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21 mars 2019, 10:28
 RPG  Les secrets seront toujours bien gardés
Nuit du 21 novembre ‘43
Suite directe de
cet événement

1

Refouler le besoin de comprendre


Il y avait du sang par terre. Beaucoup de sang. Voilà pourquoi on m’avait fait venir de toute urgence... je levai les yeux sur la silhouette du ministre de la Magie, affalée sur le canapé, la tête renversée en arrière. J’échangeai un regard bref avec une femme habillée à la dernière mode dont j’ignorais parfaitement l’identité, mais qui, à l’expression épuisée de son visage, m’inspirait un semblant de sympathie, puis je m’approchai, en évitant de mettre les pieds sur les trainées de sang.

Dallan Blackwave était dans un sale état. Des perles de sueur brillaient sur son front, ses joues, son cou et jusque sur son torse dévoilé par sa chemise lacérée. Ses paupières fermées remuaient parfois sous le mouvement compulsif de ses yeux. J’essayai de refouler mon besoin de comprendre ce qui avait bien pu lui arriver dans un coin de mon esprit, j’avais un travail à exécuter, et me penchai sur lui pour dégrafer sa cape. Elle puait le sang. Je la rejetai sur le sol et serrai les dents en découvrant l’ampleur des dégâts : le bras gauche du ministre s’était volatilisé ; ne subsistait plus qu’un amas compacte de chair et d’os broyés à l’extrémité de son épaule. J’interrogeai la femme du regard. Elle détournait aussitôt les yeux, visiblement sans voix.

« Dites-moi, au moins, ce qui a causé cette blessure, lui demandai-je. 

— Je n’en sais absolument rien. »

Je ne sais pas ce qui m’inquiétait le plus en cet instant : le fait que cette inconnue ne me mente pas — j’avais un don pour renifler les mensonges quand on essayait de m’en faire avaler — ou la nature indéterminée de cette horrible amputation. Je ramenai mon attention sur le blessé. Il n’y avait rien à obtenir de cette femme. Mais de lui, oui.

- POST 58 -

25 mars 2019, 16:12
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2

Sans coeur mais pas dénué de vie


« Vulnera Sanentur »

Manoeuvrant avec autant de précision que possible, je passai ma baguette magique au-dessus de la cape ensanglantée, lui faisait faire un tour, puis deux, sans quitter des yeux les gouttes de sang en suspension dans l’air. Il me fallait malheureusement fermer les yeux pour préserver ma concentration durant la seconde étape. Délicatement, je pointai ma baguette vers l’épaule du ministre en resserrant mon emprise sur elle. Le sortilège de Guérison des Plaies était d’une difficulté monstrueuse ; la résistance magique qu’opposait le corps au retour de son propre sang était une épreuve à elle seule. Ma baguette bourdonnait pour me signifier son refus, mais je m’obstinai à lui imposer ma volonté, le bras secoué de tremblements mais la poigne ferme et assurée.

Un grognement du ministre brisa ma concentration. Je levai le sortilège et rouvris les yeux. Mon corps était moite. J’avais chaud, terriblement chaud. Le tissu de ma robe collait à ma peau, à mon grand déplaisir. Je m’épongeai le front en balayant, au passage, quelques mèches rebelles et me penchai sur le corps du ministre pour prendre son pouls. Un coup d’oeil à sa blessure m’assura que l’hémorragie avait été endiguée avec succès. Mais je m’affolai malgré tout. J’avais beau presser l’index et le majeur sur son cou, à l’endroit où se trouvait la carotide, aucune vibration ne me parvenait. Pareil au niveau du poignet et de l’artère radiale.

« Ministre Blackwave ?! criai-je, gagnée par la peur de le voir mourir sous mes yeux. »

Je levai les yeux vers son visage, glissai ma main derrière sa nuque pour redresser sa tête et la relâchai aussitôt en reculant de plusieurs pas. Impossible ! Ses paupières s’étaient légèrement entrouvertes et ses lèvres avec. Je lançai un regard mi-ahuri mi-interrogateur vers l’intrigante plantée dans un coin de la pièce. Elle se détourna encore une fois de moi.

Le coeur battant à tout rompre, je voulais en avoir le coeur net. Etre sûre. Je revins au chevet du ministre et plaçai mes doigts sur son cou sans quitter ses paupières des yeux.

« Par tous les saints, qu’avez-vous fait... soufflai-je, terrifiée par cette absence de pouls contredite par les mouvements convulsifs des globes oculaires sous les paupières. »

- POST 59 -

26 mars 2019, 09:10
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3

Silence de plomb


« Ce n’est pas récent. »

Il me fallut quelques secondes pour comprendre qui parlait, tant son silence était enrobée de plomb depuis mon entrée dans la pièce. J’observai cette femme par-dessus mon épaule, l’invitant par un simple regard à m’en dire un peu plus maintenant qu’elle était lancée. Mais c’était mal la connaître. Elle retournait aussitôt à son silence obstiné après m’avoir désigné, de la main, la poitrine du ministre. Je soupirai, fatiguée par ces non-dits déguisés en jeu de piste.

« Faites-moi apporter un baume d’asclépiade tubéreuse et une solution revigorante de sang-dragon je vous prie, lui dis-je en ramenant mon attention sur le ministre. Les protections du ministère m’empêchent d’accéder à ma réserve. »

Moment d’hésitation ou tout simplement de flottement. Elle devait certainement se demander si c’était judicieux de me laisser seule avec le ministre, mais la situation étant ce qu’elle était, elle se résolut à me faire confiance. Un instant plus tard, j’entendais ses pas précipités se perdre dans le couloir.

Le silence se fit, une fois encore. Un silence si pénétrant que même le souffle du ministre était avalé par son gigantisme. J’observai ce visage embué de sueur, ces traits aimables même dans la souffrance que lui causait son état. Je ne savais finalement pas grand chose du ministre. Je ne m’étais jamais intéressé à lui. Mais maintenant que je me trouvais à son chevet, je ressentais de la curiosité...

« Ce n’est pas récent... répétai-je en baissant les yeux sur sa poitrine. »

Délicatement, j’écartai un pan de sa chemise en lambeaux. Ce que je découvris alors devait me rester en mémoire pour le reste de mes jours. Estomaquée, mes yeux tremblaient à la vue d’un mécanisme magique comme jamais je n’en avais vu de pareil : un assemblage savant de tuyauteries fines, de solutions magiques, et de rouages, visant à remplacer un coeur que le ministre n’avait plus. Les mots me manquaient.

- POST 60 -