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28 avr. 2018, 15:31
Délicieux venin
OS


Il se tenait juste de l’autre côté de la porte. Sa robe de sorcier aux couleurs de Serpentard avait beau être de petite taille, elle traînait encore presque par terre. Plusieurs mois avaient passé et il n’avait pas l’impression d’avoir pris un centimètre. Pourtant, il avait bien changé. Une nouvelle détermination, brûlante, s’agitait en lui. C’était une force d’action redoutable qui animait ses membres et qui activait les rouages de sa machine infernale, de son cerveau. Il s’était créé un but précis et avait commencé à déterminer les moyens à mettre en place pour y parvenir.

Il avait prononcé le mot de passe, l’escalier était monté jusqu’au bureau, et maintenant, il allait toquer. Il comprima son petit poing et l’approcha du bois, quand la porte s’ouvrit avant qu’il n’ait pu la toucher. Owen n’était même pas étonné.

« Viens, entre. »

Il s’exécuta.

« Comment se sont passées tes vacances ? »

Cette grande machination lui fit plisser les yeux. Owen savait que sa mère savait que ces vacances avaient un but plus grand : celui de vivre avec son père et sa nouvelle amoureuse. Elle faisait partie de ce complot et agissait comme si de rien n’était. Owen était profondément vexé : il détestait qu'on le prenne pour un imbécile. Pourtant, il haussa la tête pour croiser le regard de sa mère et répondit :

« Ça va. »

Kristen invita son fils à s’asseoir sur les fauteuils autour de la table basse et y fit voler, comme toujours, sa coupe pleine de dragées surprises. Owen ne se fit pas prier et se servit une poignée de dragées, qu’il tria dans le creux de sa main, se remémorant son tableau des bons et mauvais goûts selon la couleur et l’emplacement des tâches des dragées dichromes.

« Je veux vivre avec toi, dit-il en lançant une dragée à la fraise dans sa bouche. Pas avec eux. »

Sa mère eut un petit mouvement de surprise. Elle ne s’attendait pas du tout à ce que les vacances d’Owen mènent à une telle conclusion.

« Mais… Pourquoi ? »

Owen pensa que les adultes n’avaient que ça à la bouche : demander bêtement « mais pourquoi ? », alors qu’ils gagneraient du temps à céder immédiatement à ses exigences. Il se tint droit, les jambes serrées, s’appelant mentalement Ma Majesté. Il mit une autre dragée dans sa bouche, à la pomme cette fois-ci, l’avala et fixa sa mère. Il observa ses mimiques, les décomposa en un millier de petits gestes tous porteurs de sens, et qui formaient un ensemble plus grand : comme les Moldus font des films en faisant défiler très vite une grande série d’images. Il détestait chacun de ces micro-gestes de sa mère.

« Parce que je te préfère toi. »

Le jeune Serpentard fut ravi de son effet. Il perçut à nouveau chaque fragment de geste et se délecta de leur signification autant que du goût persistant de dragée à la pomme sur ses papilles. Il prit conscience du temps qu’il avait perdu à préférer la haine, quand il y avait tant de choses à tirer de sa mère. Et cela semblait si facile ! Son cœur battait à tout rompre. Deux minutes, voilà ce qu’il lui avait fallu pour toucher du doigt cette douce victoire sur le cœur de sa directrice de mère. Cette sensation était si plaisante qu’il avait l’impression de fondre de l’intérieur.

« Mais c’est… inattendu. Que s’est-il passé chez papa ? demanda-t-elle. »

Owen fit une moue désolée.

« Eh bien… Rien de spécial… Mais j’ai compris que, tu vois, enfin, c’était vraiment trop bête d’être toujours autant en colère. Maintenant qu’on peut enfin être tous les deux, ce serait mieux d’en profiter, nan ? »

Il esquissa un petit sourire qu’adoptent habituellement les enfants qui cherchent à se faire pardonner.

« Et puis j’voudrais que tu m’apprennes des trucs, comme au début de l’année. C’est grâce à toi que j’ai fait des progrès en cours, et tout ça… »

Kristen fronça les sourcils et croisa les bras. Owen crut que sa stratégie était en péril, que sa mère flairerait le truc et qu’elle refuserait tout d’un seul coup. Si elle faisait cela, Owen s’imaginait que ce serait fini, il faudrait tout repenser, tout revoir, penser à d’autres solutions pour tirer profit de sa situation.

« Et tu t’es servi des sortilèges que tu as appris pour multiplier les bêtises, fit-elle remarquer. »

Le vieux Owen ressurgit et vint troubler son jeu d’acteur, pour une demi-seconde seulement. Il se leva brusquement et s’indigna :

« Non ! Enfin, je veux dire, oui… oui, c’est vrai. Mais j’ai changé. Je te le promets… maman. »

Il insista sur ce dernier mot. Combien de temps avait passé depuis qu’il avait appelé sa mère ainsi, en face d’elle ? Il eut la même satisfaction malsaine que s’il lui avait jeté un maléfice particulièrement douloureux. Alors, il pensa que c’était un mot qui sonnait drôlement bien et décida d’enfoncer le clou :

« C’est avec toi que je veux être, maman. »

Il regardait sa mère penser à toute vitesse et s’imaginait avec plaisir qu’elle était un petit moucheron coincé dans une toile d’araignée ; et l’araignée, c’était lui. Il se sentait surpuissant et savourait son emprise sur elle. Il se rassit calmement et posa ses mains sur ses genoux, répétant mentalement cette formule magique : « maman, maman, maman… ». Il faisait voyager ce mot à l’intérieur de sa bouche comme un bonbon à sucer.

« Il faut que j’y réfléchisse, dit-elle. Ce n’est pas si simple. »

Owen releva vers elle de grands yeux effarés.

« Owen, je crois malgré tout que tu serais mieux avec ton père. Il y a beaucoup d’agitation à Poudlard et ailleurs. J’ai beaucoup de choses à faire, tout le temps. J’ai peur de ne pas être assez…  là. »

Outré, le petit Serpentard se fit raide comme un piquet. Il la transperça du regard.

« Tu veux dire que tu n’aurais pas assez de temps pour moi ? »

Kristen s’approcha de son fils et s’accroupit devant lui. Elle le regarda droit dans les yeux. Il se mit à détester aussi ce regard, ces sales yeux bleus désolés. Elle n’avait pas la permission d’être désolée, il lui fallait seulement obéir. Owen serra les dents : qu’allait-elle trouver comme excuse ?

« Ce n’est pas ça, mais papa en aurait sans doute plus. »

Owen se recula vivement, comme s'il avait soudain été en contact avec quelque chose de gluant et franchement dégoûtant.

« Mais je t’ai dit que je voulais pas vivre avec lui ! Il est nul, il a tout raté ! s’écria-t-il. »

Il devint tout rouge, comme lors de ses crises pré-révélation. Son cœur en colère tambourinait contre ses côtes et sa respiration s’accélérait. Il aurait voulu hurler : « Mais fais ce que je veux ! » et lui donner une grande claque. Bien sûr, sa situation d’enfant l’empêchait de s’essayer à ces gestes. Même s’il l’avait voulu, il n’aurait jamais osé le faire. Et puis, cela aurait été ruiner ses chances. Il essaya de se calmer et dit :

« Alors que toi… toi »

Il chercha dans son esprit les mots justes, le maléfice adéquat.

« Toi, tu es géniale, maman. »

Kristen ressentit un immense malaise qu’elle ne parvint pas tout de suite à expliquer. Il y avait, dans la voix de son fils, de vieux échos d’une vie passée, d’une vie apparemment non désirée. Chaque syllabe qui sortait de sa petite bouche d’enfant sonnait comme une vieille rengaine d’outre-tombe. Le regard même d’Owen prenait, pour elle, les reflets turquoise d’un regard-fantôme qu’elle aurait préféré oublier. Ces yeux qui n’existaient plus en réalité se retrouvaient là, greffés sur le visage de ce fils qu’elle aimait tant. Aussitôt cette assimilation faite, Kristen s’en voulut de penser que son fils pouvait être comme lui, elle se sentit coupable de comparer un enfant - son propre enfant - à un criminel.

« Je ne sais pas. On verra. »

Owen se retint de faire claquer sa langue contre son palais. « On verra » étaient, dans la catégorie des mots d’adultes, parmi les pires. « On verra », c’était presque toujours un « non » à peine dissimulé. Owen joua alors sa dernière carte, même si cela lui en coûta beaucoup. Il attrapa sa mère par le cou et l’enlaça, avant de murmurer à son oreille :

« Merci d’y réfléchir, maman. »

Kristen se sentit prise dans une cage étrange, une cage peut-être même confortable, mais dont on connaît la nature malgré tout. Elle passa sa main dans le dos de son fils et le tapota doucement. Ce qui se passait était complètement surnaturel. Elle finit par se délivrer de lui, sonnée, et se releva.

« Je vais voir, oui. »

Elle prit la coupe de dragées surprises sur la table basse et la ramena vers son bureau. Elle n’avait qu’une faible conscience de son environnement : tout lui paraissait désordonné. Elle se tourna vers son fils et conclut :

« Tu vas bientôt avoir cours, non ? »

Le gamin sauta du fauteuil, mit ses mains dans son dos et colla sur ses lèvres un sourire timide et savamment construit.

« Oui maman, j’y vais. »

Il inclina la tête et courut hors du bureau. C’était fait. Maintenant, il fallait seulement attendre et voir si cela avait fonctionné comme prévu. Il s’appuya contre le mur du couloir et sourit de toutes ses petites dents. D’où lui venait cette joie si profonde ? Il aurait voulu ressentir cela toute sa vie, garder ce sentiment accroché à son cœur pour toujours. Ce contentement terrible était, décidément, la meilleure sensation du monde. Le Serpentard, plus heureux qu’il ne l’avait jamais été dans les couloirs de cette école, descendit jusqu’aux cachots où aurait lieu son cours de potions.

Siehst, Vater, du den Erlkönig nicht?
Den Erlenkönig mit Kron’ und Schweif?