arseni et de Serafina.

« La tour ombreuse... murmura Dimitri, le corps à présent tétanisé par ce qu'Arseni devinait être de la peur. »

« Boukharine et Stoyanov feront front commun dans la tour ombreuse, commenta le professeur Horvath. Vous pouvez vous préparer à partir sur le champ. »

« Arseni, vous n'en reviendrez pas ! Lui susurra Franciska en le saisissant par la manche de sa chemise au moment où il s'apprêtait à se lever. Jamais personne.... »

« N'en est revenu, conclut Arseni en adressant un sourire qui se voulait rassurant à son amie. Je sais. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Cette tour ne dérogera pas à la règle, fais-moi confiance. »

Quand Arseni se leva, il ne put s'empêcher de remarquer le regard appuyé et sombre que le professeur Kowalczyk fit peser sur lui. Comme pour le rassurer lui aussi, Arseni lui adressa un hochement de tête. Serafina avait déjà claqué la porte du vaste bureau de la directrice.

La tour ombreuse... l'endroit maudit dont tous les étudiants de Durmstrang avaient entendu parler au moins cent fois au cours de leur première année d'étude. Le lieu interdit par excellence, repère des terrifiants détraqueurs du Nord.
Dernière modification par Arseni Stoyanov le 28 avr. 2017, 21:46, modifié 2 fois.
25 août 2016, 18:58
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4.



Serafina releva le col de son manteau de fourrure et braqua son regard sur l’imposant édifice qui s’élevait devant elle. Les pierres de la Tour Ombreuse se découpaient nettement au coeur de la tempête de neige, lui donnant un aspect surréaliste que ses fenêtres béantes venaient renforcer.

Son intuition féminine lui intimait de rebrousser chemin, mais son coeur hardant ne pouvait s’y résoudre. La silhouette noire d’Arseni, bravant les intempéries afin d’atteindre l’entrée, l’en empêchait.

« ARSEN… »

Le froid intense la fit taire. Ouvrir la bouche par un temps pareil était une mauvaise idée. Le froid vous descendait avec une telle force dans l’œsophage qu’il vous donnait l’impression d’être siphonné de l’intérieur. Serafina toussota puis se protégea le bas du visage en l’enfonçant dans le col de son manteau.

La silhouette d’Arseni avait atteint le pied de la tour quand les conditions se firent plus favorables pour Serafina. Elle accueillit avec un sourire sincère le couloir de tiédeur que son camarade lui ouvrit en faisant usage de sa baguette magique.

« J’y serais arrivée avec ou sans toi, dit-elle en passant sous le nez d’Arseni. »

« Je n’en doute pas un seul instant, répondit ce-dernier sur un ton de défi en la suivant des yeux. »

« Lumos ! »

Un frisson parcourut l’échine de Serafina lorsqu’elle entra dans la vaste salle circulaire qui faisait office de hall d’entrée. Ce n’était pas l’aspect dévasté de l’endroit qui en fut l’origine, mais les bruits effrayants qu’elle entendit de toutes parts. Ici, un raclement langoureux. Là, un râle en appelant un autre. Et partout, des grondements qui semblaient signaler que les murs menaçaient de céder tôt ou tard aux assauts du vent.

Rien n’était fait pour la rassurer. Pas même le visage d’Arseni. D’un habituel si calme, il affichait à ce moment précis une mine soucieuse soulignée par ses sourcils froncés.

« Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Serafina. »

« Tu ne les sens pas ? répondit Arseni. »

« Quoi ? »

« Ces relents de pourriture. »

Surprise, Serafina ferma les yeux et isola tant bien que mal tous les bruits qu’elle pouvait entendre pour se concentrer sur son seul odorat. Le gel avait beau recouvrir ici et là les murs et le plafond d’une fine pellicule de glace, l’air n’était cependant pas assez froid pour neutraliser toutes les odeurs, par dessus tout une odeur si puissante. Serafina la sentit d’abord en toile de fond, comme si quelqu’un avait fait souffler un vent de fraîcheur par-dessus, avant de l’agripper fermement. L’odeur fut si corrosive pour son nez, qu’elle crut bon devoir plonger son visage dans ses mains gantées afin de la remplacer par le parfum plus doux du cuir.

« Ils sont proches, dit Arseni. »

Serafina releva la tête en s’efforçant de respirer par la bouche, s’attendant à voir les sombres silhouettes des détraqueurs du Nord surgir d’un coin de la salle. Mais aucune créature ne franchit le voile d’obscurité qui recouvrait la seule issue devant eux.

« Envoyons nos patronus en éclaireurs, proposa Serafina. Je ne veux pas que ces horribles créatures nous surprennent. »

Arseni acquiesça d’un hochement de tête avant de donner un coup de poignet à sa baguette magique. Un nuage de vapeur blanche s’en extirpa aussitôt pour prendre la forme d’un majestueux cerf royal.

« Spero Patronum ! dit Serafina en pointant sa baguette vers la seule issue possible. »

Le même nuage de vapeur blanche jaillit de sa baguette, cette fois sous les traits d’une louve solennelle. Louve et cerf éclairèrent un court instant l’issue d’une aura nacrée avant de disparaître au-delà du voile de ténèbres.

« Tu n’avais pas l’air dans ton assiette, toute à l’heure, dit Arseni en la toisant du coin de l’oeil. »

Serafina lui lança un regard plein de reproches. Elle jugeait que ce n’était pas le moment de discuter de ce qu’il croyait ou non avoir vu dans le bureau du professeur Horvath. Une menace réelle pesait sur eux. Elle n’avait ni l’envie ni le courage de se pencher sur des sujets futiles dans un moment aussi critique.

« Ne sois pas stupide, dit-elle d’un ton tranchant. Viens. »

Le coeur battant à tout rompre, Serafina s’engagea sous l’arche par laquelle les patronus étaient passés quelques secondes plus tôt. Elle tenait fermement sa baguette dans sa main, prête à riposter à la moindre attaque. Mais aucune baguette magique ne pouvait la protéger de ce qui devait survenir alors. Quelque chose se décrocha au-dessus de sa tête et s’abattit avec une telle force sur l’arche que le mur céda dans une avalanche de gravats. Serafina eut tout juste le temps de plonger en avant pour éviter de finir ensevelie.

« SERAFINA ! SERAFINA REPONDS-MOI ! criait Arseni de l’autre côté du mur de gravats. SERAFINA ! TU M’ENTENDS ? »

Serafina ouvrit la bouche mais une onde de froid intense la retint de parler. L’odeur de pourriture lui explosa à la figure, glaçant son coeur d’effroi. Ils étaient là. Sa conviction était faite. L’apparition de quatre silhouettes plus noires que l’obscurité environnante, devant elle, finit de lui donner raison. Les détraqueurs du Nord l’avaient piégée.
Dernière modification par Arseni Stoyanov le 28 avr. 2017, 21:46, modifié 1 fois.
27 août 2016, 13:40
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ARSENI STOYANOV


5.



« Spero Patronum ! »



« SPERO PATRONUM ! »



« Spero Pa… »

L’angoisse monta d’un cran pour Arseni lorsque la voix de Serafina s’éteignit au milieu de l’incantation du Patronus. La détresse de son amie fut palpable, même à travers l’épaisseur du mur de gravats qui les tenait éloignés l’un de l’autre. Arseni aurait pu céder à un coup de sang ou à un quelconque élan de désespoir, mais il savait que la chose ne lui aurait été d’aucune utilité en cet instant. La Tour Ombreuse ne faisait qu’une bouchée des têtes brulées de ce genre. Pire, elle ne laissait aucun souvenir d’eux. Il se devait, par conséquent, d’agir avec davantage de prudence ; considérer tous les paramètres avant de prendre une décision ferme, sans perdre de vue la situation d’urgence dans laquelle Serafina était engluée. De fait, Arseni savait déjà que les pierres qui avaient servi à la construction de la tour étaient ensorcelées pour résister à une grande quantité d’assauts magiques - ses cours de Traditions Magiques avaient fini par lui servir à quelque chose. Tenter de déplacer les gravats en les visant directement était donc exclu, de même que la simple idée de créer un trou dans l’un des murs proches. Impossible. Arseni essaya de faire revenir son Patronus, mais rien n’y fit non plus. Le lien était rompu. Il avait la confirmation que quelque chose l’avait brisé. Très probablement un ou plusieurs détraqueurs. Ne restait qu’une solution à ses yeux, lente certes, mais la seule qui ne soulevait aucune opposition. Arseni se débarrassa de son manteau de fourrure, retroussa ses manches après avoir logé sa baguette magique dans la poche de son pantalon, et attaqua à mains nues, pierre après pierre, le mur de gravats.

« SERAFINA ! SERAFINA, REPONDS-MOI JE T’EN SUPPLIE ! »

Rien. Pas un bruit ne lui parvenait. Son coeur battait plus fort dans sa poitrine à mesure que les secondes s’égrainaient. Arseni escalada la pile de gravats pour déblayer son sommet, déployant toute son énergie à écarter le plus rapidement possible chaque pierre qui tentait de lui barrer le chemin. Quand le premier espace se dessina enfin, Arseni s’épongea le front et tenta de jeter un regard à travers, mais il fut violemment repoussé par l’odeur putride que laissait, derrière elle, la chair en décomposition. Les détraqueurs. Le doute n’était plus permis. Arseni pouvait même sentir sur son visage l’air glacé qui se propageait habituellement autour d’eux.

« SERAFINA, TIENS BON ! JE SUIS LA ! »

Sans se soucier une seule seconde des écorchures que ses mouvements frénétiques entraînaient le long de ses bras, encore moins du sang qui s’en échappait, Arseni déploya tout ce qui lui restait de force et de vigueur pour faire s’écrouler le sommet de la pile. Une fois la tâche accomplie, il s’étendit de tout son long pour se glisser dans l’espace qu’il venait de créer, bravant l’odeur nauséabonde, et la peur qui s’insinuait en lui comme un signal d’alarme. Mais quelque chose l’arrêta dans son élan. Quelque chose qui devait le hanter pour le restant de ses jours et influer sur le cours entier de son existence.

« Se… »

Serafina était étendue sur le sol, les bras écartés, la silhouette massive d’un détraqueur penchée sur elle, figé dans son fameux Baiser de Mort. Tétanisé, Arseni essaya d’articuler quelque chose, de remuer le moindre de ses membres, en vain. L’évidence venait de se glisser en lui comme un poison paralysant. Serafina était morte. Son âme lui avait été ôtée. Son corps aurait beau survivre au Baiser du Détraqueur, il ne demeurerait plus rien de vivant à l’intérieur. Plus aucun souvenir de ce qu’ils étaient l’un pour l’autre. Plus d’espoir d’une vie meilleure. Plus d’amour pour lui. Rien que le néant.

Quelque chose au fin fond d’Arseni se verrouilla à double tour. Une haine incommensurable le submergea. Une colère si terrifiante qu’un vent de magie pure balaya le reste des gravats et entraina l’assemblée de détraqueurs dissimulés dans l’ombre à s’intéresser à lui. Oublié le danger, Arseni se tenait debout devant l’issue qu’il venait de rouvrir, le regard noir d’une menace qu’il s’apprêtait à déchainer sans la moindre pitié. La baguette dans sa main craqua, puis se fissura, laissant échapper des étincelles de magie qui finirent par s’embraser, dessinant un mur de feu derrière le terrible sorcier qui semblait venir de naître dans cet endroit maudit. Arseni s’avança, pas après pas, titubant comme s’il était prit d’ivresse. Les détraqueurs se regroupèrent en une ligne resserrée. Arseni ne devait pas leur laisser la moindre chance de s’envoler…

« Spero Patronum. »

Un somptueux cerf royal se dressa devant lui, prêt à charger. Pas d’un blanc pur comme se devait de l’être un Patronus nourrit par des souvenirs heureux. Mais un Patronus nourrit de haine et d’un désespoir si profond que son existence relevait jusque là de la légende. Un Patronus noir comme le voile qui venait de s'abattre sur la vie d'Arseni Stoyanov.
Dernière modification par Arseni Stoyanov le 28 avr. 2017, 21:47, modifié 1 fois.
29 août 2016, 01:10
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ARSENI STOYANOV


6.



Evgeniy Kowalczyk essuya la neige qui s’était accrochée à son manteau. Le hall d’entrée de la Tour Ombreuse rendit un écho étouffé de ses gestes.

« Lumos ! »

La sphère qui s’illumina à l’extrémité de sa baguette éclaira les lieux d’une douce lueur blanchâtre. Evgeniy n’accorda qu’un bref coup d’oeil à l’agencement général de la salle, intrigué par les trainés de gravats qui encerclaient l’ouverture grossière en face de lui. Un autre coup d’oeil à cette dernière lui assura que quelque chose ne tournait pas rond. La dernière fois qu’il était venu dans cet endroit, une arche gravée de runes anciennes soutenait le poids de la voûte. Le mauvais pressentiment qu’il avait ressenti tout le long du chemin venait soudain de se renforcer à la vue de ce chaos. Par tous les mages, qu’est-ce qui leur est arrivé ?

Conformément au règlement, à minuit, sept des huit paires envoyées en mission avaient retrouvé le chemin victorieux de Durmstrang. Une seule était restée aux abonnés absents : celle formée par Serafina et Arseni. Persuadé qu’ils compteraient parmi les premiers à rentrer, Evgeniy avait rapidement déchanté. Les minutes passant, son inquiétude n’avait cessé de grandir jusqu’à ce que le professeur Horvath l’autorise enfin à se rendre sur place pour informer ses protégés que l’épreuve était terminée et qu’ils étaient, par conséquent, tous les deux renvoyés de Durmstrang. Mais Evgeniy avait acquis la conviction que quelque chose de grave s’était produit.

En s’avançant, Evgeniy pointa sa baguette vers le sol et mit ainsi en évidence une série de dalles calcinées. Il renifla mais aucune odeur de brûler ne lui remonta dans les narines ni aucune autre odeur. Le feu doit être éteint depuis plus d’une heure.

« Arseni ? »

Le son de sa voix mourut sans soulever le moindre écho.

« Serafina ? »

Le silence se referma une nouvelle fois autour de lui.

Evgeniy leva sa baguette, voulant éclairer l’espace dans lequel il venait d’entrer. Le faisceau de lumière éclaira une scène qu’il n’était pas près d’oublier : assis par terre, les épaules secouées de soubresauts, Arseni lui tournait le dos, serrant contre lui le corps de Serafina. Evgeniy déglutit, saisit d’une terreur sourde. Il s’avança. Un pas. Deux pas. Puis il s’arrêta une fois encore, interloqué.

Sa baguette venait de lui révéler la silhouette d’un impressionnant cerf noir aux yeux rouges. Le Patronus - dont il n’eut aucun mal à reconnaître la nature malgré tout - se tenait quelques mètres au devant de son propriétaire et le fixait avec une tristesse palpable. C’est impossible. Les Patronus Noirs ne sont que des légendes.

Evgeniy ne savait plus quoi penser ni quoi faire. Son cerveau éprouvait quelques difficultés à traiter toutes les informations qui l’assaillaient. L’urgence prit tout de même le pas sur le reste et le poussa à s’approcher de ses protégés.

« Pourquoi ? »

La question que lui servit Arseni le laissa sans voix. Evgeniy croisa son regard embué de larmes puis il jeta un oeil timide sur le corps de Serafina. Elle respire encore… se pourrait-il que les détraqueurs…

« Pourquoi ? insista Arseni. »

« Raconte-moi ce qu’il s’est passé, fils, dit Evgeniy en s’agenouillant à ses côtés. »

Arseni lui lança un regard d’une telle noirceur que Evgeniy ne trouva rien de mieux à faire que de baisser les yeux sur le corps de Serafina. La pauvre enfant avait reçu le Baiser du Détraqueur, cela ne faisait aucun doute. Evgeniy en avait d’abord douté, mais la respiration de Serafina et l’état dans lequel Arseni se trouvait ne laissaient place à aucune autre interprétation. La conclusion eut l’effet d’une déflagration. Evgeniy commençait tout juste à caresser la liste vertigineuse de conséquences que la nouvelle provoquerait.

« Je veux la tête du professeur Horvath, murmura Arseni, comme s’il avait lu dans ses pensées. »

Evgeniy déglutit.

« Le professeur Horvath n’est pas respon… »

« JE VEUX SA TÊTE ! cria Arseni. ET LES VÔTRES AVEC ! »

Evgeniy ne savait plus où se mettre. Il se sentait de trop dans cet endroit. Il se savait de trop en cet instant funeste. Mais son devoir était de ramener ses protégés à Durmstrang.

« Je suis désolé, dit-il. Je suis sincèrement désolé. »

Se redressant, Evgeniy dévisagea un instant le Patronus noir avant de le faire disparaître d’un coup de sortilège informulé. Mais il est une chose qu’il ne réussirait pas à faire disparaître même avec la meilleure intention du monde. Il le savait. Arseni ne pardonnerait jamais la perte qu’il venait de lui être infligée.
Dernière modification par Arseni Stoyanov le 28 avr. 2017, 21:47, modifié 1 fois.
11 sept. 2016, 12:17
 Préquelle  La naissance d'un mage noir
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ARSENI STOYANOV


7.



Il se tenait près de son cercueil, l’âme dévastée. Les autres personnes en présence n’étaient que des ombres pour lui, des silhouettes noires baignant dans un nuage d’éther. La peau de Serafina était blanche, couleur de mort. Ses paupières étaient closes ; irrémédiablement closes. Ses lèvres avaient pris une légère teinte bleutée durant la nuit. Son corps rigide était drapé d’une robe noire en dentelle. Ses mains étaient croisées sur son ventre, tenant sa baguette magique en bois de cerisier contre elle.

Il sentait toute son âme aspirée par cette baguette. Il se surprenait à la désirer plus que tout. Personne ne regardait dans sa direction. Personne ne pouvait remarquer. Il sentit un frisson lui glacer le coeur lorsque ses doigts effleurèrent les siens. Pris de vertige, il parvint tout de même à échanger les deux baguettes.

« Pourquoi ? lui demanda la voix. »

« Parce qu’elle a emporté le meilleur de moi avec elle et que je ne peux résolument plus vivre sans garder un bout d’elle près de moi. »

18 Janvier 2041. 3h21.

Arseni se réveilla en sursaut. La première bouffée d’air qu’il avala eut l’effet d’un coup de poignard glacé dans sa poitrine. Il toussa en conséquence pendant une bonne dizaine de secondes avant de se figer, le souffle court. Dans le silence de sa chambre confortable, il regarda autour de lui pour se rendre compte de la réalité. Un filet de lumière lunaire inondait le pied du lit d’une aura fantomatique et faisait rejaillir les meubles immobiles contre les murs. Il ne rêvait pas. Un autre coup d’oeil à son torse et sur ses bras lui confirma qu’il ne rêvait pas. Les zébrures noires étaient bel et bien là où elles devaient être. La réalité n’avait pas changé d’un iota. Et son cauchemar, aussi réel qu’il fut, n’était rien de plus qu’un souvenir torturé. Le même qui le hantait depuis des mois.

Saisissant son peignoir, Arseni se leva du lit et prit la direction du salon à l’étage inférieur. Ses maux de tête le firent s’accouder quelques secondes à la rambarde de l’escalier.

Le salon était tout ce qu’on pouvait attendre d’un bel appartement dans le plus riche quartier de Londres : grandes fenêtres offrant une vue imprenable sur Hyde Park, moquette grand luxe, mobilier d’époque, coussins cousus d’or, et candélabres en argent massif. Arseni traversa ce décor royal comme un fantôme. Sa présence faisait presque tache. Il entra dans la cuisine et dans la pénombre se prépara un café moulu à la main sans jamais avoir recours à la magie.

Le breuvage prêt, il tira la seule chaise présente autour de l’îlot central et s’y installa pour le boire à petites gorgées. Posée au centre du plan en marbre poli, sa baguette magique semblait lui faire de l’oeil.

« Bois de cerisier, cheveu de Vélane, 34.4 centimètres, murmura Arseni en prenant un fort accent de l’est et une voix qui n’était pas la sienne. Une baguette raide et dévastatrice, comme vous l’aviez demander mademoiselle Boukharine… »

Il sourit tristement en tournant son regard vers la petite fenêtre de la cuisine, continuant de siroter son café. Quelle ironie que le cheveu de Vélane enfermé dans cette baguette ait été un jour arraché à une mère pour passer des mains de l’amour de jeunesse de son fils à ce même fils, devenu, quelques années plus tard, ministre de la Magie de Grande-Bretagne. Il voulut rire de la cruauté avec laquelle le destin sévissait, mais une douleur soudaine lui fit renverser son café. Il porta sa main droite contre sa poitrine en serrant les dents. Il avait l’impression d’avoir été foudroyé. Son rythme cardiaque s’était emballé. Il lui fallut une bonne minute d’exercices respiratoires pour retrouver son calme et surtout un rythme cardiaque normal.

La magie noire le dévorait de manière plus vorace que jamais. Avec un nouveau sourire triste, il se souvint qu’elle s’était emparée de lui le jour où Serafina avait trouvé la mort. Comme une évidence.


[FIN]