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02 déc. 2016, 09:32
De maître à élève
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SYBILLE LUNEAU

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Poussée par sa curiosité, son irrépressible besoin de décortiquer toute chose, Sybille analysait scrupuleusement chacune des reliures qui, mises bout à bout, formaient le coeur de la bibliothèque interdite du professeur Loewy. Il lui semblait que chaque ouvrage possédait sa propre existence, sa propre façon de penser et de concevoir le monde des sorciers. Sybille doutait sincèrement d’en épouser les idées, tant elle les imaginait étriquées, mais leur simple présence dans ce bureau, une présence privilégiée, suffisait à éveiller son intérêt. Une collection d’une nature si sombre ne pouvait s’être constituée par le plus grand des hasards dans le bureau d’une sorcière aussi mystérieuse. Tout naissait d’une nécessité.

Sybille n’en aimait que plus cette femme que rien ne semblait atteindre, pas même une certaine notion de bienséance. Sybille était pourtant convaincue qu’elle n’était pas la première invitée du professeur Loewy à prendre conscience de cette collection, mais elle imaginait que son hôte se souciait peu du regard qu’on posait sur elle. C’est ce que Sybille aimait par dessus tout chez elle ; cette liberté absolue que personne ne parvenait à remettre en cause, cette façon de survoler le ressenti des autres, autant de qualités qui lui avait permis de sauver sa mère d’un mal qu’elle pensait incurable. Sybille était même persuadée que personne n’y serait parvenu à sa place.

Aussi, elle l’aimait comme on aime une icône, un espoir, un idéal, comme une fille peut aimer une mère à qui elle souhaite tant ressembler.

Cet amour inconditionnel, s’il était de nature à émouvoir son coeur, n’en avait pas moins un défaut majeur. Celui de croire que la seule présence du professeur Loewy suffirait à repousser le danger qu’incarnait, de façon certaine, la pratique de la magie noire. Comme une défense si puissante, si idéalisée, qu’on ne soupçonnait même pas qu’elle puisse posséder une faille.


« C’est peut-être naïf, mais je crois que tant que vous serez à mes côtés il ne m’arrivera rien. »

Sybille se pencha, les mains sur les genoux, de sorte à moins forcer sur ses yeux pour déchiffrer les reliures placées une étagère plus bas. Là encore, la collection d’ouvrages vibrait par sa noirceur.

« Ma mère le pense aussi. »

En se redressant, Sybille lança un regard enflammé au professeur Loewy.

« Elle vous suivrait jusqu’en enfer si vous le lui demandiez. »

Il y avait entre les deux femmes beaucoup plus qu’un simple respect entre deux grandes directrices. Sybille s’en était rendu compte en apprenant l’existence d’une correspondance entre elles.

« Je ferais de même, conclut-elle avec un sourire. »
02 déc. 2016, 15:02
De maître à élève
Penser que Kristen pouvait repousser tous les dangers, y compris celui que représentait la magie noire, était en effet un peu naïf. Certes, elle se sentait capable d’aller au-devant de n’importe quel danger et de l’affronter sans crainte, mais cela ne signifiait guère qu’elle se savait capable de tout. Si elle n’avait peur de rien, en vérité, c’était surtout parce qu’elle n’avait pas peur de mourir. S’il s’agissait, en revanche, d’agir à plusieurs, elle se faisait bien plus prudente. C’était aussi pour cela qu’elle préférait agir seule : la solitude lui fournissait le matériau nécessaire au courage inconscient ; et elle était donc plus efficace. Les autres l’encombraient, car elle ne pouvait se permettre de les pousser vers le danger comme elle s’y poussait elle-même.

Sybille observait les sombres livres que Kristen gardait jalousement dans son bureau. Il y avait plusieurs raisons à cela : d’abord, ils étaient ici parfaitement en sécurité, aucun élève ne pouvait y avoir accès – ils pourraient en lire le titre, certes, mais cela ne les informerait pas plus que cela sur leur contenu réel, qui était bien plus noir que les titres portés. D’autre part, puisqu’ils étaient ici, Kristen pouvait les consulter sans être vue, et elle pouvait même espérer que, sous couvert de la première raison, on ne se doute pas de la fréquence à laquelle elle les consultait. Certains étaient plus intéressants que d’autres, bien sûr.

Elle avait lu le livre d’Hilal Senpur de loin, car, si elle n’adorait certes pas les moldus, elle n’en était pas à vouloir les éradiquer. Ce livre, Comment éradiquer les races inférieures, traitait en effet des meilleurs moyens pour venir à bout de ce que l’auteur nommait « les races inférieures », et où il plaçait au même niveau les elfes de maison, les gobelins et les moldus. Il évoquait Grindelwald et critiquait son point de vue trop peu tranché – ce qui était en soi un comble – et donnait tous les détails de la composition de chacune des « races inférieures », qu’il avait bien entendu disséquées pour n’y trouver rien d’intéressant. Ce livre n’avait rien d’exceptionnel, si ce n’est son caractère extrémiste absurde. Elle ne s’était pas non plus beaucoup attardée sur les livres de potions, Délicieux breuvages, de Louison Douceret, et Potions de Nécromancie, de Cris Rys. Elle les avait étudiés, évidemment, comme elle avait étudié à peu près chaque livre qu’elle avait pu toucher dans sa vie, et avait tenté d’établir un lien entre les effets des potions mentionnées et d’éventuels maléfices méconnus dans le vaste domaine de la magie noire. Cependant, elle ne s’y connaissait pas suffisamment en potions pour avoir pu exploiter tout à fait la masse d’informations que contenaient ces deux ouvrages.

D’autres lui avaient été très utiles, en revanche, notamment les Secrets les plus sombres des forces du Mal, d'Owle Bullock, d’où elle avait pu tirer des informations essentielles pour la création de tout sortilège de magie noire et le fonctionnement même de cette magie, qui a des modes d’expression bien différents de ceux de magie blanche. Enfin, Ma découverte des pires procédés magiques du bout du monde, ouvrage à moitié autobiographique de Matthew Shafer, avait longtemps eu sa préférence parmi tous les livres présents sur ces terribles étagères. Si Kristen avait déjà pu obtenir de très nombreuses informations sur les pratiques de magie noire dans le monde avant même de devenir directrice de Poudlard, ce livre avait le mérite d’être extrêmement clair et de regrouper l’essentiel des informations en un seul volume. Pour une quantité similaire d’informations, il aurait fallu, si ce livre n’avait pas été écrit, consommer une bonne centaine de pavés, et il était inutile d’espérer les trouver traduits en anglais. Kristen avait eu de rares informations dans le passé grâce à des moyens d’ailleurs peu recommandables.

Sybille observait donc tous ces ouvrages, et même avec beaucoup d’imagination, il y avait fort à parier qu’elle ne pourrait pas se figurer la moitié des horreurs qui étaient imprimées sur ces pages. Malgré cela, elle semblait sourire d’un air assuré, intrigué, peut-être, mais qui ne traduisait pas vraiment la peur qu’elle avait ressentie quelques minutes plus tôt en voyant la main de Kristen et en sentant le contact glacial de cette magie. Cette main, certes horrible, n’était pourtant pas ce qu’il y avait de pire dans l’univers monstrueux de la magie noire.

La jeune fille se redressa et regarda Kristen de ce regard gênant qu’ont les Luneau. Ses paroles le furent tout autant. C’était vraiment une manie ! Comment en une seule entrevue, en une seule conversation, Sybille Luneau pouvait-elle si souvent provoquer ce trouble incompréhensible chez Kristen ? Cette expression troublée transparut d’abord dans les yeux éclatants de la directrice de Poudlard, puis elle reprit son air habituel, intéressé et ironique. Ses lèvres s’amusèrent alors que son cœur restait bloqué dans la chaleur de l’enfer que la fille d’Aude avait presque innocemment évoqué.

« Je n’aurais personne à emmener, Mademoiselle Luneau ; nous sommes déjà tous en enfer. »

Elle laissa sa phrase planer dans son aura mystérieuse quelques instants, mystère naturellement accentué par le sourire paradoxal qui marquait la bouche d’où sortaient des mots si terribles, si étranglés de pessimisme. Finalement, elle décida qu’il était temps de mettre fin à cette première entrevue.

« Il est temps pour moi de me remettre au travail. Je vous informerai bientôt de la date de notre prochaine séance, si cela vous convient toujours ? Nous pratiquerons un peu. »

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
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