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02 déc. 2020, 23:34
Série boréale
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Cette série de textes retrace la sixième année scolaire de Kristen (2019-2020), passée à l'Institut Durmstrang à l'occasion du tournoi des Trois Sorciers s'y déroulant. Kristen faisait partie de la délégation de Poudlard.

SOMMAIRE

CHAPITRE UN
Synesthésie boréale
CHAPITRE DEUX
Comédie humaine
CHAPITRE TROIS
Magnétisme azuréen
CHAPITRE QUATRE
Plaisirs baudelairiens





« Il paraît qu'ils ont un accent marrant quand ils essaient de parler anglais. »

Les derniers mots avaient été prononcés avec un accent faussement russe, qu'Oliver Kincaid s'imaginait bourru et saccadé. Kristen Loewy ne réagit qu'à peine, levant les yeux au ciel pour signifier qu'elle ne trouvait pas cela drôle. Son humour devait être d'une finesse tout autre, et à seize ans, elle n'avait jamais trouvé ses camarades si stupides. Elle ne savait pas que son seuil de tolérance ne décollerait jamais et que bien des années plus tard, elle trouverait encore la grande majorité de la population terrestre tout aussi misérable qu'à l'adolescence, période pendant laquelle l'humanité semble pourtant courir à sa perte.

À peine sortie du Poudlard Express, que la magie et des accords incompréhensibles avaient réussi à relier à la Russie au prix de trois jours de voyage qui parurent interminables en compagnie de ces énergumènes, Kristen, plongée dans l'un de ses fidèles carnets de moleskine noire, notait déjà tout ce qu'elle voyait autour d'elle et retranscrivait le moindre de ses ressentis. Elle espérait commencer à toucher aux secrets de Durmstrang par le simple contact de l'air froid avec sa peau. La jeune sorcière avait bien l'intention de ne faire qu'un avec ce nouvel environnement : elle voulait se fondre en Durmstrang, en découvrir les mystères et en comprendre les légendes, explorer sa bibliothèque, épuiser tout ce que l'institut aurait à lui offrir, à elle entre tous les autres. Il était question d'aspirer toute la Magie de cet endroit si lointain, si secret, dont la réputation n'était plus à faire. Vampiriser le savoir de ces terres sauvages. Mais pour l'instant, le groupe ne voyait même pas l'école, dissimulé derrière une forêt de conifères épais.

Abigail Derwent, la directrice de l'école, s'était naturellement positionnée en cheffe de file de ce cortège, après avoir éhontément obligé les étudiants à se regrouper dans des wagons proches sans leur demander leur avis. Il fallait resserrer les liens dès le voyage, disait-elle. Poudlard doit faire front ! La directrice semblait satisfaite de se trouver à Durmstrang pour cette occasion si spéciale. Ses étudiants étaient sa fierté : il fallait faire bonne figure et montrer aux autres écoles de magie que Poudlard valait le coup, que parce qu'elle en était directrice, on ne pouvait que gagner.

Les pupilles rouges de Rhis Longbone scrutaient l'horizon encombré, tandis que ses lèvres pincées savouraient sa propre présence sans en traduire l'émotion. Celui qu'on disait hybride, à moitié vampire, qui embarrassait ses camarades, repoussait les uns, terrorisait les autres, en fascinait certains, n'avait, sous le regard acéré de Kristen, finalement que des yeux rouges. Elle ne croyait pas les on-dit et ne s'intéressait aux rumeurs que pour chercher à les invalider par des théories encore plus grandioses qui nourrissaient ses envies d'enquêtes qu'elle seule pourrait résoudre. Ainsi, il y avait bien longtemps qu'elle avait réfuté l'hypothèse vampirique : si Longbone devait avoir un quelconque intérêt, il devait avoir été victime d'une malédiction ancestrale du bout du monde, objet d'un rite sombrement douteux, ou bien les deux. Tant qu'elle n'avait rien découvert, il n'était rien : par la levée de son mystère, elle le créerait.

Kristen Loewy avait été embarquée dans la délégation de Poudlard pour ses compétences scolaires et ses capacités à ne pas faire de vagues : on savait qu'on n'aurait pas besoin de trop la surveiller, elle savait se tenir et présentait bien. Son flegme exacerbé, que l'on aurait volontiers imputé à l'adolescence, pouvait même lui donner une couleur locale, ce qui n'était pas plus mal. On espérait simplement qu'elle ne manquerait pas de mettre son nom dans la coupe de feu.

« Mademoiselle Loewy, j'ai le plaisir de vous annoncer que vous aurez l'honneur de faire partie de la délégation de Poudlard pour le tournoi des Trois Sorciers se tenant à Durmstrang l'année prochaine, lui avait-on dit. »

Cela n'avait pas été une surprise : elle avait parfaitement conscience de faire partie des meilleurs élèves de sa promotion. Durmstrang était particulièrement réputée pour son enseignement des duels et de la magie offensive, et Kristen révélait tout son potentiel lors des cours de Défense contre les Forces du Mal, ce qui surprenait toujours un peu. En effet, elle passait alors de l'élève studieuse et calme à la machine implacable dont les coups précis et déterminés mettaient rapidement fin à tout espoir adverse. Seul Marty Lamberts lui permettait de sortir de cet interminable échauffement : avec lui seul elle trouvait - et elle avait du mal à l'assumer - un certain plaisir à l'affrontement. Un jour, alors qu'il avait été le seul à pouvoir susciter chez elle ce plaisir du danger, elle pensa que s'il n'avait pas été si bête et si pauvrement entouré, il aurait pu l'intéresser sérieusement. Kristen préféra pourtant enterrer tout sentiment naissant, estimant qu'un jour, elle serait tellement au-dessus de la plèbe qu'il ne lui aura servi à rien de s'amouracher d'un Marty Lamberts. Elle était persuadée que son destin était ailleurs, dans des sphères supérieures chargées de mystères à percer. Partout, mais pas dans l'ombre de ce Poudlard qui l'avait tant déçue.

Pourtant, elle n'avait pas prévu de devoir déposer son nom dans la coupe de feu. Elle l'avait découvert un peu par hasard, tandis que son professeur de Soins aux Créatures Magiques la félicita pour sa nomination et glissa qu'il espérait que la Coupe la choisirait. Convaincue de sa supériorité naturelle, Kristen n'avait jamais vraiment développé d'esprit de compétition. L'esprit de compétition, c'était pour ceux qui voulaient se prouver qu'ils étaient meilleurs : pour ceux qui craignaient ne pas l'être. Aussi n'avait-elle pas envisagé de concourir. La gloire apportée par ce tournoi ne l'intéressait pas non plus : elle estimait ne pas en avoir besoin et n'avait aucune envie de se donner en spectacle devant une foule d'adolescents scandant un prénom puis un autre sur des airs peu mélodieux, de leurs voix à demi muées. Quant aux juges, ils étaient pires. Imaginer le regard d'Abigail Derwent posé sur elle ne la flattait pas : bien au contraire, cela l'entravait. Observée, elle se sentait objectifiée, privée de sa liberté d'être. Le tournoi, les épreuves, tout n'était qu'une série d'obligations, de consignes. Et si elle n'avait pas envie d'exécuter une tâche, la trouvant trop ennuyeuse, sans intérêt : qu'aurait-elle pu faire, en tant que championne de Poudlard - et si elle glissait son nom dans la coupe, elle le serait évidemment ? Elle n'aurait pas eu le choix, elle aurait des comptes à rendre, et Kristen préférera toujours avoir le choix. Si Kristen pouvait absorber Durmstrang sans se soumettre aux contraintes qu'imposait la participation active à ce tournoi, elle le ferait bien volontiers.

Elle laissa pourtant entendre qu'elle tenterait le coup, bien sûr : elle craignait qu'en avouant ne pas désirer participer au tournoi, on lui préfère un autre candidat pour partir là-bas, à Durmstrang. Or, elle estimait que ses raisons de vouloir partir étaient plus nobles que celles de tous ceux qui, justement, avaient pour objectif de sortir vainqueur d'une compétition. Si elle voulait tant passer cette année à Durmstrang, c'était pour Durmstrang. De tout cœur, elle espérait que cette deuxième école ne détruirait pas ses fantasmes comme Poudlard l'avait fait.

Plus ils approchaient de l'institut, plus il lui semblait que toutes les sensations que le corps peut imaginer se mêlaient en elle. Le froid serrait ses pores, mais il avait une odeur fantastique de neige brûlée. La brise sifflait entre les feuilles frémissantes des arbres, et ils prenaient de nouvelles formes, leurs couleurs se diffusaient dans l'espace. Le château massif se dressait finalement face à la délégation, et il semblait que sur les papilles de la jeune sorcière fondait une saveur aigre-douce : celle de la grande poursuite, enfin.

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Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
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04 déc. 2020, 16:22
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On s'imaginait les arrivées des délégations étrangères au tournoi des trois sorciers comme toujours grandioses, mais Poudlard avait une autre idée du bien paraître. Il était question de sobriété, de mesure, de contenance. Pourtant, on voulait impressionner, mais impressionner autrement : par la droiture, sans doute. Abigail Derwent se tenait d'ailleurs droite comme un piquet, faisant mine de trouver toute naturelle la grandeur de l'Institut Durmstrang. On attendait que l'on vienne nous accueillir et personne ne savait quoi faire de son corps pendant ce temps-là : tout ce qu'on avait demandé, c'était de montrer qu'à Poudlard, on était fort bien éduqué. Alors, il ne restait qu'à observer, bien en rang, les mains croisés dans le dos et le menton levé. Surtout, cacher les étoiles dans les yeux.

La bâtisse, non contente de dégager une aura écrasante, remettait aussi en question les standards de beauté architecturale par ses formes massives que l'on aurait d'abord jugées grossières, mais qui imposaient un certain respect qui laissait interdit tout observateur. La brutalité de l'architecture assommait et on finissait par se dire qu'au fond, c'était ça, la beauté dans son essence. C'était ce sentiment d'écrasement à la vue de quelque chose de beaucoup trop important pour le cœur humain ; et c'était le grand mystère provoquant un sentiment que l'on ne peut pas traduire par les mots.

Oliver Kincaid semblait tout aussi excité à la vue de l'établissement. Lui aussi arrivait en conquérant. On avait beau commander de ne pas bouger, il se balançait sur ses pieds, furieux, sans doute, d'une envie de se précipiter à l'intérieur pour tout découvrir au plus vite. Abigail Derwent lui jeta un regard par-dessus son épaule et il s'immobilisa. Kristen retint un sourire en levant un peu plus haut le menton : elle se tenait tellement mieux que lui !

Alors qu'on s'attendait à voir arriver un comité d'accueil par la voie terrestre, il fallut lever les yeux au ciel pour voir se former un nuage noir et rouge. Le groupe se forma comme se forment les oiseaux dans le ciel, en V, à la pointe duquel devait se trouver la directrice de l'établissement, madame Horvath. Ils fondirent au sol et se posèrent tout naturellement, dans la même formation que celle adoptée dans le ciel. On venait d'assister au lever de rideau. Tandis que le groupe de Poudlard se tenait en formation carrée, Durmstrang avait choisi une présentation triangulaire plus aérée qui laissait à tous l'occasion d'admirer les plus beaux spécimens de l'école. Leur uniforme rouge se tenait parfaitement sur leurs corps athlétiques et la directrice semblait tout à fait satisfaite. Pourtant, tous les étudiants présents devaient être parfaitement conscients de la superficialité de la chose, et il fallait même parier que la plupart s'en moquaient silencieusement pour ne pas faire outrage à leurs cheffes d'établissement.

Les deux femmes s'étreignirent comme si leurs rapports n'étaient pas déjà endommagés par la compétition qui venait de commencer. Les étudiants des deux écoles, quant à eux, se découvraient déjà en espérant ne pas en donner trop l'impression.

« Vous êtes arrivés avant Beauxbâtons, finalement, dit la directrice de Durmstrang, enfin libérée de son étreinte de circonstance. »

La remarque gonfla madame Derwent de fierté, qui commençait à prouver ce qu'elle avait à prouver : les élèves de Poudlard étaient ponctuels, donc disciplinés. Le problème qui se posait à la directrice de Poudlard était le suivant : la discipline était aussi l'apanage des deux autres écoles participant à ce tournoi. L'idée d'Abigail Derwent était qu'elle voulait que derrière la simplicité austère de Poudlard se révèlent tout un tas de trésors cachés ; car pour ce tournoi, l'effet de surprise était sa stratégie la plus élaborée. Ne surtout pas révéler ses cartes au premier tour. L'avis de Kristen était que Poudlard ne pouvait rien montrer.

Elle appliquait pourtant docilement les consignes de sa directrice, acceptant toujours de jouer le jeu si cela pouvait lui permettre d'avoir la paix ensuite. La grande comédie de l'arrivée dépassée, les directrices ne pourraient pas passer leurs journées à vérifier que leurs marionnettes continuaient de se mouvoir selon leurs désirs.

On envisagea d'attendre la délégation de Beauxbâtons pour juger tous ensemble de la grandiloquence de leur entrée sur scène, mais après de longues minutes à se regarder en chien de faïence dans un silence religieux, faire les actrices n'amusèrent plus les deux adultes et elles décidèrent qu'il était temps de rentrer :

« Bien, il serait temps de rentrer. »

Un vent d'embarras passa et ne manqua pas de susciter quelques sourires chez les étudiants, qui n'étaient décidément pas tous faits pour se mépriser dès le premier jour. Puis on décida que la délégation de Durmstrang pouvait se retourner, demi-tour droite, inverser le triangle, etc. et guider la délégation de Poudlard vers le château, ce qui, dans le regard des oiseaux, devait ressembler à une flèche trop belle pour être humaine.

La délégation de Beauxbâtons arriva finalement le soir, dans son traditionnel carrosse bleu tiré par des Abraxans. Kristen en fut naturellement satisfaite. Il lui sembla cependant que les étudiants de Beauxbâtons étaient moins bien portants que ceux de Durmstrang : on disait que le froid les entretenait, et il y avait une différence météorologique notable entre le Nord de la Russie et le Sud de la France. L'un des garçons de la délégation de Poudlard trouva bien vite un compliment à faire aux jeunes filles et une insulte à faire aux garçons de Beauxbâtons : leur accent était au choix adorable ou complètement ridicule - mais il ne fut jamais question pour lui, en une année scolaire, d'apprendre une autre langue.
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05 déc. 2020, 12:54
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L'heure du dîner arriva bien vite. C'était le moment du traditionnel spectacle d'entrée. Après cela, les démonstrations de groupe devaient se faire plus discrètes. Les élèves de Beauxbâtons furent les premiers à y passer. Les élèves de l'académie firent jaillir de leurs baguettes de longs rubans bleus et blancs qui, en cours de vol, prirent la forme d'oiseaux se chassant les uns les autres, et qui finirent par n'en former plus qu'un, énorme, qui fit mine de fondre sur la table où étaient assis les professeurs avant de disparaître dans une pluie de confettis.

Poudlard passa ensuite : on avait décidé de faire honneur à la devise de l'école, sans trop en montrer, toujours dans la logique de la stratégie d'Abigail Derwent. Les plus petits de la délégation, qui étaient venus en figurants car ils n'avaient pas l'âge requis pour participer au tournoi, passèrent devant et lancèrent une flopée d'étincelles blanches comme une haie d'honneur pour Abigail Derwent. Les plus âgés la suivirent, d'abord Oliver Kincaid qui devait représenter le charme chaleureux de Poudlard, puis on alternait : fille, garçon, fille, garçon. Kristen était à peu près au milieu : on avait craint que son air peu sympathique ne rende pas bien dans le cortège, et cela lui était égal. Elle n'avait qu'une hâte : que cette représentation se termine au plus vite. Faire de la magie d'apparat, ce n'était pas son truc. Rhis Longbone fermait la marche : ses pupilles rouges devaient laisser une impression sur les spectateurs et susciter un maximum de réactions. Il avait sans doute conscience d'être une bête de foire mais personne n'était capable de deviner ce qu'il pensait de ce statut. Le groupe, en file indienne, devait s'arrêter au centre de la pièce et lancer successivement des séries d'étincelles aux couleurs de Poudlard : vert, jaune, bleu, rouge. Le tout formait un dragon multicolore dans le ciel. Les petits se coordonnaient alors pour lancer d'autres étincelles, d'abord toutes vertes, puis jaunes, etc. C'était une formidable explosion de couleurs, un désordre que l'on voulait ordonné et qui, visiblement, faisait quand même son effet auprès des spectateurs : tout le monde aimait les feux d'artifice.

Durmstrang choisit la représentation militaire : déjà installés aux différentes tables du réfectoire, ils se levèrent tous en même temps, et comme un seul homme pointèrent leurs baguettes vers le plafond pour former au-dessus d'eux un grand nuage noir, qui ne tarda pas à faire tomber des éclairs en évitant soigneusement les tables. Une neige épaisse suivit et le froid surprit tout le monde. Puis, un grand coup de vent balaya le tout, faisant disparaître ces perturbations comme si elles n'avaient jamais existé.

Certains étaient ravis de découvrir la gastronomie propre à la région, d'autres restaient démunis face à leurs soupes épaisses. Si Durmstrang avait l'intention d'impressionner, ce n'était pas en organisant un festin. L'objectif, ici, devait être de montrer que les dîners de l'institut s'apparentaient davantage aux rations militaires, ce qui devait certainement mettre en évidence la rigueur de leur mode vie, jusque dans leurs repas. Bien sûr, les plats étaient globalement bons, en dépit du soin qui avait été mis à ne pas les mettre en valeur. Mais là n'était pas l'important : les directeurs parlaient entre eux comme de vieux amis, jetant parfois des regards à leurs élèves : on vantait volontiers les qualités d'untel, on débattait des prouesses d'unetelle, tâchant de vendre ses pouliches avant même le début du tournoi.

Les élèves aussi s'évaluaient, estimant que le port d'untel en disant long sur ses performances imaginaires. Kristen observait ces commérages, se livrant silencieusement à la même analyse : son avis ne regardait qu'elle et elle n'éprouvait aucunement le besoin de le partager. De toute façon, rien ne valait les actes, alors elle verrait bien ce qu'il en serait lors de la compétition. Une jeune fille attira son attention : elle avait un œil magique dont elle ignorait pour le moment le pouvoir. Elle le nota discrètement dans son carnet et se jura de découvrir quel mystère il cachait. En dépit de ces évaluations arbitraires, les étudiants des trois écoles faisaient déjà connaissance, répartis dans la salle pour les encourager à se mêler aux autres. Kristen percevait des mots en langue étrangère, russe ou français. Elle ne les comprenait pas mais les enregistrait, en appréciant les sonorités.

Une fille de Beauxbâtons n'était pas bien loin d'elle, et Kristen remarqua vite qu'elle aussi trafiquait quelque chose sous la table. Il lui semblait tout à fait impossible qu'elle disposât d'un carnet semblable au sien, mais à en juger par les mouvements de ses yeux, elle devait être en train de lire. Elle avait de longs cheveux châtain, lisses et brillants, attachés en queue de cheval, des yeux noisette et le teint olive pâle. Kristen ne pensa pas qu'elle était belle, car la beauté venait d'ailleurs, mais elle perçut quelque chose dans son physique qui retint son attention. Elle semblait distante, inaccessible : et Kristen voulait toucher à tout ce qui lui semblait inaccessible. Elle décida qu'après le dîner, elle irait non pas lui parler, mais manifester son existence en espérant que la fille la remarquerait aussi. En attendant, elle ferait ce qu'elle pourrait pour se sociabiliser, hochant la tête de temps en temps, écoutant beaucoup dans l'espoir de glaner un maximum d'informations sur l'enseignement à Durmstrang avant l'heure. La barrière de la langue représentait malgré tout un sacré inconvénient : on essayait d'apprendre, mais les élèves de Durmstrang, plus nombreux, s'exprimaient dans leur langue maternelle par commodité lorsqu'ils discutaient simplement entre eux.

« Comment c'est, à Beauxbâtons ? »

Un élève de l'institut s'était adressé en anglais à la jeune fille aux cheveux châtains. Kristen releva la tête pour écouter sa réponse : elle espérait de tout cœur qu'elle répondrait aussi en anglais, pour pouvoir suivre. Et elle ne fut pas déçue : malgré un léger accent et de brèves hésitations, la fille s'exprimait très bien et son vocabulaire était plus riche qu'on ne l'aurait pensé.

« Oh, pardon. Notre enseignement est très exigeant. Nous mettons l'accent sur la métamorphose et les enchantements... novateurs ? Beaucoup d'entre nous espèrent un jour inventer toute une gamme de sortilèges. Vous risqueriez d'être surpris par notre magie... expérimentale ? »

Kristen fut intéressée par cette réponse qui la désespéra pourtant : à Poudlard, on n'avait pas idée de former les élèves à la création de sortilèges. Elle nota discrètement cette information sur son carnet, se disant qu'un jour, elle inventerait ses propres sortilèges - et ils seraient grandioses. La fille remarqua sa prise de notes, car elle la fixa un moment avant de lui faire le sale coup de l'impliquer dans la conversation :

« Et à Poudlard ? »

Prise au dépourvu, Kristen ferma sèchement son carnet et tenta de le planquer sous ses cuisses. Elle hésita : il lui fallait trouver des arguments pour défendre les spécificités de son école. C'était, apparemment, une question d'honneur.

« C'est assez varié... »

Elle se trouva bête, n'ayant pas grand-chose à ajouter. La fille remarqua qu'elle était à court de mots et entreprit de lui venir en aide :

« Est-il vrai que l'on vous répartit dans des groupes au début de votre scolarité ? »

Kristen n'avait tout simplement pas pensé à cet élément, qu'elle considérait comme une évidence. Elle répondit d'abord par un simple "oui", mais vit qu'on en attendait plus.

« Serdaigle, Serpentard, Gryffondor ou Poufsouffle. Chaque maison a ses qualités... »

C'était du moins ce qu'on disait dans les livres : elle n'avait toujours pas compris comment le Choixpeau avait pu trouver la moindre qualité à certains de ses camarades.

« Et toi, tu es dans quelle... maison ? Quelles en sont les qualités ? »

La question écrasa Kristen par sa pertinence, sa prévisibilité et le manque total de réponse qu'elle avait à donner. En élève studieuse, elle récita simplement ce qu'en disait l'Histoire de Poudlard :

« Je suis à Gryffondor. Ses qualités sont le courage, la force, la hardiesse et la détermination. »

La réponse plut aux élèves de Durmstrang, qui se donnèrent des coups de coude : de bonnes qualités, ça !, mais la fille se contenta de sourire tranquillement, sans rien ajouter. Kristen était gênée : elle ressentit soudain la crainte viscérale que l'élève de Beauxbâtons ne voie en elle ni force, ni détermination. Si elle ne s'identifiait pas à Gryffondor, ayant toujours eu une préférence pour Serdaigle et sa famille étant majoritairement passée par Serpentard, Kristen se reconnaissait une grande détermination et aspirait à acquérir un maximum de puissance magique.

« Tu analyses la concurrence, dit l'élève de Durmstrang qui avait lancé la conversation. »

La sorcière française inclina la tête et lui fit un clin d’œil. Elle avait une aisance dans sa façon d'être qui n'avait rien à voir avec les allures que se donnaient la plupart des filles de son âge. Chez elle, ce n'était pas feint. Et malgré sa conversation, son apparente sympathie, on sentait qu'elle cachait quelque chose d'important. Il y avait quelque chose à gratter, cela se sentait. Son mystère flottait autour d'elle comme une aura invisible pour le commun des mortels. Kristen ne dit évidemment pas qu'elle ne mettrait même pas son nom dans la coupe : au fond, elle ne voulait pas que cela influe sur la perception qu'on avait d'elle.

« Gryffondor... Il y a un rapport avec Albus Dumbledore, non ? »

Les élèves se lancèrent dans un grand débat sur l'affrontement qui avait opposé Albus Dumbledore à Gellert Grindelwald. Souvent, les élèves de Durmstrang se remettaient à parler russe et Kristen perdait le fil.

Le dîner s'acheva sans encombres et les élèves avaient finalement commencé à faire connaissance comme ils le pouvaient. Les élèves quittèrent progressivement la salle à manger, attendant, pour les étudiants étrangers, qu'on leur indique l'endroit où ils logeraient. La fille de Beauxbâtons n'était toujours pas très loin de Kristen, et celle-ci put voir sous son coude l'ouvrage qu'elle lisait à table, avant que les conversations ne démarrent. Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire.

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08 déc. 2020, 13:14
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« Vous avez bien dormi ? »

Oliver Kincaid, qui avait posé la question, voulait sans doute se rassurer quant à la qualité du sommeil de ses camarades : des cernes gris plombaient ses yeux. Il était évident que tout le monde avait bien trop à penser pour passer une bonne première nuit à Durmstrang. Les têtes étaient pleines de rêves et les cœurs pleins d'espoirs. Il déchira un morceau de pain et le fourra goulûment dans sa bouche, puis répéta la manœuvre jusqu'à ce qu'il ne puisse même plus mâcher correctement. Kristen, au contraire, déchirait de tout petits morceaux et les picorait lentement, peu en appétit. Contrairement à la veille, les élèves de Poudlard s'étaient regroupés pour le petit-déjeuner, et ceux de Beauxbâtons occupaient eux aussi leur coin choisi dans le réfectoire. La fille de la veille n'était pas encore arrivée : Kristen jetait des regards en arrière assez régulièrement pour l'avoir constaté. Il y avait cette autre fille, en revanche. Celle qui avait un œil étrange. Elle mangeait en silence, droite et fière, et ne semblait pas se préoccuper du monde extérieur, uniquement concentrée sur son petit-déjeuner. Kristen sortit son carnet de sa poche intérieure et nota au crayon quelques observations à son sujet.

« Prise la main dans le sac ! »

Kristen se figea, les yeux grands ouverts, raide comme un piquet. La fille de Beauxbâtons se tenait juste derrière elle et avait vu son carnet. Kristen le ferma rapidement et l'éloigna le plus possible du regard de la fille.

« Attends voir..., dit-elle en approchant sa main. »

Se sentant agressée par cette intrusion dans son espace personnel, Kristen repoussa la main de la fille du dos de la sienne.

« Ça ne te regarde pas. »

Et elle se leva, fortement contrariée, laissant son petit-déjeuner en plan. Elle entendit quelques murmures et quelques moqueries - et surtout les vocalises hideuses de cette garce de Hannah Davidson qui pensait que rire comme une baleine pouvait lui conférer le charme de l'assurance - mais la jeune Kristen fit mine de n'y prêter aucune attention, serrant son carnet contre elle comme son trésor le plus précieux.

Des imbéciles, tous stupides, des idiots, pourquoi faut-il toujours que les gens soient si décevants ? Le rire de Hannah Davidson résonnait encore dans ses oreilles, alimentant sa colère. Malgré la fraîcheur du mois de septembre du grand nord, la jeune sorcière était sortie de l'établissement sans se poser de questions, pour prendre l'air. Elle avait attrapé sa baguette et se défoulait comme elle le pouvait, loin des regards : elle attaquait les conifères en creusant des dizaines de petites entailles dans leur tronc. Elle faisait de grands gestes violents, bien loin du calme habituel qu'elle donnait à voir. Il n'y avait plus rien autour : que ces troncs pour se défouler. Bande de cons !

« Garde ton énergie pour le tournoi. Ils ne t'ont rien fait, ces arbres. »

Kristen se retourna, le regard en feu, les sourcils froncés, pointant sa baguette sur la nouvelle venue.

« Et de quoi tu te mêles, encore ? »

Contre toute attente, la fille sortit sa propre baguette et la pointa sur Kristen.

« Tu veux te battre ? demanda-t-elle avec un sourire joueur. »

Décontenancée, Kristen releva le menton. Elle était toujours en colère, mais l'attitude de la fille lui prouvait quelque chose... Lui prouvait qu'au fond, elle avait eu raison de percevoir un petit truc chez cette sorcière.

« Tu n'as aucune chance.
- Essaie de faire mieux que ça, fit-elle en jetant sa tête du côté d'un tronc abîmé. »

Piquée par la provocation, Kristen ne tarda pas à lancer un premier sortilège.

« Levicorpus ! »

Touchée ! Elle s'était pris le sort de plein fouet, n'avait pas eu le temps de se protéger ni même d'esquiver. La fille se retrouvait donc la tête en bas, et il fallait dire qu'à l'envers, sa tête devenait un peu bizarre. Kristen allait enchaîner pour mettre fin à ce duel improvisé, mais la française avait beau se retrouver dans une position fort inconfortable, elle avait bien conscience qu'elle était toujours capable de se servir d'une baguette - raisonnement logique que Kristen n'avait pas prévu. D'un calme olympien, la sorcière riposta avec un sortilège d'apparition d'oiseaux qui surprit l'étudiante de Poudlard. Kristen tenta des mouvements de baguette pour s'en libérer, et le temps de s'en défaire, son opposante était aussi retombée sur ses jambes et préparait sa prochaine attaque. Les deux jeunes filles lancèrent en même temps leurs sortilèges : Kristen choisit le sortilège de stupéfixion, et l'autre, le sortilège de prison de cordes. Leurs deux sorts s'annulèrent formidablement. Elles enchaînèrent ainsi les sortilèges pendant un moment, l'une prenant tantôt l'avantage sur l'autre, puis la situation se retournait, chacune mettant en œuvre des stratégies héritées de leurs enseignements respectifs. Kristen était décidée à se défouler, tandis que l'autre sorcière prenait un malin plaisir à déjouer ses plans en métamorphosant les tentatives de Kristen pour les faire retomber comme un soufflé. Finalement, elles s'épuisèrent, ne trouvant pas de vainqueur, ce qui irrita Kristen au plus au point. Les deux reprenaient leur souffle quand l'étudiante française demanda :

« On arrête ? »

Offusquée, Kristen lâcha :

« Il doit y avoir une gagnante. Dans la vraie vie, il n'y a pas d'ex-aequo. »

Et elle enchaîna avec un autre sortilège, mais sa baguette avait perdu de son aplomb. Frustrée, elle lança un autre sortilège qui n'eut pas plus d'effet. Il y avait bien une heure qu'elles se battaient en y mettant toute leur énergie. Il fallait bien l'admettre : leur niveau était tout à fait équivalent - ou alors, elles faisaient en sorte, l'une et l'autre, qu'ils le soient. Peut-être pour faire durer le plaisir. Elles finirent par ne plus tenir sur leurs jambes et, sans oser le dire à voix haute, décidèrent qu'il était temps d'arrêter.

Il y eut un silence très long pendant lequel les deux jeunes filles profitèrent du plaisir de l'après-lutte. Elles n'osaient pas tout à fait se regarder. Kristen arborait une mine un peu boudeuse, malgré le sentiment de complétude qu'elle ressentait. Elle hésitait entre le plaisir d'avoir trouvé une adversaire qui la faisait vivre, et la contrariété de ne pas avoir tout à fait gagné. Mais cette fille était comme un soleil à saisir, et c'était troublant.

« J'ai vu ce que tu avais écrit dans ton carnet à mon sujet. Je m'appelle Margaux. J'ai un secret, mais je ne te le dirai pas, sinon je te gâcherais le plaisir de chercher. Et Les Fleurs du Mal, ce n'est pas un ouvrage de botanique sur les plantes dangereuses, c'est de la poésie. »

Kristen ne sut pas quoi dire. Elle était gênée que la fille ait vu ses notes : pour la plupart des gens, prendre ainsi des notes sur ce que l'on voyait, sur les autres, c'était bizarre et intrusif. Elle eut pourtant très envie de noter son prénom dans son carnet, mais ne put qu'en savourer la prononciation très française. Margaux. Marr-gaux. Elle avait un doute sur la façon de l'écrire.

« Moi, c'est Kristen, dit-elle simplement.
- Enchantée, Kristen. »

Elle sortit alors son petit livre de poésie, qui était fait pour être baladé à droite et à gauche. Kristen trouva l'idée pertinente, pour un livre auquel on a souvent envie de revenir. Elle ne s'y connaissait pas beaucoup, en poésie, ne s'y étant jamais trop intéressée. Il lui semblait que les poèmes ne contenaient pas autant de savoirs que les ouvrages théoriques. Bien sûr, elle se trompait.

« Il faut qu'on soit quittes. J'ai lu quelques lignes de ton carnet, sourit Margaux. »

Elle prit une grande inspiration et chercha une page. Kristen ne comprendrait que quelques mots, la langue française ne lui étant familière que par les formules de politesse et les mots partagés avec l'anglais ; mais elle comprendrait que c'était beau, et qu'un poème peut avoir autant de pouvoir qu'une formule magique. Margaux récita :

« Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes ! »

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Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
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